L'ÉDUCATION
}

DE


L ' É D U C A T I O N


TOME TROISIÈME




PARIS. — IMP. W. КЕИОВЕТ, COllPY ET С», RÜE GAJUKCIÉRB, 5 .




DE


L'ÉDUCATION
P A R


M«' DUPANLOUP, ÉVÊQUE D'ORLÉANS
DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE


L'Éducation est une œuvre d'autorité
et de respect.


PARIS
C H A R L E S DOUNIOL, L I B R A I R E - É D I T E U R


29, R U E DE T O U R N O N , 39


\ 862


Tous droits ré se très.






D E


L'ÉDUCATION


LITRE PREMIER


LE SUPÉRIEUR.


CHAPITRE PRÉLIMINAIRE.


Dans toute Éducation, et pour accomplir l'œuvre si com-
plexe et si multiple qui s'y fait par le concours de tant
d'agents divers, il est un homme nécessaire, sur lequel tout
repose, en qui l'œuvre se concentre tout entière, et qui
réunissant les actions diverses de chacun, dirige au but
commun les efforts de tous : cet homme, c'est le Supérieur.


Son rôle est tout à fait à part, et d'une importance souve-
raine; et c'est pourquoi, après avoir traité déjà longuement,
dans le volume qui précède, de l'Instituteur, il m'a paru
indispensable de consacrer encore une étude spéciale et plus
détaillée à celui qui est, dans une maison d'Éducation, l'Ins-
tituteur par excellence, au Supérieur, quelque nom officiel
qu'on lui donne, Proviseur, Principal, Directeur, etc.


Le Supérieur est l'âme, la vie de toute la maison ises fonc-




2 L1V. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


tions en embrassent le gouvernement tout entier. C'est lui
qui doit tout mettre en mouvement, et présider à tout ; c'est
lui qui doit avoir, et au plus haut degré, l'intelligence, l'ini-
tiative, l'activité,, le dévoûment, la fermeté ; c'est lui qui doit
tout cancesoir, tout mspiœr, tout prëvofir, toutimainttenir,
tout relever.


Sa fonction est d'être partout : 11 surveille et dirige tout ;
et cependant il ne doit se laisser absorber dans aucun dé-
tail, quoiqu'il doive regarder à tous les détails, mais de
haut; car son action est universelle. Il agit beaucoup, mais
il agit moins encore qu.11 ne fait agir : son grand art consiste
à faire faire, à mettre en œuvre tous ses instruments, à gou-
verner ses auxiliaires, à combiner et harmoniser toutes les
forces qui sont au service de son œuvre.


Le Supérieur, en effet, dans une maison d'Éducation, n'a
pas seulement une fraction plus ou moins grande de l'au-
torité, il a l'autorité tout entière, il est l'autorité même : il
doit donner l'impulsion à tout, et tout soutenir.


Chacun de ses collaborateurs n'est chargé spécialement
queide tel ou tel détail : quant à lui, il répond à la fois de
tous les détails et de l'ensemble : c'est la cheville ouvrière,
c'est la. clef de voûte. Sa tâche n'est jamais finie, et à chaque
instant, sa maison occupe sa pensée ; jamais il ne peut être
sans préoccupation: c'est de lui que tout relève, c'est sur lui
que pèsent toutes les sollicitudes, c'est à lui qu'appartient
la surveillance de tous les besoins, le contrôle de tous les ser-
vices, la responsabilité de tout : en un mot, c'est à lui que
s'appliquent dans la plus complète vérité ces paroles, par
lesquelles le poëte définissait si bien autrefois les soins dé-
voués, l'action souveraine et la charge de l'autorité :


In te domus mcKnata reeumbit. (VIRG.)


La nécessité d'un tel homme dans une maison d'Éducation
pourrait-elle être mise en doute? Non.




CHAPITRE PRÉLIMINAIRE. 3


Car le besoin d'autorité est un besoin universel : où l'auto-
rité n'est pas, l'anarchie est inévitable.


Quand chacun fait ce qu'il veut, tout va en confusion, dit
l'Écriture.


Mais quand il n'y a point de chef, chacun fait ce qu'il veut,
et comme il l'entend.


Mais où tout le monde fait ce qu'il veut, nul ne fait ce qu'il
doit : nul même ne fait ce qu'il veut, car les caprices se ren-
contrent et vont se heurter les uns contre les autres. Il n'y
a plus la qu'un troupeau sans pasteur.


« Où il n'y a pas de maître, dit Bossuet, tout le monde est
« maître ; » et j'ajoute : Où tout le monde est maître, tout le
monde souffre. Chacun tire de son côté : le char va à droite,
à gauche, comme on le pousse, et bientôt il verse.


Mais laissons là les comparaisons, et venons au fait : Il est
évident que partout où des hommes sont réunis pour un but
quelconque, il leur faut une direction, et par conséquent une
autorité dirigeante.


Sans un homme qui soit cela dans une maison d'Éduca-
tion, et non pas seulement de nom, mais de fait et en réa-
lité, sans ce centre d'action, sans ce premier moteur, sans
cette tête, une maison, quels que soient le mérite et les qua-
lités diverses des autres maîtres, ne sera pas dirigée, ou le
sera mal, et par conséquent ne marchera pas.


Rien ne remplace cette vigilance, cette présidence, cettedi-
rection suprême et universelle, cet œil ouvert surtout, cette
main qui imprime le mouvement à tout, en un mot, cet esprit
qui inspire tout, cette âme qui vivifie tout ; car tel doit être
un Supérieur.


Pour nous en mieux convaincre, regardons-y de plus
près : voilà des hommes réunis ensemble dans une maison
d'Éducation, pour travailler à une même œuvre. Agiront-ils
sans concert, chacun de son côté, chacun dans son sens et
dans sa voie ? S'il en est ainsi, comment le but commun




4 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


sera-t-il atteint? Chacun pourra dépenser isolément beau-
coup d'efforts et de peine ; mais qui combinera toutes ces
actions diverses? qui ramènera tous ces efforts à l'unité
du but? Chacun là n'étant guidé que par lui-même, nul ne
fait ce qu'il faut ni comme il faut : les forces sont éparpillées,
les efforts perdus, les travaux stériles : il n'y a là que des
Tiraillements, des négligences; en un mot, tout souffre, et
tout doit souffrir dans une telle maison : car la vie n 'y est
pas, et la grande œuvre de l'Éducation ne peut s'y faire. Au
contraire, supposez un homme actif, vigilant, énergique,
placé à la tête de cette maison, qui tienne pour ainsi dire dans
sa main toutes ces forces éparses, qui leur donne à toutes l'im-
pulsion convenable, quelle différence ! L'harmonie, l'activité,
la vie sont partout; nul besoin n'est oublié, nul service né-
gligé ; chacun accomplit sa tâche, selon l'ordre général ;
chacun travaille dans le sens de tous, tous conspirent au
but commun : la maison marche, l'œuvre se fait.


Telle est l'importance dans une maison d'Éducation des
fonctions du Supérieur. Et cela est si vrai, qu'on peut dire en
général : tel Supérieur, telle maison ; et qu'on a vu souvent,
avec les mêmes éléments d'ailleurs, une maison florissante
ruinée, une maison qui languissait relevée, par le seul chan-
gement duSupôrieur. C'est qu'en effet les mêmes hommesont
une valeur ou une autre, selon qu'ils ont tel ou tel Supérieur.
C'est le grand devoir, c'est la grande science du Supérieur,
je dirai même le grand but de la Supériorité, que de tirer
parti des hommes, et de savoir, par là même, les faire valoir
ce qu'ils valent.


On peut poser avec assurance le principe suivant, qu'une
constante expérience a démontré : Dans une maison mal
dirigée, les hommes n'ont jamais toute leur valeur : au con-
traire, dans une maison bien conduite, la valeur des
hommes est doublée.


Et ceci est facile à concevoir. Dans une maison noD dirigée




CHAPITRE PRÉLIMINAIRE.


ou mal dirigée, nulle impulsion ne venant d'en haut animer
et soutenir, tous, même les plus dévoués, finissent bientôt
par sentir leur zèle s'affaiblir et puis tomber tout à fait. On
ne fait longtemps avec cœur et avec zèle que ce qu'on fait
avec goût, et on est bientôt dégoûté d'une maison où l'on
sent le désordre, l'absence de règle, le néant de l'autorité.


Tel est le besoin universel et profond d'autorité, qu'il faut
qu'un Supérieur gouverne, même pour être aimé. On ne lui
sait jamais gré de sa faiblesse. S'il laisse aller les choses,
chacun s'en plaint, car au fond chacun en souffre ; chacun
sent qu'un tel Supérieur ne fait ni pour son œuvre, ni même
pour ses collaborateurs, ce qu'il leur doit : il leur manque à
tous, et gravement, quand il ne les gouverne pas.


Indépendamment de ce malaise qui engendre chez tous le
découragement, il en est, et ce sont les plus capables et les
plus forts, qui rencontrent là, grâce à la mauvaise direction
de la maison, des obstacles plus forts qu'eux, qui les annu-
lent, tandis que dans une maison mieux gouvernée ils au-
raient pu faire merveille. — D'autres ne manquent ni d'es-
prit, ni de connaissances, ni de talent, mais avec une nature
timide ou faible, dépourvue d'initiative, ils ont besoin
d'une parole qui les excite, d'une impulsion qui les lance,
ou d'une main qui les soutienne : livrés à eux seuls, non diri-
gés, ils font peu de chose, ou ne font rien ; tandis que les
mêmes hommes, dans un autre milieu, sous l'action intelli-
gente et vigoureuse d'un Supérieur digne de ce nom, auraient
pu être d'excellents maîtres, de très-utiles auxiliaires.


Sans aucun doute, les hommes qui collaborent avec un
Supérieur sont et doivent être, sous sa main, des agents su-
bordonnés pour la production d'une grande œuvre com-
mune : agents libres, intelligents, actifs, spontanés, géné-
reux, mais enfin, agents subordonnés et dociles : mais, le
tout n'est pas d'avoir môme de bons subordonnés, il faut
savoir s'en servir ; et de même que le meilleur instrument




6 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


entre les mains d'un mauvais musicien vaut peu de chose,
et qu'un instrument rebelle, s'il est aux mains d'un artiste
véritable, peut rendre encore des sons harmonieux : de
même, selon l'emploi habile ou inintelligent qu'il fera de
ses collaborateurs, selon l'action forte ou faible qu'il exer-
cera sur eux, un Supérieur en tirera plus ou moins de ser-
vices. Ne jpuvant tout faire tout seul, et étant obligé de
s'associer d'autres hommes, son grand devoir, comme son
grand talent, c'est de les employer convenablement, et de
leur faire donner tout ce qu'ils peuvent réellement don-
ner : pour cela, il faut qu'il les pénètre de sa pensée, les
anime de sa flamme, leur communique son activité, son
énergie, ses vues ; leur trace la route, les y entraîne, et
quelquefois les transforme.


Un Supérieur qui ne fait rien de cela, par impuissance ou
par faiblesse, n'est pas un Supérieur; il n'est vraiment Supé-
rieur que dans la mesure où il exerce cette sérieuse influence.
Il y a plus : l'estime, et l'affection même qu'il inspire à ses
collaborateurs, est en raison de cet ascendant. Je l'ai dit
déjà, je le répète : On ne peut estimer, on ne peut aimer,
comme Supérieur, un homme faible, qui laisse flotter les
rênes, qui ne sait ni retenir ni guider : chacun sent instinc-
tivement qu'un tel Supérieur est un pauvre homme, inca-
pable, ou indifférent au bien ; et toujours funeste à ses col-
laborateurs, précisément parce qu'il ne les gouverne pas, et
que chacun au fond sent le besoin d'un bon gouvernement,
et préfère une sévérité nécessaire qui conduit et soutient
toutes choses, à une mollesse paresseuse qui laisse tout
tomber et périr.


Voilà donc dans une maison d'Éducation le grand rôle du
Supérieur, et en quoi se résume sa principale action : mettre
en œuvre et faire agir ses collaborateurs. Ses grands devoirs
par conséquent sont : 4"de les bien choisir; 2° de les bien
fotiner ; 3° de les bien employer.




CH. II. — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 7


CHAPITRE I I


Des devoirs d'un Supérieur.


LE PREMIER DEYOM D'UN SUPÉRIEUR EST DE BfES CK0ISIR S E S X O l L i B O R A T E C R S ,


I
Rien n'est plus important pour un Supérieur et pour une


maison d'Éducation que le bon choix des maîtres.
C'est par le vice des maîtres, p a r l a pauvreté du person-


nel, par des choix mauvais ou médiocres, que la plupart des
maisons d'Éducation pôrissent.Il y a là une oeuvre si grande,
si difficile à faire, que jamais pour la bien faire on n'aura
des hommes assez dévoués, assez capables.


Le clergé, qui doit tenir pour tant de raisons à garder Tio-
norafolement sa place tians l'œuvre ile l'Éducation, est par là
même très-particulièrement obligé d'avoir de bons maîtres.


La réputation de son enseignement y est engagée : on l'a
accusé, on l'accuse encore d'être inférieur, au moins sous ce
rapport, aux laïques:je crois cette accusation très-injuste;
mais il importe au clergé de n'y donner lieu en aucune façon.


Ce n'est pas seulement son honneur, ci'est son existence qui
se trouve ici intéressée. Le clergé ne se recrute guère que
dans ses propres maisons, dans ses Petits Séminaires : là
seulement, aujourd'hui, se préparent de loin les vocations
sacerdotales : il est donc d'un intérêt suprême pour le clergé
que les Petits Séminaires soient prospères.La premier? con-
dition de cette prospérité, c'est que t es maisons aient de
bons maîtres, bien formés et bien choisis.


Or, il ne suffit pas d'être revêtu d'un habit ecclésiastique




8 L1V. I e r . - LE SUPÉRIEUR.


pour convenir à l'enseignement, pour être un homme d'Édu-
cation. Même au sein du clergé, rien ne doit se faire moins
au hasard que le choix des hommes chargés d'élever la jeu-
nesse, soit la jeunesse séculière, soit la jeunesse sacerdotale ;
et quant au Supérieur, particulièrement chargé de faire ces
choix, il n'y apportera jamais trop de précautions.


Un Supérieur, comme je l'ai dit, ne pouvant tout faire, et
faisant beaucoup plus encore par les autres que par lui-
même, la question du personnel est évidemment la première
pour lui comme pour sa maison. Il faut même ajouter que
sa propre action est trop intimement liée à celle de ses col-
laborateurs, pour qu'il ne trouve pas en eux, soit de puis-
sants secours, soit de terribles obstacles.


Quand un homme a été placé par la Providence à la tête
d'une maison. d'Éducation, Petit Séminaire ou autre, la pre-
mière chose qu'il doit donc se dire à lui-même, est celle-ci :
« Mevoilàchargé d'une grande œuvre. Je nepuis la faire seul.
« Elle surpasse évidemment toutes mes forces. Quels sont
« ceux qu'on me donne pour m'y aider? quels seront mes
« collaborateurs? sont-ils, ou non, propres à l'œuvre? m'ai-
« deront-ils véritablement à la faire? »


Et c'est alors qu'il doit procéder à l'examen le plus at-
tentif, le plus approfondi, le plus détaillé. La connaissance
certaine des sujets, les renseignements les plus authen-
tiques, les plus circonstanciés, sur leur na tu re , sur leur
caractère, leurs aptitudes, leurs précédents, sont indispen-
sables : autrement, on s'expose à des choix malheureux et
à des conséquences déplorables.


« Le Supérieur inconsidéré, dit Bossuet, qui ne sait pas
« choisir les hommes, mais qui prend ceux que le hasard,
« les occasions ou son humeur lui présentent, met tout en
<( confusion dans sa maison. Du reste, ajoute l'ôvêque de
« Meaux, le Supérieur qui choisit mal est bientôt puni par
« son propre choix. »




CH. II. — I L DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. <J


Mais si rien n'est plus grave et plus important que le choix
des maîtres pour un Petit-Séminaire, et pour toute maison
d'Éducation, rien aussi n'est plus délicat, plus difficile à
bien faire.


Les difficultés viennent de ce qu'indépendamment des
qualités générales et communes, nécessaires à quiconque se
dévoue à la grande œuvre de l'Éducation, — qualités extrê-
mement rares, et dont j 'ai déjà traité au volume précédent,
— la plupart des fonctions de ce laborieux ministère sont
des spécialités importantes qui exigent des qualités spé-
ciales.


Ainsi par exemple un bon Préfet de religion peut être un
mauvais Préfet de discipline, et vice versa. Tel qui serait
apte à une classe ne convient pas à une autre. Un excellent
professeur pourrait être un très-mauvais président d'étude.
Tel a des dispositions d'esprit ou de caractère qui le ren-
dent incapable d'exercer la discipline vis-à-vis de grands
élèves ; s'il est, par exemple, trop absolu ou trop minutieux :
ces défauts peuvent devenir au contraire, de grandes et
u tiles qualités avec de jeunes enfants.


11 serait facile de citer d'autres exemples également frap-
pants. Je me borne à redire ici, et encore avec Bossuet, que
« tout ne convient pas à tous, et que savoir ce qu'il faut
« croire des hommes et à quoi ils sont propres, c'est la plus
« grande affaire du Supérieur. »


II y a encore ceci à considérer : que la plupart des fonc-
tions sont si spéciales, et si indépendantes les unes des
autres, qu'on ne peut guère s'y entr'aider, se suppléer, et
que chacun fait un mal extrême et à peu près irréparable,
quand il fait mal là où il est.


Malgré une solidarité nécessaire, et dont nous aurons à
traiter plus bas, entre tous les maîtres d'une maison, chacun
en effet a une besogne tellement personnelle, dont lui seul
est tellement chargé, et non un autre,que nul ne peut la faire




40 LTV. 1™. — LE SUPÉRIEUR.
avec lui ou à sa place, et qu'elle sera irrémédiablement mal
faite, si elle est mal faite par lui.


Rien de semblable, an même degré du moins, dans une
paroisse. Là presque toutes les fonctions se ressemblent et
sont communes : trois bons prêtres peuvent suppléer, par le
dévoûment et la capacité, à Finutiftté de trois confrères
tièdes ou incapables. Ce point de vue, appliqué à une
maison d'Éducation, manquerait totalement de justesse.
Dans un Petit­Séminaire, il ne se trouve presque pas de
fonctions communes du secondaires : tout y est, à peu de
chose près, spécial et principal. La Sixième est aussi princi­
pale que la Rhétorique, si elle ne l'est davantage.


Voilà un léger aperça des raisons qui Tendent pour une
maison d'Éducation le choix des maîtres, de tous les maîtres
sans exception, aussi difficile qu'il est important.


Ï I


Mais où trouver des maîtres рода les maisons d'Éducation
ecclésiastique, et quelles précautions garder dans ce choix
si important et si difficile ?


La question se pose et se résout différemment, selon qu'il
s'agit d'un Petit Séminaire on d'un collège diocésain, d'une
institution dirigée par une congrégation religieuse, ou par
des prêtres libres.


Bien des raisons m'ont rendu grand partisan des congré­
gations religieuses pour renseignement : l 'une de -ces. rai­
sons, c'est que les congrégations religieuses, quand elles sont
florissantes d'ailleurs et attentives au bon choix de leurs su­
jets, recrutent et forment sans peine le personnel de leurs
maisons d'Éducation. Elles trouvent роит cela dans leur pro­
pre sein, parmi leurs membres, de nombreux et puissants se­
cours. Là, en effet, sont des hommes dévoués, des traditions
éprouvées, des préparations solides, de longues études pré­




CH. I I . — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS^ I I


liminaires, et indispensables. — Quand un sujet se présente
chez les Jésuites, par exemple, il y a chez eux un excellent
usage, c'est de l'appliquer de nouveau à ce qui est le fond des
études classiques, de lui faire recommencer ses humanités,
quelque brillantes qu'elles aient pu être. — Là surtout sont
des garanties de règle, de gouvernement, d'obéissance, de
stabilité.


Les ennemis de l'Éducation donnée par le clergé ont par-
ticulièrement en horreur les congrégations religieuses. Leur
insthïct ne les trompe pas : si le clergé avait encore ses corps
enseignants d'autrefois, ses nombreuses et florissantes
communautés, il aurait là une force pour le bien sur la-
quelle les ennemis du bien ont raison de ne pas se faire
illusion. Malheureusement, les communautés enseignantes
sont bien peu nombreuses encore. Fasse le Ciel qu'elles se
multiplient!


Toutefois, je n'hésite pas non plus à le dire, même dans
une congrégation religieuse enseignante, malgré la vocation
spéciale "de ses membres pour l'enseignement, et le choix
attentif que suppose leur première admission,'c'est encore
une affaire très-grave pour un Supérieur que le bon choix des
sujets destinés aux Collèges ou aux Séminaires, et l'appli-
cation de ces sujets aux. fonctions diverses de ces maisons.
C'est aussi une nécessité de les y préparer sérieusement
à l'avance.


Sans doute, et c'est là un autre avantage réel des congré-
gations, les sujets, grâce à l'organisation de l'ensemble, à la
communauté d'esprit et de traditions, à l'étude qu'on fait
là des spécialités et des aptitudes, y valent d'ordinaire plus
qu'ils n'auraient valu ailleurs et isolément : néanmoins, l'in-
convénient des médiocrités, pour être atténué dans une
communauté, n'en est pas moins très-considérable encore ;
et ce serait une grande erreur, si les Supérieurs ne sentaient
pas la nécessité de choisir leurs meilleurs sujets pour les




12 L1V. 1 C T . — LE SUPÉRIEUR.


fonctions de l'enseignement, et les y appliquaient sans une
préparation suffisante. La rareté des hommes ne doit ja-
mais les autoriser à se départir de cette règle. Nulle part
on n'improvise les hommes d'Éducation.


Il n'est pas nécessaire que les congrégations religieuses
dirigent tous nos établissements d'Éducation ; mais il est né-
cessaire que tous ceux qu'elles dirigent soient dirigés parfai-
tement. Mieux vaut peu de maisons, mais de très-bonnes
maisons. Moins et mieux, très-peu même et très-bien, voilà
ce qui est assurément très-préférable à un grand nombre
de maisons, pour lesquelles les hommes manqueraient, et
qui seraient par là même en souffrance. L'honneur et le
maintien de la liberté d'enseignement, l'existence même des
ordres religieux, y sont intéressés. Dans dix ans, on nous
demandera compte à tous de ce que nous aurons fait de cette
liberté, si laborieusement conquise ; comme aujourd'hui,
dans des pays que je pourrais nommer, on demande compte
de leur œuvre et de ses résultats, aux congrégations reli-
gieuses et au clergé, qui pendant cinquante ans y ont donné
l'enseignement. A l'heure qu'il est, en Italie, il n'y a pas un
paysan, pas un bourgeois, pas un noble, qui n'ait été élevé
par un prêtre ou par un religieux : où en est l'Italie?


Lorsque le jour vint on France où l'on demanda compte à
l'Université de ce qu'elle avait fait de son monopole, c'est
parce que l'Université n'a pu rendre ce compte, que le mono-
pole est tombé. De même, dans dix ans, dans vingt ans, lors-
qu'on nous demandera compte à nous-mêmes, aux congré-
gations religieuses et au clergé, de ce que nous aurons fait
de la liberté d'enseignement, si nous ne pouvons répondre,
la liberté d'enseignement tombera à son tour et nous avec
elle.


il n'y a pas d'illusion à se faire ici : notre responsabilité
devant le pays est immense. Si nous n'avons pas su faire
faire à nos élèves de bonnes et fortes études, si nous n'avons




CH. II. — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 13


pas su former des hommes, des esprits distingués, de nobles
caractères, des chrétiens généreux, capables de défendre au
besoin leur religion et d'honorer leur patrie, on nous le re-
prochera sévèrement, et avec justice.


Et voilà pourquoi il est de la dernière importance que les
hommes qui se dévouent à l'enseignement dans le clergé sécu-
lier et régulier, soient d'un vrai mérite, choisis avec le dernier
soin, et en tout à la hauteur de leur mission. — Etcertesje ne
demande que ce qui est raisonnable, en demandant que les
maisons dirigées par le clergé soientdes maisons modèles, et
que les Petits Séminaires surtout ne le cèdent à aucun collège
laïque : c'estlà, que mes vénérables collègues dansl'Épiscopat
me permettent de le dire, c'est là un soin qui nous regarde
directement, nous autres Évoques ; et dont nous ne pouvons
nous reposer entièrement sur les supérieurs immédiats de
ces maisons. Nos Petits Séminaires, nos collèges diocésains,
sont pour nous la charge pastorale au premier chef : c'est à
nous que ces maisons appartiennent, c'est nous qui en ré-
pondons, et rien ne peut nous dispenser de nous en occuper
nous-mêmes, d'ensuivre la marche, d'en surveiller chaque
jour la direction, et surtout d'en améliorer constamment
le personnel.


Le clergé diocésain est naturellement la source qui fournit
au recrutement des Petits Séminaires et desinstitutions diocé-
saines : c'est là que l'Evêque peut et doit faire ses choix. Quant
aux Collèges libres, dirigés par des prêtres avec l'approba-
tion de l'Evêque, mais qui ne sont pas des maisons diocésaines,
la question du recrutement est pour ces institutions non moins
importante, et bien plus délicate encore. D'ordinaire, à leur
origine, ces maisons, fondées par des hommes de mérite,
possèdentun personnel distingué; mais quand des vides vien-
nentàs'y produire, comment les combler? C'est là pour les mai-
sons dont je parle une des plus grandes difficultés, et souvent
unecause de décadence et de ruine. Le clergé diocésain ne leur




14 L1V. I e 1 ' . — LE SUPÉRIEUR.


appartient pas, et ne pouvant y choisir à leur gré des sujets,
les Directeurs sont obligés d'en chercher au dehors, et de pren-
dre où ils peuvent et ce qu'ils trouvent. La maison est perdue
s'ils ne trouvent pas, ou s'ils trouvent mal. Il y a sans doute des
chances heureuses, et un Directeur qui peut offrir, dans une
bonne maison, des conditions honorables, peut souvent, s'il
est habile et intelligent, rencontrer des hommes de mérite ;
mais souvent aussi il est exposé à des choix médiocres ou
déplorables, et c'est pourquoi, bien que ces maisons ne soient
pas diocésaines, l'œil de l'Évêque doit y veiller, et ne jamais
perdre de vue leur personnel. C'est pour lui un devoir r i -
goureux de savoir quels sont tous les ecclésiastiques, prê-
tres ou clercs, qui viennent demeurer dans sondiocèse, mais
surtout quels sont ceux qui y viennent enseigner, et à qui
les âmes de ses jeunes diocésains seront confiées.


I I I


Et maintenant, quant aux précautions à prendre et aux
règles à suivre dans un choix si capital, il est évident
qu'avant tout, comme je l'ai dit, il faut être sûr des sujets,
ou au moins avoir tout fait pour obtenir sur leur compte les
plus complets renseignements.


Il est manifeste qu'il ne faut point placer dans les Petits
Séminaires ouïes collèges ecclésiastiques, pour professeurs ou
présidents d'études, des sujets inconnus, encore moins des
sujets douteux, qui auraient donné peu de satisfaction dans
le ministère ou au Grand Séminaire ; qu'on y aurait trouvés
sans moyens, sans zèle, sans piété.


Que mes vénérables collègues, que nos Supérieurs de
Grands Séminaires me permettent encore de le dire, il ne faut
pas envoyer là, dans des postes tous si importants, ces jeunes
gens dont une vocation incertaine a fait ajourner l'ordination,
et qui ont besoin d'être éprouvés ailleurs qu'au Grand Sémi-




CH. 1 1 . — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 45


naire. Le professorat n'est point fait pour un tel essai, et
d'ailleurs convient bien moins à cette épreuve que le Grand
Séminaire ou le monde : l'expérience a démontré que de
pareils sujets ne peuvent faire aucun bien dans les Petits
Séminaires, et souvent y font un grand mal.


En tout cas, ce qui est indispensable, c'est que le Supérieur
et les directeurs du Grand Séminaire donnent au Supérieur
et aux Directeurs du Petit tous les renseignements néces-
saires, et ne leur laissent jamais ignorer ce qu'ils doi-
vent^ essentiellement savoir sur la piété, le caractère, les
aptitudes, les qualités, les défauts ou les fautes des sujets
qu'on leur présente.


Mais règle générale : pour les maisons d'Éducation ecclé-
siastiques, il faut des professeurs prêtres, ou au moins dans
les ordres sacrés.


Pour les Petits Séminaires du moins, il ne faut jamais de
laïques. — Je n'entends pas dire absolument qu'il soit impos-
sible de trouver un professeur laïque vraiment digne d'être
employé dans une maison ecclésiastique : je préférerais
mêm8,,fQAr un. collège, uu laïque pieux, édifiant, comme on
en trouve, à un ecclèsiastiquepexi fervent;, et je sais des mai-
sons où, avec des laïques excellents, le mélange des deux
éléments, laïque et ecclésiastique, a produit de très-bons
fruits. Néanmoins et en principe, ce que j'affirme, c'est que
les maîtres laïques, ou ecclésiastiques, mais non encore dans
les ordres sacrés, ont plusieurs inconvénients, dont voici les
principaux :


*° Avec eux, on ; a presque toujours parmi les maîtres un
mouvement perpétuel, dont tout souffre : soit la discipline,
dont un nouveau maître ne connaît pas d'abord les règles ;
soit les études, qu'il dirige d'après une méthode toujours un
peu différente de la méthode établie ; soit la confiance et
l'amitié, qui n'ont pas le temps de se former, ou qui, trop
souvent rompues, finissent par disparaître d'une maison.




16 M V . 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


2° En général, les simples clercs sont fort jeunes, et dès
lors sans expérience ; ordinairement sans fermeté, ou s'ils en
ont par caractère, la poussant à l'extrême ; sans autorité, ou la
maintenant avec inquiétude et rigueur ; souvent aussi sans
instruction complète, et toujours sans maturité. C'est à la jeu-
nesse, à la mobilité perpétuelle, à l'inexpérience des maîtres,
qu'il faut attribuer la faiblesse des études et quelquefois le
peu de piété de certains Petits Séminaires : mal énorme pour
l'Église, puisqu'enfin les Petits Séminaires sont le berceau et
la première école où se forme tout le clergé des diocèses.


3» Sorti de l'état d'élève avant son sous-diaconat, un jeune
homme s'habitue trop tôt à ne plus guère obéir et à com-
mander : il verra avec peine le moment de rentrer au Grand
Séminaire ; il en appréhendera l'assujettissement, le silence,
la vie laborieuse ; il différera tant qu'il pourra ; peut-être
renoncera-t-il à sa vocation.


Il en est même plusieurs pour qui cette pensée d'inter-
rompre leur Séminaire afin de professer, n'est qu'une ten-
tation du démon, ou l'indice d'une vocation déjà ébranlée.


De là le scandale de tant de jeunes professeurs de Petit Sé-
minaire, qui donnent à leurs élèves le déplorable exemple
de quitter la soutane, qui se jettent dans le monde où Dieu
ne les veut pas, et n'y font trop souvent qu'un malheureux
naufrage.


Voilà des choses qu'un Supérieur ne méditera jamais assez,
lorsqu'il s'occupe du choix des professeurs.


A défaut donc d'une congrégation religieuse, ou au moins
d'une société libre de bons prêtres qui feraient, dans les
mains de leur Supérieur ou de leur Évêque, la simple pro-
messe de stabilité pour un temps convenable, le personnel
d'un Petit Séminaire doit être essentiellement composé de
prêtres ou d'ecclésiastiques engagés dans les ordres sacrés,
qui aient le goût et l'esprit de ces fonctions, ou au moins
quin'y aient pas de répugnance, qui soientamis delà retraite,




CH. II. — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 17


IV


.l'ai dit : n'aient pas de répugnance: cela est essentiel, et se
conçoit. — Je n'ai pas dit ayant le goût : ce goût est naturel-
lement rare : humainement, rien ne l'inspire, ni la considé-
ration, ni la liberté, ni les avantages matériels.


Il n'y a rien de tout cela dans un dévoûment pareil. C'est
le contraire ; on y est pauvre, très-assujetti, très-ignoré.


Du reste, il ne faut pas s'attendre, généralement parlant,
m. -z


du silence, de l'étude, qui se plaisent avec les enfants et ai-
ment à les instruire.


On comprend que des prêtres ou des ecclésiastiques enga-
gés dans les ordres sacrés, et envoyés au Petit Séminaire par
leur Évêque, se trouvent ainsi heureusement dans l'ordre de
la Providence, et que l'on peut compter sur leur stabilité.


Leur dévoûment est plus pur, plus éclairé, plus profond :
fortifiés par les vues élevées de la foi, ils apporteront dans
leurs ffonctions bien plus de constance, de zèle, de travail.


Les prêtres surtout auront un caractère plus mûr, une ins-
truction plus solide, une conduite plus grave ; ils inspireront
plus de respect aux enfants qui les auront vus au saintautel,
au saint tribunal : il y a une bien grande différence entre un
maître qui exerce le saint ministère au milieu de ses élèves,
et celui qui ne l'exerce pas ; le premier est bien plus père
que le second : non pcedagogos, sed patres, dit saint Paul.


Je le dirai de plus en ce qui concerne les Petits Séminaires :
leur but direct étant d'élever des prêtres sans contraindre
les vocations, il faut au moins savoir les seconder. Celui qui n'a
jamais en rien senti la vocation de Dieu, ou qui n'y a jamais
obéi, est peu propre à la discerner, àla nourrir, à la dévelop-
per dans les autres ; et tels seraient des maîtres laïques, et
souvent des maîtres ecclésiastiques non encore engagés dans
les ordres sacrés.




18 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


à ce que ceux-là même à qui Dieu inspire le dévoûment à
l'œuvre de l'enseignement s'y dévouent toute la vie : cela
peut être, mais cela est très-rare, l'expérience l'a démontré ;
mais de plus, à la réflexion, on le comprend-


L'enseignement classique, le grec et le latin, la grammaire
et la rhétorique, les fonctions disciplinaires, ne suffisent pas
toujours à des prêtres, surtout à des prêtres qu'on suppose
zélés et capables, et, sauf quelques exceptions, ne peuvent
être la vocation de la vie entière.


Il n'y a jamais eu dans l'Église, que je sache, une congré-
gation de prêtres exclusivement vouée à l'Éducation clas-
sique de la jeunesse cléricale ou séculière.


Les Jésuites, les Oratoriens, les Bénédictins, ne faisaient
professer les humanités à leurs sujets, sauf quelques excep-
tions, que pendant dix ou douze années au plus. À trente ou
trente-cinq ans, l'âme d'un prêtre, généralement parlant, a
besoin d'un autre ministère, d'un autre horizon.


Et, relativement aux membres de ces congrégations, il
faut remarquer deux choses importantes : 1° C'est que pres-
que toujours ils ne vivaient pas renfermés dans des pension-
nats avec leurs élèves ; les pensionnats alors étaient rares
enFrancc, comme ils le sont encore aujourd'hui dans le reste
de l'Europe. 2° Et même pendant que ces congrégations em-
ployaient la jeunesse de leurs sujets aux fonctions del'ensei-
gnement classique, elles avaient soin de les employer en même
temps, autant que ces mêmes fonctions pouvaient le permet-
tre, au ministère des âmes, à la prédication et à la confession :
et après dix à douze années, comme nous l'avons dit, on les
dévouait au ministère extérieur.


Il n'y a d'ailleurs sur ce point aucune comparaison à éta-
blir entre le ministère d'un Grand et le ministère d'un Petit
Séminaire.


L'enseignement de la théologie morale et dogmatique, de
l'histoire ecclésiastique, et des saintes Écritures, offre un tout




CH. II. — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 19


autre champ, un tout autre intérêt que l'enseignement des
langues grecque et latine.


De plus, l'âge des élèves d'un Grand Séminaire, qui ont
en général de vingt à vingt-cinq ans, le développement, l'élé-
vation et l'affermissement de leurs facultés, leur piété, leurs
ordinations, et leur ministère futur, offrent un tout autre
horizon à leurs directeurs.


Enfin, dans la plupart des diocèses, les Supérieurs et les
directeurs de Grands Séminaires, même ceux qui appar-
tiennent à des congrégations religieuses, ont au dehors les
relations les plus importantes en même temps que les plus
intéressantes pour l'âme d'un prêtre : ils dirigent quelque-
fois tout le clergé d'un diocèse ; ils en sont l'âme, souvent ils
sont les vicaires généraux et les bras droits de l'Ëvê que.


On conçoit parfaitement qu'une vocation et un ministère
semblables remplissent la vie des prêtres les plus capables
et les plus zélés.


Je le répète : rien de semblable dans un Petit Séminaire.
Ceux-là même qui aiment les enfants, n'aiment guère tou-


jours à vivre du matin au soir renfermés avec eux. On voit de
trop près et trop souvent les défauts de ces chers enfants.


Cette vocation est essentiellement surnaturelle, etceux àqui
Dieu l'inspire préfèrent ordinairement s'y dévouer dans une
congrégation, plutôt que dans un Petit Séminaire ou dans
un collège libre.


L'expérience a constamment démontré tout cela.


V


Ce sont donc les Grands Séminaires qui fourniront le
plus souvent aux maisons d'Education ecclésiastiques leurs
professeurs et leurs maîtres : c'est au sortir du Grand Sémi-
naire qu'il faudra les prendre, et autant que possible, parmi
les anciens élèves de la maison où on les veut placer.




20 L1V. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


Pourquoi au sortir du Grand Séminaire? pourquoi parmi
les anciens élèves de la maison ? Il y a pour cela bien des
raisons.


En général, on ne se forme qu'à un certain âge. Vient
bientôt le temps où les habitudes sont prises pour la vie, et
où il est trop tard pour commencer un ministère qui exige une
longue préparation. Au sortir du Grand Séminaire, les jeunes
maîtres sont encore faciles à former et à encourager. Ils ont
encore cette souplesse qui se plie aux leçons et aux exemples,
cette promptitude et cette flamme d'esprit nécessaires pour
apprendre et surtout pour enseigner. S'il ne faut pas être
trop jeune, il faut l'être cependant assez quand on débute
dans l'œuvre de l'Éducation. Des hommes qui ont rompu avec
l'étude s'y remettent toujours avec difficulté. D'ailleurs des
prêtres qui ont exercé le ministère dans les paroisses, ont
leurs habitudes. Ils sont accoutumés à être chez eux, à avoir
un ménage, une indépendance qui les flatte, une existence
plus libre qu'elle ne peut l'être dans un collège.


Sans doute, quand on trouve des prêtres d'un certain âge qui
consentent à se dévouer à cette œuvre, ils y rendent de très-
grands services, et on peut compter sur leur dévoûment
beaucoup plus que sur celui de sujets plus jeunes et
sans expérience : mais cela n'est qu'une exception, et, géné-
ralement parlant, les ecclésiastiques qui se destinent à l'en-
seignement, doivent y entrer au sortir du Grand Séminaire.


Un avantage inappréciable, c'est que ces jeunes profes-
seurs soient d'anciens élèves de la maison. Le dévoûment
pour la maison qui les a élevés et qu'ils aiment sera
presque sans bornes. Accoutumés dès longtemps à res-
pecter et à aimer leurs anciens maîtres, il les retrou-
veront avec bonheur, leur obéiront avec joie, se confie-
ront sans peine à leur direction et à leurs lumières.
Possédant le bon esprit de la maison, ils le continueront sans
effort : de plus on connaîtra parfaitement leur caractère, leur




CH. II . — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 21


mérite, leurs aptitudes. On les emploiera plus convenable-
ment ; le Supérieur, qui sera leur ancien père, en disposera
comme de ses enfants : on retrouvera ici beaucoup des avan-
tages d'une corporation religieuse.


Cette condition est essentielle surtout pour les collèges
libres, qui veulent avoir un avenir. Il n'en est pas de ces
maisons, je l'ai dit, comme d'un Petit Séminair%îou d'un éta-
blissement diocésain, qui trouvent toujours dans le clergé du
diocèse une ressource assurée pour le recrutement de leur
persouQel* comme pour leur perpétuité. La grande difficulté
pour le Directeur' des collèges libres, c'est de trouver des
hommes, et j 'ai toujours vu que c'est par le manque d'hommes
que périssent ces maisons. Obligé de les chercher de tous
côtés, et de prendre ceux qu'il trouve, le Directeur, je l'ai
dit, peut avoir quelquefois des chances heureuses, et mettre
la main sur d'excellents sujets ; mais il est bien exposé aussi
à se tromper tristement, faute de renseignements suffisants,
et dans tous les cas à voir les antiques traditions, ce qu'on
appelle l'esprit d'une maison, ce qui en est vraiment la vie,
s'altérer et se perdre par le mélange d'éléments nouveaux
et étrangers.


Ces anciens élèves, au contraire, seraient connus de lui,
dévoués a la maison qui fut leur berceau, et à laquelle ils se-
ront heureux de consacrer leur zèle; surtout ils en auront ad-
mirablement l'esprit, etils le perpétueront facilement. C'est
ainsi qu'ont vécu ceux de ces collèges qui ont eu une longue
durée, parmi lesquels je suis heureux de nommer la célèbre
maison de M. l'abbé Poiloup, qui a rendu tant de services.


Il suit de tout cela, pour un Directeur de collège ou un Su-
périeur de Petit Séminaire, une obligation essentielle : c'est
de se préparer d'avance, dans ses élèves actuels, de futurs
collaborateurs : il ne saurait avoir l'attention trop éveillée
de ce côté.


J'insiste là sur une chose peu comprise et difficile à prati-




22 LIV. 1 E R . — LE SUPÉRIEUR.


quer peut-être, mais cependant capitale : aucun homme d'ex-
périence ne me démentira : oui, il faut qu'un Directeur de
collège, qui veut que sa maison ait une durée, il faut qu'un
Supérieur de Petit Séminaire pareillement, prévoie, discerne,
parmi ses élèves, ceux chez qui un esprit plus ferme, un
caractère plus sûr, des études plus fortes, indiquent les apti-
tudes littérales et disciplinaires nécessaires au professorat.
On peut, dans cette prévoyance, donner à ces jeunes gens
quelques soins particuliers : leur faire lire le Traité des études
de Rollin et autres ; on peut leur faire redoubler certaines
classes grammaticales ou littéraires importantes, surtout la
rhétorique. — On peut les employer à certaines fonctions de
discipline supplémentaire, à. certaines vice-présidences, les
élever de préférence aux charges de la maison. — Par ces
prévoyances et autres semblables, un Supérieur habile peut
se préparer, pour un avenir prochain, d'excellents collabo-
rateurs, et on suppléerait ainsi en quelque manière à l'ab-
sence si regrettable d'une école normale pour le clergé.


V I


Toutefois, il importe, même ici, de ne pas se faire d'illu-
sion : c'est toujours un choix fort délicat et qui demande
beaucoup de précautions.


Il ne fautpas oublier que quatre ou cinqannées se sont écou-
lées depuis que ces jeunes gens ont quitté le Petit Séminaire ;
que bien des transformations diverses ont dû s'accomplir en
eux, que la vie calme, paisible et pour soi du Grand Sémi-
naire ne prépare guère à la vie nécessairement très-labo-
rieuse et très-dévouée du Petit ; enfin que la docili té, la recon-
naissance et le respect réel ne sont pas aujourd'hui des vertus
très-fréquentes dans là jeunesse.


Ces choses certaines sont essentielles à considérer avant
d'agir et de faire des choix.




CH. II. — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 23


La manière môme dont ces choix seront faits est aussi
d'une grande importance.


Il ne faut pas que le Supérieur ou les directeurs d'un Petit
Séminaire soient réduits à aller chercher au Grand Séminaire
leurs anciens élèves, et à les prier de venir ;travailler avec
eux au nom de la reconnaissance qu'ils doivent à leurs an-
ciens maîtres, et de l'amitié que ceux-ci ont conservée pour
eux.


En un mot, il ne faut pas que ces jeunes gens sentent que
leurs anciens Supérieurs, en les priant de venir au Petit Sé-
minaire, sont à leur merci et dans leur dépendance, et ont
besoin d'eux personnellement. Cela aurait les plus fâcheuses
conséquences.


Il n'y a qu'une manière de faire ces choix : il faut qu'ils
émanent de l'Évêque : que l'Évèque se fasse indiquer par les
Supérieurs et les Directeurs du Grand et du Petit Séminaire
réunis, les sujets du Grand Séminaire, anciens élèves du
Petit, qui ont l'aptitude aux fonctions de l'enseignement clas-
sique et de l'éducation; puis que l'Évêque les envoie lui-
même, en leur disant que le choix qu'il a fait d'eux est un
témoignage de sa bonté pour eux et de sa confiance, un
grand et réel servieequ'il veut rendre encore à leur jeunesse,
en la préservant pendant quelques années des périls du mi-
nistère, en leur donnant ces quelques années de plus pour
cultiver leur esprit, pour s'instruire, pour devenir des hom-
mes plus distingués, et capables de remplir un jour honora-
blement des fonctions plus élevées dans le diocèse.


Choisis et envoyés de la sorte, ces jeunes gens se présen-
teront au Supérieur du Petit Séminaire dans des disposi-
tions de cœur et d'esprit convenables ; ils ne croiront pas lui
faire une grâce, ni lui rendre un service personnel, ea rem-
plissant leur devoir ; ils observeront avec fidélité et respect
les règlements de la maison; ils auront pour l'âge, pour l'an-
cienneté, pourrexpérience des anciens professeurs les égards




24 LIV. I " . — LE SUPÉRIEUR.


et la considération nécessaires ; ils solliciteront les con-
seils et les lumières dont ils ont besoin, et se formeront à
leur tour et peu à peu à ce délicat travail.


Voilà la seule manière de choisir convenablement les maî-
tres d'un Petit Séminaire.


Est-ce à dire qu'il faille repousser tous les professeurs
étrangers? Je suis loin d'être aussi exclusif. L'art, c'est
de profiter de tout, et de savoir attirer à soi le mérite. Pour
cela il y a une condition indispensable : c'est que la mai-
son ait une bonne réputation. Quant une maison a de la
réputation, les hommes de talent y accourent d'eux-mêmes,
ou au moins il devient facile de les y faire venir.


Il est arrivé au Petit Séminaire de*** que des maîtres ex-
cellents y ont été attachés de cette manière.


La bonne réputation de la maison s'étant répandue au
loin, des Évêquesde diocèses étrangers ont demandé qu'on
voulût bien y recevoir pour quelques années leurs meilleurs
sujets, afin de les former à une bonne école ; ou bien encore
des sujets forts distingués, et libres de se livrer à l'œuvre qui
leur plaisait le plus, sollicitaient d'eux-mêmes l'avantage
d'être employés dans ce Petit Séminaire.


La moitié des maîtres présents au Petit Séminaire de ***,
en 1845, y avaient été attachés de cette façon.


VII


Mais quelques soins que doive mettre un Supérieur à
n'avoir avec soi que des hommes d'un vrai mérite, il y a ici
une observation importante à faire :


L'œuvre, il le faut reconnaître, est très-difficile : les forces
humaines sont médiocres; les hommes complets, même pour
leur œuvre, ne se rencontrent presque pas. Voilà ce dont il
faut essentiellement tenir compte, quand on constitue le per-
sonnel d'une maisen d'Éducation.




CH. II. — II, DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 25


Tout homme qui se consacre à l'éducation de la jeunesse
devrait être un homme supérieur, au moins dans son genre.
Mais les hommes supérieurs, en tous temps, et en chaque
chose, sont très-rares : il ne faut donc pas s'attacher à pour-
suivre ce qu'il est presque impossible de rencontrer. Mais si
l'on doit se résigner à employer souvent des hommes ordi-
naires, au moins est-il de toute nécessité qu'ils aient dans une
mesure suffisante, les qualités essentielles, et qu'ils puissent
s'enlr'aider au besoin les uns les autres, se compléter les uns
par les autres. C'est pourquoi il est très-important, dans le
choix des hommes nouveaux, de n'avoir pas égard seulement
à ce qu'ils sont personnellement, ou à ce qui leur manque,
mais aussi aux lacunes du personnel ancien, afin de bien
voir si, en combinant toutes choses, on ne peut pas établir
des compensations. Tel homme a tel défaut; oui, mais il
possède telle qualité qui manque à tel autre : seul, il pour-
rait être insuffisant; adjoint à l'autre, il le complétera : c'est
au Supérieur à peser toutes choses, et à tenir compte de tout
dans le choix qu'il fait.


Pour entrer ici dans quelques détails, et faire mieux com-
prendre ma pensée, je dirai, par exemple, qu'il faut consti-
tuer le personnel de telle sorte que, si le Supérieur n'est que
d'un mérite ordinaire, les Directeurs puissent beaucoup par
eux-mêmes, — sans troubler en rien, toutefois, l'ordre hié-
rarchique.—Il faut que les règlements et les choix soient
faits de telle sorte, que les Directeurs puissent à eux tous, ce
que le Supérieur peut à lui seul ; et que si, au contraire,
les Directeurs sont faibles, le Supérieur puisse à peu près
tout sans eux.


Il faut remarquer, toutefois, qu'il y a des hommes et des
fonctions que le Supérieur ne peut ni suppléer, ni rem-
placer.


11 peut suppléer et remplacer le préfet des études, le préfet
de religion.




26 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


Il ne peut suppléer les préfets de discipline, et leur pré-
sence indispensable en divers lieux.


J'ai vu un Supérieur, dans une maison de deux cents élèves,
suppléer l'économe, et même s'en passer tout à fait; il avait
un bon commis d'économat, il est vrai : je crois néanmoins
ceci très-difficile, et presque impossible 1 .


Un supérieur absorbé dans de tels soins, ne peut être ca-
pable du reste : aussi la maison dont je parle souffrait beau-
coup d'ailleurs.


Parmi les fonctions moins élevées, il y en a qui se sup-
pléent; il y en a aussi qui ne peuvent se suppléer : il y a des
hommes qui se remplacent, d'autres qui ne se remplacent
pas. Ainsi, nul ne peut suppléer un professeur dans sa
classe, un président dans son étude.


Au contraire les présidents d'études, les professeurs,
s'ils sont d'un mérite éminent, peuvent suppléer au défaut
des Directeurs, et même du Supérieur. La classe, l'étude, les
récréations, les repas et les dortoirs qu'ils président, sont
toute la maison. Et lorsqu'ils sont tous d'ailleurs confesseurs
et prédicateurs ordinaires, leur puissance pour le bien est
immense. — Car, si là surveillance immédiate est beaucoup
dans une maison d'Éducation, elle est moins cependant que
le bon esprit, qui fait aller les choses d'elles-mêmes, pour
ainsi dire, et atteint des détails qu'aucune surveillance ne


1 Quelquefois cependant cela vaut mieux encore qu'une commission, vivant en
dehors de la maison, ei étrangère aux mille détailsqu'il importe de connaître pour
se rendre un compte exact des dépenses à supprimer, des économies à faire. Ce
n'est pas en vérifiant, une ou deux foisparan, des dépenses faites, des chiffres, des
additions, qu'on peut se mettre en état de trouver et de proposer des réductions,
des mesures sagement économiques; c'est en connaissant à fond, dans tous les
détails, tous les services, les suivant attentivement, s'appliquant à cette étude
avec constance. Par cette assiduité et cette sérieuse étude, une seule et bonne
téte dans une commission peut beaucoup plus pour arrêter une maison dans la
voie des dépenses périlleuses, mettre l'ordre dans les finances, et prévenir des dé-
ficits, qu'une assemblée d'hommes qui vivent loin de la maison, n'y vont jamais
voiries choses de près, n'en connaissent ni les nécessités ni les possibilités, et ne
s'occupent qu'à intervalles périodiques de sa situation financière.




OH. II. — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 27


peut atteindre : or, c'est principalement par la parole publi-
que des prédicateurs et l'action invisible ;des confesseurs
que le bon esprit [est inspiré et maintenu : et voilà dans
quel sens les confesseurs et les prédicateurs sont l'âme, le
cœur, la vie, le spiritus vitœ, pour tout.


C'est ainsi qu'il y a dans les diverses fonctions de l'Édu-
cation une corrélation nécessaire, et c'est ce qui rend né-
cessaire aussi un mutuel concours chez les hommes d'Édu-
cation : paf ce concours et ce secours ils se complètent et se
font valoir les uns les autres ; et, de la sorte, même avec des
moyens ordinaires, quand ces moyens sont bien associés,
une maison marche et l'œuvre se fait. Je ne demande donc
pas, pour l'Education, bien qu'il en fallût, des hommes supé-
rieurs ; mais ce qui au moins est indispensable, c'est qu'ils
aient et mettent en commun, par un dévoûment mutuel,
un ensemble de qualités, assez rares encore, et qui constitue
des hommes d'un mérite réel, à savoir :


Qu'ils soient tous d'un esprit solide, et de bon sens ;
D'un caractère ferme ;
D'un cœur bon et dévoué ;
Le tout animé par une piété véritable.


VI I I


Mais si tant de qualités et de conditions sont requises chez
les hommes qui élèvent la jeunesse, si le choix qu'il en faut
faire est chose si importante et si délicate, je ne puis m'em-
pêcher de le dire ici : combien ne serait-il pas désirable qu'il
y eût en France pour le clergé, ce que malheureusement il
n'y a pas, une grande école de professeurs, une sérieuse
école normale, où les jeunes gens qui se destinent à l'édu-
cation pussent se former à cette grande tâche? — Et par là je
n'entends pas seulement une école où ils apprendraient les




28 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


lettres et les sciences, les langues, l'histoire, tout ce qui fait
la matière de l'enseignement : c'est beaucoup que tout cela,
c'est essentiel chez un professeur, car il n'est permis à per-
sonne d'enseigner ce qu'il ne sait pas ; mais ce n'est pas tout,
et on peut, avec toutes ces connaissances, être parfaitement
impropre à l'enseignement, et surtout à l'Éducation : j 'en-
tends donc une école où les jeunes gens, indépendamment
de la préparation éloignée, mais très-sérieuse, d'une forte
éducation ecclésiastique, se prépareraient immédiatement à
leurs futures fonctions, et apprendraient plus spécialement
encore, outre la matière de l'enseignement, la manière d'en-
seigner, et surtout l'art, le grand art de l'Éducation.


Eh quoi ! la plupart des professions ont leurs écoles spé-
ciales ; il y a pour les magistrats et les avocats les écoles de
droit ; pour les médecins, celles de médecine ; pour les mi-
litaires, l'École polytechnique et Saint-Cyr ; les ingénieurs,
les gardes forestiers, etc., ont leurs écoles. N'est-ce pas une
lacune regrettable qu'il n'y ait pas dans le clergé une école
spéciale pour les hommes voués à la mission la plus haute, à
la mission d'élever les générations naissantes, et de préparer
tout l'avenir d'une société ?


Est-ce donc que l'art de l'Éducation est si facile quil n'ait
pas besoin d'être enseigné? Non.


Je l'ai dit, on n'improvise pas des professeurs, on ne trouve
pas au hasard des hommes d'Éducation. L'État l'a senti, et
certes, c'est averti par le sentiment d'un besoin profond,
qu'il a créé pour l'enseignement secondaire des écoles nor-
males, des écoles de professeurs et de maîtres, véritable no-
viciat de l'enseignement, où les jeunes gens qui veulent se
destiner à ce ministère, non-seulement peuvent achever de
s'instruire, mais encore doivent se former au grand art d'en-
seigner. Ces écoles sont pour l'Université et pour le pays une
ressource considérable. — Sans doute, elles sont plus que
toutes les autres à surveiller, précisément à cause de leur




CH. II. — IL DOIT BIEN CHOISIR SES COLLABORATEURS. 29


importance, et seraient des fléaux, si, comnre on a pu le
craindre, les futurs maîtres de la jeunesse y puisaient de
fausses doctrines, un mauvais esprit ; — mais en écartant
cette triste supposition, ces écoles sont de nature à rendre
en France au corps enseignant les plus grands services :
ce sont elles qui ont fait jusqu'ici la principale force des col-
lèges de l'État.


Je sais bien que les écoles publiques ont toujours compté, et
comptent encore dans leur sein d'excellents professeurs, qui
n'oni point passé par l'Ecole normale ; je sais bien aussi que,
si ceux qui en sortent, généralement en sortent instruits et
sachant écrire, ce n'est pas là une preuve qu'ils en sortent ca-
pables d'enseigner et d'élever la jeunesse ; car bien différent
est le talent d'un écrivain, et celui d'un homme d'Éducation,
ou même simplement d'un professeur : mais il n'en est pas
moins vrai que cette école, avec ses maîtres choisis parmi
les plus habiles, avec ses trois années de fortes'études, est
une précieuse préparation au professorat, et que les jeunes
gens qui ont pu y passer, en gardent toute leur vie la forte
empreinte.


Je sais bien aussi que les études thèologiques, que l'édu-
cation sacerdotale surtout, sont une préparation excellente,
quoique indirecte, à l'éducation proprement dite, et même à
l'enseignement. Toutefois, il est une érudition classique, une
science spéciale, que les professeurs ecclésiastiques appren-
draient mieux et plus vite, avec le précieux secours d'une
école normale, que dans les travaux-solitaires les plus stu-
dieux. On a été singulièrement injuste et partial, je le recon-
nais, dans la comparaison qu'on a faite, sous le rapport de
la science, entre les professeurs universitaires et les profes-
seurs ecclésiastiques ; on a beaucoup trop considéré chez les
uns l'avantage de leur école normale, et beaucoup trop peu
chez les autres les compensations les plus importantes. Mais
il n'en reste pas moins qu'une école normale ecclésiastique,




30 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR,


fortement organisée, était une pensée féconde, peut-être une
nécessité. Si le projet de Mgr Affre, mieux compris,, mieux
accueilli, avait pu être réalisé dans toute son étendue, le
clergé posséderait maintenant une école qui serait d'un se-
cours merveilleux aux Évoques pour leurs maisons d'Éduca-
tion. On peut en juger par les services rendus déjà par
l'école des Carmes.


Mais mon dessein n'est pas de traiter ici à fond cette grave
question d'une école normale ecclésiastique, de discuter
toutes les objections, ni de dissiper toutes les craintes; je me
borne à constater cette grande lacune, et à signaler haute-
ment l'impérieuse nécessité pour le clergé, qui a conquis,
après tant de glorieuses luttes, la liberté de l'enseignement,
et qui a une part si grande et si légitime à prendre dans
l'Éducation de la jeunesse française, de se tenir de tout point
à la hauteur de cette mission, et d'ajouter à tous les avanta-
ges qu'il a déjà, celui d'une compétence incontestée, à l'en-
droit de la science classique, comme sous tous les autres
rapports.


CHAPITRE I I I


Le second devoir d'un Supérieur est de former ses collaborateurs.


Avoir fait de bons choix, s'être entouré de collaborateurs
capables et dévoués, c'est beaucoup sans doute, mais ce n'est
pas tout pour un Supérieur. Il faut de plus les former. C'est
là un des devoirs les plus considérables et les plus impor-
tants de sa charge.


Quels que soient le mérite et le zèle d'un jeune prêtre, il
ne peut deviner tout d'abord le grand art de l'Éducation : la
meilleure école normale même ne fait qu'y préparer de




CH. III. — l i DOIT FORMER SES COLLABORATEURS. 31


loin. Non-seulement cet art admirable ne peut s'apprendre
tout seul ; mais la théorie sans la pratique n'est presque rien.


Tout homme appliqué, pour la première fois, à cette œuvre
si délicate et si compliquée, a besoin d'être initié.


C'est le Supérieur qui doit être l'initiateur ; c'est, sous sa
direction et à son école que ses jeunes collaborateurs sont
placés ; c'est lui qui, pour le bien de son œuvre et pour eux-
mêmes, est chargé de les former.


Un supérieur qui croirait ne se devoir qu'aux élèves de
samaison, et point aux maîtres, ne comprendrait pas même
la moitié de son devoir, et négligerait la plus capitale de ses
obligations.


Et je dis ceci d'un Supérieur de maison d'Éducation,
comme je le dis de tous ceux qui ont autorité sur de jeunes
prêtres, pour l'accomplissement d'une œuvre quelconque,
comme je ne cesse de le redire en particulier d'un Curé
de grande paroisse par rapport à ses vicaires.


Une des plus grandes illusions que puissent se faire, soit
un Curé, soit un Supérieur de collège ou de Petit Séminaire,
c'est de ne pas comprendre que leur premier devoir est de
former les jeunes collaborateurs qui leur sont confiés, par
cette raison très-simple que lesjeunes gens ne peuvent arri-
ver tout formés, ni se former tout seuls.


Mais former les autres, de ces jeunes gens faire des hom-
mes, qu'on y prenne garde, c'est un grand mot et une grande
chose : c'est un art difficile et bien rare. Quel qu'il soit, il
est essentiel à un Supérieur de maison d'Éducation. Un
homme qui n'est pas capable de former les autres, n'est pas
fait pour être Supérieur. C'est ce talent qui est le signe incon-
testable de la vraie supériorité!


Mais qu'est-ce à dire, former les autres? — C'est leur ap-
prendre ce qu'ils ont à faire, et comment ils le doivent faire ;
c'est leur montrer quelle culture ils doivent donner à leurs
facultés pour l'œuvre dont ils sont chargés; c'est leur inspirer




32 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


l'esprit convenable pour cette œuvre, les y appliquer, les
mettre en mouvement, les modérer, les contenir, puis les
exciter, les entraîner enfin dans la sphère d'action commune,
c'est-à-dire, diriger, gouverner par eux toute la maison. Oh ! je
le dis pour l'avoir expérimenté : que cela est difficile, mais
que cela est nécessaire !


Pour former ainsi de jeunes maîtres, il faut quatre choses :
les bien connaître, afin de les employer convenablement ; les
aimer ; les encourager; les honorer : c'est-à-dire se dévouer
à eux de toute manière.


4° Il faut les bien connaître. « Je suis très-persuadé, dit
quelque part Fénelon, que le point essentiel du gouverne-
ment est de bien discerner les différents caractères d'es-
prit, pour les appliquer selon leurs talents. »


Bossuet va jusqu'à dire :
« Le Supérieur, qui s'habitue à bien connaître les hom-


mes dont il se sert, paraît en tout inspiré d'en haut, tant il
donne droit au but. Cette connaissance des hommes donne à
un Supérieur appliqué un discernement délicat et exquis en
toutes choses. »


Nous avons déjà eu occasion de le faire remarquer : tout
ne convient pas à tous; il faut savoir à quoi chacun est
propre; tel homme, qui serait grand employé à certaines
choses, sera inutile et peut-être méprisable parce qu'on l'a
appliqué à celles pour lesquelles il n'était pas propre.


Il y a donc avant tout pour un Supérieur une étude atten-
tive à faire de ses collaborateurs.


Pour les choisir, il a eu déjà sur eux des renseignements
positifs ; mais un Supérieur ne doit pas se contenter de cette
connaissance générale et préliminaire. Il lui faut une connais-
sance bien plus particulière, bien plus précise des hommes
qui travaillent avec lui, afin de les employer chacun et à cha-
que heure comme il convient.


Mais comment se connaître en hommes ?




CH. III. — IL DOIT FORMER SES COLLABORATEURS. 33


Un point trés-important ICI, c'est de comprendre, que, sans
trop regarder aux choses accessoires, il faut juger de chacun
par ce qu'il est dans son fond : « C'est, comme dit Bossuet,
« le naturel de chacun qu'il faut bien discerner ; » etil ajoute
que : « les saintes Ecritures nous enseignent à prendre les
« hommes et à nous servir d'eux, non pas seulement par ce
« qu'ils ont de bon, mais parce qu'ils]ont de plus éminent. »


Que le Supérieur considère donc attentivement toutes
choses ; mais surtout qu'il considère attentivement le fond
et le naturel de chacun. Une faudrait pas croire d'ailleurs
que l'extérieur fût inutile à considérer ici : Non, 'remarque
Bossuet avec le Sage : « L'homme se connaît à la vue; on
« remarque un homme sensé à la rencontre: l'habit, le ris,
« la parole, la démarche découvrent l'homme »


Il ne faut pourtant pas en croire les premières impres-
sions. Il y a rbien des apparences trompeuses. Le plus sûr
est d'observer tout, mais, comme le dit la Sagesse éternelle,
de n'en croire que les œuvres. « Vous les connaîtrez par
leurs fruits % » c'est-à-dire, par leurs œuvres. Et ailleurs:
« L'arbre se reconnaît par son fruit. »


Donc pour arriver à bien connaître [les hommes, à les
pénétrer d'une manière sûre, approfondie, il faut les éprou-
ver, les voir souvent, converser familièrement avec eux, les
interroger, les faire parler, les pratiquer, les expérimenter
de toute façon.


Pour cela, un Supérieur ne doit pas craindre d'établir des
rapports bienveillants et familiers avec ses jeunes collabo-
rateurs, de les voir de près, fréquemment, et d'en être vu.


La dignité n'a pas à en souffrir, ni le respect n'en saurait
être diminué : tout au contraire.


La froideur, l'indifférence, la hauteur, l'ostentation de


1 Eccl., XIX, 26, 27. ^
* Matlh., vu, 18.




3i LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


l'autorité, le dédain orgueilleux des hommes, sont désas-
treux dans un Supérieur.


Rien d'ailleurs n'est plus contraire à l'esprit chrétien.
Un Supérieur, l'Apôtre l'a dit, n'est pas un dominateur


hautain et superbe : non dominantes. 11 n'établit pas entre
lui et ceux qui lui sont subordonnés une distance incom-
mensurable. Soyez au milieu d'eux comme l'un d'eux, dit
l'écrivain sacré : Esto in Mis quasi unus ex ipsis. Un Supé-
rieur chrétien a toujours au cœur cette parole.


Un Supérieur dédaigneux, retiré, inaccessible, qui se
tiendrait à l'écart, évitant avec soin toute intimité ; qui met-
trait sa dignité à fuir la lumière, à se défier de tout le monde,
à s'envelopper, à se cacher dans je ne sais quelle majesté
solitaire, disait Fènelon, dans une grandeur farouche et sau-
vage, qui traiterait de haut avec les professeurs de la mai-
son, les tiendrait à distance, leur ferait sentir en toute oc-
casionna supériorité et leur dépendance, qui croirait déroger
ou s'abaisser en leur parlant avec affection, en leur témoi-
gnant des égards, en se montrant facile et bon, un tel Su-
périeur entendrait bien mal ses devoirs, et aussi bien mal ses
intérêts.


Il se pourrait d'ailleurs que ce vain prétexte de soutenir sa
dignité ne fût qu'un voile pour cacher sa réelle impuissance,
et pas autre chose au fond que la conscience de sa médio-
crité, et la crainte de ne pouvoir autrement exercer de l'as-
cendant.


Il se pourrait aussi qu'il aboutît par là à toute autre chose
qu'à ce qu'il pense, à toute autre chose qu'au respect ; car ce
vain artifice ne donne pas longtemps le change : la curiosité
maligne des enfants et le regard des maîtres, ainsi provoqués,
pénètrent tout, devinent tout. Rien n'est plus fâcheux que
quand on peut dire d'un Supérieur : il se cache, on ne le voit
jamais, il craint d'être vu.


Non, tel n'est pas un véritable Supérieur. Il n'a point de




CH. III. — IL DOIT FORMER SES COLLABORATEURS. 33


ces préoccupations misérables ; il n'est pas en peine pour
concilier ce qu'il doit à sa dignité, et ce ça'il doit h ses
collaborateurs. Il sait qu'il a tout à gagner à les voir, et il
les voit le plus qu'il peut. Il les étudie, il les tâte, il les sonde
de toutes manières, il les fait parler, il les consulte, il les
éprouve par de petits emplois, pour voir s'ils sont capables
de plus hautes fonctions ; et par là il discerne ee qu'il y a en
eux, ce qu'ils peuvent ou ne peuvent pas , si leur dévoûment
est réel et effectif, leur zèle constant, leur capacité égale à
leur bonne volonté: il expérimente sans cesse leurs qualités
et leurs défauts, le parti à tirer des uns et des autres, ce
qu'il y a dans ces esprits et dans ces cœurs, les trésors ren-
fermés peut-être dans ces diverses natures, et qu'il a mission
de découvrir et d'employer pour la plus grande gloire de
Dieu et le plus grand bien des âmes.


Cependant il ne faut pas qu'il se hâte de porter son juge-
ment: il est essentiel pour un Supérieur de ne se prévenir
ni pour , ni contre : toute prévention est funeste. Non,
ne préjugez pas, examinez ; ne prononcez pas précipitam-
ment, sur une première impression : donnez-vous le temps
de réfléchir ; observez, éprouvez àloisir, vous prononcerez en-
suite. Il serait déplorable qu'un Supérieur eût la réputation
d'être ce qu'on appelle un homme à impressions, un homme
à préventions.


2° Mais ce qui aidera le plus un Supérieur à connaître
ses collaborateurs, c'est l'affection et la confiance qu'il aura
su leur inspirer : or, pour inspirer de la confiance et de
l'affection, il faut en témoigner soi-même ; c'est pourquoi
un Supérieur doit aimer, avoir du cœur, et en montrer..


Oui, voulez-vous prendre sur vos jeunes collaborateurs ce
nécessaire ascendant, sans lequel vous serez toujours im-
puissant à exercer sur eux une action sérieuse, commencez
par gagner leurs cœurs, par vous en faire aimer : mais
pour cela, aimez vous-même.




3G LIV. \ " . — LE SUPÉRIEUR.


Leshommes sont ainsi faits : c'est au Supérieur à prévenir :


il faut qu'il donne le premier tout ce qu'il veut qu'on lui rende.
Il faut qu'un Supérieur ait pour ses collaborateurs une af-


fection vraie, sincère, effective. N'y ont-ils pas droit? Tra-
vailler ensemble, se dévouer à une même et sainte œuvre,
n'est-ce pas un lien pour les cœurs?


Fénelon écrivait autrefois à son neveu ces charmantes pa-
roles que tout Supérieur lira, j 'en suis sur, avec plaisir
et aussi avec profit : « Fais ton devoir parmi tes officiers
« avec exactitude, mais sans minutie, patiemment et sans
« dureté. Sois affable, obligeant, sans humeur. On déshonore
« la justice quand on n'y joint pas la douceur, les égards et
« la condescendance : c'est faire mal le bien. Je veux que tu
« te fasses aimer ; mais Dieu seul peut te rendre aimable, car
« tu ne l'es point par ton naturel raide et âpre. Il faut que la
« main de Dieu te manie pour te rendre souple et pliant; il
« faut qu'il te rende docile, attentif à la pensée d'autrui,
« défiant de la tienne, et petit comme un enfant : tout le
« reste est sottise, enflure et vanité. »


Un vrai et bon Supérieur ne s'applique donc pas à faire
sentir toujours l'autorité, la . supériorité, jamais l'estime et
la confiance. Il voit au contraire dans ses collaborateurs des
amis et des frères que le bon Dieu lui a associés, des prêtres
généreux qui sont venus consacrer à son œuvre leur talent,
leur dôvoûment, leurs plus belles et plus fécondes années,les
prémices de leur jeunesse et de leur vie sacerdotale. Il voit
en eux des hommes avec qui les rapports peuvent être doux,
agréables, des hommes de mérite, distingués, aimables,
dont la société peut être pour lui un charme, et avec lesquels
il est heureux d'avoir à vivre. Ainsi s'établissent entre le
Supérieur et ses collaborateurs des rapports pleins d'ai-
sance et de cordialité, fondés sur une estime et une affec-
tion mutuelles : et il y a de la sorte pour tous au milieu de
cette vie laborieuse une vraie douceur, qui fait qu'on se plaît




CH. III. — IL DOIT FORMER SES COLLABORATEURS. 37


dans une maison, et qui assurent au Supérieur une autorité
d'autant plus grande, qu'elle est plus spontanément et plus
complètement acceptée.


Le Supérieur doit aller plus loin encore, et voir dans ceux
que Dieu a associés à ses travaux, plus que des colla-
borateurs et des amis. Il doit se considérer au Çîflieu d'eux
comme un père. Il faut qu'ils se sentent auprès delui comme en
famille : aimés, estimés, et soulagés autant que possible. Le
Supérieur doit avoir pour tous des sollicitudes vraiment pa-
ternelles. Je dis pour tous, car il ne faut pas qu'il ait ses pri-
vilégiés, ses favoris : il les doit tous aimer, chacun selon son
mérite et selon la j ustice, mais chacun cordialement; et d'après
la recommandation formelle de l'Esprit-Saint, prendre un
soin dévoué de tous: Curam illorum habe.'W s'intéressera
donc à tout ce qui les intéresse, à leurs fonctions, à leurs
travaux, à leurs espérances, à leur avenir : il leur fera sentir
qu'il veut leur bien, pour eux-mêmes, autant que pour sa
maison, qu'il tient à les voir se former,' se développer, de-
venir un jour des hommes, des prêtres distingués.


Il fera plus encore, il ne négligera aucune occasion de les
honorer.


3° Oui, il faut que des professeurs soient honorés dans
une maison ; il faut qu'on leur témoigne plus encore que
de l'affection et de simples égards, qu'on leur montre une
confiance sérieuse ; qu'ils le sentent et en soient touchés.
Comment voulez-vous que des hommes qu'on ne compte-
rait pour rien et qu'on tiendrait à l'écart de tout, ne sentis-
sent pas malgré eux leur zèle s'affaiblir et leur dévoûment
pour la maison tomber? Non, il doit y avoir entre le Supé-
rieur et les maîtres une vraie réciprocité : vouloir qu'on se
donne, et ne pas se donner soi-même, c'est une étrange in-
justice.


Jamais surtout un Supérieur n'évitera avec trop de soin
ce qui peut froisser les hommes. Il y a quelquefois des cho-




38 LIV. I " . — LE SUPÉRIEUR.


ses qui ne sont presque rien par elles-mêmes, qu'un homme
sérieux compte pour peu, et au-dessus desquelles il se met
sans peine, mais dont cependant il ne peut s'empêcher
d'être blessé, à cause du mépris ou du peu de respect
qu'elles impliquent Telles sont certaines exclusions, cer-
tains mysl^es .


Que des professeurs par exemple n'apprennent que par
les élèves les choses qu'ils devraient être les premiers à
savoir, et que cela soit un système ou une habitude, il est
impossible qu'ils n'en soient pas très-froissès. Qu'on les
mette à l'écart là où ils auraient droit de paraître et d'être
invités : qu'un Évêque, par exemple, vienne donner la
Confirmation dans une maison, et que les professeurs ne lui
soient pas même présentés, il y a là de quoi indisposer même
les meilleurs et les plus humbles.


Avec les hommes les procédés ont de grandes consé-
quences. Autant les hommes sont sensibles aux attentions,
aux égards, à la bonté, autant le sont-ils aux oublis, aux dé-
dains, à l'indifférence..


4° S'il faut qu'un Supérieur honore ses collaborateurs, il
faut aussi qu'il les encourage.


Les fonctions de l'Éducation sont pénibles, délicates, et,
dans les commencements surtout, un jeune maître a bien
besoin d'être encouragé.


Il faut louer tout ce qui mérite d'être loué, tout succès, tout
effort sincère ; il faut qu'un Supérieur sache donner à propos
l'éloge : qu'il relève, qu'il excite, qu'il anime tous ceux qui
ont du talent, du dévoùment : qu'il ne manque pas de
les avertir, s'ils ont besoin d'être avertis, car les avertisse-
ments instruisent, flMis sans oublier qu'un avertissement,
même sévère, doit toujours être accompagné d'un encoura-
gement, et tempéré par la bonté : non, un Supérieur n'en-
couragera jamais trop ses collaborateurs.


Un Supérieur est tant de fois obligé de presser, d'avertir,




CH. III. — IL DOIT FORMER SES COLLABORATEURS. 39


de reprendre ! Il ne faut pas qu'on n'entende de lui que des
paroles austères : il ne doit manquer aucune occasion de dire
une parole encourageante.


II faut qu'on n'ait, en aucun cas, sujet de se croire délaissé
ou méprisé.


Il ne suffit même pas de savoir que notre Supérieur nous
estime comme honnête homme et bon prêtre, il faut encore es-
pérer de le satisfaire dans la charge spéciale qu'il nous confie.
Quand on a perdu cet espoir, la foi, la vertu peut faire qu'on
se résigne, qu'on fasse de son mieux, mais on souffre beau-
coup et on a peu d'énergie, ou du moins on n'a pas celle
qu'on aurait eue avec un peu d'encouragement.


Et cependant, il y a des Supérieurs qui ne louent jamais ! 11
y a de pauvres jeunes professeurs qui, dans toutle coursd'une
année, avec la meilleure volonté, le plus sincère dévoûment,
n'ont jamais entendu de leur Supérieur une parole amie, en-
courageante, n'ont jamais obtenu un regard, ni une attention !
. Mais ne savez-vous pas, dirais-je volontiers à un Supérieur


qui traite ainsi les hommes, que ce jeune homme deviendra un
homme un jour, unhomme distingué, autant que vous, plus
que vous peut-être, et que le pèli de cas que vous faites de
lui ne fait honneur ni à votre discernement ni à votre cœur?


Il y en a qui, ne croyant pas, disent-ils, à l'humilité de la
jeunesse, se gardent bien de l'exposer à l'orgueil par le moin-
dre mol de louange. — Je sais un Supérieur qui, un jour,
sous ce beau prétexte, blâma un de ses anciens élèves qui ve-
nait de conquérir, au prix du plus grand travail, son grade de
licencié ès lettres, et, devant tous les professeurs d'un Petit
Séminaire rassemblés, se moqua des grades littéraires.


Étrange prévention d'esprit! Comme si on devait croire à
l'humilité d'aucun âge; et comme si le pédantismene pouvait
pas se mêler au dédain, aussi bien qu'à l'amour de la science !


Voilà comment quelquefois on étouffe les âmes les plus
courageuses, au lieu de les développer* Combien de jeunes




40 \ LIV. I e ' . — LE SUPÉRIEUR.


prêtres, de jeunes professeurs, doués d'un mérite réel, qui
ne se développent pas, qui n'éclosent pas, qui ne font rien,
qui languissent toute leur vie dans une triste médiocrité,
parce qu'ils sont tombés dans dépareilles mains, et qui, au
contraire, eussent été peut-être des hommes éminents, des
ouvriers admirables, s'ils avaient rencontré un Supérieur
digne de ce nom, sachant les comprendre, les encourager,
les guider, et tirer du fond de leur nature tes richesses que
Dieu y avait renfermées !


De tels Supérieurs ne sont vraiment pas dignes d'être à la
tête d'une maison. Non, la jeunesse ne mérite ni ces dé-
fiances, ni ces dédains. Elle est meilleure, et profite mieux
des encouragements qui lui sont donnés : les encourage-
ments ont un sûr écho dans les plus nobles dispositions de
l'âme humaine, et éveillent, surtout dans les jeunes cœurs,
les plus généreux sentiments. 11 faut, quand on a l'honneur
d'être à la tête d'une maison, savoir apprécier, féconder,
transformer les hommes. Rien d'ailleurs ne devrait avoir
plus de charmes pour un Supérieur que ce laborieux, mais
fécond enfantement des âmes : œuvre de tendre et forte
affection, de soins attentiff et paternels, de constance, de
persévérance , mais dont les fruits payent bien la peine :
c'est tout l'avenir d'un jeune homme, toute une grande vie
sacerdotale qu'on peut décider ainsi.


11 n'y a pas de comparaison à établir entre une maison
où les rapports entre le Supérieur et les maîtres sont ceux
que je viens de dire, — rapports de cordialité, d'affection
sincère, d'estime, de confiance, de dévoûment,— et une
maison où ces rapports n'existent pas. A la hauteur, à h
froideur, à l'indifférence d'un Supérieur, les inférieurs ré-
pondent par des sentiments semblables; il faudrait être
bien vertueux pour qu'il n'en fût pas ainsi. Mais on com-
prend alors ce que devient toute une maison, ce que devien-
nent de pauvres enfants dans une telle atmosphère. Au con-




CH. III. — IL DOIT FORMER SES COLLABORATEURS. 41


traire, on fait tout pour un Supérieur qu'on aime, tout pour
la maison qu'il gouverne : en un mot, on se dévoue sans
réserve pour un homme qu'on sait être entièrement dévoué.


5° J'ajouterai un détail encore, car j 'écris pour être utile, et
je veux dire les choses. Il faut, même sous le rapport tempo-
rel, il faut que la position des maîtres dans une maison d'É-
ducation soit convenable et honorée. L'homme est toujours
homme, et si l'on veut que le dévoûment ne se refroidisse
pas, il faut, môme au point de vue matériel, ne pas oublier
cela. Sans doute la perfection serait pour tous de n'y pas
trop regarder, et une grande vertu peut s'élever à cette hau-
teur; mais , en matière de gouvernement, ce serait une
maxime bien fausse que de se conduire avec les hommes
comme s'ils étaient parfaits. Si l'on veut avoir et retenir
auprès de soi des hommes de mérite, il faut prendre tous les
moyens convenables.


Je voudrais donc que la position des ecclésiastiques voués
à l'enseignement fût vraiment honorable dans un diocèse ;
que l'Évêqueles connût personnellement, cela va sans dire :
je ne crois pas qu'un Évêque, qui attache aux fonctions de
l'enseignement l'importance qu'elles méritent, leur fasse
trop d'honneur, en s'intéressant nommément aux personnes
qui s'y dévouent, et leur en donnant des preuves ; je déplore-
rais qu'il n'en fût pas ainsi. En un mot, il faut, si l'on veut
avoir des professeurs distingués, que ce soit un honneur
d'être professeur, une place réelle, une place élevée, et qu'on
le sache, qu'on ait devant soi un avenir convenable, et qu'on
en ait la certitude par l'expérience de ceux qui se retirent.


On avait établi à l'archevêché de Paris qu'un an, passé
au Petit Séminaire, compterait comme deux passés dans le
ministère ; qu'après plusieurs années de professorat, on serait
certain d'être placé très-honorablement : cela avait été décidé
en conseil.


11 est capital qu'on ne se figure pas être dans un Petit Sémi-




LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


naire oublié et perdu. Sans doute, encore une fois, huma-
num dico ; mais cela est nécessaire, et le Supérieur d'un Petit
Séminaire doit donner tous ses soins à ce point important.


La question même du traitement, de la nourriture, du lo-
gement, est loin d'être indifférente.


Il faut que les traitements soient convenables et mettent à
l'abri de toute préoccupation. — Que la nourriture soit
bonne et substantielle : elle ne peut pas être de tout point
la même que celle des élèves. — Que les chambres et appar-
tements soient commodes, suffisamment grands, honnête-
ment meublés. En traitant les maîtres honorablement, on les
élève à leurs propres yeux ; ils se plaisent chez eux, ils sont
moins tenlés d'aller courir par la ville; ils deviennent plus
posés et plus studieux.


Toutes ces petites choses sont de grande conséquence, et
quiconque a de l'expérience et connaît les hommes, le sen-
tira. Rien de tout cela, que nul ne s'y trompe, ne doit être
négligé par un Supérieur qui comprend sa charge : et avant
tout, il faut cela pour avoir action sur ses subordonnés, les
former à son esprit, les façonner, les perfectionner.


CHAPITRE IV


Deux grands moyens, pour former les maîtres, sont
des règlements bien faits et des conseils suivis.


L'HOMME DE LA RÈGLE.


Aimer, estimer, encourager, honorer ses collaborateurs,
c'est pour un Supérieur la condition indispensable, s'il veut
acquérir sur eux l'influence qui permet de les former ; mais
par quels moyens positifs et effectifs les formera-t-il?




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE. 43


II y en a deux principaux : les règlements et les conseils ;
et plusieurs autres subsidiaires.
' Je me propose d'entrer dans les plus minutieux détails, car


il n'y a que les détails en ces matières qui soient réellement
instructifs et aillent au but. 11 ne s'agit point ici de faire des
phrases, il s'agit d'enseigner le grand art du Supérieur, l'art
de former des hommes, des hommes pratiques : je plaindrais
ceux qui en tout ceci se préoccuperaient de style. J'entre
dans le vif même des choses, certain d'être entendu par tous
ceux qui ont mis la main à l'œuvre, et suivi par tous ceux
qui voudront l'y mettre.


I


Dans une maison d'Éducation, comme dans toute société
il y a une chose qui doit régner sur tout, tout gouverner, tout
maîtriser, c'est la règle.


Je dis tout maîtriser : le maître véritable, le maître squve-
rain et universel, ce ne sont pas les professeurs; ce n'est pas
même le Supérieur, à proprement parler: non, c'est la règle.


Le Supérieur comme les professeurs sont soumis à la règle,
et nepeuvent rien que par elle. La règle est la maîtresse des
maîtres eux-mêmes : elle a empire sur tous, et nul n'a empire
sur elle. Le Supérieur n'est que l'homme de la règle.


Et ainsi en doit-il être : en quelque état de société que ce
soit, ce n'est pas un homme, c'est la loi qui doit régner; car
un homme, c'est l'arbitraire, l'instabilité, l'égoïsme : la
règle, c'est la raison, c'est l'ordre, c'est le désintéressement,
la fermeté, la constance.


Dans la règle, dit Bossuet, sont recueillies les plus pures
lumières de la sagesse et de la prudence.


C'est elle qui prescrit, ordonne, réglemente, fixe et main-
tient tout , et on n'est sûr de ce qu'on fait que quand on va
selon la règle, etlen toutes choses, on marche au hasard, et




44 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


on va sans savoir où, quand on marche sans règle, et qu'on
n'a pas une loi pour guide.


La loi, dit l'Écriture, est lumineuse, lucida : le Supérieur
qui la suit voit clair, et toute la maison est éclairée avec lui :
ou plutôt, dit encore l'Écriture, la loi, c'est lalumière même,
lex, lux! Par elle brillent les clartés les plus vives de la rai-
son et de l'expérience : c'est la raison écrite des choses.
Aussi elle illumine toutes choses, et quand on veut voir
clair, c'est vers elle que les yeux se tournent, dit toujours
l'Écriture : illuminans oculos.


Voilà pourquoi elle doit régner, et quand elle règne, tout
va bien.


Sans doute il peut y avoir des lois, des règles imparfaites ;
mais elles valent encore mieux que les caprices de l'arbitraire
et les désordres de l'anarchie.


De là, dans une maison d'Éducation, la souveraine impor-
tance de ce qu'on appelle les règlements : les règlements, qui
déterminent ce que chacun doit faire, qui fixent tous les de-
voirs et tous les services.


Il y en a pour les enfants, il y en a pour les maîtres, et pour
chaque maître en particulier : il y en a pour tout, car tout est
réglé dans une maison ; et c'est l'ensemble de tous ces règle-
ments qui constitue ce qu'on nomme la Règle.


Je dis qu'il y en a : il faudrait dire plutôt qu'il doit y en
avoir; car, chose étrange et difficile à expliquer, il se trouve
des maisons qui n'ont pas de règlement, ou du moins de rè-
glement écrit : c'est très-regrettable. Dans toute maison sans
doute on a bien au moins des usages, des coutumes : on a l'air
d'être réglé; mais au fond, on ne l'est point, car des tradi-
tions ne suffisent presque à rien. En fait de détails surtout,
— et il ne faut jamais oublier que la grande œuvre de l'Édu-
cation est surtout une œuvre de détails, — des traditions
sont quelque chose de trop vague et de trop flottant. On peut
dire en général qu'il n'y a de vraiment réglé dans une mai-




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE. 45


son, que ce qui est écrit, et écrit dans le dernier détail, et, je
l'ajoute, avec la raison de chaque chose, donnée brièvement.


Mais pourquoi donc négligerait-on d'écrire des règle-
ments ? Est-ce que la chose n'en vaut pas la peine ? ou bien
est-ce que des règlements écrits ne sont pas plus précis et
plus clairs, et n'ont pas plus d'autorité que de vagues usages
et d'incertaines traditions ?


Qu'est-ce qui fait l'incomparable perfection de la liturgie
et des cérémonies sacrées '! C'est que l'Église a tout prévu
et réglé par écrit, jusqu'aux moindres détails : rien là n'est
abandonné à l'arbitraire, ni au caprice de ceux qui doivent
exécuter : c'est admirable à voir de près.


Si cela n'était pas, le désordre serait infaillible et déplo-
rable : on peut dire, en un certain sens, que toute la religion
tient à cela.


La théorie et l'exercice militaires sont chez les grandes
nations européennes réglés dans le même détail, et, par là,
arrivent à la supériorité décisive que chacun sait.


Qu'est-ce qui fait et maintient la perfection des Ordres
religieux les plus célèbres ? — C'est que, non-seulement les
constitutions principales, mais les règlements de chaque
chose, de chaque fonction, tous les coutumiers, tous les usa-
ges, sont écrits dans le plus grand détail.


La première chose que je me crus obligé de faire, quand je
me trouvai Supérieur du Petit Séminaire de Paris, fut de
m'enquérir des règlements existants, d'en compléter les la-
cunes, et de rédiger ceux qui manquaient 1.


1 Ces règlements sont une des choses qui m'ont coûté le plus de soin. Je dois
dire d'ailleurs que je ne lésai pas faits tout seul, et qu'ils sont le fruit île l'expérience
commune de tous mes collaborateurs, de nos délibérations, de nos conseils, de nos
observations, de notre pratique de chaque jour, (le chaque instant. On m'a souvent
demandé ces règlements. Tout arides qu'ils soient, je les donnerai cependant tels
que je les ai rédigés alors, dans l'action même, sous l'impression vive des enfants
«desmaîtres :1a suite de cet ouvrage les amènera naturellement, chacun à leur
place.




46 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


J'ai cru alors utile d'écrire même des formules, des
modèles de tout ce qu'il importait de bien d i re , de bien
faire, et de faire dans un même esprit : des modèles de
rapports, des modèles de notes professorales pour chaque
semaine, etc., etc., etc.


Mais, à tout le moins, partout est-il indispensable d'avoir
des règlements écrits, tant des règlements généraux pour
les exercices communs, que des règlements spéciaux pour
chaque fonction.


Partout il faut un règlement pour M. le Supérieur, pour
MM. les Directeurs, pour M. le Préfet des études, pour M. le
Préfet de discipline, pour M. le Préfet de religion, pour
M. l'Économe, pour MM. les Professeurs, pour MM. les Pré-
sidents ; il en faut même pour les plus humbles employés.


Des règlements bien faits : voilà le fondement essentiel
de toute maison d'Éducation, la base de tout ; et, je le répète,
il faut qu'ils soient écrits, bien écrits, imprimés même, s'il
se peut, pour qu'ils soient fixes, permanents, mieux connus
de tous, et qu'on les observe fidèlement.


I l


Mais pour qu'on les observe, évidemment il faut qu'on les
connaisse, et par conséquent qu'on les ait entre les mains :
la première chose qu'un Supérieur doit faire, quand un
nouveau maître entre dans sa maison, c'est donc de lui don-
ner les règlements, et notamment ceux qui le concernent
d'une manière spéciale, et lui bien dire ce qu'il aura per-
sonnellement à faire dans l'œuvre à laquelle il se dévoue.


Voilà un jeune professeur qui arrive dans une maison,
qui va pour la première fois y remplir des fonctions impor-
tantes, très-délicates, très-difficiles : si vous le laissez tâton-
ner, marcher au hasard, tout ira mal ; mais si vous le mettez
tout d'abord sur la voie, si vous l'initiez, lui expliquez ce




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE. 47


qu'il a à faire, lui indiquez ce que la règle demande de l u i ,
il sera heureux, encouragé, éclairé, tout ira bien.


En aucune chose sérieuse, il ne faut laisser deviner aux
gens ce qu'ils ont à faire. Il faut toujours le leur expliquer,
et clairement, et précisément. Il y a partout des choses qui
ont besoin d'être dites pour être sues, et par conséquent
pour être faites : tel vicaire, tel professeur, n'a jamais fait
ce qu'il devait, parce qu'on ne le lui a jamais dit comme il
aurait fallu le lui dire : c'est ici pour un Supérieur, pour
un curé, une responsabilité très-grave.


Pour moi, si l'on veut bien me permettre de citer encore
ma propre expérience, quand il m'arrivait un jeune profes-
seur, c'est par là toujours que je commençais. Mettant sous
ses yeux tous nos règlements : Lisez, disais-je, méditez, tout
est là : vous me ferez par écrit vos observations, vos difficul-
tés ; nous en recauserons ensemble, et puis vous entrerez
dans votre fonction.


J'ai toujours recueilli, de cette manière d'agir, les meilleurs
résultats. Cela d'abord ouvrait le cœur, fixait l'attention,
inspirait du respect pour la maison, pour les fonctions,
pour moi-même ; du respect, et de la confiance : on aimait à
se sentir dans une maison ordonnée, où le Supérieur faisait
régner la règle, non l'arbitraire ; et puis, dès le premier mo-
ment, on savait, et clairement, tout ce qu'on avait à faire; on
n'était pas étranger dans la maison ; on sentait mieux qu'il
était facile de bien faire ; on prenait sa place, on entrait de
suite et sans peine dans le mouvement général.


Mais ce n'est pas seulement leurs règlements particuliers
que les maîtres doivent connaître, c'est encore le règlement
général de la maison, puisqu'ils sont chargés de le faire exé-
cuter ; et c'est dans les conseils que le Supérieur l'interpré-
tera à fond devant les maîtres, et surtout les en pénétrera.


Le Supérieur n'aura rien obtenu, tant qu'il n'aura pas
mis au cœur des maîtres, comme une flamme, le zèle du




48 M V . 1 " . — I.E SUPÉRIEUR.


règlement : mais il peut tout espérer quand ces Messieurs,
entrant pleinement dans la pensée du Supérieur, et dans
l'esprit de leur œuvre, auront par-dessus tout à cœur l'ob-
servation de la règle, et feront leur grande affaire d'y ame-
ner toute la maison, à commencer par eux-mêmes. Et cela
n'est pas très-difficile : que peuvent sérieusement objecter
des professeurs à un Supérieur qui leur dit :


« Vous voyez, Messieurs, ce que je vous demande, c'est
l'accomplissement du règlement : vous, comme moi, nous
devons tous ici être les hommes de la règle. C'est mon pre-
mier devoir, et le vôtre ; oui, chacun de nous, Professeurs,
Présidents, Préfets de religion, d'études ou de discipline, Di-
recteurs, Supérieur, nous devons tous et avant tout nous ap-
pliquer scrupuleusement à exécuter et à faire exécuter le
règlement; tant celui qui nous concerne personnellement,
que le règlement général de la maison. »


Quant aux enfants, c'est à la lecture spirituelle que le
Supérieur devra leur lire le règlement général et le leur ex-
pliquer.


Cette explication du règlement est chose capitale : elle a
lieu deux fois par an ; dès la rentrée, et puis au milieu de
l'année, vers Pâques : et la nécessité de cette double explica-
tion se conçoit facilement.


Au commencement de l 'année, l'explication du règle-
ment en est comme la promulgation solennelle. Pendant un
mois au moins qu'elle dure, elle donne au Supérieur l'occa-
sion de saisir tout d'abord, et très-vivement, les élèves de la
grande idée de la règle. Il leur en inculque avec force, et
d'une manière ineffaçable, le respect, fait entrer profondé-
ment et pour toujours dans leur âme cette conviction, que la
règle est chose sacrée, inviolable ; que la règle est la reine
de la maison : de telle sorte que cette grande pensée du res-
pect de la règle, de l'empire de la règle, devient dominante




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE. 49


et forme immédiatement l'esprit de toute la communauté.
Le Supérieur ne doit pas craindre alors d'entrer dans les


moindres détails, avec un mélange de bonté et de fermeté,
qui, tout en présentant aux élèves la maison sousun aspect fa-
vorable, leur fasse entendre de suite que cette maison est un
lieu où l'on peut vivre très-content, très-heureux,mais à une
condition,unegrande,une seule, c'est qu'on observeralarègle.


Si le règlement a été bien expliqué au commencement de
l'année, l'impression du respect 'pour la règle ne s'effacera
pas de l'esprit des enfants; mais plus d'un détail du règle-
ment pourra s'oublier, et c'est pourquoi il est nécessaire d'en
faire une seconde et sommaire explication, vers la seconde
moitié de l'année, pendant une quinzaine de jours, afin d'en
renouveler la mémoire, et de confirmer les enfants dans
leurs premières impressions.


Du reste, cette explication du règlement, pour peu qu'elle
soit faite d'une manière vive et animée, intéresse extrême-
ment les enfants, par la raison très-simple qu'il y est tou-
jours question d'eux et de tout ce qui les touche personnelle-
ment de plus près.


De plus, dans le courant de l'année, très-souvent, le Supé-
rieur devra revenir sur ce point capital de la fidélité à la rè-
gle, du respect pour la règle ; et dans des allocutions prépa-
rées avec soin, ou quelquefois par de simples mots, subits,
inattendus, tombant tout à coup comme l'éclair, il en rap-
pellera, et en inculquera avec la plus grande vigueur }a par-
faite observation.


En un mot, un Supérieur doit se rappeler et rappeler sans
cesse à tout le monde qu'il est l'homme de la loi, l'homme
de la règle, chargé d'exécuter et de faire exécuter tous les
règlements. Il doit comprendre cela comme le porro unum
estnecessarium. Il doit avoir cela perpétuellement à l'esprit,
sur les lèvres et dans le cœur, de manière qu'on ne connaisse
que cela dans la maison.


É., m. 4




50 UV. I E R . — LE SUPÉRIEUR.


La règle, la règle toujours; LA RÈGLE POUR LES PROFESSEURS:
le Supérieur doit connaître à fond tous leurs divers règle-
ments : règlements des classes, règlements des études, etc.,
les lire, les rappeler sans cesse, les faire accomplir, et de
façon à ne pas admettre la moindre transaction.


Et dans ces moments où il examine, seul à seul avec Dieu,
dans le secret de sa conscience, comment il porte sa double
charge et remplit ses nombreux devoirs, il doit méditer très-
particulièrement, et noter avec soin tous les points des rè-
glements, sur lesquels il a fléchi et laissé fléchir ses collabo-
rateurs.


LA RÈGLE POUR LES ENFANTS : Je le répète, il faut que ce
grand mot ait sur eux un empire souverain, que ce seul mot
leur dise tout ;


Qu'ils soient bien convaincus qu'il faut, bon gré, mal gré,
observer la règle, qu'il n'y a pas moyen de se soustraire à la
règle,que la règle saura partout les poursuivre et les atteindre.


Tout Supérieur qui a la juste conscience de sa mission, de
l'autorité qui est en lui, et, je l'ajoute, de sa dignité person-
nelle, doit clairement leur faire entendre à tous qu'ils n'ont
été admis et ne demeurent dans sa maison qu'à certaines
conditions, au premier rang desquelles est la règle.


Ces conditions de leur séjour dans la maison, sont con-
nues ; c'est :


La religion,
Les mœurs,
Le travail,
Le respect des maîtres ;
Mais au-dessus de toutes, et les renfermant toutes, il faut


leur en montrer une, une seule :
La règle, le respect pour la règle.
« Je n'en demande pas d'autres, » doit sans cesse répéter


le Supérieur ; « je n'ai pas le droit d'en demander d'autres ;
règle dit tout. »




CH. IV. — L'HOMME DE LA. RÈGLE. SI


Mais elle doit être observée.
Et en effet, le mépris de la règle d'une maison, pour qui-


conque habite cette maison, c'est, selon la parole de Notre-
Seigneur, le renversement de cette maison même, non pas
des murs qui ne sont rien, mais des âmes, des consciences,
qui sont tout. Domus supra domum cadet.


Que le Supérieur, l'homme de la règle, fasse donc bien
sentir aux enfants, et qu'il le leur répète comme un axiome,
que le respect de la règle est la condition essentielle de leur
séjour dans la maison; qu'il peut leur sacrifier son repos,
son existence, mais qu'il n'a jamais le droit de leur sacrifier
la règle, parce que ce serait sacrifier le devoir.


Donc, le respect de la règle ;
Et d'abord, de la règle du travail : — Ils ne sont entres


dans la maison que pour cela ;
Leurs parents ne les y ont placés que pour cela ;
On trahirait leurs parents et eux-mêmes, si on leur lais-


sait violer la règle du travail.
Puis de la règle du silence :—Car il est évident qu'il n'y a


ni étude, ni ordre, ni religion, ni aucun respect fpossible,
sans le silence.


Le silence en classe,
En étude,
Dans les dortoirs ;
Le grand silence dans les dortoirs : le violer est un cas


exclusif.
Le silence aux exercices de piété,
A la chapelle,
A la salle des exercices ;
Le silence dans les passages ; partout, en un mot, où la


règle le commande.
• Si j'insiste autant sur le silence, c'est qu'il est la condition
même du travail, c'est-à-dire, de toute l'Éducation intellec-
tuelle et de la bonne conduite pendant dix heures par jour.




52 L1V. I e ' . — LE SUPÉRIEUR.


L'observation du silence répond presque de tout le reste.
Je ne regarde pas assurément comme un cas exclusif la


violation du silence par légèreté; mais il faut qu'un Supé-
rieur fasse bien comprendre aux enfants qu'à la longue,
la légèreté est coupable, et que la gravité de la faute
augmente avec l'âge, avec l'ancienneté dans la maison,
avec la classe où l'on est, avec la mauvaise volonté qu'on
y met.


Tout cela est du bon sens, et de la justice.
La violation de la règle avec mauvais esprit, avec obstina-


tion, malgré les avertissements des maîtres, malgré les
notes des professeurs ;


La violation avec scandale, troublant le silence de ma-
nière à troubler toute la communauté, toute une étude, toute
une classe : le règlement de toute maison dit expressément
que c'est là un cas exclusif; — et le bon sens le dit avant le
règlement.


Tout Supérieur, toute maison qui transige sur ce point,
est un Supérieur, une maison perdue.
" De même, profiter de l'absence d'un maître, d'un profes-
seur, d'un président d'étude, pour violer à plaisir la règle ;
abuser indignement de la confiance, lorsqu'on est quelque
part sur sa parole : nè tenir aucun compte ni de sa pa-
role, ni de son honneur, ce serait une condition de séjour
par trop dérisoire dans une maison : il faut bien faire en-
tendre aux enfants qu'on ne peut être ni dupe, ni complice
d'une telle chose.


m


Ce ferme langage doit être accompagné d'une conduite
non moins ferme : ce dont le Supérieur menace, il faut que
Jes enfants sachent bien qu'il le fera. Qu'il éloigne donc ré-
solument de la maison tous ceux, quels qu'ils soient, qui se




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE.


feraient remarquer par la violation grave ou persistante de
la règle ; surtout parmi les anciens et dans les classes élevées.
Pour moi, je ne tolérais jamais rien en ce genre de la part
des philosophes, ni des rhétoriciens. Le renvoi delà maison;
ou du moins la séparation, eût été immédiate.


Quand un Supérieur reçoit, par exemple, cent enfants
nouveaux, à une rentrée, comme cela m'est arrivé, il est
évident que sa conscience, son honneur, tout ce qu'il a de
plus délicat et de plus sacré dans l'âme, lui fait un devoir de
prémunir ces enfants, et de les protéger contre tout exemple
scandaleux.


Il y a certains moments dans l'année, certaines circonstan-
ces où le respect de la règle doit être plus fortement rappelé
soit à la communauté tout entière, soit à un certain nombre
d'enfants : c'est quand il se produit dans la maison quelque
désordre grave, quelque violation éclatante du règlement. Il
ne faut point passer là-dessus, ni dissimuler le scandale :
au contraire, il faut en prendre occasion de venger solennel-
lement la règle outragée, et de la relever immédiatement et
avec éclat dans le respect qui lui est dû. Que le Supérieur
alors tonne, terrifie : qu'on sente que les blessures de la règle
sont les siennes, et qu'il saura y porter remède ; que les
portes de la maison sont ouvertes, et que les contempteurs
de la règle doivent trembler. Qu'on voie le juge, sévère,
inflexible, prêt à frapper : qu'on sente cependant le père,
qui ne frappe qu'à regret, et ceux-là seulement qui s'obsti-
nent dans leur mauvaise volonté.


Qu'on me permette de placer ici un fragment d'allo-
cution prononcée par un Supérieur dans une de ces cir-
constances, et qui peut donner quelque idée du ton avec
lequel on doit alors parler :


« Je m'étais un moment flatté, mes enfants, de ne pas eu
renvoyer un seul.cette année ;


« Je veux l'espérer encore.




84 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


« Mais, s'il le faut, je saurai remplir mon devoir.
« Entendez-le bien tous : Je renverrai, sans pitié, quicon-


que ne veut pas ici respecter la règle.
« Nul contempteur de la règle ne peut rester ici. Nous


n'en avons nul besoin ; nous n'en voulons pas : qu'ils s'en
aillent ! Cette maison n'est pas faite pour eux.


« J'ai renvoyé, vous le savez, plusieurs enfants l'année der-
nière ; si j 'en avais renvoyé quelques-uns de plus, nous n'au-
rions pas eu les peines et les scandales que nous avons eus.


« Depuis que la charge de cette maison pèse sur moi, sans
doute j 'ai été, j 'ai dû être sévère pour les renvois : je le serai,
je dois l'être encore plus.


« Sachez-le bien, non-seulement ma conscience, mais ' la
prospérité de la maison me font un devoir d'être sévère :
je l'ai été, je le serai.


« C'est depuis que j 'ai pris le parti, après avoir épuisé tous
les moyens du zèle, de l'affection, du dévoûment, le parti
de renvoyer sans pitié de la maison ceux qui n'en sont pas
dignes, que la maison, grâce à Dieu, marche bien.


« S'il en était autrement, si la règle ici ne régnait pas en
souveraine, si la maison ne marchait pas dans la règle, il
vaudrait mille fois mieux fermer la porte.


« Il n'importe pas, sachez-le bien, que vous soyez nom-
breux ou non ; mais il importe que la règle soit observée, et
que vous soyez réguliers, sincères, obéissants.


« J'aime mieux cent élèves qui soient bons, reconnais-
sants, respectueux, que nous puissions former comme nous
l'entendons, pour la société, pour l'Église et pour Dieu, que
deux cents mauvais ou trois cents médiocres, dont nous ne
pourrions rien faire.


« Par la grâce de Dieu, nous n'en sommes pas là.
« Et il ne dépendra pas de quelques enfants sans raison,


et peut-être sans cœur, de nous y réduire. »
: Ce ferme langage, appuyé au besoin par quelques actes




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE. S5


éclatantsde sévérité, manque rarement de produire un grand
effet, et de relever vigoureusement l'empire de la règle.


Il y a des Supérieurs qui ne renvoient que pour des fautes
de mœurs. Une maison où l'on ne renvoie que pour des
fautes de mœurs est une maison qui ne tiendra pas : les
mœurs elles-mêmes y périront : car ce qui soutient les
mœurs, c'est la règle.


En fait de règle, d'ailleurs, il ne faut pas s'y tromper,
c'est tout ou rien. Les demi-exigences, les demi-sévérités
obtiennent peu, et irritent beaucoup. Mais la sévérité sage
et ferme obtient d'autant plus qu'elle exige p lus , parce
qu'elle n'exige que dans la sagesse et la justice.


Non-seulement c'est parjià qu'une maison marche, avec
une' discipline parfaite et une régularité admirable ; mais
c'est ce qui rend chacun content, ce qui donne à chacun sé-
curité et confiance. Au fond, nul n'est heureux que dans
l'ordre. Et c'est d'ailleurs quand tout est dans l'ordre, qu'on
peut faire sentir aux enfants une bonté et une affection qui
les charment. Alors tout se fait comme tout doit se faire, et
avec joie : à Finstant, à la minute, au signal, au coup de
cloche, tout obéit, tout se range, tout se meut : ces deux
cents, ces trois cents enfants marchent comme un seul
homme ; Tanquam vir unus, dit l'Écriture. Telle est la beauté
de l'ordre, et la puissance de la règle.


IV


J'ai nommé tout à l'heure la cloche : c'est une grande puis-
sance dans une maison d'Éducation. C'est la puissance
de la règle même : c'est la voix même du grand roi, du maî-
tre souverain : Vox magm régis. Les enfants doivent avoir
de la cloche, comme de la règle, une grande idée, un grand
respect, le respect religieux de la cloche, comme le respect
religieux de la règle.




56 LIV. I e r . — L E SUPÉRIEUR.


Il y a des maisons où la cloche est au petit service de
chacun, et il en résulte des] confusions étranges. Non, la
cloche n'appartient à aucun particulier, quel qu'il soit. La
cloche, et il faut que cela demeure bien entendu, n'est ni h
Mgr l'Évoque, ni au Supérieur, ni à ces Messieurs : elle
n'est au service que de Dieu et de la communauté.


Aussi, quand elle se fait entendre, quand elle ordonne, il
faut que tout se taise et obéisse à cette voix.Vn silence absolu
doit s'établir à l'instant même ; les jeux finissent; les rangs se
forment, les bras se croisent. — Une parole commencée, on
nç la finit pas : on s'arrête, àl'instant. — A l'élude, une lettre
à demi formée, on ne l'achève pas ;


La classe, l'étude, la récréation, tout doit cessera l'instant
même ; non pas à la minute, mais à la seconde; et quiconque
voit ce spectacle de régularité, en est charmé.


Rien ne fait plus plaisir à voir, rien ne donne plus l'idée
de la beauté de l'ordre, de la puissance de la règle, de la
dignité de l'obéissance, qu'une communauté tout entière de
deux cents, trois cents enfants, ainsi assouplis et dociles;
s'arrêtanl, à l'instant même, au milieu de la plus grande
effervescence de leurs jeux; prenant de suite, avec ordre et
promptitude, leurs rangs ; s'avançant, .les bras croisés, en
silence, vers l'étude. Un étranger qui passe et qui voit cela,
n'a pas besoin d'en voir davantage, pour être sûr que, dans
une maison ainsi façonnée au respect de la règle, il y a le res-
pect de toutes choses, et que l'Éducation fait là son œuvre.


Et qu'on l'entende bien : ce n'est pas là l'obéissance en
quelque sorte automatique et machinale d'êtres inintelli-
gents ou légers, qui ne se rendent pas compte de ce qu'ils
font : non, l'obéissance qu'on obtient ainsi des enfants est
une obéissance éclairée, spontanée, généreuse, qui com-
prend le but, qui le veut, qui a conscience des nobles et
grands motifs dont elle s'inspire. La raison, la foi, l'hon-
neur, le devoir, voilà ce qui, aux yeux d'un enfant vérita-




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE. 57


blernent obéissant, consacre l'obéissance. Il sait que la règle,
c'est le devoir. La voix de la cloche, il sait que c'est la voix


' de Dieu. Vox Dei.


V


Voilà l'esprit qu'il faut mettre dans une maison par l'in-
fluence de la religion et de la foi, mais aussi par une fermeté
de gouvernement sage et constante. Et cette fermeté est
bien nécessaire; car la règle s'impose à tout et à tous; et
c'est pourquoi, je l'ai déjà dit, de tous côtés, de façon ou
d'autre, volontairement ou involontairement, tous cons-
pirent contre la règle, et il surgit sans cesse, pour peu qu'on
s'y prête, mille raisons d'échapper à la règle, mille motifs
d'exception. Mais la règle, l'obéissance est ruinée, si le
Supérieur, si l'homme de la règle, entre dans la voie des
exceptions. Pas d'exceptions, si ce n'est celles prévues par
la règle, ou exigées par une impérieuse et évidente né-
cessité. Une exception est une porte ouverte ; tout le monde
y passera. On peut quelquefois ne pas apercevoir les consé-
quences, mais toujours il y en a; et un Supérieur expéri-
menté ne l'ignore pas. Malgré tous les prétextes plus ou
moins plausibles allégués en faveur de l'exception sollicitée,
il faut maintenir la règle, sous peine de poser un précédent
qui aura, quelque insignifiant qu'il paraisse, des suites
funestes, parce qu'il fait brèche à la loi.


« Le Supérieur prévoyant, dit Bossuet, prend garde aux
« petites choses, parce qu'il voit que de celles-là dépendent
« les grandes,» ou plutôt, en cette matière, il n'y a pas de
petites choses, de minuties, comme disent quelquefois avec
légèreté ceux qui n'ont jamais compris ce que c'est qu'un
homme de règle et une maison réglée : c'est de ces minu-
ties-là, qu'on le sache bien, qu'il est dit, dans l'Écriture :




58 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


« Qui méprise les petites choses, tombera peu à peu. » (Ec-
cli. xix, 1.)


« Que les particuliers, dit encore Bossuet, aient des -vues
« courtes, cela peut être supportable. Le Supérieur doittou-
« jours regarder au loin. »


Les maîtres eux-mêmes quelquefois, les parents presque
toujours, ne comprennent pas bien ces choses, et avec ces
derniers, le Supérieur doit avoir souvent de grandes luttes
à soutenir, à certaines époques de Tannée en particulier, par
exemple au premier de l'an. Dans ces cas, il doit se retran-
cher inflexiblement dans la règle, et ne pas sortir de la. Les
parents souvent sont aveugles : il faut être sages pour eux.
Une seule condescendance contre la règle, une seule sortie
par exemple gâte quelquefois pour plusieurs mois l'ouvrage
de l'Éducation tout entière ; il faut souvent plusieurs jours
à ces pauvres enfants, et quelquefois même plusieurs se-
maines, pour se remettre de la dissipation d'un seul jour.


Je ne saurais plaindre assez, dirai-je assez blâmer, les
chefs de maisons d'Éducation qui ne savent pas résister
fortement à ces tristes entraînements de la faiblesse pater-
nelle et maternelle. Heureux les instituteurs, que la faiblesse
des parents ne condamne pas ici à des condescendances fu-
nestes aux enfants !


Pas n'est besoin du reste pour cette résistance de beau-
coup de paroles et de bavardage, si on me permet le mot :
il faut avoir sur tout cela un langage si net et si court, que
l'idée de discuter et épiloguer avec vous ne vienne à per-
sonne : tel doit être l'homme de la règle. A toutes les de-
mandes qui vous sont faites répondez donc par trois lignes
stéréotypées ; et trois mots vaudront mieux encore que trois
lignes : la règle le défend : c'est contre la règle. Toutes les
hésitations en choses semblables sont déplorables ; et puis
on répondrait à toutes vos raisons : à celle-là il n'y a rien à ré-
pondre, et vous coupez court d'un seul mot à tous les discours.




CH. IV. — L'HOMME DE LA RÈGLE. 59


S'il y a, ce qui est extrêmement rare, un motif sérieux
d'exception*, consultez au besoin vos collaborateurs : la dis-
pense ainsi donnée, après votre conseil entendu, écarte tout
soupçon d'arbitraire, et sauve le.principe de la souveraineté
du règlement.


Que si, ce qui à la rigueur est possible encore, c'est la rè-
gle même, un point de la règle, qu'il soit nécessaire de mo-
difier, ici abstenez-vous d'agir par vous-même, et placez sous
le couvert de l'autorité supérieure, sous la responsabilité
même del'Évêque, un acte de telle conséquence.


Il faut bien réfléchir avant de porter la main sur un
point quelconque d'une règle. Ordinairement, ce qui a été
fait à l'origine est bien fait. Et on court risque d'ébranler
la règle tout entière, quand on y touche par quelque endroit.


En général, dit Bossuet, les lois ne sont pas lois, si elles
n'ont quelque chose d'inviolable : de là vient ce sage atta-
chement des bonnes maisons à leurs règles, qui sont leurs
lois.


N'oubliez jamais que vous êtes le gardien de la lo i ,
l'homme de la règle, et que vous ne devez jamais permettre
qu'on y porte atteinte, et qu'elle soit déchirée entre vos
mains.


Sachez-le bien aussi, quand la règle est violée dans une
maison, quand on peut s'y mettre au-dessus d'elle, quand on
y fait brèche par quelque endroit, tout le monde souffre et
tout le monde est mécontent.


Voilà l'erreur des gens faibles : ils croient faire plaisir en
fléchissant sur la règle, et bientôt ils s'aperçoivent qu'ils
n'ont produit que le malaise et le mécontentement.


Les enfants eux-mêmes, je l'ai dit, je le répète, ne se plai-
sent dans une maison que quand tout y demeure dans l'ordre,
et qu'ils y demeurent eux-mêmes : il n'y a ni pour eux, ni
pour d'autres, de contentement, d'aise, de paix, de bon es-
prit, comme il n'y a d'ordre, que par la règle.




60 LIV. 1 E R . — LE SUPÉRIEUR.


CHAPITRE V


Des Conseils et de leur nécessité.


L'UDin iL DES COJSEIIF,


Mais la loi, ni des règlements, si parfaits qu'ils soient, ne
suffisent point : ce qu'il faut, c'est qu'ils soient exécutés. Or,
pour les exécuter, avant tout il faut les bien comprendre, en
bien saisir le sens, l'esprit, la portée, les applications. Il faut
donc que la loi et les règlements soient interprétés. Mais
quel en est l'interprète autorisé? C'est le Supérieur. Et par
quels moyens pourra-t-il donner cette interprétation des
règlements, et en pénétrer profondément tous les maîtres ?
Par le moyen des conférences et des conseils.


Or, pour atteindre toute l'action et la vie d'un maître dans
une maison d'Éducation, les conseils comme les règlements


Ce peuple, dit l'Écriture, n'est pas un peuple, parce qu'il a
changé et violé ses lois : non est yens, quia mutavitjus. De
même une maison où ne règne pas la règle, n'est bientôt plus
une maison, mais une ruine.


Rien n'y est à sa place, tout s'en va, tout tombe, tout périt :
il n'y reste pas pierre sur pierre, et pourquoi? Parce que la
règle a été violée, déchirée : lacerata est lex.


• C'est assez, je dois conclure : il faut dans une maison une
règle respectée, obéie, inviolable.


L'homme spécialement chargé de la défendre, de la gar-
der, d'en maintenir sur tous l'empire, l'homme qui] doit
être par excellence l'homme de la règle, c'est le Supérieur.




CH. V. — L'HOMME DES CONSEILS. 61


se rapportent nécessairement à cinq choses : à la discipline,
à la piété, à l'enseignement, aux soins de l'Éducation phy-
sique, et enfin à la vie personnelle, religieuse et littéraire,
des maîtres; c'est pourquoi il est indispensable que dans
une maison d'Éducation, un Supérieur institue des confé-
rences spirituelles et des conférences littéraires, dans l'inté-
rêt spécial des maîtres ; et surtout tienne des conseils, de
grandes conférences administratives, où se traite de tout ce
qui intéresse les enfants.


Ces conseils sont, dans la grande question qui nous oc-
cupe, un point capital : J'en traiterai donc ici à fond : on ne
saurait trop insister sur une matière de cette importance.


Je vais exposer d'abord les graves raisons qui dé-
montrent la nécessité absolue des conseils : je dirai ensuite
quelles sortes de conseils se doivent tenir dans une maison
d'Éducation ; et enfin quel en doit être l'ordre, l'objet et la
fréquence.


1


1 ° Et d'abord, en général, les conseils sont nécessaires là
où l'on veut gouverner avec sagesse.


Nul homme ne peut se fier à ses seules lumières ; car nul
homme ne peut tout savoir, ni tout voir.


Aussi, rien n'est plus souvent répété ni plus fortement in-
culqué par l'Esprit de Dieu, que la nécessité pour tout homme
sensé, et spécialement pour tout Supérieur, de prendre con-
seil.


C'est ici surtout que les paroles des saintes Écritures doi-
vent être méditées par un Supérieur sage et humble;


FUI, sine consilio nihil facias, et post factumnon po&nv-
tebis. (Prov., xxxu,24.)


« Mon fils, ne faites rien sans prendre conseil, et, de la sorte,
•< après l'action, vous n'aurez pas lieu de vous repentir. »




62 L1V. I " . — LE SUPÉRIEUR.


Ante omniaopera, verbum ver ax prœcedat te, et anteomnem
actum, consilium stabile. (Prov., xxxvi, 17.)


« Qu'avant toute entreprise, une parole vraie vous précède;
« et avant toute action, un conseil solide. »


Le fou qui se confie dans sa folie, et le présomptueux qui
ne trouve bon que ce qu'il pense, est défini par ces paroles
du sage :


Via stulti recta in octilis ejus : qui autem sapiens est audit
consilia. (Prov., xii, 4 5 . )


« La voie de l'insensé paraît droite à ses yeux'; il croit tou-
« jours avoir raison ; mais le sage écoute les conseils. »


« Le fou n'écoute pas les discours prudents ; il faut lui
« parler selon sa pensée. »


Non recipit stultus verba prudentiœ. (Prov., xvm, 2.)
« Ne soyez point sage en vous-même. »
Ne sis sapiens apud temetipsum. (Prov., m, 7.)
Ne croyez pas que vos yeux vous suffisent pour tout


voir.
Qui agunt omnia cum consilio,reguntur sapientia. (Prov.,


xm, 4 0 . )
« Ceux qui font tout avec conseil, sont guidés par la sa-


. « gesse. »
Les saintes Écritures nous révèlent encore quelle force les


bons conseils donnent à un gouvernement.
Dissipantur cogitationes, ubi non est consilium : ubi vero


suntplures consiliarii, confirmantur. (Prov., xv, 22.)
« Les pensées sont dissipées, là où n'est pas le conseil ;


« elles sont affermies, là où sont plusieurs conseillers. »
Ubi non est gubernator, populus corruet : sains autem ubi


multa consilia. (Prov., xi, 4 4.)
« Là où n'estpas un homme qui gouverne, le peuple périra :


« mais le salut est là où sont beaucoup de conseils. »
Cogitationes consiliis roborantur. (Prov., xx, 18.)
« Les pensées puisent leur force dans les conseils. »




CH. V . — L'HOMME DES CONSEILS. 63


Je le dirai donc volontiers avec l'Esprit-Saint, à un Supé-
rieur qui comprend tout à la fois sa faiblesse et ses devoirs :
. Cor boni constiti statue tecum : non est enim Ubi aliud


pluris ilio.
« Établissez près de vous un homme de bon conseil : rien


« pour vous ne sera plus précieux. »
Anima viri sensati enuntiat aliquando vera, quam septem


circumspectores sedentes in excelso adspeculandum.
« L'âme d'un homme sensé énonce quelquefois plus de vé-


« rite, que sept sentinelles qui se tiennent sur les hauteurs
« pour regarder au loin. »


Et in his omnibus deprecare Altissimuin, ut dirigat inve-
ntate viam tuam. (Prov., xxxvi, 1 8 , 1 9 , 2 0 . )


« Et dans tout cela, priez le Très-Haut pour qu'il guide vos
« pas dans la vérité. »


2° Indépendamment de cette raison générale, les conseils
sont nécessaires dans une maison d'Education pour plusieurs
raisons spéciales d'un très-grand poids.


Et d'abord, à cause de la nature même de l'œuvre qui s'y
fait. Dans une grande maison d'Éducation, les détails de
toute sorte sont innombrables, presque toujours très-déli-
cats, et de grave conséquence : ce sont toujours, qu'on
veuille bien le remarquer, des détails personnels, intéres-
sant la personne des enfants ou des maîtres;-, les détails ma~
tériels même, qui sont si nombreux, intéressent toujours les
personnes, et le plus souvent au plus haut degré, et de la
façon la plus vive.


Jamais donc un Supérieur, jamais des maîtres ne s'éclaire-
ront trop les uns les autres, ne connaîtront trop de'choses
dans l'intérêt des enfants qu'ils gouvernent, et de l'œuvre
qu'ils font : rien ici ne peut être indifférent.


L'ignorance, la méprise, la négligence, n'est permise nulle
part dans une maison d'Éducation.




04 LIV. l" r . — LE SUPÉRIEUR.


Et voilà pourquoi un Supérieur doit penser à tout ;
Oui : le grand mérite d'un Supérieur, son mérite néces-


saire, c'est simplement de penser à tout.
Tout ce à quoi il ne pense pas, souffre nécessairement.


C'est une sollicitude perpétuelle, universelle, accablante. Il
faut penser à tout, et comme je l'ai dit ailleurs, à tout, depuis
le cordon de la chaussure d'un enfant, jusqu'à son âme, jus-
qu'à sa vocation et son salut éternel.


Mais certes on comprend aussi qu'une telle sollicitude, un
tel gouvernement ne puisse se passer de lumières et de con-
seils.


Sans aucun doute, le Supérieur qui a la responsabilité a
l'autorité, et c'est lui qui doit décider ; mais s'il décide sans
lumière, il décidera mal : et il décidera sans lumière, s'il
décide sans conseil.


Quand un Supérieur peut se rendre, et avec vérité, le
témoignage qu'il a tout fait pour s'éclairer, qu'il a con-
sulté tous ceux qui pouvaient lui apporter une lumière,
qu'il a recueilli toutes les idées justes, qu'il a par devers lui
toute l'expérience des hommes qui l'entourent : après
qu'il a ainsi regardé tous les côtés d'une question, et for-
tifié son esprit par celui de tous, il peut décider : ses ré-
flexions alors ne se perdent pas dans le vide, ne s'égai'ent
pas hors de la chose même, et sa décision est d'autant plus
sûre qu'elle est sérieusement mûrie et vraiment éclairée :
il n'est plus flottant, incertain; il est ferme, et au besoin
immuable.


3° Les conseils sont nécessaires dans une maison d'Édu-
cation pour un autre motif très-grave encore :


Là oùl'on demande un grand dévoûmentà une action com-
mune, il faut que l'entente, la bonne intelligence, soit com-
mune aussi ; que tous ceux qui se dévouent aient la conso-
lation de bien savoir à quoi ils se dévouent, comment et




CH. V. — L'HOMME DES CONSEILS. 65


pourquoi. S'ils n'ont pas le droit rigoureux d'être consultés,
ils y trouvent au moins un sensible encouragement : ils sen-
tent par là que leur dévoûment est véritablement estimé; ils
voient qu'on tient quelque compte de leurs pensées, de leurs
observations, de leurs expériences, de leurs avertisse-
ments.


Avec combien plus de zèle se dévoueront-ils à l'action
commune, quand ils auront ainsi contribué à la décider, à"
l'éclairer, à la régler !


Quel intérêt veut-on que des hommes mettent à une œuvre
de zèle et d'intelligence où ils ne feraient qu'exécuter ma-
chinalement des ordres, sans avoir reçu dans un conseil
commun, pour l'accomplissement de l'œuvre, un témoignage
d'estime et de confiance, et les lumières mêmes dont ils ont
besoin?


Le gouvernement militaire connaît lui-même la nécessité
des conseils.


Toutefois, il y a une chose qu'il ne faut pas oublier de dire
ici : Il est évident que chaque membre du conseil doit bien
comprendre qu'il n'est là qu'un simple conseiller, et non le
maître de la décision : chacun conseille, et le Supérieur,
qui a la responsabilité, décide.


Tout Supérieur qui redoute le conseil, et craint d'y laisser
défaillir son autorité, est trop faible d'esprit ou de caractère :
s'il ne se fortifie pas, il faut qu'il quitte l'œuvre, ou elle souf-
frira jusqu'à périr peut-être.


Si c'est par leur faute que les conseillers sont redoutables,
au lieu d'être secourables, ce sont eux qu'il faut changer.


4° Une autre raison très-forte, qui démontre la nécessité
des conseils réguliers dans une maison d'Éducation, est
celle-ci :


Toute communauté doit avoir un ESPRIT, un caractère, une
direction propre. Cet ESPRIT, ce caractère distinctif, cette di-




6G LIV. I E R . — LE SUPÉRIEUR.


rection peut varier sans doute, selon les temps, les lieux, les
personnes, et toutefois être bon, malgré ses variétés, et pro-
duire des résultats équivalents.


La raison en est que les méthodes d'instruction, d'Édu-
cation même, ne sont pas toujours absolues, mais très-sou-
vent relatives. Il peut donc, il doit y avoir des moyens,
des systèmes divers, soit d'enseignement, soit de discipline,
Soit d'émulation, etc.


Mais dans la même maison, il est manifeste qu'il ne doit
y avoir qu'un esprit, qu'une direction : cette unité est la con-
dition essentielle du bien à y faire. Cette unité de direc-
tion, ce caractère distinctif est imprimé par le fondateur de
l'établissement, et maintenu par le Supérieur.


Lorsqu'un Petit Séminaire, ou une maison d'Éducation
chrétienne, est entièrement sous la direction d'une congré-
gation religieuse, l'unité s'y conserve plus facilement d'elle-
même. Mais là où les' maîtres arrivent de divers côtés, et
viennent se dévouer à l'œuvre, sans avoir un même esprit,
le plus souvent n'en ayant aucun bien marqué, ou chacun
ayant le sien, selon son éducation, et la trempe de son carac-
tère ou de son intelligence ; il peut se rencontrer dans cette
diversité de graves inconvénients: chaque nouveau person-
nage, appelé à l'œuvre, aura sa manière de voir et d'agir, de
comprendre et de conduire les élèves. Ce qui serait bon
ailleurs pourrait être ici une divergence très-fâcheuse,
devenir un vrai désordre, et tout [déconcerter.
~ Il importe donc que tout nouveau maître, en entrant, ap-
prenne bien tout d'abord quel est I'ESPRIT de la maison, et
qu'il y accommode ses pensées, son langage, ses procédés.
Tous l'apprendront sans doute, cet esprit, par l'étude des
règlements, mais cela se fera bien plus sûrement encore par
l'interprétation des règlements dans les CONSEILS que le Su-
périeur préside, et par les explications que la pratique de
chaque jour y rend constamment nécessaires.




CH. V. — L'HOMME DES CONSEILS. 67


C'est là, en effet, que le Supérieur révèle chaque jour ses
vues, ses plans* ses observations de tout genre, sur tout et
sur tous : c'est là aussi que les plus anciens font connaître
les résultats de leur expérience ; là que toutes les idées
particulières s'éclairent les unes les autres, et se fondent
en un ESPRIT commun et unique; là enfin que tous repren-
nent courage, lumière, décision, résolution pratique.


J'ai toujours vu nos Messieurs sortir de nos conseils, au
Petit Séminaire de Paris, fortifiés, éclairés, animés de toute
manière : mais pour cela, il faut que les conseils soient bien
faits, tenus régulièrement, et assez fréquents.


II
Pour une autre raison encore les conseils sont néces-


saires ; à savoir, pour faire connaître à.chacun ses qualités
et ses défauts.


La sagesse antique avait exprimé une grande sentence par
ces simples paroles : Connais-toi toi-même.


Rien n'est plus important, mais rien n'est plus rare.
Le plus souvent, ce que nous connaissons le moins, c'est


nous-mêmes : des gens, d'ailleurs très-perspicaces, sont sou-
vent sur eux-mêmes d'un étrange aveuglement. La vérité
est que les autres en savent ordinairement sur nous beau-
coup plus que nous; ou, du moins, nous ignorons sur nous
bien des choses qui n'échappent point aux autres.


Le plus grand service qu'on puisse rendre à quelqu'un,
comme aussi la plus grande marque d'estime qu'on puisse
lui donner, c'est de l'avertir, de l'éclairer sur lui-même :
pour un Supérieur, c'est là un devoir impérieux, que le
bien de sa maison lui prescrit non moins que la charité.
Mais, par une corrélation nécessaire, à. ce devoir d'avertir,
pour un Supérieur, correspond dans l'inférieur le devoir
d'être docile. C'est la marque d'un bien médiocre esprit de




68 L1V. I " . — LE SUPÉRIEUR.


ne pouvoir supporter l'avertissement, même le reproche :
un bon esprit est heureux et reconnaissant d'être repris.
Beatus vir qui suffert increpationes, dit l'Écriture.


Comment ne pas sentir qu'on doit se laisser instruire sur
tout ce que l'on ignore, mais surtout sur ses défauts, et, je
dois l'ajouter, aussi sur ses qualités?


Car, qu'on veuille bien le remarquer, je ne parle pas seu-
lement des défauts, je parle aussi des qualités.


Nous ignorons quelquefois nos vraies qualités, nos qualités
solides, celles qui font notre réelle valeur, et par lesquelles
nous pouvons le bien. Il importe beaucoup que nous soyons
avertis sur ces qualités, non certes pour une vaine satisfac-
tion d 'amour-propre, mais pour un salutaire encourage-
ment ; afin que nous les prenions par le côté sérieux, que
nous nous appliquions à les cultiver, à les développer
heureusement.


Tout homme ne peut pas toute chose, il y a longtemps
qu'on l'a dit : Non omniapossumus omnes_; mais tout homme
peut quelque chose : le grand point est de faire ce qu'on
peut, d'employer ce que l'on a, de ne point perdre son
temps et sa peine à ce pour quoi on n'est point fait, d'appli-
quer toutes ses forces aux choses dont on est vraiment capa-
ble. C'est quelquefois transformer un homme que de le
révéler lui-même à lui-même, de lui montrer les facultés
qui sommeillent en lui, et qu'il n'exerce pas, parce qu'il
les ignore ; tandis qu'informé, il les mettra en œuvre avec
succès, et les élèvera peut-être à toute leur puissance.
Voilà ce qu'un Supérieur doit aux hommes qui travaillent
avec lui : et nul ne peut calculer les effets qu'aura quel-
quefois sur tout l'avenir d'un jeune professeur, d'un jeune
prêtre, un avertissement de cette nature.


On a grand besoin aussi d'être averti sur ses défauts, pour
les combattre et les corriger.


Le pauvre amour-propre humain est particulièrement in-




CH. V. — L'HOMME DES CONSEILS. 69


gônieux à se faire illusion sur ce point ; et on s'abuse quel-
quefois de telle sorte, que souvent on est le seul à ne pas voir
en soi des défauts qui frappent cependant tous les yeux.


Or, dans l'œuvre de l'Éducation, rien n'est plus redou-
table que les défauts des; hommes chargés de cette œuvre.


II suffit quelquefois dans un homme" d'un seul défaut de
caractère, d'un seul travers d'esprit, pour rendre inutiles
les plus grands talents. *-


Les maîtres doivent être bien convaincus d'ailleurs que
les défauts qui leur échappent à eux-mêmes n'échappent pas
longtemps à leurs élèves, et que les enfants sont sur ce point
d'une perspicacité étonnante. Fénelon l'a dit avec raison:
« D'ordinaire, ceux qui gouvernent les enfants ne leur par-
« donnent rien et se pardonnenttoutà eux-mêmes. Cela excite
« dans les enfants un esprit de critique et de malignité ;
« de façon que, quand ils ont vu faire quelque faute à la
« personne qui les gouverne, ils en sont ravis, et ne cher-
« chent qu'à la mépriser. »


Ce que vous avez donc de meilleur et de plus pressé à faire, 4
c'est de connaître vous-même vos défauts aussi bien que
l'enfant les connaîtra bientôt, et de vous en faire avertir.


Mais il y a des défauts sur lesquels on ne veut rien en-
tendre : tels sont les défauts d'esprit. On est intraitable sur
ces défauts-là, plus que sur ceux du caractère. Par exemple,
on supportera de s'entendre dire qu'on est dur, violent, pas
très-sensible. Mais si le jugement est attaqué, si l'on dit
qu'il est faible et borné, que l'esprit est étroit, la conception
lente, le raisonnement faux, on s'irrite. C'est pourquoi on
ne trouve jamais personne qui vous dise sur ce point la
moindre vérité.


Le confesseur n'en parle pas : ce ne sont pas des péchés.
Les amis n'osent point : c'est trop délicat.


Et ainsi, on va, traînant avec soi des défauts qtfon ignore,
et qui n'en sont par là que plus funestes.




70 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


Car se bien connaître, se bien juger sur ces points déli-
cats, c'est précisément ce qui décidera de tout dans l'œuvre
de l'Éducation dont on est chargé.


Il en est de même dans les affaires, dans la vie , en
toutes choses.


Voici par exemple un homme, ayant moins d'intelli-
gence et de jugement que de caractère et de volonté ; po-
sitif dans la détermination, mais à faux, et cependant prê-
somptueux^En voici nn autre, au contraire, ayant le sens
spéculatif juste, et le sens pratique faux, entendant très-
bien les principes, médiocrement les affaires. A l'un je dirai :
ne décidez pas, écoutez ; à l'autre : ne gouvernez pas, n'exé-
cutez pas ; écrivez, faites un livre.


Je n'hésite pas à dire que c'est pour tout qu'un jeune maî-
tre a besoin d'être conseillé et averti, et d'aller le premier
au-devant de l'avertissement et du conseil : pour lui-même
et pour les autres ; pour ses élèves, ses pénitents, son en-
seignement, sa prédication.


& Parmi les choses qui m'étonnent et m'attristent en ce
monde, rien ne m'étonne et ne m'attriste plus que la pré-
somption qui ne demande jamais conseil, qui ne croit même
pas avoir besoin de consulter, surtout dans l'œuvre de l'Édu-
cation et du gouvernement des âmes.


Mais nulle âme, nul enfant ne se ressemble ; nul ne peut
être pris absolument comme un autre. Il y a telles natures
qui exigent des délicatesses toutes spéciales, tels caractères
qu'il faut ménager, tels autres qu'il faut dompter de vive
force : ce sont des nuances qu'on ne méconnaît pas impu-
nément en Éducation, et qu'on n'observe jamais, si l'on ne
connaît pas à fond les enfants.


Un seul enfant que l'on confesse est un monde de passions
et de difficultés : qu'est-ce donc que trente ou quarante ? Et
vous croiriez n'avoir aucun besoin de renseignements sur
la nature de ces enfants ! Et vous penseriez que vos confrères




CH. v. — L'HOMME DES CONSEILS. 7 1


qui les voient autre part ou plus que vous, ne peuvent vous
apporter aucune lumière ! Ce n'est pas tant d'ailleurs pour
les cas de conscience des enfants qu'il est nécessaire de con-
sulter, mais bien pour leurs caractères et la manière de les
traiter, de les atteindre, de les changer.


Et les classes, et l'enseignement, combien de fautes on y
peut commettre ! combien de devoirs on y doit remplir, et
que de manières de s'y tromper, de bien ou mal faire ! par
conséquenjpquel besoin de consulter, d'être conseillé !


TJne rhétorique, une seconde ne se gouvernent pas comme
une sixième ou une septième : on ne traite pas de jeunes
esprits pleins d'ardeur comme de tout petits enfants ; une
classe de grammaire ne se professe pas comme une classe
d'humanités.


Que de clarté, de simplicité, de précision, de répétitions,
de patience ne faut-il pas avec de tout jeunes élèves dans
les classes élémentaires ! C'est à ne le pas soupçonner, si on
n'«n a fait l'expérience. Que d'aliments à donner à l'activité,
à l'ardeur des jeunes gens dans les classes de littérature !
Des hommes tels que Bossuet et Fênelon y auraient trouvé
la juste et convenable application de leur esprit : et vous
vous croiriez tellement maîtres en ces matières, que vous ne
demanderiez aucun conseil, et n'accepteriez aucun avertis-
sement !


Enfin, pour vos prédications, pour vos catéchismes, vous
avez encore le plus grand besoin de consulter, d'être averti.
Avant, après, sur le fond, sur le style, sur le débit, vous
avez besoin d'observations et de conseils. Ne vous fiez sur
rien à vous-même : en toute chose, recourez à vos amis, si
vous en avez d'assez dévoués et d'assez sincères pour oser
vous dire la vérité.


Eh bien ! c'est au Supérieur surtout à savoir dire la
vérité, et c'est dans les conseils qu'il la dira le plus utile-
ment.




72 LIV. 1 E R . — LE SUPÉRIEUR.


Les conseils bien tenus sont une admirable école, où les
professeurs apprendront sur eux-mêmes une foule de
choses importantes, essentielles, qu'ils ne peuvent ap-
prendre que là.


Car il est question de tout dans ces conseils : discipline, en-
seignement, prédication, piété, travail, bonne tenue, études,
récréations, promenades et sorties ; en un mot, tout ce qui
concerne les élèves et les maîtres est matière du conseil :
tout y est examiné et pris en quelque sorte sur le fait.


Rien à la longue n'apporte plus de révélations sur les dé-
fauts et les qualités de chaque professeur, sur ses ressources
comme sur ses faiblesses, sur son inexpérience comme sur
ses lumières, sur sa mollesse ou sur sa fermeté, sur sa
tiédeur ou sur son zèle. Rien non plus ne sert mieux à faire
connaître les enfants, leurs défauts, leurs qualités, les
moyens de les prendre, pour venir à bout des difficultés qui
surgissent chaque jour et à chaque instant. En un mot,
rien n'est plus utile pour former des hommes pratiques.


J'insiste sur ce point, en terminant : car, comme on pèche
toujours en beaucoup de choses, in multis offendimus omnes,
et que nous avons toujours à apprendre et à -profiter, nous
ne saurions trop franchement, tous tant que nous sommes,
mettre de côté toute vaine susceptibilité, tout puéril amour-
propre, et consentir à tout entendre avec simplicité et do-
cilité, je dirai plus, avec reconnaissance.


Parmi toutes les variétés de l'orgueil, il y a l'orgueil pro-
fessoral , bien subtil, bien redoutable. On se croit secrète-
tement supérieur à tous pour sa classe ; on repousse tout
avis ; on tient en haute et singulière estime ses lumières.


L'humilité chrétienne [est seule un vrai secours contre
cette faiblesse ; et nul d'ailleurs, Supérieur, Professeur, Di-
recteur, ne doit oublier que ses défauts naturels ne l'excuse-
ront devant Dieu, que s'il a fait tout ce qu'il a pu pour les
connaître et les corriger.




CH. V . — L'HOMME DES CONSEILS. 73


« Connaître ses défauts est une grande science, dit Bossuet;
« mais qui a cette science ? qui connaît ses faiblesses ! » dit
le Psalmiste. « Il faut donc avoir quelque ami fidèle qui vous
les montre, » continue Bossuet. L'homme qui peut souffrir
qu'on le reprenne est vraiment maître de lui-même, selon
cette parole : « Celui qui méprise l'avertissement, méprise
« son âme ; mais celui qui acquiesce aux répréhensions et
« aux conseils, deviendra bientôt maître de son cœur. »
(Prov., xv, 32.)


I I I


Mais si les conseils ont de si grands avantages pour les
maîtres, ils n'en ont pas moins pour le Supérieur.


D'abord, lui aussi a le plus grand besoin d'être éclairé sur
ses fautes et sur ses défauts, et les conseils lui apportent à
lui-même cette lumière, et il ne faut pas qu'il y répugne.


Le sage, dit Bossuet, regarde tous ceux qui lui décou-
vrent ses fautes avec prudence et convenance, comme des
hommes envoyés de Dieu pour l'éclairer. Il ne faut point
avoir égard aux conditions : la vérité conserve toujours
son autorité naturelle, dans quelque bouche qu'elle soit.
« L'homme prudent ne murmure pas étant averti. » (Ec-
cli., x, 28.)


Ce serait dans un Supérieur un caractère de folie, que
d'adorer toutes ses pensées, de croire être sans défauts, et de
ne pouvoir souffrir d'en être informé.


Le sage dit au contraire : « Qui donnera un coup de fouet
« à mes pensées, et une sage instruction à mon cœur, afin
« que je ne m'épargne pas moi-même, et que je connaisse
« mes faiblesses, de peur que mes ignorances et mes fautes
« se multiplient, et que je ne donne de la joie à mes enne-
« mis, qui me verront tomber à leurs pieds ? »


Soit au'conseil, soit ailleurs, heureux le Supérieur vérita-




74 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


blement humble et véritablement désireux du bien, qui
trouve des collaborateurs assez dévoués pour lui faire, avec
tout le respect convenable, mais toute la sincérité néces-
saire, leurs observations consciencieuses sur lui-même.


Lorsque, dans une maison d'Éducation, il régne entre le
Supérieur et les maîtres l'entente, la cordialité nécessaire,
c'est alors au conseil, dans la charité et la convenance, un
échange mutuel d'observations et d'avertissements, infini-
ment salutaire aux uns et aux autres.


Ce contrôle nécessaire, que subit dans les conseils l'action
du Supérieur comme celle des maîtres, lui permet déjuger
parfaitement par lui-même son propre gouvernement, de
constater par les effets, par les résultats bons ou mauvais,
l'efficacité ou l'insuffisance des mesures prises, de la di-
rection a d ^ t é e , des moyens employés : pour peu qu'il ait de
perspicacité, il recueillera là, dans l'examen détaillé qui s'y
fait de toutes choses, dans les rapports qui passent sans
cesse sous ses yeux, et dans les appréciations de chacun des
maîtres, une foule d'indications très-utiles et les plus pré-
cieuses lumières. Le conseil est pour un Supérieur intelli-
gent une expérience perpétuelle et un contrôle permanent
de lui-même.


Je le dirai même : les conseils sont de plus une excellente
occasion pour le Supérieur de poser avantageusement son
autorité, de donner des preuves de capacité qui fondent et
maintiennent sa légitime influence, de développer ses qua-
lités réelles, comme aussi de connaître et juger à fond ses
hommes.


C'est dans les conseils qu'un Supérieur pourra montrer
qu'il pense d'une façon sérieuse et suivie, constante et
ferme, qu'il voit tout ce qu'il doit voir, qu'il sent tout ce qu'il
doit sentir, et que rien ne lui échappe : c'est dans les con-
seils qu'il exercera les grandes qualités d'un Supérieur, l 'ap-
plication aux affaires, le discernement prompt et exquis, la




CH. V. — L'HOMME DES CONSEILS. 75


prévoyance, tout ce qui, en un mot, est nécessaire à un chef,
à une tête de maison.


« Par-dessus tout, dit Bossuet, un Supérieur doit être
« attentif et considéré. Il faut, dans les affaires, beaucoup
« d'application et de travail, et ce discernement rapide et sûr
« qui saisit les occasions favorables ; car elles passent vite
« presque toujours, et qui les manque manque tout. »


« Dans la plupart des affaires, dit encore Bossuet, ce n'est
« pas tant la chose que la conséquence qui est à craindre :
« qui n'entend pas cela, n'entend rien. Ce tfest pas assez au
« Supérieur de voir, il faut qu'il prévoie. Je n'entends pas
« d'une prévoyance pleine de soucis et d'inquiétude, mais
« d'une prévoyance pleine de précautions. »


Or , toutes ces grandes qualités d'un Supérieur, d'un
homme qui gouverne, la forte attention, la longue pré-
voyance ; la sagesse, pour l'intelligence de son œuvre, du
but et des moyens ; la prudence, pour l'application ; l'éten-
due des connaissances, c'est-à-dire une grande capacité pour
comprendre les difficultés et toutes les minuties des affaires,
Dieu seul sans doute donne tout cela : mais le conseil donne
perpétuellement au Supérieur l'occasion de l'exercer, de
le développer, de le fortifier.


J'ai dit que le conseil l'aide surtout à connaître ses hom-
mes, chose si capitale ; à les connaître, non-seulement en
contrôlant sans cesse leurs œuvres, mais en les faisant agir
et parler sous ses yeux, et révéler dans leurs paroles leur
valeur ou leur incapacité, la rectitude ou les lacunes de
leur jugement, leurs attentions ou leurs négligences, leurs
prévoyances ou leurs oublis, leur tiédeur à l'œuvre ou leur
zèle.


« Comment, dit Fénelon, peut-on espérer de bien gouver-
« ner les hommes, si on ne les connaît pas à fond ? et com-
« ment les connaîtra-t-on, si on ne vit jamais avec eux? Ce
« n'est pas vivre avec eux que de les voir en public, où l'on




76 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


CHAPITRE VI


Diverses sortes, fréquence, objet et forme des conseils.


Il ne saurait donc y avoir aucun doute sur la nécessité des
conseils dans une maison d'Éducation.


C'est dans les conseils en effet, comme nous venons da le


« ne dit de part et d'autre que des choses indifférentes et
« préparées avec art ; il est question de les voir de près, de
« tirer du fond de leurs cœurs toutes les ressources secrètes
« qui y sont, de les tâter de tous côtés, de les sonder pour
« découvrir leurs maximes, d'exercer leurs talents, d'éprou-
« ver l'étendue de leur esprit, la sincérité de leur vertu. »


Or, c'est ce qui se fait perpétuellement dans les conseils.
C'est surtout au conseil que le Supérieur pratique les hom-
mes, et voilà pourquoi c'est là qu'il apprend à les connaître.


La pratique des hommes, je ne saurais trop le répéter, est
la grande école du Supérieur.


« Il ne faut pas s'imaginer le Supérieur, dit Bossuet, un
« livre à la main, avec un front soucieux, et des yeux pro-
« fondement attachés à sa lecture : les hommes qui l'en-
« tourent, voilà son livre principal : son étude, c'est d'être
« attentif à ce qui se passe devant lui, pour en profiter. »


Ce n'est pas que la lecture ne lui soit utile, mais les
vraies études sont celles qui apprennent les choses utiles.


Et voilà pourquoi le conseil est au Supérieur d'un si grand
secours. Il lui apprend ce qu'il faut qu'il sache. En ce qui
regarde les enfants et les maîtres, et tout le gouvernement
de sa maison, comme aussi en ce qui le regarde person-
nellement lui-même, le conseil est pour lui la grande école.




CH. VI. — OBJET ET FORME DES CONSEILS. 77


voir, que le Supérieur expose son action et tout le gouverne-
ment de sa maison, consulte ses collaborateurs, s'entend
avec eux, leur témoigne ses craintes, leur fait part de ses es-
pérances, indique les moyens de former tel enfant, tel ca-
ractère, de se tirer de telle difficulté, donne tous les aver-
tissements généraux et particuliers dont on a besoin, apprend
à se connaître lui-même, à connaître et employer conve-
nablement les autres, suit jour par jour la marche de son
œuvre, se rend enfin compte de tout, et gouverne réelle-
ment. Les maîtres de leur côté y trouvent encouragement,
assistance et lumière ; les plus jeunes s'instruisent par les
choses qu'ils entendent, et se préparent peu à -peu à dire
aes choses utiles à leur tour; et tous, quels qu'ils soient,
s'y forment admirablement au grand art du gouvernement
des âmes, et par la suite, s'ils se trouvaient à la tête d'une
maison, tout ce qu'ils ont ainsi vu, entendu, médité dans
un conseil, leur deviendrait merveilleusement profitable, et
ils ne seraient novices presque sur aucune partie ; surtout
si, passant du professorat dans l'administration, ils ont avec
le Supérieur ces conférences plus intimes, où tout le gou-
vernement spirituel, littéraire, disciplinaire, et matériel de
la maison, tant des maîtres que des élèves, et même des
serviteurs, est développé devant eux.


Les conseils dont nous venons de résumer, dans ces der-
nières lignes, les avantages, sont les conseils qui existent
plus ou moins un peu partout, et que nous avons appelés
administratifs. Mais indépendamment de ces conseils,
nous avons parlé encore d'autres conférences spirituelles et
littéraires, dont l'importance n'est pas aussi universellement
reconnue, et dont il sera utile d'indiquer ici la nécessité et
les avantages.




78 LIV. 1 e r . — L E SUPÉRIEUR.


I


Et d'abord, les conférences spirituelles : je dis qu'il eu
faut nécessairement dans une maison d*Éducation dirigée
par des ecclésiastiques.


En conscience, un Supérieur est tenu de s'occuper de
ses maîtres, surtout des jeunes, au point de vue spirituel.
Ce serait de sa part une grande erreur de se croire dispensé
de toute obligation vis-à-vis de leur âme ; il manquerait à"ûn
de ses devoirs les plus sacrés, s'il ne s'inquiétait pas sérieu-
sement sous ce rapport des vingt ou trente maîtres qui se
trouvent sous sa direction.


Or, c'est au moyen des conférences spirituelles surtout
qu'il pourra satisfaire à ce devoir.


Je l'ajouterai : dans une maison d'Éducation, non moins
que dans le saint ministère, il est indispensable à des prêtres,
pour conserver l'esprit intérieur, de se retremper par des
exercices spirituels : sinon tous les mille détails des labo-
rieuses fonctions de l'Éducation finiraient par les absorber,
et le prêtre disparaîtrait dans le professeur. Il faut que
leur âme s'élève au-dessus du matériel de leurs travaux,
et se maintienne toujours dans les haute&sphères de la foi.


Quel avantage d'ailleurs-pour eux de pouvoir se réunir de
temps en temps, et se ranimer tous ensemble dans l'esprit
de leur sublime état et le dèvoûment à leurs élèves ! Ne se-
rait-il pas déplorable, au contraire, que des prêtres vécus-
sent sous le même toit, ettravaillassent à la même œuvre,
sans se voir, ni se rencontrer pour ainsi dire jamais de-
vant Dieu: étrangers les uns aux autres, exposés pour leur
âme à tous les ennuis et à tous les périls de l'isolement 1


On lit dans ces conférences quelque bon livre ayant trait aux
devoirs spéciaux des maîtres, ou bien encore les règlements
de la maison, tant des maîtres que des élèves : le Supérieur,




CH. VI. — OBJET ET FORME DES CONSEILS. 79


qui préside ces réunions ajoute les réflexions qu'il juge à pro-
p o s . Ces lectures rappellent tout ce que les meilleurs auteurs
ont écrit, tout ce que les livres spéciaux, fruit d'une expé-
rience éprouvée et d'une sérieuse réflexion, contiennent de
vérité pratique sur la vie sacerdotale dans une maison d'Édu-
cation, sur l'apostolat à exercer auprès des enfants. Le zèle
s'y retrempe et s'y ranime ; et chacun sort de ces pieux
entretiens, encouragé , fortifié, décidé à faire de son
mieux.


En même temps que la piété se nourrit et que le zèle se
rallume par ces conférences spirituelles, les liens d'une
sainte confraternité se resserrent; et pour le cœur, non moins
que pour l'âme, ces conférences deviennent un besoin et
une douceur véritable.


Mais on le comprend, pour obtenir ces heureux résultats,
il ne suffit pas qu'un Supérieur préside ces réunions, il
faut qu'il en soit l'âme.


Un Supérieur ne saurait trop se persuader que le meilleur
moyen de bien faire marcher sa maison, c'est d'entretenir et
de développer dans les maîtres la piété et le vrai zèle, dont la
piété est le fond. C'est là le principe intérieur de vie, sans
lequel tout languit et périt dans une maison d'Éducation.
Aucune discipline n'est possible et ne suffira à contenir et
surtout à élever des enfants, si elle n'est aidée auprès d'eux
par la conscience et la piété. La piété est le pondus divinum
qui maintient les enfants contre la légèreté de leur âge et les
orages des passions naissantes, comme le lest maintient
l'équilibre d'un navire en haute mer. Or, le bon sens dit que
les enfants n'auront de piété qu'autant que les maîtres leur
en donneront les premiers l'exemple, c'est-à-dire qu'autant
que les maîtres seront eux-mêmes très-pieux.




80 L1V. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


I I


Ce que les conférences ou lectures spirituelles sont à la
piété, les conférences littéraires le sont aux études. Rien de
plus naturel, rien de meilleur pour des hommes qui ensei-
gnent que de conférer entre eux, à certains jours donnés, sur
le grand art d'enseigner; que de mettre en commun leurs
lumières, leur expérience; de discuter les méthodes d'ensei-
gnement, les divers moyens de' gouverner et d'intéresser
une classe, de corriger les devoirs, d'expliquer les auteurs,
d'entretenir parmi les élèves l'émulation, etc. On peut de
plus, dans ces conférences, lire et examiner à fond les plans
d'étude et tous les règlements littéraires de la maison. Je ne
sache rien de plus propre à former de bons professeurs, et à
maintenir de fortes études. Il est impossible que ces confé-
rences se fassent assidûment, sans que chaque professeur ne
comprenne vite ce qui manque à son enseignement ou à
son action sur ses élèves, et ne modifie heureusement sa
manière d'après celle de ses confrères.


A un autre point de vue encore, ces conférences sont excel-
lentes : elles entretiennent le mouvement littéraire, et une
grande vie d'étude dans une maison. Il peut y être question,
en effet, non-seulement de pédagogie et d'enseignement,
mais de littérature et de science; on y peut lire quelques
compositions, entreprendre, sous la direction du Supérieur,
ou du Préfet des études, un travail commun, une traduction,
un ouvrage grammatical ou autre ; transformer ainsi en pe-
tite académie le personnel d'une maison d'Éducation, au
grand profit des études, des élèves, et des maîtres.


Ce que je dis là n'est pas un désir ni un rêve de perfection ;
cela s'est fait, sous mes yeux, et peut se faire partout, avec
grand profit et grand agrément.'


Mais les conférences les plus indispensables, comme les




CH. \ I . — OBJET ET FORME DES CONSEILS. 8 1


plus utiles pour former les maîtres, ce sont les grandes
conférences administratives, les conseils proprement dits.


Si ces conseils, réguliers, fréquents, sont d'une absolue né-
cessité dans une maison d'Éducation, un des plus grands ta-
lents, comme un des plus grands devoirs d'un Supérieur,
c'est de les bien tenir.


Entrons donc maintenant tout à fait dans la pratique, dans
les détails, dans le vif de la question, et voyons, quand et
comment il faut tenir le conseil, et de quelles matières il y
faut traiter.


I I I


Il y a deux sortes de conseils, le conseil général, auquel
assistent tous les maîtres de la maison sans exception ; et
puis les conseils particuliers, entre M. le Supérieur et MM. les
Directeurs.


Le conseil général, une fois chaque semaine, le dimanche,
pour tous les jours suivants, paraît suffisant et nécessaire.


Les conseils particuliers doivent être tenus plus fréquem-
ment entre M. le Supérieur et MM. les directeurs, afin qu'ils
puissent imprimer à toutes choses, chaque jour, le mouve-
ment dans une même direction.


Il faut ordinairement, sous la présidence de M. le Supé-
rieur, deux conseils de directeurs par semaine, à des jours
et à des heures fixes : par exemple, le dimanche, immédiate-
ment avant le conseil général des professeurs, et le lende-
main de la projnenade, qui se trouve ordinairement au
milieu de la semaine.


Au commencement de l'année, à l'époque des examens et
des retraites, on sent même le besoin de rendre quotidiens
ces conseils particuliers.


On y traite toutes les questions de chaque jour, que les
circonstances amènent, et sur lesquelles M. le Supérieur juge


m. |6




82 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


à propos soit de consulter, soit d'avertir ces Messieurs, ou
sur lesquelles chacun des Directeurs peut avoir besoin de
consulter ou d'avertir M. le Supérieur et ses confrères : on
y traite spécialement aussi les questions qui ne devraient
pas être communiquées au conseil des professeurs, parce
qu'elles seraient de nature à exciter des discussions inutiles
dans une assemblée nombreuse.


C'est surtout dans ces conseils particuliers, que le Supé-
rieur s'entend à fond, et dans le dernier détail, sur toutes
choses, avec les Directeurs, et constitue l'unité, qui est si es-
sentielle à son gouvernement, et qui peut seule rendre son
autorité réellement forte, respectable à tous, et utile.


Toutes les raisons que nous avons données sur l'utilité et
la nécessité des conseils en général, s'appliquent évidem-
ment, et avec plus de force encore, aux conseils particuliers
du Supérieur avec les Directeurs de la maison.


Chaque Directeur tient aussi, quand il est nécessaire, un
conseil spécial, par exemple :


Le préfet des études, un conseil avec les professeurs, soit
des classes littéraires, soit des classes grammaticales, soit
des cours supplémentaires, soit de tous réunis ;


Le préfet de discipline, un conseil, soit des présidents
d'études, soit des présidents de dortoirs, soit des présidents
de récréation ;


Le préfet de religion, un conseil, soit des confesseurs, soit
des prédicateurs, soit des catéchistes.


Quant au conseil général de MM. les Directeurs, prési-
dents d'étude, professeurs et autres maîtres, il convient
de le placer le dimanche, après celui de MM. les Direc-
teurs.


Il y a du reste, dans le courant de l'année, de grands con-
seils spéciaux: ainsi, chaque trimestre, à l'époque des bulle-
tins, on relit en conseil les notes préparées par MM. les pro-
fesseurs, avant qu'ils ne les inscrivent sur les feuilles qui ne




CH. VI. — OBJET ET FORME DES CONSEILS. 83


doivent être envoyées aux familles qu'après la révision la
plus attentive.


Au conseil qui précède de quinze jours les examens tri-
mestriels, on règle l'ordre de ces exercices, et on se partage
le travail.


Chaque mois, on dresse dans un conseil le tableau d'hon-
neur, d'après les suffrages des élèves, que MM. les profes-
seurs ont dû recueillir à la classe précédente. — A la fin de
l 'année, on détermine pareillement les prix qui se donnent
par la voie des suffrages. On règle aussi les auteurs qui
seront vus dans les classes à la rentrée prochaine.


On détermine enfin l'ordre et les divers arrangements
de la distribution des prix.


C'est aussi l'usage de décider en conseil, et de faire ins-
crire, dans un registre spécial, des notes détaillées sur cha-
que élève sortant, afin qu'elles soient conservées aux ar-
chives.


Pour ces différentes causes, M. le Supérieur est souvent
obligé de convoquer des conseils extraordinaires, auxquels
MM. les professeurs et autres maîtres doivent se rendre très-
exactement.


IV


Tous les conseils commencent par le Veni, Sancte, et finis-
sent par le Sub tuum.


Dans le grand conseil de chaque dimanche, après le Veni,
Sancte, on lit pendant un quart d'heure quelques articles des
règlements, ou quelques pages d'un bon livre sur l'Édu-
cation, comme le Père Jude, le bienheureux de La Salle.


Les conseils, comme toute assemblée délibérante, doivent
être bien présidés, c'est-à-dire qu'il faut que le Supérieur
préside réellement, pose les questions, et dirige les discus-
sions.




84 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


Par conséquent, il faut qu'il prépare les conseils, et qu'il
étudie les questions : je parle d'une préparation et d'une
étude sérieuses ; qu'il possède ses matières, et sache parfai-
tement l'objet du conseil, et de quoi on aura à s'y occuper.


Quand les questions sont bien préparées, elles se succèdent
rapidement les unes aux autres, et le conseil ne s'égare
pas en digressions vaines, étiangères au but qu'on se pro-
pose.


La physionomie de ces conseils est sérieuse, mais n'exclut
pas une certaine galté aimable, qui vient de l'union, de la
cordialité : les cœurs sont à l'aise, et la parole confiante ; la
discussion calme, libre et sincère, vive et enjouée quelque-
fois, mais toujours avec convenance et respect mutuel. Ces
assemblées à la fois graves et gaies, paisibles et animées, où,
dans la simplicité d'une intimité douce et cordiale, des prê-
tres dévoués traitent entre eux, et dans le dernier détail, de
tout ce qui intéresse de près ou de loin leurs enfants, sont
un des spectacles les plus touchants à voir, et je n'hésite pas
à le dire, les plus dignes de respect.


Les conseils commencent d'ordinaire par la lecture que
fait M. le Supérieur d'une liste des élèves dont on est le
moins content, qui ont besoin de plus de soins, et d'une sur-
veillance spéciale, n'importe sous quel rapport ; et cela, afin
de fournir à chaque maître l'occasion de dire ce qu'il a
remarqué sur eux, en bien ou en mal. On retranche de cette
liste, ou l'on y ajoute les noms qui méritent d'être ajoutés
ou retranchés.


Il est d'une grande importance que l'on parle très-libre-
ment sur tous les élèves, dans les conseils : autrement, il
y aurait des enfants qui ne seraient jamais bien connus que
de deux ou trois maîtres, tandis que tous les maîtres ont
besoin de les connaître, puisqu'ils ont chaque jour à les juger
et à les conduire.


Et puis, ces observations sur les enfants, si importantes à




CH. VI . •- OBJET ET FORME DES CONSEILS. 85


recueillir de la bouche et des expériences de chacun, four-
nissent à chacun l'occasion de parler au conseil.


Or, dans les conseils, il est très-important que chacun
parle, non-seulement parce que chacun a presque toujours
quelque chose de bon et d'utile à dire ; mais aussi, parce
qu'autrement on ne viendrait à ces conseils que pour être
averti soi-même, pour y entendre des observations toujours
graves, quelquefois pénibles, sur la marche de la maison et
les fonctions qu'on y remplit ; ou bien pour y être chargé
d'un devoir nouveau, y recevoir un nouveau travail : cela ne
dilate pas assez les cœurs.


Or, un des plus grands avantages des conseils, c'est de
dilater les cœurs, dans une réunion toute fraternelle.


Faire parler tout le monde, c'est d'ailleurs intéresser tout
le monde à l'œuvre ; et la très-bonne manière de faire parler
tout le monde, c'est de faire parler chacun sur les élèves.


Il y aura peut-être des paroles inutiles, quelques divaga-
tions ; mais cela n'a guère d'autre inconvénient possible que
d'égayer un peu, ce qui est bon pour délasser : je l'ai dit ; ces
conseils ne doivent pas être tristes.


II y a de plus une manière très-importante et des plus
nécessaires, d'intéresser tous les maîtres au conseil, en
même temps qu'à la maison, dont le conseil est l'âme ; voici
comment :


Chacun de ces Messieurs a dû remettre à M. le Supérieur
avant midi, le jour du conseil, des notes ou observations
écrites, sur tout ce qui lui a paru, pendant la semaine,
digne de remarque, de réforme,"ou d'encouragement, dans
l'ordre et l'esprit de la maison, relativement à la Religion,
aux Études, à la Discipline et à VÈconomat.


Ces notes sont classées sur une feuille distribuée en con-
séquence, et remise pour le conseil suivant, par M. le Supé-
rieur, à chacun de MM. les Directeurs intéressés.


Elles sont la matière la plus importante des délibérations




86 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


des deux conseils, et l'occasion de diverses réflexions et
décisions de M. le Supérieur.


Le rapport de chaque Directeur a trait à toute la maison,
aux études, à la religion, à la discipline, à l'économat. Mais
chacun d'eux traite plus spécialement de ce dont il est spécia-
lement chargé.


Ainsi, le Préfet de religion rend compte des congrégations,
des catéchismes, des fêtes, des exercices de piété, du chant
des cantiques, des retraites, de l'exactitude des confessions,
des communions rares ou fréquentes, des pnèdieations, des
enfants qui se distinguent par leur sagesse ou par leur dis-
sipation.


De même, le Préfet des études, les Préfets de discipline,
et M. l'Économe, chacun en ce qui le concerne.


On comprend l'importance de ces notes et de ces rapports,
et que dans une maison où, chaque semaine, vingt-cinq ou
trente maîtres intelligents et zélés adressent par écrit à un
Supérieur toutes les observations qu'ils ont faites chaque
jour, sur tout ce qui intéresse les classes, les études, la
piété, la discipline, les récréations,les repas, l'hygiène; on
comprend, dis-je, que dans une telle maison aucun dé-
sordre, même médiocre, ne se peut cacher longtemps sans
qu'on le découvre, et qu'ainsi le Supérieur est toujours à
même de remédier à tout.


L'importance de ces notes pour éclairer la direction de
la maison étant évidente, il est facile dé faire comprendre
à tous les maîtres que c'est un devoir pour eux de s'habi-
tuer à noter et écrire chaque jour tout ce qu'ils voient de
bien à faire, ou de mal à empêcher. Par là, ils préviendront
la plupart des désordres, et suggéreront une foule de très-
utiles mesures. Et qu'ils ne craignent pas d'être minutieux;
car il ne le faut pas oublier, c'est dans les détails que gît ici
la perfection. L'Éducation ne se fait que par les détails, je
ne me lasse pas de le redire. — Un carnet avec un crayon




CH. VI. — OBJET ET FORME DES CONSEILS. 87


est donc pour un homme d'Éducation un instrument indis-
pensable, et qu'il faut toujours avoir à la main.


Un point encore de la plus haute importance, c'est qu'il
y ait toujours un PROCÈS-VERBAL, de quelque façon que se
soit passé le conseil.


Le secrétaire le lit et le fait signer par M. le Supérieur, à
l'ouverture de la séance suivante^


Les secrétaires du conseil des directeurs et du conseil des
professeurs, rédigent leurs procès-verbaux sur deux co-
lonnes : dans l 'une, ils mettent les résolutions pratiques qui
ont été prises, et dans l'autre, les motifs de ces résolutions.


La raison de ces procès-verbaux, c'est que, si on veut
établir et conserver quelque chose, il faut tout écrire :
les moindres détails, qui font la perfection des choses, et
aussi la raison de chaque chose.


Si on n'écrit pas tous les détails, toutes les moindres
prescriptions, rien ne sera fait et exécuté comme il faut.


Si on n'écrit pas la raison de chaque chose, de chaque dé-
cision, cette raison s'oubliera ; et on changera bientôt sans
raison ce qui avait été le plus sagement décidé.


Il faut poser en fait qu'on ne conserve, et qu'on n'ob-
serve dans une maison que les usages dont on n'oublie pas
la raison.


On peutdireque de tels procès-verbaux sont la raison écrite
des choses ; e t , conservés avec grand soin, ils deviennent
comme les archives de la maison, et sont toujours là comme
des enseignements présents et parlants pour ainsi dire.


Bossuet, qui élève toujours les choses sur les hauteurs,
donne cette grande et belle raison de la nécessité d'écrire
tout :


« Il faut, dit-il, que l'on se souvienne des choses faites et
« réglées, afin que le gouvernement des hommes mortels,
« conduit par l'expérience et les exemples des choses pas-
« sées, ait des conseils immortels. »




88 LIV. 1 " . — LE SUPÉRIEUR.


« Tel était, dit-il encore, l'usage des registres publics,
« chez les anciens peuples, et de la charge établie pour les
« garder. Elle conservait la mémoire des services rendus ;
« elle immortalisait les conseils ; et ces archives, en pro-
« posant les exemples des siècles passés, étaient des con-
« seils toujours prêts à dire la vérité. »


Au reste, ajoute Bossuet, l'utilité des archives était appuyée
sur cette sentence du sage (Eccli., i, 9, 40) : « Qu'est-ce qui
« a été? Ce qui sera. Qu'est-ce qui a été fait ? Ce qui sera fait
« encore. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil ; et personne
« ne peut dire : cela est nouveau ; car il a déjà précédé dans
« lès temps qui ont été avant nous. »


J'ajouterai pour mon compte, que ce qui rend si néces-
saires les procès-verbaux écrits, c'est la facilité vraiment
inouie avec laquelle on oublie dans certaines maisons
d'Éducation les plus sages expériences, les meilleures rè-
gles, dont le.temps et l'épreuve avaient démontré les avan-
tages. Vous revenez dans une maison d'Éducation trois
ou quatre années après l'avoir quittée, et vous êtes tout
étonné de n'y plus trouver tel usage excellent, telle règle en
vigueur autrefois. Vous ne faites donc plus cela, dites-vous :
— Non. — Et pourquoi ? — On n'y a plus pensé.


Je le répète, il faut tout écrire, les moindres détails, les
moindres usages, avec la raison de chaque chose.


Et aussi relire de temps en temps ce qui a été écrit, au
moins le plus important : autrement on l'oublie, et il devient
inutile de l'avoir écrit.




CH. VII. — L'HOMME DES CONSEILS. 89


CHAPITRE YII


Encore des conseils et de la manière de les tenir :
Pensées de Bossuet sur ce sujet.


L'HOMME DES CONSEILS.


Je ne puis me défendre d'insister encore sur les conseils :
leur importance dans une maison d'Éducation est si grande,
ils sont tellement l'âme de la maison, toute Faction des maî-
tres, tout le bien des élèves en dépendent à un tel degré,
que je veux aller autant qu'il m'est possible au fond de cette
matière, et dire ici aux Supérieurs tout ce qui peut être de
nature a les éclairer.


J'ai déjà cité plusieurs fois Bossuet, je le citerai encore, ou
plutôt je lui laisserai presque exclusivement la parole dans
ce chapitre. Il est étonnant à quel degré Bossuet insiste sur
l'importance des conseils : sans doute ce n'est pas pour le
gouvernement d'une maison d'Éducation qu'il écrit, mais la
nature humaine étant partout la même, ce qui est vrai pour
le gouvernement des hommes en général, l'est aussi, avec de
simples nuances, pour le gouvernement des enfants, des
jeunes gens et de leurs maîtres : et quant à moi, le souvenir
du profit personnel que j 'ai tiré des instructions de Bossuet,
tant de fois lues et méditées pour mon propre compte, m'est
une forte et particulière raison de les mettre; ici sous les
yeux de mes lecteurs.


Bossuet, on le sait, à une pénétration et une élévation mo-
rale étonnante, joint une façon ferme et nette de dire les cho-




90 LIV. I " . — LE SUPÉRIEUR.


ses qui leur donne une incomparable autorité. On sent que
son génie plane dans les hauteurs religieuses, et qu'il a dans
son vol des coups d'aile d'une vigueur singulière, qui rélè-
vent, et vous emportent avec lui aux plus hauts sommets. Du
reste, c'est à la source sacrée, dans l'Écriture sainte, qu'il a
puisé cette sagesse pratique qui étonne en lui ; et, par un
art inimitable, les paroles du texte inspiré se fondent si mer-
veilleusement avec les siennes, qu'elles semblent ne plus
faire avec elles qu'un seul tissu : en sorte que ce n'est pas
Bossuet seul que nous allons entendre ici, mais Bossuet nous
redisant les paroles mêmes de la sagesse éternelle.


Selon Bossuet, tout homme chargé de conduire les autres,
a trois grands devoirs à remplir, qui résument pleinement
ce que nouls avons demandé du Supérieur, relativement aux
conseils : il doit s'éclairer, se résoudre, et savoir se taire.


S'éclairer : chacun n'ayant pas toute lumière, on doit cher-
cher dans les autres celles qu'on ne trouve pas en soi. —
Se résoudre : c'est au Supérieur qu'appartient la décision,
parce que c'est lui qui a la responsabilité, et par conséquent
la grâce d'état nécessaire. — Et enfin, il faut savoir se taire :
le secret est l'âme des affaires.


I


Un Supérieur doit en premier lieu savoir s'éclairer par le
conseil des autres, savoir consulter.


Bossuet dit avec une raison profonde :
« Le bon conseil ne donne pas de l'esprit à qui n'en a pas,


« mais il excite, il éveille celui qu'on a. Il faut avoir un con-
« seil en soi-même. » {Eccli., xxxvn, 8.) Mais enfin, si le con-
seil intérieur ne suffit pas, il faut savoir l'aider, le fortifier
par la lumière du bon conseil extérieur.


Rien d'ailleurs, dit encore Bossuet, ne donne autorité à la




CH. VII . — L'HOMME DES CONSEILS. 91


parole d'un Supérieur comme son estime et sa déférence
pour le conseil d'autrui ; rien ne lui donne plus le droit de se
faire entendre à son tour, et de décider, que de se montrer
attentif, quand les autres parlent.


Les Supérieurs qui n'écoutent jamais les autres, ne mé-
ritent guère qu'on les écoute eux-mêmes.


« Si vous écoutez au commencement, dit encore Bossuct,
« bientôt vous mériterez qu'on vous écoute. Si vous êtes
« quelque temps docile, vous deviendrez bientôt maître et
« docteur. »


Il faut donc à un Supérieur « un cœur capable de conseil,
« point superbe, point prévenu, point aheurté, afin qu'il
« puisse gouverner sa maison. » (III Reg., m, 9.) « Qui est
« incapable de conseil, est incapable de gouvernement, »
continue Bossuet.


Il faut donc qu'un Supérieur ait un cœur docile; et voici
comme Bossuet l'entend : « Avoir le cœur docile, c'est
« n'être point entête de ses pensées , c'est être capable d'en-
« trer dans celles des autres ; selon cette parole de l'Ecclc-
« siastique : Conversez avec les prudents, et unissez-vous
« de tout votre cœur à leur sagesse. » (Eccli., vi, 35.)


« Ainsi faisait David : nous le voyons prudent et docile,
« écoutant toujours, et entrant dans la pensée des autres,
« point aheurté à la sienne. »


Ce qui est donc nécessaire par-dessus tout à un Supérieur,
c'est le désir de s'éclairer, c'est-à-dire l'amour de la vérité.
Il doit vouloir la vérité avant tout, la 'vérité, quelle qu'elle
soit, agréable ou pénible ; la vérité sur tout et sur tous ;
sur lui-même comme sur les autres. Or, cet amour de la vé-
rité est chose rare, et il n'est que trop facile et trop fré-
quent de se faire de tristes illusions à cet égard. On croit
aimer la vérité ; on se trompe, on ne l'aime pas : il y a des
choses qu'on ne veut pas savoir, et chacun s'en aperçoit. On
aime à apprendre ce qui plaît, ce qui flatte, ce qui console,




92 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


ce qui va de soi, et ne donne aucun embarras ; on sourit à
ceux qui nous donnent de telles nouvelles, tandis qu'on fait
mauvais visage à ceux qui apportent des nouvelles con-
traires ; bref, il y a un état de choses qu'on voudrait se ca-
cher à soi-même, et qu'on désiïe que les autres nous laissent
ignorer.


Et cependant, la vérité, et toute la vérité est nécessaire à
un Supérieur pour le bon gouvernement de sa maison. Il
faut que le Supérieur la veuille, cette vérité-là, et qu'on sache
qu'il la veut.


Mais, dit Bossuet : « Il ne suffit pas au Supérieur de dire
« en général qu'il veut savoir la vérité : il faut le dire de
« bonne foi. »


« Les uns s'informent de la vérité par manière d'acquit, et
« en passant seulement, comme fit Pilate. Les autres, sans
« se soucier de la savoir, s'en informent par ostentation,
« et pour se faire honneurde cette recherche. »


Qui aime vraiment la vérité va à la vérité, et la vérité vient
à lui. Mais alors il faut la considérer avec attention, avec
cette profonde attention de l'âme, qui cherche le fond des
choses et n'en laisse rien échapper.


Bossuet fait un portrait frappant des hommes à qui man-
que cet attentif regard ; et, il faut l'avouer, combien de Su-
périeurs que ce portrait représente au vif!


« Voyez, dit Bossuet, comme l'un est posé : mais l'autre,
« pendant qu'on lui parle, jette deçà et delà des regards in-
« considérés : son esprit est loin de vous ; il ne vous écoute
« pas ; il ne s'écoute pas lui-même : il n'a rien de suivi ;
« et ses regards égarés font voir combien ses pensées
« sont vagues. » L'Écriture ajoute : « C'est parler avec un
« homme endormi que de discourir avec l'insensé, qui à
« la fin du discours demande : De quoi p a r l e - t - o n ? »
(Eccli., X X I I , 9.)


« A quoi pensiez-vous, dit Bossuet à un Supérieur




CH. VII. — L'HOMME DES CONSEILS. 93


« peu soucieux ^d'écouter : où aviez-vous les yeux? vous ne
« les aviez ni à la tète, ni devant vous : vous ne voyiez pas
« devant vos pieds : c'est-à-dire vous ne pensiez à rien;
« vous n'aviez aucune attention. »


Il y a un œil qui voit, et une oreille qui écoute. Mais il y
a aussi un œil qui ne voit pas et une oreille qui n'écoute pas.
La vérité ne sera pas pour ceux-ci.


Elle n'est pas non plus pour les Supérieurs qui aiment,
non qu'on les éclaire, mais qu'on les flatte, et ne se mon-
trent curieux que de ce qui leur plaît. Par leur manière
d'accueillir les choses vraies, mais pénibles, ils semblent
dire toujours : « Dites-nous des choses agréables, voyez
« pour nous des illusions. » (Is., xx.) Die nobis placentia,
vide nobis errores.


Us veulent être trompés, ils le sont ; ils veulent des louan-
ges, des flatteries, des illusions, on leur en donne.


Non, jamais les Supérieurs ne se défieront assez des gens
qui les flattent ; de ces complaisants et de ces flatteurs insi-
nuants, qui savent s'accommoder à tous leurs goûts et à
toutes leurs inclinations ; qui sont toujours de leur avis, et
approuvent d'avance tout ce qu'ils font.


« Au milieu des déguisements et des artifices qui régnent
« parmi les hommes, dit Bossuet, il n'y a que l'attention et
« la vigilance qui nous puissent sauver des surprises de la
« flatterie. »


Combien ces surprises ne sont-elles pas funestes pour un
Supérieur ! « Si vous suivez à l'aveugle quelqu'un qui aura
« l'adresse de vous prendre par votre faible, et de s'emparer
« de votre esprit; ce ne sera pas vous qui gouvernerez : ce
« sera votre inférieur. Et ce que dit le sage vous arrivera :
« Trois choses troublent la terre : Ja première, lorsque c'est
« un inférieur qui règne. » (Prov., xxx, 21,22.)


La vérité est que quand celui qui gouverne est gouverné,
tout tombe en confusion.




94 L1V. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


« Dieu punit par la flatterie ceux qui aiment la flatterie ;
« et livre à l'esprit de mensonge ceux qui cherchent le men-
« songe et de fausses complaisances. »


Pour être éclairé et non flatté, il faut mettre à l'aise ceux
qui nous conseillent, leur laisser pleine liberté d'expliquer
leurs pensées, et non-seulement ne point s'offenser, mais
leur savoir gré, s'ils ont le courage de nous dire même de
dures vérités.


« C'est en prenant conseil, et en donnant toute liberté
« uses conseillers, qu'on découvre la vérité, et qu'on acquien
« la véritable sagesse.


« David, tout préoccupé qu'il était, entre dans la pensée
« d'un homme qui en apparence le traitait mal, mais qui er
« effet le conseillait bien : et en le croyant il sauve l'État. >


La vérité vient aisément à un esprit disposé à la recevoii
par l'amour qu'il a pour elle, et cet amour de la vérité, se-
condé par de bons conseillers, donne une force immense
« Sous un Supérieur habile et bien averti, personne n'ose
« mal faire. On croit toujours le voir présent, et même qu'il
« devine vos pensées. Les avis volent à lui de toutes parts ;
« il en sait faire le discernement, et rien n'échappe à sa con-
« naissance. »


Mais à ce devoir pour les Supérieurs de s'éclairer, de con-
sulter, correspond évidemment pour ceux à qui ils deman-
dent conseil l'obligation de leur dire la vérité : c'est les
trahir, et trahir la maison qu'ils gouvernent, que de leur
laisser ignorer ce qu'ils doivent savoir. L'inutilité présu-
mée d'un avis, d'un conseil, n'est pas même toujours une
suffisante excuse du silence. Il y a peu de conseils inutiles,
même lorsqu'ils ne sont pas suivis sur l'heure : l'impression
en demeure et produit son effet plus tard.


Sans doute dans un conseil, les Directeurs, les Professeurs
ne doivent jamais s'écarter du respect et de la [déférence




CH. VII. — L'HOMME DES CONSEILS. 95


qu'ils doivent au Supérieur : mais l'observation des conve-
nances n'est jamais un obstacle à l'accomplissement du de-
voir. Il y a toujours moyen de tout dire.


On peut, en mesurant tranquillement toutes ses paroles, et
en parlant avec ménagement, attachement et soumission,
se donner une force douce et respectueuse ; dire paisible-
ment des choses très-fortes; et, avec des manières égale-
ment fermes et convenables, donner l'éclaircissement à fond
de toutes les choses qu'on sait et qu'on dit : c'est ainsi que
l'on est un conseiller consciencieux et utile.


II


Mais après le conseil, la décision : quand le Supérieur a
consulté, et fait moralement tout ce qu'il pouvait pour s'é-
clairer, c'est à lui alors à se résoudre : la délibération ne
peut être éternelle : il faut conclure et agir. Les hommes in-
décis, irrésolus, ne font rien ; les hommes qui se décident
sans conseil font mal ; les hommes qui prennent leur parti
résolument, mais après avoir consulté, voilà ceux qui font les
affaires et les font bien.


« Il y a ici deux choses, dit Bossuet : la première, qu'il
« faut savoir se résoudre ; la seconde, qu'il faut savoir se
« résoudre par soi-même. C'est à ces deux choses qu'il se
« faut accoutumer de bonne heure. »


Premièrement donc savoir se résoudre. Écouter, s'infor-
mer, prendre conseil, choisir son conseil : toutes les autres
choses que nous avons vues ne sont que pour celle-ci, c'est-
à-dire pour se résoudre.


Il ne faut donc point être de ceux qui, à force d'écouter,
de chercher, de délibérer, se'confondent dans leurs pensées
et ne savent à quoi se déterminer : gens de grandes délibé-
rations et de grandes propositions, mais de nulle exécution.
A la fin tout leur manquera.




96 L1Y. I " . — LE SUPÉRIEUR.


Il faut avouer que c'est ici un défaut très-commun : la su-
périorité est devenue un fardeau que la faiblesse humaine ne
sait plus porter ; l'action, l'action ferme et suivie, après le*
conseil, combien de Supérieurs, princes, pères de famille,
chefs de maisons, en sont incapables ! Aussi Bossuet ne se
lasse pas de les gourmander, de les aiguillonner. Et c'est
l'Esprit-Saint et les saintes Écritures qui lui fournissent ici
les traits les plus vifs et les plus perçants.


« Où il y a beaucoup de discours, beaucoup de proposi-
« tions, des raisonnements infinis, et peu d'action, la pau-
« vreté y sera. L'abondance est dans l'ouvrage.» (Prov., xiv,
23.) II faut toujours conclure et agir.


« Ne soyez pas prompt à parler, et languissant à faire.
« (Eccli., iv, 34.) Ne soyez point de ces discoureurs qui ont
« à la bouche de belles maximes, dont ils ne savent pas
« faire l'application ; et de bons raisonnements, dont ils ne
« font aucun usage. Prenez votre parti, et tournez-vous vite
« à l'action.


« Ne soyez donc point trop sage, de peur qu'à la fin vous
« ne soyez comme un stupide (Eccl., vu, 17) , immobile
« dans l'action, incapable de prendre un dessein. »


Cet homme trop juste et trop sage est un homme qui,
par faiblesse, et pour ne savoir se résoudre, se fait scru-
pule de tout, et trouve des difficultés infinies en toutes
choses.


« Il y a un certain sens droit qui fait qu'on prend son parti
« nettement. Il reste à notre nature, même après sa chute,
« quelque chose de cette droiture : c'est par là qu'il faut se
« résoudre, et ne point toujours s'abandonner à de nouveaux
« doutes.


« Qui observe le vent ne sèmera point; qui considère les
« nuées ne fera point sa moisson. » (Eccli., x i , 4.) Qui veut
trop s'assurer et trop prévoir, ne fera rien.


« Il n'est pas donné aux (hommes de trouver l'assurance




CH. vu. — L'HOMME DES CONSEILS. 97


« entière dans leurs conseils et dans leurs affaires. Après
t avoir raisonnablement considéré les choses, il faut prendre
« le meilleur parti, et abandonner le surplus à la Provi-
« dence. »


La nécessité de consulter n'entraîne pas la nécessité de
suivre tous les conseils; mais en recueillant les avis divers,
un Supérieur s'éclaire surles divers aspects de la question;
après quoi il prend avec pleine connaissance de cause le
parti qui lui paraît le meilleur, et sans se laisser mener par
personne.
»? « Quand je dis qu'il faut savoir prendre son parti, con-
« tinue Bossuet, c'est-à-dire qu'il le faut prendre par soi-
« même : autrement, nous ne le prenons pas, on le prend
« pour nous; ce n'est pas nous qui nous tournons, on nous
« tourne.


« Le sage entend ses voies (Prov., xiv, 8). Il a son but, il a
« ses desseins, il regarde si les moyens qu'on lui propose
« vont à sa fin. Les autres vont comme on les pousse.


« Qui se laisse ainsi mener, ne voit rien ; c'est un aveugle
« qui suit son guide.


« Que vos yeux précèdent vos pas » : nous a dit le sage
(Prov., iv, 25). « Vos yeux, et non ceux des autres. Faites-
« vous tout expliquer : faites-vous tout dire : ouvrez les
« yeux et puis marchez ; n'avancez que par raison : mais
« avancez.


« Au reste, quand on a vu clair, et qu'on s'est déterminé
« par des raisons solides, il ne faut pas aisément changer.
« Ne tournez pas à tout vent, et ne marchez point en toute
« voie. Celui qui se conduit mal, dit et se dédit (Eccli., v, 2] ;
« il résout d'une façon, et exécute de l'autre. Soyez ferme
« dans votre intelligence, et que votre résolution soit une. »
(Eccli., v, K%\ tv, 70.)


a Le vrai sage, Isaïe l'appelle architecte (Is., m, 3). Il fait
« des plans; il les suit : il ne bâtit pas au hasard. »




98 L I V . 1 e r . — L E SUPÉRIEUR.


L'égalité de sa conduite est une marque de sa sagesse, et
le fait regarder comme un homme assuré dans toutes ses
démarches.


I I I


Ce n'est pas assez pour un Supérieur de savoir prendre
conseil, de se résoudre avec promptitude, et d'être ferme
dans les résolutions une fois arrêtées : une autre qualité lui
est indispensable, à lui, et à tous ceux qui ont l'honneur
d'être admis a son conseil, c'est la discrétion. Savoir se
taire, savoir garder le secret sur les choses traitées en con-
seil est capital en tout gouvernement ; et dans une maison
d'éducation où tant de choses délicates passent au conseil,
l'indiscrétion peut avoir les conséquences les plus funestes
et ruiner les plus sages mesures.


Bossuet est admirable encore sur ce sujet : « Le secret,
dit-il, est l'âme des conseils. »


« Que le conseil du prince soit donc secret; et que chacun
« y veille. Car les paroles échappent aisément, et passent
« trop rapidement d'une bouche à l'autre. Ne tenez point
« conseil avec le fou qui ne saura pas garder votre secret. »
(Eccli., vin, 2 0 , sec. L X X . )


Et s'élevant dans les hauteurs où son génie aime a monter,
Bossuet ajoute : « Le secret des conseils est une imitation
« de la sagesse profonde et impénétrable de Dieu. »


Si trop parler est un caractère de folie, savoir se taire est
le caractère de la sagesse. « Le fou même, s'il sait se taire,
passera pour sage. » (Prov., xvn, 28.)


Le sage interroge plus qu'il ne parle : « Faites semblant
« de ne pas savoir beaucoup de choses, et écoutez en vous
« taisant, et en interrogeant. » (Eccli., xxxn, -12.) Ainsi, sans
découvrir votre secret, vous connaîtrez la pensée des autres.


Le désir de montrer qu'on sait fait qu'on livre son âme, et




CH. VII. — L'HOMME DES CONSEILS. -99


empêche de pénétrer beaucoup de choses. « L'insensé dit
« d'abord tout ce qu'il a dans l'esprit : le sage réserve tou-
te jours quelque chose pour l'avenir. » (Prov., xxix, H . ) Il ne
se tait pas toujours : « mais il se tait jusqu'au temps con-
« venable : l'insolent et l'imprudent ne connaissent pas le
« temps. » (EcclL, xx, 7.)


Il n'y a point de force où il n'y a point de secret. « Celui
« qui ne peut retenir sa langue, est une ville ouverte et sans
« murailles. » (Prov., xxv, 28.) On l'attaque, on l'enfonce de
toutes parts.


Combien d'hommes, à qui des paroles témérairement
échappées ont causé de mortelles inquiétudes : « Qui garde
« sa bouche et sa langue, garde son âme de grands embar-
« ras et de grands chagrins. » (Prov., xxi, 23.)


Aussi le prophète s'écrie-t-il : « Qui mettra un sceau sur
« mes lèvres, et une garde autour de ma bouche, afin que
« ma langue ne me perde point? » (Eccli., xxn, 33.)


Fénelon. a dit sur l'homme discret une belle parole : « Son
« cœur est comme un puits profond, on ne saurait y puiser
« son secret. Il aime la vérité, et ne dit jamais rien qui la
« blesse : mais il ne la dit que pour le besoin ; et la sagesse,
« comme un sceau, tient toujours ses lèvres fermées à toute
« parole inutile. »


C'est du reste l'expression de l'Écriture :
« Le conseil est dans le cœur de l'homme sage comme une


« eau profonde. » (Prov., xx, 5.) On ne le découvre point, tant
ses conduites sont secrètes ; mais il sonde le cœur des au-
tres, et on dirait qu'il devine, tant ses conjectures sont sûres.


Les jeunes professeurs surtout doivent bien se pénétrer
de cette nécessité de la discrétion, qui seule fait les hommes
sérieux et les hommes sûrs. L'habitude de ne dire jamais
son secret, et encore plus de ne trahir jamais, sous aucun
prétexte, le secret d'autrui, voilà le fondement d'une sage et
prudente conduite : sans cela souvent tous les talents, et




400 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


lesmeilleures qualités, sont inutiles : personne ne se fie à vous.
La discrétion, du reste, n'est en aucune sorte incompa-


tible avec la sincérité; un homme discret sait taire son se-
cret, sans dire aucun mensonge. Il n'a même point un cer-
tain air réservé et mystérieux qu'ont quelquefois les gens
secrets, dit Fénelon ; il ne paraît point chargé du poids du
secret qu'il doit garder : on le trouve toujours libre, naturel,
ouvert, comme un homme qui a le cœur sur les lèvres. Mais
en disant tout ce qu'il peut dire sans conséquence, il sait
s'arrêter précisément et sans affectation aux choses qui pour-
raient donner quelque soupçon et entamer son secret. Par là
son cœur est impénétrable et inaccessible. Ses meilleurs
amis mêmes ne savent dans certaines affaires graves que ce
qu'il croit utile de leur découvrir pour en tirer de sages con-
seils. Ce n'est pas là manquer à la confiance, c'est prendre
au sérieux les affaires : l'homme sérieux a horreur de l'inu-
tile, et ne parle que pour un but ; l'homme d'affaires com-
prend que le secret est la meilleure des sécurités.


Non-seulement il ne faut point par indiscrétion de langage
livrer soi-même ses secrets, mais encore il faut savoir ne
pas se les laisser arracher.


Il y a deux sortes de gens dangereux pour le secret des
affaires, et contre lesquels un Supérieur, comme aussi les
Directeurs et les Professeurs, tous ceux qui participent à
quelque conseil, doivent soigneusement se tenir en garde,
les curieux indiscrets et les curieux artificieux. Il est assez
facile, pour peu qu'on ait d'attention et d'empire sur sa lan-
gue, de réprimer les premiers ; il ne l'est pas toujours au-
tant de se garder des seconds. 11 y a deux défauts souvent
inaperçus chez soi qui exposent singulièrement à leurs
pièges, le secret désir de la louange et l'amour de la flatterie,
la vivacité irréfléchie et la promptitude du caractère : il se
rencontre vite des gens qui exploitent à merveille ces deux
défauts.




CH. VII. — L'HOMME DES CONSEILS. 101


Quand ils trouvent un Supérieur un peu vain et sensible
à la louange, qui se plaît trop à raconter tout ce qui est
à son honneur, ils le flattent habilement par d'adroites
paroles, l'excitent à parler, ne se lassent jamais d'admirer
et d'applaudir, et lui font dire ainsi, sans même qu'il s'en
aperçoive, une foule de choses qu'il devrait taire. Ce que
l'imprudente confiance fait dans celui-ci, l'impatience et la
colère le font dans un autre. Celui-ci parle moins, mais
il est prompt, et si peu qu'on excite sa vivacité, on lui fait
dire ce qu'il avait résolu de taire. Pour en tirer les plus im-
portants secrets, on n'a qu'à le contredire, en l'irritant on
découvre tout : alors, fougueux, hors de lui-même, il éclate
en menaces ; il se vante d'avoir des moyens sûrs de parvenir
à ce qu'il veut. Si peu qu'on paraisse douter de ces moyens,
il se hâte de les expliquer inconsidérément « et le secret le
« plus intime échappe du fond de son cœur, » dit Fénclon,
auquel j 'emprunte ces profondes observations. » Semblable
« à un vase précieux, mais fêlé, d'où s'écoulent toutes les
« liqueurs les plus délicieuses, son cœur ne peut rien gar-
« der. Les gens artificieux le savent bien ; ils tendent des
« pièges continuels à son humeur impatiente; ils ne lui
« parlent que de difficultés, de contre-temps, d'inconvê-
« nients, de fautes irrémédiables. Aussitôt que ce naturel
« prompt est enflammé, sa sagesse l'abandonne, et il n'est
« plus le même homme. »


Il importe donc que le Supérieur soit bien averti, en ce
qui le concerne, de ce double péril, et qu'il avertisse ceux
qui, participant à ses conseils, ont comme lui la grande obli-
gation du secret. Qu'il leur parle donc souvent de cet impor-
tant sujet, et qu'il leur en fasse bien comprendre toute la gra-
vité : il a tous les droits et toutes les raisons du monde pour
leur dire des paroles comme celles-ci :


« Messieurs, je prends la liberté de vous recommandera
tous, en me la recommandant à moi-même, la discrétion :




m LIV. rr. — LE SUPÉRIEUR.
c'est ici pour nous tous un grand devoir ; et un devoir non-
seulement au dehors de la maison, mais aussi un devoir au
dedans, entre nous, ou avec nos élèves. Jamais vous ne
comprendrez trop combien il faut prendre garde dans une
maison d'Éducation et avec les jeunes gens , à ne pas trop
parler. On peut faire par là, à soi et aux autres, des torts af-
freux : je ne dis pas seulement en parlant des maîtres aux
élèves, cela se conçoit ; mais en parlant des élèves, soit à
eux-mêmes, soit à leurs condisciples. »


Un Supérieur ne saurait exiger de ses collaborateurs sous
tous ces rapports, trop de délicatesse, de prudence, de me-
sure, de tact, et je dirais de respect. Car il n'y a pas seule-
ment la loi du respect que les enfants doivent à leurs maîtres,
il y a aussi la loi du respect que les maîtres doivent aux
enfants, même quand ils sont obligés de les traiter avec une
juste sévérité.


11 ne faut jamais oublier la grande parole des saintes
Écritures : Cura magna rêver entia disponis nos.


La discrétion, c'est le respect : le respect des affaires, le
respect de ses collègues, le respect des enfants, le respect de
soi et des autres.


CHAPITRE VIII


Troisième devoir du Supérieur : Agir et faire agir.


L'HOMME D'ACTIOK.


Ce n'est pas assez que le Supérieur soit homme de con-
seil, il faut qu'il soit aussi homme d'action : il ne suffit pas
qu'il indique à chacun, dans des règlements bien faits, les




CH. VIII. — L'HOMME D'ACTION. 103


fonctions que chacun doit remplir, et, dans des conférences
suivies, les moyens de s'acquitter de ces fonctions, il faut
encore qu'il surveille l'exécution des règlements et l'a ma-
nière dont chacun les pratique : il faut qu'il perfectionne ce
qui est bien, empêche ou redresse ce qui est mal, corrige ce
qui laisse à désirer, ajoute ce qui manque, et prévienne
enfin tout oubli, toute négligence, tout abus. — En un mot,
il faut qu'il soit ce qu'on appelle un homme d'action, et
dans sa maison, l'homme d'action par excellence.


Le Supérieur en effet, je l'ai dit, a la charge de tout, la res-
ponsabilité de tout : c'est une charge immense, une ef-
frayante responsabilité. Il ne faut pas seulement qu'il pense
à tout, prévoie tout, soutienne tout, gouverne tout; il faut
au besoin qu'il puisse faire tout.


Et cela, dans les divers ordres de choses les plus dissem-
blables : dans l'ordre religieux, dans l'ordre littéraire, dans
l'ordre disciplinaire, dans l'ordre matériel et hygiénique;


Et cela, dans une œuvre où rien ne va et ne se soutient de
soi, ni au physique ni au moral ; .


Et cela, 11 faut bien le remarquer, dans une œuvre in-
grate, dans une région où, depuis le péché originel, la terre
ne porte naturellement que des épines et des ronces, comme
dit l'Écriture : Spinas ac tribulos.


On n'y fait rien qu'à la sueur de son front : in sudore
vultus; tout est maudit originairement, et la terre, et l'œuvre,
et l'ouvrier : Maledicta terrain opère tuo.


Quiconque ne comprend pastoutceci à fond, ne comprend
rien à une telle œuvre, ni aux peines inouïes qu'elle donne,
ni au dévoûment absolu qu'elle exige.


Il y a une chose surtout dont le Supérieur doit être bien
pénétré, et que je ne me lasse pas de dire : c'est que, dans
une maison d'Éducation, l'ordre semble contre la nature de
presque tous ceux qui s'y trouvent, parce qu'il impose à tous
la gêne, et tous, par conséquent, plus ou moins, conspirent




104 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


perpétuellement à le ruiner. Le Supérieur, qui est essentiel-
lement l'homme de l'ordre, est donc obligé de résister à tout
le monde; et il n'y a que la surveillance la plus intelligente,
la plus dévouée, et aussi la plus active et la plus ferme qui
puisse prévenir la ruine de tout.


C'est un fardeau à faire fléchir les plus robustes; óu plu-
tôt, sans une grâce spéciale de Dieu, les forces humaines
n'y sauraient suffire.


Il faut y avoir passé pour le comprendre : il faut avoir
senti ce poids sur ses épaules pour en bien connaître la pesan-
teur. C'est bien alors que l'on comprend combien les fonc-
tions publiques sont justement nommées des charges, et
combien est vraie la parole du Sauveur : « Que celui qui est
le premier est vraiment le serviteur de tous. » C'est à un tel
service que les forces s'épuisent, que la vie s'use, que les
cheveux blanchissent.


Pour moi, quand cette charge avec toutes ses sollicitudes
pesait sur ma conscience, il me semblait, je m'en souviens,
que ma pauvre tête était perpétuellement comme une pelotte
chargée d'épingles et d*épines innombrables. La chose n'a
malheureusement guère changé depuis !


Pour soutenir une telle œuvre, pour accomplir tous les
devoirs d'un tel gouvernement, nous l'avons dit, il faut deux
choses :


\° De bons règlements, qui ordonnent tout.
2° Un bon personnel, qui exécute tout.
Les bons règlements, sans un bon personnel, ne peuvent


rien. Un bon personnel, sans de bons règlements, ne peut
guère plus. Les deux choses réunies peuvent tout.


Mais avant tout, ce qu'il faut, c'est un bon Supérieur.
Et qu'est-ce qui fait un bon Supérieur ? quelle est sa


qualité dominante, son trait distinctif? Je l'ai dit : Un bon
Supérieur doit être un homme d'action.




CH. vin. — L'HOMME D'ACTION. 105


On ne conçoit pas autrement un Supérieur ; avant tout,
ce doit être là son capital mérite.


Sans doute, un Supérieur doit être, comme le dit l'Écriture,
un homme puissant par la parole, Potens verbo, comme il
doit être aussi un homme de prière Vir orationis; mais rien
ne saurait le dispenser d'être un homme d'action, Potens et
opere. La parole, la prière chez lui ont pour but l'action,
sont au service de l'action.


La vérité est que, dans une maison d'Éducation, l'homme
éloquent, l'homme de parole n'est vraiment rien sans
l'homme d'action.


C'est l'homme d'action, l'homme d'autorité, l'homme d'as-
cendant, c'est-à-dire l'homme qui entend, qui prévoit, qui
décide, qui agit, qui fait agir, qui s'empare des volontés, qui
leur imprime le mouvement, c'est celui-là qui est tout.


Et il ne faut pas s'y tromper : ce n'est pas seulement dans
le gouvernement et la direction extérieure d'une maison,
c'est aussi dans le gouvernement et la direction intérieure
des 4mes, même au tribunal de la pénitence, que la parole
est au service de l'action, l'homme éloquent au service de
l'homme d'autorité.


Lorsque l'homme d'autorité manque d'une parole élo-
quente, il a un grave défaut, mais il peut encore être à la
hauteur de ses devoirs. Mais lorsque l'homme de parole
manque d'action et d'autorité, sa parole est vaine, sans
fermeté intérieure, sans fruit réel au dehors.


Je suis singulièrement frappé quelquefois de l'énergie de la
langue française, et des tours expressifs avec lesquels elle
rend certaines idées: c'est ainsi quecette expression, l'homme
d'action, me parait peindre avec une force merveilleuse, et
d'un trait, tout ce que doit être un Supérieur. Ce seul mot
dit tout.


J'ai nommé l'homme de parole, l'homme de prière : on
3eut nommer encore : l'homme de cabinet, l'homme d'étude,




4 0 6 U V . I e r . — LE SUPÉRIEUR.


, mais rien de tout cela ne caractérise le bon Supérieur. Ce
qu'il doit être avant tout et par-dessus tout, c'est homme
d'action. Tous ces hommes-là, l'homme de prière, l'homme
de parole, l'homme d'étude, l'homme de cabinet, l'homme
de bon conseil, doivent sans doute venir dans le Supérieur
fortifier l'homme d'action ; mais nul d'entre eux ne peut le
remplacer; seul il les représente tous.


Il est d'ailleurs aisé de concevoir pourquoi un Supérieur
doit être par-dessus tout un homme d'action ;-en voici trois
grandes raisons :


4° C'est que l'Éducation est une grande œuvre, une grande
action, opus; et non pas une spéculation théorique : c'est
surtout une action multiple, faite par un grand nombre
d'agents divers, et qui a besoin par conséquent d'être diri-
gée par une action suprême et dominante.


2° Il est évident d'ailleurs que l'homme d'action, dans
une action, est infiniment plus nécessaire et par conséquent
plus aimé, plus estimé que celui qui n'est pas homme d'ac-
tion. Et pourquoi? C'est que l'un est seconrable à tout le
monde, et que l'autre ne sert à rien ni à personne.


Sans doute l'homme d'action, quand il est Supérieur, est
un homme difficile, exigeant ; il exige l'action des autres,
mais en l'exigeant, il les aide par son action personnelle, il
les encourage à agir, il les guide, il les soutient, il les satis-
fait. Et voilà pourquoi on l'aime, on l'estime. On crie quel-
quefois contre lui, mais au fond on l'aime, parce que dans
l'œuvre où l'action est nécessaire, on n'est satisfait au fond
que de l'action.


En un mot, tout le monde et toutes choses souffrent de
l'inaction, et au contraire .vivent de l'action et s'en réjouis-
sent ; car comme il est ici question de l'action nécessaire,
quand elle manque, tout manque : quand on la sait là, on ne
craint plus, et tout va bien.




CH. vin. — L'HOMME D'ACTION. 4 0 7


3° Dans l'œuvre où l'action est nécessaire, non-seulement
il n'y a d'aimé, mais il n'y a de respecté et de suivi que
l'homme d'action ; on ne s'enrôle que sous un homme d'ac-
tion.


Son ascendant commande, entraîne ; on marche à sa suite ;
on ne s'attache définitivement qu'à lui ; avec tout autre, on
doute, on hésite : on ne doute pas avec lui, on marche; et
tout se fait.


Et de là les paroles de l'Écriture : In opère abundantid;
in opère divitice; in opère potentia: c'est dans l'action qu'est
l'abondance ; dans l'action qu'est la richesse ; dans l'action
qu'est la puissance.


Et l'Écriture ajoute : Quem timeo? Velocem in opère :
L'homme que je crains, quel est-il? C'est l'homme prompt
et vif à l'action. In omnibus operibus tuis esto velox, et
omnis infirmitas non occurret tibi : Soyez actif et prompt
dans toutes vos œuvres, et nulle infirmité ne viendra à votre
rencontre.


Tel doit être un Supérieur. Toutefois, comme le disait Fé-
nelon, son action ne doit avoir rien d'impétueux ni de
précipité : toujours calme et doux, libre et tranquille, tou-
jours prêt à écouter les autres et à profiter de leurs conseils,
mais prompt et rapide dans l'exécution ; actif, prévoyant,
attentif aux besoins les plus éloignés, arrangeant toutes
choses à propos, ne s'embarrassant de rien et n'embarras-
sant personne ; excusant les fautes, réparant les mécomptes,
prévenant les difficultés ; s'appliquant à donner ses ordres
dans les termes les plus simples et les plu s précis ; ne deman-
dant jamais rien de trop aux autres; inspirant partout la
liberté, le zèle, la confiance ; voilà comment agit un bon
Supérieur. Il donne à tous l'exemple de l'activité et du
travail ; il demande beaucoup , mais il fait encore plus lui-
même qu'il n'exige des autres. Infatigable à la besogne, on
le voit partout, aux récréations, aux classes, à l'étude, à l'in-




108 L1V. 1 " . — LE SUPÉRIEUR.


firmerie, rendant par sa présence chacun plus appliqué:
c'est lui qui travaille le plus et qui se repose le moins: son
repos est souvent interrompu par les avis qu'il reçoit à tou-
tes les heures, ou par ses propres sollicitudes, ou par la fré-
quente visite de toutes les parties de la maison, qu'il ne fait
jamais deux fois de suite aux mêmes heures, pour tenir en
éveil la vigilance de tous : la nuit même sa sollicitude ne l'a-
bandonne pas, et les soins de la surveillance viennent en-
core troubler parfois son sommeil.


Usait que ce n'est pas pour lui-même que Dieu l'a fait
Supérieur, mais pour les autres ; qu'il appartient à sa maison,
et tout entier; que c'est à elle qu'il doit tout son temps, ses
soins, son affection, et qu'il n'est digne enfin d'être Supé-
rieur qu'autant qu'il s'oublie lui-même pour se donner à
tous.


Vous êtes peut-être jeune encore, mais enfin vous êtes Su-
périeur ; agissez donc, et montrez-vous de telle sorte, dit saint
Paul, que personne ne méprise votre jeunesse : Nemo ado-
léscentiam tuam contemnat. Laissez donc tous les amuse-
ments de l'âge passé ; faites voir que vous pensez, que vous
sentez comme vous devez penser et sentir. Ainsi que le
disait encore Fénelon, c'est le moment de montrer une ma-
turité et une vigueur d'esprit proportionnées à l'œuvre qui


«. mwm\ftvi&«ivpLea^ e,t qjift tans, voua estiment. »


Pour cela, ce qu'il faut essentiellement et par-dessus tout à
un Supérieur, c'est la fermeté du caractère, la force de la


volonté.
C'estpar là que le Supérieur sera vraiment un homme d'au-


torité, qu'il saura agir et faire agir.
En effet, c'est par l'ascendant du caractère et de la vo-


lonté qu'on gouverne les hommes : il y a dans un homme de
caractère, je ne sais quelle force à laquelle il faut que tout




CH. VIII . — L'HOMME D'ACTION. 109


cède : on sent le Supérieur, le guide, le maître au besoin ; on
se tait, on suit, on est entraîné, et au fond on est heureux
de l'être.


C'est une telle volonté qu'il faut à un Supérieur : une vo-
lonté qui, après avoir pris conseil,s'imposeetse fasse suivre;
une volonté ferme et décidée, qui sache prendre son parti,
et une fois le parti pris, n'hésite plus, ne vacille pas. Rien
ne compromet plus l'autorité d'un Supérieur que les irréso-
lutions et les oscillations. « Ne vous laissez point aller, dit
« Fénelon, à la lenteur et à l'indécision. Coupez court, et
m faites hardiment des fautes dans le détail, plutôt que de
« faire en général celle de trop hésiter et de ne point mar-
te cher. »


Il faut à un Supérieur l'initiative, je dirai le mot, Yi-i-rfi,
l'action énergique sur les hommes, pour les améliorer, les
élever, les fortifier. Il faut qu'un Supérieur presse, anime,
aiguillonne.


Sans doute, le Supérieur, surtout s'il est revêtu du carac-
tère Sacerdotal, ne doit jamais oublier la douceur; mais il
doit se souvenir aussi, comme le dit saint Paul, que quand
on est prêtre, quelles que soient les fonctions, il faut savoir
prœesse.


Il y a dans la langue latine un mot d'une extrême énergie,
qui rend bien ici ma pensée, et convient merveilleusement
au Supérieur. C'est le mot strenuus. Je m'en servais souvent
avec nos messieurs, quand je voulais les animer à l'action.
Il faut être, leur disais-je, en toutes choses, strenuus. In
agendo, dans l'action : point de lenteur et d'inertie; de l'ac-
tivité, de l'ardeur, de la suite et de la constance. In dicendo,
dans la parole : rien de mou ou d'hésitant, de timide ou d'em-
barrassé ; quelque chose d'assuré, de net et de ferme. In mo-
nendo, dans l'avertissement : de la bonté, de l'affection sans
doute, mais aussi parler de haut, avec gravité, avec poids et
autorité. In arguendo, dans le reproche : pas de vains mé-




1 1 0 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


nagements, de vaines délicatesses ; sachez avoir, quand il le
faut, une sévère rigueur. J'ajoutais enfin avec saint Augus-
tin, in terrendo, dans la terreur : oui, dans les cas extrêmes,
quand il est nécessaire d'inspirer une crainte salutaire,
épouvantez, faites trembler.


Et qu'on ne pense pas que cette fermeté soit opposée à la
bonté, ni même à la tendresse. Sans doute, il faut à un Su-
périeur de la bonté pour tempérer sa fermeté; mais si l'on
veut que les enfants comme les hommes obéissent volontiers
et travaillent sérieusement, il faut toujours les tenir en ha-
leine par une sage alternative de fermeté qui les maîtrise et
de bonté qui les dilate.


Mais le sentiment affectueux d'un Supérieur n'est pas la
molle et timide bonté d'une mère faible, c'est la forte et vi-
rile affection d'un père sage ; c'est-à-dire que toute sa ten-
dresse et sa bonté de cœur, le Supérieur doit les tourner en
force : il lui faut cet amour fort, dont parle la sainte Écri-
ture : Fortis est ut mors [dilectio; il faut même que cette
force devienne dure au besoin : Dura sicut infernus, c'est-à-
dire, qu'elle ignore les mous et faibles attendrissements, et
qu'elle ne craigne pas de faire de la peine, de faire quelque-
fois crier ceux qu'elle aime, si c'est nécessaire pour les sau-
ver. Le désir défaire du bien, de sauver une âme qui se perd
inspire ce fort amour : c'est l'amour de la mère, qui pousse
un cri, qui fait un suprême effort, si son enfant va périr.


Avec la fermeté et la force, la vraie bonté, le vrai amour
inspire aussi la clairvoyance, qui soupçonne, qui regarde,
qui devine, qui voit venir le péril , et qui sait toujours où en
sont toutes choses ; qui connaît le bien et le mal des enfants,
les brebis malades, tout ce qui a particulièrement besoin
d'être soigné ; et avec fermeté, quand il le faut.


La clairvoyance et la fermeté, voilà deux traits essentiels
de la vraie bonté et du vrai amour : si vous n'êtes pas clair-
voyants et fermes, vous n'aimez pas utilement..




CH. VIII . — L'HOMME D'ACTION. 1 \ 1


Ce n'est pas aimer que de ne pas vouloir le bien de ceux
qu'on prétend aimer ; or, la faiblesse, la mollesse dans les
Supérieurs souffre le mal, et fait le mal. Elle jette inévitable-
ment un Supérieur dans des embarras souvent inextrica-
bles; elle le met forcément dans cette redoutable alter-
native, ou de fermer les yeux sur les désordres les plus
graves, ou de recourir tardivement à des rigueurs exces-
sives, qui le plus souvent, ne remédieront à rien, et toujours
irriteront.


L'homme, qui est le plus souvent obligé de sévir, ce n'est
pas l'homme dont on craint la fermeté, c'est l'homme dont
on connaît la faiblesse*


« On entreprend aisément contre un Supérieur faible, dit
« Bossuet, et de plus ses faiblesses sont pernicieuses aux
« particuliers, à toute la maison, et à lui-même, contre qui
« on ose tout, parce qu'on sait qu'il se laisse facilement en-
« tamer. »


C'est pourquoi Bossuet disait encore : « Tout Supérieur
« faible est injuste. » Un Supérieur ne doit craindre per-
sonne ; « il ne doit craindre que de mal faire. » Il faut qu'on
l'aime sans doute, mais aussi qu'on le craigne, de cette
crainte respectueuse et filiale, qui tient chacun dans le
devoir.


En effet, par sa faiblesse il fait tort à tout le monde. Ce
qu'il doit à tous, ce n'est point de ne pas fâcher, de ne pas ré-
primer ; ce n'est point le désordre, les caprices contre la
règle, les étrangetés, les fantaisies de tout genre : ce qu'il
doit à tous, c'est le bon ordre, c'est la paix, c'est la liberté
du bien ; c'est surtout le maintien de la règle, sans la-
quelle nul bien n'est possible. Voilà ce qu'il doit fermement
maintenir et à tout prix : autrement il est coupable.


« La peur de fâcher poussée trop avant, dit Bossuet, dégé-
« nère en une faiblesse criminelle.


« La crainte est un frein nécessaire aux hommes à cause




412 i l V . I e r . — LE SUPÉRIEUR.


de leur orgueil et de leur indocilité naturelle : » à plus forte
raison nécessaire aux enfants.


Il importe peu qu'on dise de vous que vous êtes bon, si on
n'ajoute pas que vous êtes ferme.


Car c'est avec une telle bonté qu'on est sûr de tout ruiner.
Et qu'importe encore que ce soit par bonté et indulgence


que vous aurez laissé tout périr, lorsque tout aura péri?
C'est donc être coupable au premier chef, quand on est


Supérieur, que de manquer de la fermeté nécessaire. Aussi
Dieu, dit Bossuet, ne pardonne pas la mollesse aux Supé-
rieurs. La mollesse d'Aaron fut cause du crime de son peu-
ple. Que vous a fait ce peuple, lui ditfiieu, pour l'induire à
un si grand mal? Ainsi le crime du peuple est imputé à
Aaron, parce qu'il ne l'avait pas réprimé. Remarquez encore
ces termes : Que vous a fait ce peuple ? c'est être l'ennemi du
peuple que de ne lui pas résister quand il veut faire le mal.
Aaron cherche à se justifier : « Que mon Seigneur ne se
fâche point contre moi ; vous savez que ce peuple est enclin
au mal : et je les ai craints. »


Quelle excuse ! Dieu ne la reçoit pas, « et irrité au dernier
« point contre Aaron, il voulut l'écraser » (Deut., ix, 20).


Saûl pense s'excuser sur le peuple de ce qu'il n'a pas exé-
cuté les ordres de Dieu. Vaine excuse que Dieu rejette; car
il était établi pour résister au peuple, lorsque le peuple se
portait au mal.


Il faut donc bien entendre qu'on n'est pas Supérieur pour
craindre et pour céder.


Du reste, dans l'exercice de l'autorité, et en prenant même
les résolutions les plus vigoureuses, un Supérieur de mai-
son doit bien étudier les conjonctures, et ne pas toujours
pousser les enfants sans mesure, et à toute outrance.


De même il faut bien distinguer ce qui doit être fait vite et
de suite, et ce qui permet une certaine attente. Par exemple,
avec les petits complots qui s'organisent quelquefois parmi




CH. VIII. — L'HOMME D'ACTION. 113


les enfants, il ne faut pas perdre une minute. Il faut savoir
les pénétrer et les dissiper sans donner le temps aux cou-
pables de se reconnaître. « Le fort du conseil est de s'atta-
cher à déconcerter l'ennemi et à détruire de suite ce qu'il
a de plus ferme. »


De même quand il s'agit de fautes contre les mœurs, c'est
sur-le-champ qu'il faut agir. 11 n'y a jamais de retard pos-
sible : autrement le mal serpit ut cancer, comme dit saint
Paul. Mais nous traiterons à fond, en son lieu, ce grave
sujet.


Du reste un homme, un Supérieur, vraiment ferme et cou-
rageux, est plus capable qu'un autre de conseils modérés ;
mais, quand il est engagé, il se soutient mieux. Au contraire,
ce sont les gens timides, qui, d'ordinaire, sont le plus ex-
posés à manquer de mesure et de modération. Fiers et
menaçants d'abord, ils lâchent pied dans le péril ; ils pren-
nent la fuite au premier bruit.


La vraie fermeté n'est donc pas l'inflexible obstination qui
s'entête aveuglément, ni la sévérité outrée qui ne connaît
jamais l'indulgence, ni l'ostentation de la menace qui éclate
d'abord, et puis se dément et n'est pas suivie d'effet.


Ce n'est pas non plus la répression amère, qui mêle à la ré-
primande le sarcasme et la moquerie. La tendance à railler
les élèves et à les livrer à la risée de leurs condisciples se-
rait désastreuse dans un maître, et surtout dans un Supé-
rieur. Il a le droit de corriger, non celui de se moquer : il
l'a même moins que personne, parce qu'il est trop facile-
ment le plus fort. D'ailleurs, en se moquant, il ne corrigerait
pas, il exaspérerait, non-seulement sa victime, mais tout le
monde : les enfants, sans s'en rendre toujours bien compte,
ont un vif et juste sentiment des choses. Quelquefois un
Supérieur, et encore est-ce bien délicat, peut livrer à la risée
publique un défaut, mais jamais la personne : un défaut, dis-
je ; par exemple, la vanité dans les paroles, dans les habits,


'., m. 8




4 U L1V. I e r . — LE SUPÉRIEUR,


dans la chevelure, la paresse, le bavardage, certaines origi-
nalités extérieures, ou tels autres défauts, dont souvent le
ridicule est à la fois le plus juste châtiment et le meilleur
remède. Mais en fustigeant le défaut, je le répète, il faut
toujours ménager la personne.


« Le Supérieur, dit Bossuet, doit donc se garder des pa-
* rôles amères et surtout des paroles moqueuses. Son dis-
« cours, loin d'être emporté et violent, ne doit pas même
« être rude ; de tels discours aliènent tous les esprits. »


Ainsi que le disait autrefois le poète :


Quum sibi quisque Hmet, quanquam est inlactus, et odit.
(HORACE. )


« Le Supérieur doit donc retenir sa langue, dont les bles-
« sures , comme dit l 'Écriture, sont souvent si dange-
« reuses, » et faire en sorte que tous ses collaborateurs
aient la même retenue. C'est dans une maison d'Éducation
que chacun doit prendre garde à ce que cette parole des
Écritures ne lui soit pas appliquée : « Leur langue est une
« épée affilée ; ils ont aiguisé les uns contre les autres leurs
« langues, comme des langues de serpent : leur morsure est
« venimeuse. »


C'est au Supérieur à réprimer sévèrement ce détestable
défaut, là où il se montre, et de ne permettre en aucune
sorte qu'il s'implante dans la maison ; il pourrait en devenir
la perte.


On le voit, la charge de l'autorité est grande et l'exercice
n'en est pas chose facile. Tout repose, dans une maison, sur
la fermeté, sur l'autorité du Supérieur : tout, l'ordre, le tra-
vail, la discipline, la piété, le bon esprit. C'est comme la co-
lonne de la maison : si cette colonne fléchit, si elle tombe,
de toui côtés ce ne sera que ruine.




CH. VIII. — L'HOMME D'ACTION. 115


Et voilà pourquoi l'Écriture dit : Stabit, etpascet in forti-
tudine gregem Domini. Celui qui paît le troupeau du Sei-
gneur doit être toujours debout et ferme. La fermeté, la
force, fortitudo, tel est le grand caractère du vrai pasteur.
Mais cette force vient de l'amour, et c'est le dévoûment seul
qui la soutient; aussi l'Écriture ajoute : Et erit iste pax, et
cet homme sera la Paix.


En effet, il n'y a de paix que sous la protection de la fer-
meté, parce que c'est la fermeté qui maintient l'ordre," et dé-
fend les bons, ceux qui veulent le bien, contre les méchants,
et contre tous ceux qui ne veulent pas le bien et lui pré-
fèrent le mal.


Telle est donc la nécessité de l'action, de l'action vigi-
lante et ferme : c'est ainsi que le Supérieur sera réellement
ce qu'il doit être, un homme d'autorité.


Mais j'ajoute un dernier mot. Pour cela, pour avoir de
l'ascendant, de l'autorité, il faut bien comprendre trois
choses : son droit, son devoir, son dévoûment.


Son droit : — In me loquitur Christus : pro Christo lega-
tione fungimur. L'autorité d'un Supérieur est l'autorité
même de Dieu, dont il est auprès des enfants le représen-
tant, et au nom duquel il parle.


Son devoir : — Il faut se dire : toutes les fois que je flé-
chis, je pèche ;


Son dévoûment: — Il faut donner soi-même l'exemple, mais
exiger qu'il soit suivi.


Et si l'on sent quelquefois qu'on se ralentit, qu'on se re-
lâche, il faut de suite s'exciter, se ranimer, et, selon la pi-
quante et juste expression de Fénelon, se pincer soi-même.
« Pincez-vous, écrit-il à un Supérieur, comme on pince un
« léthargique. Faites-vous piquer par vos amis pour vous
« réveiller. »


Les Supérieurs ne possèdent pas tous au même degré l'éner}




116 L1V. 1 E R . — LE SUPÉRIEUR.


gie de volonté ; mais elle est nécessaire à un certain degré à
tout Supérieur. Pour l'acquérir et la fortifier, ce que peuvent
l'attention, l'application, l'effort persévérant, la conscience,
la vertu, est étonnant.


Au reste, il y a des moyens pour ranimer en soi et. tenir
toujours vive et agissante cettèfermeté'et cette énergie dont
un Supérieur ne doit se départir jamais. Je ne puis mieux
terminer ce chapitre qu'en indiquant ici ces moyens pra-
tiques, ces habitudes, qui doivent passer dans la vie d'un
homme chargé de diriger une maison, et qui veut remplir
sa charge.


Ces moyens sont :
1° La prière : c'est en tout et toujours le grand moyen.
2° La prévision des occasions où on a besoin d'autorité. Un


caractère faible, pris à l'improviste, reste lui-même avec sa
faiblesse : mais s'il a prévu, il se fortifie et s'arme d'avance.


3° La préparation des formules, et en général des paroles
par lesquelles on exerce l'autorité. Jamais l'exercice de l'au-
torité ne doit être en vain ; sinon, on l'affaiblit et on la ruine :
c'est pourquoi il importe d'être sûr de ce qu'on dit, quand la
parole doit avoir une portée et produire un effet; et l'on n'est
vraiment sûr que de ce qu'on a bien médité à l'avance.


i° 11 y a même des moyens physiques, qu'il ne faut pas né-
gliger ; le ton de voix, le regard : rien ici n'est indifférent,
ni sans conséquence : et toujours la fermeté dans la douceur,
et la douceur dans la fermeté; un certain air et maintien
dégagé; expeditus [non impeditus) lingua, opère, gressu,
consilio, definitione...


11 est essentiel encore :
1° De tenir un ordre parfait dans ses papiers, ses notes,


ses agenda. C'est une chose vraiment surprenante à quel de-
gré l'ordre est fortifiant : au milieu du désordre, un caractère
faible surtout se noie et ne sait que devenir.


2" Faire écrire ce que l'on veut vous dire : de cette façon,




CH. VIII. — L'HOMME D'ACTIOX. 417


chacun s'explique et se comprend mieux, et on ne vient
pas dire au Supérieur des choses désordonnées qui le trou-
blent. Les gens tumultueux déconcertent : on ne sait plus
avec eux où on en est. Il faut aussi qu'il écrive ce qu'il veut
faire ou dire lui-même. Autrement il oublie, et comment
presser l'exécution de ce qu'on a oublié? Mille défaillances
de l'autorité n'ont lieu que parce que les préservatifs maté-
riels contre l'oubli n'ont pas été employés.


Il est essentiel encore de faire chaque chose l'une après
l'autre, en son lieu et en son temps. C'est le seul moyen de
trouver le temps de tout faire, et de tout faire bien.


En général, ce ne sont pas les choses qui se font, qui font
perdre le temps ; ce sont les choses qui ne se font pas et
doivent se faire : elles préoccupent; elles obligent à s'en
occuper plusieurs fois.


Enfin, j 'y reviens encore, et c'est par là que je termine, le
dernier comme le premier moyen d'être l'homme d'action
qu'il faut être, c'est d'être homme de prière : il faut prier;
demander à Dieu la grâce de l'action, la force de l'exécution
simple et immédiate.


Donc, les exercices de piété avant tout, afin d'être tou-
jours, au milieu de tant de détails souvent fastidieux et acca-
blants, dans le calme et la paix par l'élévation et la sérénité
de l'âme, comme dit saint Grégoire : In altitudine et sere-
nitate mentis.


Voilà ce qu'est, et ce qui fait l'homme d'action.




118 LÏV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


CHAPITRE IX


D'une grande qualité et d'un grand défaut dans l'homme d'action.


1


DE LA GÉNÉROSITÉ ET LARGEUR D'ESPRIT DANS UN SUPÉRIEUR.


Avec l'autorité du caractère et la fermeté de la volonté, il
faut au Supérieur une autre qualité, indispensable complé-
ment de la première : il lui faut une certaine largeur et
générosité d'esprit.


Quand on a une volonté forte, absolue, et quelquefois un
commandement impérieux, il faut avoir un esprit géné-
reux, un grand esprit même, au moins dans la sphère où on
agit, où on commande : de grandes vues, des lumières
vives, des aperçus spacieux, cela met au moins l'esprit des
inférieurs au large, inspire confiance, et console des con-
traintes que souffre la volonté.


Un homme qui n'aurait pas de largeur d'esprit, courrait
risque, dans un gouvernement à si multiples et si menus dé-
tails, de se prendre à des idées d'une étroitesse extrême, de
s'enfermer, sans vouloir en sortir, dans les points de vue les
plus mesquins, et par suite de tomber dans un despotisme
misérable.


On peut être absolu dans un horizon vaste ; là, c'est toléra-
ble : il y a place encore et aisance pour le mouvement d'une
liberté légitime. Mais être absolu dans un cercle rétréci,
c'est une tyrannie intolérable et ridicule.


Une volonté forte et ferme n'est pas d'ailleurs une volonté




CH. IX. — D'UNE GRANDE QUALITÉ DANS L'HOMME D'ACTION. 14 9


aveugle et obstinée ; c'est une volonté calme et invincible
dans la raison et le devoir.


Ne se défier jamais de soi, n'écouter jamais les autres, r e -
pousser toute idée qu'on n'a pas soi-même conçue, ne se
rendre pas aux raisons, ce n'est point de la* fermeté, c'est
entêtement et petitesse d'esprit. Rien ne sert moins l'au-
torité, parce que, secrètement, rien ne révolte plus les
âmes.


Il faut savoir écouter et se rendre aux bonnes raisons,
comme aussi savoir supporter et recevoir les bonnes excuses.


Il y * de petites choses Sur lesquelles il faut Savoir passer,
quand les choses essentielles sont sauvegardées, quand le
bien important se fait. C'est le grand danger d'un Supérieur,
qui doit être un homme de détail, de tomber dans la minutie.
Il faut avoir assez de sens pour comprendre toute la portée
des détails, sans jamais l'exagérer. C'est ainsi qu'on évite
les exigences inutiles et les négligences funestes, deux
choses également fatales à l'autorité.


Il ne faut pas exiger plus qu'il n'est juste et raisonnable ;
comme aussi il faut savoir donner la raison des choses, et
faire entendre distinctement Soit aux maîtres, soit même aux
enfants, ce qu'on leur demande, et moyennant quoi on sera
content.


Onn'est un homme d'autorité qu'autant qu'on dit et qu'on
montre aux autres la raison qu'ils ne voient pas.


Il faut donc à un Supérieur des vues larges, mais justes et
sûres, le coup d'œil simple et rapide, lé discernement
vif et prompt du but, des difficultés et des moyens, des
hommes, des caractères, des nuances. Pas d'hésitations inu-
tiles, pas de fâcheux tâtonnements, pas de maladresse. Tel
jour, tel moyen convient et il ne convient pas tel autre jour.
Pourquoi? Que sais-je ! pour un rien : parce que les esprits,
parce que le temps lui-même est changé. Il faut qu'un Supé-
rieur sente cela, qu'il sente pour ainsi dire ce qu'il y a dans




420 L1V. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


l 'air; qu'à la simple inspection des enfants, à leur seule ma-
nière de se tenir, quand il entre à l'étude par exemple, à je
ne sais quoi enfin, il pressente qu'il y a, ce jour-là, quelque
chose qui permet d'être sévère, quelque chose qui ne le per-
met pas. Ces nuances ne se définissent point, mais elles sont
d'une extrême importance à discerner. Pour tout cela, on le
sent, il faut du tact, du coup d'œil, un esprit pénétrant aussi
bien que large.


Il faut être Yenucleator, c'est-à-dire l'homme qui dénoue,
qui débrouille ce qu'il y a au fond des affaires; l'homme qui
arrange, qui concilie, qui termine toute difficulté. Pou^cela,
il faut surtout vite saisir le point essentiel et précis des
choses, le point défectueux qu'il s'agit de corriger, d'extirper,
et d'extirper quelquefois à Vinstant môme, de peur que le
mal ne grandisse et ne se propage comme la tache d'huile.


Là générosité d'esprit s'allie d'ailleurs à merveille avec
une autre qualité, nécessaire adoucissement de l'autorité, et
dont nous avons déjà eu occasion de dire un mot, je veux
parler de la bonté, de la cordialité : la générosité d'esprit et
la cordialité sont vraiment sœurs.


Un Supérieur peut n'être pastoujours tendre et affectueux,
mais il doit être toujours bon, dévoué, cordial.


Il faut être si exigeant d'ailleurs ! il faut quelquefois
faire tant de peine !


Car un Supérieur qui ne fait jamais de peine à personne,
est nécessairement un mauvais Supérieur : la nature hu-
maine et l'œuvre de l'Éducation étant données ce qu'elles
sont, celui qui ne fait de peine à personne, fait bientôt peine
à tout le monde, parce qu'il laisse tout souffrir et bientôt tout
périr.


Vous êtes Supérieur : eh bien, n'oubliez pas ce que je vous
ai dit déjà, c'est qu'il y a une conspiration universelle contre
vous : tout tend, tout conspire autour de vous au relâche-
ment, au désordre, à la ruine.




CII.IX. — D'UNE GRANDE QUALITÉ DANS L'HOMME D'ACTION. 1 2 1


Gomme vous êtes l'homme de l'ordre, vous êtes l'adver-
saire de tout le monde.


Or, voilà ce qu'il faut racheter par la bonté du cœur, pal-
la cordialité.


Sans cordialité, les exigences les plus légitimes du zèle
peuvent facilement être prises pour des importantes tyran-
niques, et la fermeté ressembler à la dureté.


Mais la cordialité adoucit les choses les plus dures, et fait
accepter les plus importunes.


Une austérité sévère et sombre, dit l'Écriture, rembrunit
les fronts, attriste les âmes ; une cordialité aimable et ex-
pansive épanouit les visages et dilate les cœurs : Verbum
dulce multiplicat amicos.


Alors, quelque exigeant que soit un Supérieur actif, infa-
tigable, quelques labeurs qu'il impose, on travaille le cœur
content; et, selon le mot du prophète, dilaté par la joie, on
court dans la voie de ses désirs : Cucurri in viam mandato-
rum tuorum, quia dilatasti cor meum.


Par dessus tout, qu'on ne senjte pas que vous voulez ce
qui s'appelle domine?.


II y a l'esprit de gouvernement, et il y a l'esprit de domi-
nation : non-seulement l'un n'est pas l'autre, mais je n'hé-
site pas à dire que l'un tue l'autre.


L'esprit de domination ne tient compte que de soi et de
ses avantages personnels.


L'esprit de gouvernement ne s'occupe que des autres et de
leur bien.


Quand l'autorité affecte la domination, elle se perd,
parce qu'elle méprise la liberté légitime et nécessaire ; de
même que quand la liberté affecte la licence et méprise
l'autorité, elle se perd aussi.


C'est rendre odieuse l'autorité, dit Fénelon, que de n'y pas
joindre la douceur, les égards, la condescendance : quand on
est sans patience, sans indulgence, quand on ne sait rien




422 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


supporter, rien excuser, on fait mal le bien même. Non, il
faut qu'un Supérieur sache se faire aimer, aimer des maîtres,
aimer des enfants.


Rien n'éloigne plus les enfants qu'un air dur, un abord
froid, un front dominateur; rien ne les attire plus qu'un air
doux et affectueux : tandis que leur cœur confiant s'ouvre de
lui-même à l'homme qui les accueille avec bonté et affabilité,
il se ferme à l'homme qui ne leur montre jamais qu'un re-
gard sévère. C'est avec tout le monde, mais avec les enfants
surtout, qu'il faut être bon, affable, accessible.


Sans doute- il faut de la dignité et de l'autorité, mais sans
hauteur ni humeur sauvage.


La véritable dignité sait descendre avec bonté jusqu'aux
plus petits, pour se mettre en leur place, et cette bonté n'af-
faiblit jamais ni l'autorité ni le respect.


Sans doute, pour cela il faut que l'autorité soit bien établie ;
mais quand on a une fois cette autorité, on peut, on doit
avoir une bonté qui ravisse tous les cœurs.


Qu'un Supérieur sache donc tempérer une sévérité néces-
saire, et peut-être naturelle, par un extérieur facile et des
formes affectueuses. Qu'il ne compte pas uniquement sur
son autorité, mais aussi sur sa bonté; qu'il ne gouverne
pas seulement par la crainte, mais aussi et surtout par
l'amour.


Comment ne voit-on pas que ce qu'on fait faire aux en-
fants à force de menace ou de châtiment, quelque bien qu'il
soit, est toujours par là même dur, pénible, accablant, quel-
quefois haïssable. C'est faire haïr le bien, que d'y con-
traindre durement. Il faut le faire aimer. Tout ce qu'on
fait par amour, persuasion, bonne volonté, quelque rude
qu'il paraisse, devient toujours doux.


Autrement, les enfants sont toujours contraints avec leurs
maîtres, toujours gênés et mal à l'aise.


Ils font à regret le bien, pour éviter le châtiment. Ils fe-




CH. IX. — D ' U N E GRANDE QUALITÉ DANS L'HOMME D'ACTION . 123


raient le mal, s'ils osaient le faire, et s'ils pouvaient espérer
l'impunité.


Je sais bien que cette douceur peut demander quelquefois
beaucoup d'efforts à un caractère raide et âpre, mais c'est une
vertu nécessaire, et un Supérieur doit tout faire pour l'ac-
quérir : les meilleures natures môme n'ont pas la vraie et
parfaite douceur naturellement, il y faut la main de Dieu;
mais la main de Dieu est capable d'assujettir toute raideur,
d'adoucir toute âpretè.


Que si à la fermeté un Supérieur ajoute un calme imper-
turbable, il se donne sans contredit un des plus grands
avantages qu'il puisse avoir.


La douceur et le calme pourraient même, au besoin, cou-
vrir le défaut d'une cordialité réelle.


Par là, dit Fénelon, un Supérieur apparaît égal, ferme, se
possédant toujours lui-même, ne précipitant rien, écoutant
tout, et ne décidant jamais qu'après un examen tranquille.


Il évite l'impatience et l'inquiétude, dont les natures actives
et ardentes ne se gardent pas toujours assez.


L'action, la bonne activité d'ailleurs, se concilient merveil-
leusement avec le calme et la patience.


Il est évident que plus un Supérieur est occupé et tiraillé,
plus il a besoin de calme, de patience, de douceur avec lui-
même et avec les autres.


Par là, il fait les choses posément, une à une, à leur tour,
avec sûreté : il n'est pas de ces hommes inquiets, empressés,
précipités,irrités dans les moindres contradictions, véri-
tables ardèlions spirituels, incommodés de tout et presque
toujours incommodes. Non, paisible dans les embarras, il
considère la difficulté, il conserve la liberté de son jugement,
il est maître de son action.


Il supporte ce qu'il ne peut encore corriger, il ne s'irrite
pas hors de propos, il sait attendre.


Il y a des gens impatients et sévères avec qui il n'est pas




124 L1V. 1 " . — LE S U P É R I E U R .


Bien différent est un homme qui manque de cette grande
qualité, la générosité de l'esprit et la cordialité; dont l'ac-


permis d'avoir des défauts, et qui étant durs à eux-mêmes,
le sont également aux autres ;


Il y en a à qui l'impatience des défauts d'autrui arrache
des paroles amères ou dédaigneuses ;


Il faut qu'un Supérieur évite soigneusement de tels excès :
De sa part surtout, point de mauvaise plaisanterie sur les


petits ridicules ; nulle impatience sur aucun des travers de
ses collaborateurs.


Aussi bien, le vrai moyen de corriger les défauts qui font
peine, n'est pas de crier ou de fatiguer les gens; c'est d'ou-
vrir peu à peu les cœurs par une conduite patiente, cordiale,
libre et tranquille. Maisparler avec chaleur et âpreté, revenir
sans cesse à la charge, vouloir tout emporter de force sans ja-
mais essayer les moyens doux et pacifiques, c'est vouloir iaire
le bien par une mauvaise voie, et souvent c'est tout gâter.


Je ne sais où j 'ai lu, c'est dans saint François de Sales, je
crois, qu'il ne faut rien faire de force ; et qu'il vaut mieux
attendre un peu pour ouvrir la porte avec la clef, que de
rompre la serrure par impatience.


C'est du bon sens : plus j 'y pense, plus je trouve que tout
peut tourner très-promptement à bien dans une maison gou-
vernée comme je viens de dire : sans doute il y faut de la
suite et de la fermeté, je dirai même de la poursuite; mais
pourvu que ce soit avec une certaine générosité d'esprit,
avec une bonté constante, et une aimable cordialité, tout
réussira.


Tel est, à mon sens, le bon, le véritable, le grand Supé-
rieur.


I I


DE LA RAIDEUR DE CARACTERE DANS UN SUPÉRIEUR.




CH. IX. — D'UN GRAND DÉFAUT DANS L'HOMME D'ACTION. 425


tion est impérieuse, avec raideur ; dont l'autorité n'est pas
tempérée par la bonté. '•'


Ce défaut est si grave que j 'en veux brièvement ici traiter
à part.


Qu'on ne s'y trompe pas, la raideur n'est pas la force : un
Supérieur raide est tout autre chose qu'un homme d'autorité.


La raideur est un défaut de caractère qui fait que, dans
l'exercice de l'autorité, c'est l'autorité toute seule, et pour
ainsi dire toute nue, sans adoucissement, ni compensation,
qu'on fait paraître; l'autorité dépouillée de ce qu'elle a de
liant et de conciliant, de doux et de flexible dans la fermeté
même, de ce qui fait qu'elle plie et ne rompt pas, qu'elle
courbe les volontés et ne froisse pas, qu'elle s'impose et ne
blesse pas. La raideur, c'est l'autorité dure, la fermeté à ou-
trance; et comme d'ordinaire on fausse, et par-là même on af-
faiblit ce que L'on exagère, la raideur, c'est l'autorité faussée
par son propre excès, et affaiblie par l'absence de ce qui la
rend acceptable et secourable, et lui soumet les esprits en
même temps que les cœurs.


C'est un défaut extrêmement funeste dans un Supérieur,
et qui finit par faire à l'autorité, quoique d'une autre façon,
autant de mal que la faiblesse; car si le Supérieur faible
lâche les rênes au point de ne plus les tenir, le Supérieur
raide les tient tendues au point de les faire casser. C'est une
autre manière d'être faible, et dans les deux cas, de manière
ou d'autre, on aboutit à une catastrophe.


L'origine de ce funeste défaut, son vrai principe, sa ra-
cine dans l'âme, c'est, à n'en pas douter, l'exagération du
sentiment personnel, une forme particulière d'égoïsme et
de personnalité, qui fait que, dans l'exercice de l'autorité,
c'est soi-même principalement que l'on considère, qu'on
met en avant; c'est à soi, à sa propre personne, qu'on rap-
porte tout.


Le moi est haïssable, disait Pascal. Tout Supérieur doit




426 LiV. I E R . — LE SUPÉRIEUR.


bien prendre garde à ce que ce moi ne domine pas dans son
4 action : rien n'est plus opposé à la cordialité et à la géné-


rosité d'esprit : rien ne met plus d'obstacle à l'obéissance
spontanée et généreuse.


Il le faut néanmoins avouer, il y a des Supérieurs chez
qui le moi est prodigieux, qui ont toujours le mon, ma,
mes, sur les lèvres ; mon séminaire, ma maison, ma con-
grégation, mes classes, mes professeurs ; c'est ainsi qu'ils
parlent, et chose étrange, il n'y a que, nies enfants, qu'ils
ne disent pas. Ils disent : les enfants ou mes élèves ; le sen-
timent paternel leur manque.


La vérité est qu'ils ne sont point pères, ils sont maîtres; et
maîtres froids, secs, durs au besoin; très-rétrécis pour les
autres, gardant leurs horizons pour eux et n'en ouvrant
jamais à personne, ne donnant presque jamais la raison
des choses à qui que ce soit : ils ne sont pas même des
guides, car ils n'éclairent pas sur ce qu'ils demandent, ne
persuadent jamais et ne tiennent pas même à persuader :
qu'on marche, disent-ils, cela suffit.


Je dis qu'ils ne cherchent pas à persuader. Cependant les
hommes aiment à être persuadés; non-seulement ils ont
besoin d'être convaincus, mais ils veulent être persuadés :
la persuasion est le besoin de leur cœur comme la convic-
tion est le besoin de leur esprit.


Le Supérieur sans cordialité, le Supérieur raide, ne tient
ni à l'un ni à l'autre ; il ne fait ni l'un ni l'autre ; il ordonne,
il n'explique pas ; il ne donne pas ses motifs, mais ses or-
dres ; on le comprend à peine, et il faut obéir : oui ou non ;
cela est, cela sera, cela doit être ; ou, je le défends; et jamais
un mot de plus.


Or, c'est à peine si cela suffit dans un régiment et à un
colonel qui commande l'exercice. Mais dans une œuvre
comme celle de l'Education, rien n'est pire qu'une telle
autorité, sans persuasion, sans égards, sans affection. Des




CH. IX. — D'UN GRAND DÉFAUT D A N S L'HOMME D'ACTION . 427


hommes à qui on demande de faire demi tour à droite, n'ont
pas besoin qu'on leur en dise davantage. Mais des hommes
qui se dévouent à une grande œuvre morale, sont au déses-
poir, s'ils y travaillent sans nul horizon pour le regard de
leur intelligence, sans nul appui pour leur cœur, sans nulle
consolation.


Ce n'est pas que la raideur, le défaut de largeur d'esprit
et de générosité de cœur dans un Supérieur, supposent né-
cessairement qu'il est toujours ainsi, dans toutes ses ma-
nières et avec tout le monde ; non, il peut y avoir en lui quel-
que chose de très-syn^»athique, et même d'assez flatteur,
dans les relations ordinaires, et quand il s'agit des affaires des
autres .-j'en ai connu de ce genre,que j 'ai toujours trouvés
étonnamment serviables quand ils n'étaient pas en cause.


Mais quand il s'agit de leurs affaires, des choses qui les
regardent, et dont ils ont le maniement, ils deviennent tout
à coup et uniquement répressifs, et même très-impérieux et
très-compressifs.


Dès qu'il s'agit de leur opinion ou de leur intérêt, de leur
sentiment ou de leur autorité, de leur personne en un mot,
leur premier instinct est répressif; et cela, à la moindre con-
tradiction rencontrée. Ils ne discutent pas, ils ne cherchent
pas à entrer dans les raisons des autres, encore moins à
donner les leurs, et à gagner les esprits. Non, ils repoussent,
et quelquefois blessent à jamais.


De tels hommes sont toujours durement impérieux : sou-
vent l'apparence n'y est pas, mais cela n'en est que plus
pénible ; ils sont raides avec une douceur apparente et mo-
mentanée ; puis bientôt, avec peu de paroles, ils se raidis-
sent tout à fait dans leur opinion : leur esprit et leur carac-
tère arrivent à une dureté froide, inflexible, silencieuse,
sans explication ; c'est odieux, et on sent que c'est à jamais
ainsi, et sans ressource.


Et comment pourrait-il en être autrement? Ils ne parlent




428 U V . 1 " . — LE SUPÉRIEUR.


pas ; ils ne donnent pas même aux gens le plaisir de les
entendre, encore moins le plaisir de leur parler : aussi il n'y
a aucune entente entre eux et leurs collègues, aucun com-
merce ni d'esprit ni de cœur possible.


Je ne m'étonne pas que leurs collaborateurs disent quel-
quefois : Mais c'est un supplice que de vivre de la sorte dans
une même maison. — Et là-dessus, non-seulement les es-
prits se révoltent, mais les cœurs se resserrent et se retirent
à jamais.


Et on le conçoit : comment ce pauvre Supérieur attirerait-
il à lui les cœurs? Pour attirer à s* , il faut sortir de soi :
l'homme sans cordialité n'en sort pas; pour obtenir le cœur
des autres, il faut donner le sien : un tel homme ne le donne
jamais


Quoi qu'il fasse, un homme dont le cœur ne s'ouvre point,
ne verra jamais les cœurs s'ouvrir.


Il exige beaucoup, et il ne rend rien. Exiger toujours, don-
ner peu, et rien pour adoucir les exigences, fait un joug vrai-
ment trop lourd.


Aussi, ni les maîtres, ni les élèves, nul n'est à l'aise, tous
sont â la gêne avec lui : il n'y a nulle expansion, nulle ou-
verture chez personne ; son ton officiel glace les âmes.


Mais la glace éteint toute flamme ; elle est contagieuse :
si le feu ne la dissout pas, elle glace tout.


Et voilà pourquoi, avec un tel Supérieur, il n'y a plus une
flamme possible, ni d'affection, ni d'émulation, ni de zèle :
lui-même ne le sent-il pas? Autour de lui tout se refroidit,
tout s'éteint; l'amour, la vie, l'ardeur, ne circulent plus
dans cette maison.


Et lui-même, à des signes non équivoques, et quelquefois
bien pénibles, il peut s'en apercevoir. Ainsi, les enfants ne
l'entourent pas, ne vont pas à lui volontiers. Lui-même ne va
pas à eux. 11 ne les attire pas, il ne les charme pas, il ne leur
inspire pas d'enthousiasme, pas d'élan, pas de confiance :




CH. IX. — D'UN GRAND DÉFAUT DANS L'HOMME D'ACTION. 129


toutes choses indispensables dans l'Education de la jeunesse.
11 en est de même des maîtres : ainsi, il fait une invitation,


on ne s'y rend pas ; il arrive au milieu d'une conversation,
elle cesse à l'instant : la raideur, la contrainte, la gêne sont
dans tous rapports avec lui.


En effet, non-seulement il ne parle pas , ne dit rien,
ne témoigne aucune confiance ; non-seulement il n'est pas
expansif, pas communicatif ;


Non-seulement il faut le deviner, se résoudre le plus sou-
vent à ne savoir ni ce qu'il pense, ni ce qu'il veut ;


Mais quand il se décide à dire une parole, cela est si sec, si
dur, si court, si brusque, qu'on ne l'entend même pas tou-
jours bien.


Jamais il n'y a dans sa bouche aucune appellation affec-
tueuse.


Il appelle les jeunes prêtres d'une maison, ceux même
qu'il a élevés : Monsieur l'abbé, Monsieur; sèchement, offi-
ciellement; jamais : Mon ami. Et quelquefois il les traite, on
dirait comme des esclaves, avec qui on n'a pas autre chose
à dire que : Faites ceci ou cela; ou, pour me servir d'une ex-
pression que j 'ai un jour entendue : « 11 nous traité comme
« des pierres carrées qu'on range là, et qui doivent s'y tenir. »


Comment parler, comment s'ouvrir, comment vivre, avec
un Supérieur ainsi fait?


Aussi, on ne vit pas avec lui : on ne lui parle plus, on le
laisse dans son isolement.


On aurait souvent des avis utiles, d'excellents conseils à
lui offrir : on se garde bien de les lui porter, de le prévenir;
et lui se garde encore plus de les demander.


Quant à la dernière extrémité, les Supérieurs dont je parle
consentent à recevoir un avis, uniquement par nécessité,
c'est toujours sans aucun plaisir, sans aucune reconnais-
sance : et c'est un tel effort de part et d'autre, que nul n'a
envie d'y revenir.


É. m., 9




130 L1V. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


Ainsi, nul ne leur dit leurs fautes, et surtout nul ne leur
dit leurs défauts : on est tenu trop à distance, et on ne les
aime pas assez.


Cette raideur parait encore, et tristement, dans leurs pré-
dications, dans leurs lectures spirituelles. Leur parole parait
peut-être facile, assez intéressante ; mais elle n'est pas vive,
animée, saisissante, ni de haut intérêt par les vues. Surtout,
l'âme n'y est pas, n'y paraît pas, et c'est pourquoi les âmes
ne la sentent pas.


Du pied de l'autel même, ils ne persuadent pas. 1 1 y a tou-
jours en eux quelque chose d'étroit, de rétréci, de contraint,
qui contraint les autres ; en un mot, ils ne mettent jamais.un
cœur au large, ils n'épanouissent jamais rien, ni personne.


Je me trompe, ils sont quelquefois très-empressés, et même
très-flatteurs, quand il s'agit des choses et des personnes
étrangères : mais ils se referment, dès qu'il s'agit d'eux, ou,
s'ils font par hasard aux gens quelques amabilités, on n'y
croit pas : on les sait sans cordialité, et on croit leurs avan-
ces politiques. Il veut nous capter, se dit-on.


Et si on va bien au fond des choses, on verra que c'est le
sentiment rétréci de leur infériorité qui leur fait fuir de la
sorte toute discussion, toute expansion.


Aussi, dans leur charge, n'aiment-ils que les détails ma-
tériels, qui ne résistent pas, et ne leur demandent pas d'ex-
plications.


Ils ont le goût des petites choses : les petites choses, c'est
très-bien, mais il n'y faut pas d'excès ; autrement, on s'y
fatigué soi-même et les autres, et en fin de compte, on ne
produit rien, c'est une réelle stérilité.


. C'est peut-être parce que cette raideur d'esprit et de ca-
ractère n'est au fond qu'un esprit étroit, qui sent sa médio-
crité, qui voudrait y suppléer et se défend comme il peut, qui
sent sa stérilité et la dissimule ; c'est peut-être pour cela
que leur autorité, leur fermeté, est surtout défensive.




CH. ix. — D'UN GRAND DÉFAUT DANS L'HOMME D'ACTION, m


Le fait est qu'ils l'emploient surtout à se défendre eux-
mêmes, à repousser toute attaque et mettre leur responsa-
bilité matérielle à couvert.


Ils laissent les gens devenir au fond à peu près ce qu'ils
peuvent, et faire à peu près ce qu'ils veulent, pourvu que
leur personne, ou les choses dont ils sont personnellement
responsables, ne souffrent pas.


Cette autorité défensive et négative est naturellement
sèche, intéressée, pas active, ni secourablc, ni prévenante :
elle ne cherche pas les âmes : elle n'agit pas sur les âmes :
elle n'atteint pas les cœurs; elle n'encourage pas; elle ne
console pas; elle n'éclaire pas ; elle n'avertit pas. Elle se con-
tente à peu près, quand une affaire est finie extérieurement,
administrativement : et cela pourtant, ce n'est presque rien.


Car dans l'Éducation sans doute Y administratif est impor-
tant; mais c'est un corps sans âme, si le pastoral y manque.


L'administratif est nécessaire, mais le pastoral est bien
plus nécessaire encore.


L'expansif doit remplacer ou du moins accompagner et
adoucir le compressif.


Sans doute, les hommes qui travaillent avec un Supérieur
peuvent n'être pas de parfaits instituteurs : mais c'est a lui
aies former par l'exemple, non des formes, mais du fond.


Dans l'Éducation, tout est DÉFINITIVEMENT intérieur; Y ex-
térieur n'est que pour Yintérieur. La forme n'est que pour
le fond : se contenter de la forme, sans aller au fond, c'est
né rien faire, et quelquefois tout perdre.


Vous vous contentez d'une chose finie extérieurement, et
vous dites : Tout est arrangé, tout va bien ; et puis vous n'y
pensez plus. Vous n'y pensez plus, et vous aimez à n'y plus
penser. —Et rien n'est arrangé, rien n'est fait; et de ce que
vous avez fait, que reste-t-il au fond des âmes? Rien, ou le
mécontentement.


Qu'y a-t-il de plus contraire que cette manière de procéder




432 LIV. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


au Principiis obsta; et à cette autre grande règle de conduite
morale, Nil incuratum relinque? Le Principiis obsta, qui
prévient le mal ; le Nil incuratum, qui le guérit tout entier.


Pour cela, il faut : 1 ° suivre tout de près, avec zèle, et sur-
tout le moral des enfants; 2° ne laisser jamais rien de mal
en doute et en arrière. Mais il est si pénible de constater un
mal quelconque, tant de prétextes inavoués nous sollicitent
à n'y pas croire, à rester tranquilles, à fermer les yeux,
que c'est ici un vrai péril, surtout pour un Supérieur per-
sonnel, comme celui dont il est question en ce moment.


Pour guérir le mal, il ne suffît pas de le pallier : le mai
n'en subsiste, n'en grandit pas moins pour être couvert et
négligé. La compression même ne suffit pas à le déraciner.


Mais pourtant c'est jusque-là qu'il faut aller, jusqu'à la
racine, quoi qu'il en coûte, jusqu'aux âmes.


Vous croyez avoir tout fait quand vous avez réprimé par
telle ou telle parole, par telle ou telle manière. Vous n'avez
rien fait pour les âmes, mais uniquement pourvotre autorité
personnelle de Supérieur : rien guéri dans les âmes ; vous
les avez aigries.


Ah! qu'on ne l'oublie jamais, c'est l'intérieur, le dévoù-
ment, qui est tout en une telle œuvre.


La compression étouffe tous les mouvements généreux,
excite tous les mauvais soulèvements.


Indépendamment de la révolte qu'elle cause, elle est sans
grâce pour agir sur les âmes. Sans grâce naturelle : il n'y a
là nul charme, nulle persuasion ; sans grâce surnaturelle : il
n'y a nulle vertu efficace.


Tout ce triste caractère est juste le contraire de YAbnega
temetipsum, de YÂma et fac quodvis, du Suscipe infirmos,
de YObsecro in visceribus Christi.


Cette raideur, cette autorité si jalouse et si dure aboutit à
révolter jusqu'aux plus jeunes enfants, jusqu'à leur inspirer
les mots les plus irrespectueux contre un tel Supérieur.




CH. IX. — D'UN GRAND DÉFAUT DANS L'HOMME D'ACTION. 433


Tous ces petits enfants, qui pourraient être si aimables, se
conduisent mal ; et chose inouïe, les grands, les philosophes,
qui sont d'ordnaire lesmodèles dans une bonne maison, se
dépravent eux-mêmes chaque jour.


Qu'importe avec tout cela la politesse extérieure, les ma-
nières d'un homme bien élevé, si ce Supérieur est aimable
seulement avec ceux qui n'ont avec lui que des rapports ex-
térieurs? Je le veux bien, il a les formes, rien n'y manque,
et pourvu qu'on n'y manque pas à son égard, tout va bien :
mais le fond, le fond qui est tout, il ne s'en occupe pas ;
que le fond soit blessé, peu lui importe, pourvu que la forme
soit en sa laveur. Mais quelle place en tout cela reste-t-il au
gouvernement des âmes?


Rien de tout cela ne fait ce qui est nécessaire, et ce qui se
nomme une grande autorité : tout cela fait et constate un
homme avec lequel il faut être bien sur ses gardes ; car, qui
s'y frotte, s'y froisse ; mais, chose étrange, et qui prouve bien
d'ailleurs que tout ceci, comme je le disais, n'est qu'une fai-
blesse morale, c'est que cette raideur est mêlée de respect
humain.


Au fond ce Supérieur est très-timide : timide pour le bien,
timide contre le mal. 11 craint d'aller au fait, de s'opposer
au mal. Il craint les mauvaises affaires, les visages tristes et
résistants. Il cache le mal tant qu'il le peut, à soi et aux au-
tres, et souvent il le couve sans le vouloir, il le laisse grossir,
empirer, et ce n'est que quand le mal éclate et devient un
scandale, qu'il se décide à s'en occuper.


Par exemple, un enfant manque de respect à un maître,
le Supérieur doit exiger immédiatement une réparation écla-
tante : eh bien, il craint que les parents ne prennent le parti
de l'enfant ; il ne se sent ni le goût, ni la force de les per-
suader; il ferme les yeux: le maître est profondément blessé,
encore plus de cette connivence, que de la faute plus ou
moins excusable de l'enfant ; l'enfant est encouragé dans




434 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


cette mauvaise voie et ses condiciples avec lui ; le Supé-
rieur sera peut-être obligé de renvoyer dix enfants pour
n'avoir pas voulu en corriger un ; et peut-être se décidera-
t-il à renvoyer le maître, en attendant le jour où il sentira
qu'il ferait mieux de se décider à partir lui-même.


Certains Supérieurs faibles, par le secret plaisir de se
rendre populaires et chers aux enfants, et sans apercevoir les
funestes conséquences de ce triste calcul, se constituent en
sorte de cour d'appel permanente contre les maîtres : rien ne
ruine plus sûrement l'autorité des maîtres et toute discipline.
Chez les Supérieurs raides, cette connivence, sans qu'ils s'en
rendent toujours bien compte, tient à des motifs encore plus
mauvais, et a des résultats non moins pernicieux.


Tel est donc un Supérieur, chez qui la raideur et l'étroi-
tesse remplace la largeur d'esprit et la cordialité de carac-
tère : si nous avons insisté sur ce défaut, c'est qu'il est dé-
sastreux dans un Supérieur, et d'ailleurs ce contraste était
nécessaire pour mettre dans toute leur lumière les 'grandes
et indispensables qualités opposées.


CHAPITRE X


Encore de l'homme d'action. — Aperçu de ce que le Supérieur
a à faire par lui-même.


Je voudrais maintenant entrer ici dans quelques détails
sur l'action personnelle d'un Supérieur, et sans tout dire,
c'est impossible, donner cependant une idée sommaire et
pratique de ce qu'il doit faire par lui-même, le suivre dans
les principales parties de sa surveillance et de son service,
en un mot le montrer à l'œuvre.




CH. X. — ENCORE DE L'HOMME D'ACTION. 135


Un Supérieur a affaire à tout le monde et doit s'occuper de
tout : le dedans, le dehors, les parents, les maîtres, les élè-
ves,l'état matériel, l'administration économiqucct financière
de la maison, les études, l'enseignement religieux, les ser-
vices les plus divers, toutréclame son attention et ses soins.


4° E T D'ABORD L E S RELATIONS AVEC L E S P A R E N T S : C 'est
avec le Supérieur que les parents ont le plus souvent à trai-
ter : il n'en est pas un qui ne demande à le voir et à s'entre-
tenir avec lui : ils le désirent, et ils y ont droit; et c'est un
devoir* pour lui de s'y prêter, jamais sans doute au détri-
ment d'autres devoirs plus impérieux, mais autant que cela
est nécessaire, et avec toutes les condescendances possibles.
Dans ces rapports, il est inutile de dire que le bon ton,
l'urbanité des manières, une parfaite convenance extérieure,
sont indispensables.


2° La CORRESPONDANCE : soit pour l'admission des enfants,
soit pour les renseignements à demander ou à donner sur
leur conduite : cette correspondance eg. considérable, et sou-
vent très-délicate. 1 1 est évident qu'un Supérieur doit ré-
pondre, et avec le soin le plus attentif, à toutes les lettres des
parents, et souvent leur écrire le premier : ce n'est pas en
vain qu'il est revêtu de leur autorité et partage leurs solli-
citudes. Il y a dans la négligence à correspondre avec les
parents une insouciance de son devoir et un mépris des
personnes intolérable.


Mais tout cela n'est rien auprès des soins que lui impose
sa charge dans l'intérieur de la maison, depuis le premier
jour de l'année scolaire jusqu'au dernier.


Tout d'abord, et dèsle premier jour des vacances, l'admis-
sion des enfants pour la prochaine année, les réparations de
la maison, la préparation de toutes choses pour la rentrée,
la rentrée elle-même lui créent des occupations : on l'y aide
sans doute, mais il n'en doit pas moins veiller à tout.




1 3 6 L1V. 1 " . — LE S U P É R I E U R .


3° C'est ainsi qu'il faut que, plusieurs jours AVANT LA R E N -
T R É E , M. le Supérieur ait entre les mains, parfaitement exacte
et ordonnée, et qu'il remette au Directeur, et à chaque Préfet :


La liste de tous les maîtres, avec la fonction principale et
les fonctions accessoires de chacun : La liste des domestiques
avec l'indication aussi de leurs fonctions, tant principales,
qu'accessoires : La liste des élèves, classe par classe ;


C'est-à-dire tout ce qui constitue le personnel actif et passif
de la maison*


Comme aussi tout ce qui constitue l'ordre et la place de
chacun et de chaque chose : liste des dortoirs et de leurs di-
vers présidents: ordre nominatif des présidences de récréa-
tions, de promenades, etc.;


Tout ce qui constitue l'ordre de toutes les études, de toutes
les leçons publiques et privées, de toutes les classes;


Enfin, tout ce qui regarde l'ordre spirituel et religieux : les
divers catéchismes, les prédications, les confessions, etc.


4° Puis vient LE joug DE LA R E N T R É E : ce jour est pour le
Supérieur un des plus laborieux : non-seulement il doit être
là, sur pied, du matin au soir, se prêtant à tout et à tous ;
mais, dès la veille, il doit avoir, dans un conseil, assigné
à chacun sa place et son rôle, afin que, sous sa prési-
dence, la grande opération de la rentrée se fasse convena-
blement.


C'est surtout pendant les huit jours qui précèdent la ren-
trée, et les quinze jours qui précèdent la sortie, que le Su-
périeur et les Directeurs ont considérablement à faire.


Voilà pourquoi ils doivent rentrer quelques jours avant
1 eurs confrères, et demeurer au moins trois jours au Sémi-
naire après la sortie, afin que tout soit sans retard réglé
convenablement, et la maison complètement en ordre.


5° LA R E N T R É E F A I T E , l'année commence : quels labeurs
vont se succéder pour le Supérieur! les conseils, les prési-




OH. X. — ENCORE DE L'HOMME D'ACTION. 437


dences d'exercices, les rapports avec les enfants, les ins-
pections et surveillances de toutes sortes.


6° L E S CONSEILS : M. le Supérieur, ainsi que nous l'avons
déjà dit, tient de fréquents conseils, soit avec MM. les Direc-
teurs seulement, soit avec tous MM. les Directeurs et Profes-
seurs réunis :


Dans les quinze premiers jours de l'année et les quinze
premiers jours de juillet, les conseils de Directeurs sont très-
fréquents.


Il tient conseil chaque jour avec MM. les Directeurs,
pendant les examens et les retraites, à une heure fixée ;


Le conseil général a lieu une fois la semaine, tous les
dimanches, le matin pour MM. les Directeurs, et l'après-midi
pour MM. les Professeurs;


MM. les Directeurs ont de plus avec M. le Supérieur un
conseil chaque semaine, à un jour et une heure déterminés.


Nous avons traité à part des conseils, et dit comment ils
sont l'âme de la maison : c'est là que se souffle la flamme
du zèle, et que tout mal est recherché, combattu, réparé,
tout bien excité et soutenu. Mais l'âme des conseils, c'est
le Supérieur : leur tenue, leur direction, ce qu'il y faudra
dire ou ne pas dire, proposer ou empêcher, demander ou
communiquer, doit être sa constante préoccupation. Le bien
qui résulte des conseils est immense; mais c'est à condition
que le Supérieur y apportera une grande préparation et quel-
quefois un grand art.


7° L E S PRÉSIDENCES : il y a chaque semaine les notes,
chaque jour la lecture spirituelle : nous en traiterons bientôt
spécialement et longuement; nous dirons seulement ici que
M. le Supérieur préside lui-même :


La lecture des notes générales et supplémentaires : ceci
est une chose capitale et qui n'appartient qu'à lui ;


Lalecture spirituelle, où il donne tous les avis relatifs à la
piété, à la discipline, aux études, à la santé, accompagnés de




1 3 8 LIV. 1 e r . — LE S U P É R I E U R .


paroles d'affection, de reproche, de louange, d'encourage-
ment. Cet exercice est le centre d'action de toute la maison;
tous les maîtres doivent y être présents ; et rien ne doit être
fait avec plus de soin par le Supérieur ;


L'explication du règlement, deux fois par an, pendant un
mois à la rentrée, pendant quinze jours après Pâques; c'est
capital.


s» M. le Supérieur préside encore :
L E S R E T R A I T E S ; c'est la grande époque du renouvellement


des âmes.
Le Supérieur, pasteur et père, doit montrer par sa présence


qu'il y a là un intérêt souverain : son absence serait un
scandale, qui déterminerait l'absence de tous les maîtres.


Quand le Supérieur d'une maison et tous les maîtres sui-
vent avec recueillement et gravité tous les exercices d'une
retraite, il n'y a bientôt plus là qu'un cœur et qu'une âme
sous la main et l'action de Dieu. Les résultats deviennent
admirables.


9° Le Supérieur préside encore L E S OFFICES ; évidemment,
la place du Supérieur est là, comme pasteur.


1 0 ° Il préside enfin L E S R E P A S : sa présence y est essen-
tielle pour l'inspiration du bon ordre, de la convenance, et
du bon esprit des enfants.


S'il dînait souvent chez lui en particulier, cette désertion
du réfectoire de la communauté ne pourrait produire qu'un
effet fâcheux.


1 1 ° Puis il y a L E S S U R V E I L L A N C E S , L E S INSPECTIONS : elles
sont sans nombre : elles sont de tousles jours et de toutesles
heures, et elles ont trait à tout : administration matérielle
de la maison, discipline, étude, santé, propreté, et service
des élèves, conduite morale, et par dessus tout piété.


1 2 ° Quant à I 'ADMINISTRATION MORALE E T MATÉRIELLE de la
maison, M. le Supérieur examine personnellement: 1 ° les
rapports que MM. les Directeurs lui font chaque semaine




. CH. X. — ENCORE DE L'HOMME D'ACTION. 139


sur les diverses branches de l'administration dont ils sont
chargés ; 2° les registres de l'économat de temps en temps,
et particulièrement le livre de caisse, qu'il arrête tous les
quinze jours; le compte des vacances, le 15 octobre; la re-
cette quinze jours après l'envoi des bulletins ; et enfin les
réparations et travaux à faire chaque année pendant les
vacances.


1 3 " Q U A N T A LA S A N T É et au service des enfants, le Supé-
rieur doit avoir l'attention et la tendresse d'un père, et
ne pas craindre d'entrer dans les détails les plus minutieux.


La santé dépend beaucoup de la nourriture, de l'exercice,
de la propreté et du bon air.


La nourriture doit être simple, mais bonne, solide et ré-
glée; il faut prendre ce qu'il y a de plus sain en tout genre.


Il ne suffit pas que le Supérieur soit lui-même désintéressé
et généreux, il faut qu'il inspire les mêmes sentiments à ceux
qui travaillent sous ses ordres, et qu'il surveille attentive-
ment tout le service.


Il faut donc que le Supérieur examine souvent par lui-
même les mets et les plats des élèves ;


L'éclairage et le chauffage ;
Le bon air de. la maison, les vasistas : ce soin est essentiel


et d'ordinaire trop négligé. Cependant c'est l'oracle de la
médecine, Hippocrate lui-même qui a dit : Le bon air, c'est
la nourriture de la vie, aer pabulum vitœ. On ne songe pas
assez que dans des salles remplies par cent, deux cents
enfants, l'air est bientôt vicié, et qu'il est essentiel de le re-
nouveler. Je suis convaincu que le dépérissement des san-
tés dans bien des écoles, et même dans des maisons fort
importantes, tient en grande partie à la négligence sous ce
rapport.


14° M. le supérieur visite encore personnellement :
L E S DORTOIRS , au moins une fois par semaine le matin, au


moins une fois par semaine le soir ;




1 4 0 L1V. 1 " . — L E S U P É R I E U R .


Une fois par semaine, avant ou après les promenades ;
Une fois par semaine, dans l'après-midi, avec l'économe,


en présence des domestiques.
Il examine tous les mois les notes des trousseaux incom-


plets : c'est nécessaire, vu l'imprévoyance des enfants; et
très-important pour les familles.


15° Quant à I ' INFIRMERIE , il la visite tous les jours, lors-
qu'il y a des malades : c'est son devoir impérieux : il est père,
il doit être mère. Un état de l'infirmerie doit lui être remis
exactement tous les matins, après la messe, par le président
de l'infirmerie. D'autres, sans doute, sont chargés de tous les
soins de l'infirmerie ; mais il y doit sans cesse veiller lui-
même.


Les professeurs aussi sont ses enfants, le Supérieur doit
les traiter en père; c'est pourquoi :


Il ne doit pas manquer de les visiter tous les jours, quand
ils sont malades ;


Comme aussi les quinze premiers jours de l'année, les
quinze derniers, et dans le cours de l'année, de temps à au-
tre, il doit les voir et s'enquérir s'il leur manque quelque
chose : ce sont de tels égards qui les touchent et resserrent
entre eux et lui les liens de la confiance et de l'affection.


4 6 ° L E S É T U D E S sont aussi une des plus grandes préoccu-
pations d'un Supérieur, et bien que la direction en soit con-
fiée à un Préfet spécial, le Supérieur ne peut en rien y rester
étranger, et ne pas les suivre de très-près par lui-même.


1 7 ° Il doit donc, de temps en temps, lorsqu'il le juge
utile, V I S I T E R L E S C L A S S E S , ou y envoyer M. le Préfet des études.
Cette visite lui apprend comment les leçons sont récitées,
les explications données, les devoirs corrigés, et met tout le
monde sur ses gardes, maîtres et élèves.


Il ne doit pas manquer de rendre compte de cette visite
à la lecture spirituelle.


II visite de môme les SALLES D ' É T U D E S , quand il le juge bon :




CH. X . — ENCORE DE L'HOMME D'ACTION. Ul


c'est étonnant comme la possibilité, comme le soupçon et
l'attente de cette visite contribuent à tenir les enfants en éveil.


Il visite aussi L E S CATÉCHISMES tous les mois, à diverses
heures ;


Et les CONGRÉGATIONS , à diverses époques de l'année.
18° Il doit se faire remettre, toutes les semaines, L E S COPIES


du premier, du dernier, et quelques autres de la composi-
tion. — Comme aussi, de temps en temps, L E S A N A L Y S E S de
catéchisme ; L E S PROGRAMMES D'EXAMEN , soit des cours sup-
plémentaires , soit des autres, avant chaque examen ; L E S
NOTES avant qu'on en fasse lecture publique, afin de les faire
corriger, si besoin est; L E S CAHIERS DE DEVOIR E T D'HONNEUR,
tous les mois au moins.


19° M. le Supérieur devra A S S I S T E R A TOUS L E S EXAMENS,
depuis le premier moment jusqu'au dernier, étudier à fond
les programmes, les comparer avec le plan d'études et entre
eux : c'est le grand moyen de connaître les élèves et les pro-
fesseurs.


20° L A DISCIPLINE : quelle attention personnelle elle exige
du Supérieur! C'est ici surtout qu'il ne se peut pas contenter
des rapports des autres, et ne voir jamais que parleurs yeux.
Voilà pourquoi :


Il va le plus possible dans L E S RÉCRÉATIONS avec les enfants.
C'est là une de ses grands moyens d'action : voir les enfants
en récréation, causer et jouer quelquefois avec eux. Le res-
pect n'y perd rien, et l'affection y gagne prodigieusement.


Un coup d'œil fréquent sur ce qui se nomme les M O U V E -
MENTS ET L E S P A S S A G E S sera aussi de sa part bien nécessaire.


Il est particulièrement bon que de temps en temps, il
se trouve sur le passage des classes, à l'aller ou au retour
des enfants. Il se rend ainsi compte de l'exactitude de
MM. les professeurs, en môme temps que de la tenue des
élèves.


21 e L E S SORTIES étant d'une grande importance, il doit voir




L1V. I E R , — LE S U P É R I E U R .


attentivement le tableau des sorties la veille de la sortie,
et le rapport sur les sorties, le jour suivant.


22° J'ajouterai que les I N S T R U M E N T S MATÉRIELS pour aider
la mémoire, sont indispensables aux fonctions du Supérieur,
et ne doivent pas être négligés. C'est pourquoi je note ici, et
avec une intention particulière, que le Supérieur et les Di-
recteurs doivent avoir chacun un Agenda pour les notes de
chaque jour, où se trouve en tête :


4° La liste du personnel des maîtres et les fonctions de
chacun ;


2° Item des frères et des sœurs, s'il y en a ;
3° Item des domestiques;
4° La liste de tous les élèves, classe par classe ;
5 ° Puis une liste alphabétique, où soient : — les noms de


baptême et de famille — âge — classe — prix de pension —
congrégation — académie, etc.


Chaque professeur doit avoir un petit carnet, un petit
Agenda avec ces listes.


Et pour être plus sûr que ce soin ne sera pas négligé, le
Supérieur ne doit pas s'en reposer sur les maîtres ; mais
il doit ordonner, faire faire lui-même tous ces carnets, et les
remettre à chacun, la veille de la rentrée au plus tard.


C'est ainsi que le Supérieur et ses collaborateurs arri-
vent à connaître promptement et parfaitement tous leurs
élèves, chacun en particulier, selon la parole : Agnosce vul-
tum pecoris tui: chose difficile, mais chose capitale, pour
suivre chaque enfant de près et leur être utile à tous.


23° S U I V R E L E S E N F A N T S : qu'est-ce à dire ? c'est non-seu-
lement savoir bien ce que chacun d'eux devient, ce qu'il
fait, où il en est ; mais encore ce qu'il y a à faire pour lui, eu
égard à ses dispositions spéciales, à son caractère, à ses
défauts, à ses qualités, aux dangers particuliers qu'il court ;
enfin ce qu'il faut à chaque moment imaginer et entrepren-
dre pour le ramener au bien ou l'y maintenir. Suivre et pour-




CH. X. — ENCORE DE L'HOMME D'ACTION. -143


suivre partout chaque enfant, voilà, certes, le grand devoir
de tous les hommes qui s'occupent de l'Éducation, mais du
Supérieur plus que de tous les autres.


2 4 ° Autant donc que ses occupations le lui permettront, il
entrera E N RELATIONS DIRECTES AVEC L E S E N F A N T S , pour tout
ce qui tient à leur direction morale, et il n'omettra rien
pour les engager à s'ouvrir à lui. Pour cela il faut qu'il
encourage tellement la franchise, qu'on ne craigne nulle-
ment de lui révéler les peines les plus profondes de son
cœur, comme à un père.


C'est dans ces conversations intimes qu'un Supérieur peut
faire à ses enfants le plus de bien réel. Ces rapports entre le
Supérieur et les élèves n'existent guère en dehors des mai-
sons religieuses, et c'est là un des avantages les plus pré-
cieux et les plus incontestables de l'Éducation donnée
par le clergé. Rien ne réalise mieux l'idée qu'on aime à se
faire de l'Éducation, que cette étude et cette pénétration pro-
fonde des âmes, résultat de la confiance réciproque de l'en-
fant et du maître, l'un laissant voir, découvrant même tout
le fond de son cœur, l'autre, à la faveur de ces ouvertures
sincères et confiantes, pénétrant là où l'œil ne pénètre pas,
portant secours à des maux qu'un autre ne verrait pas,
façonnant ainsi cette jeune âme par l'encouragement, par le
conseil, par le reproche, par le respect, par l'affection, fai-
sant enfin ce qu'il y a de plus délicat et de plus décisif dans
l'œuvre de l'Éducation. Tout Supérieur digne de sa mission
doit comprendre combien ces entrevues intimes donnent de
prise sur l'âme des enfants, et sentir qu'il y a là un de ses
plus sérieux devoirs, le devoir même de la paternité, et un
des plus nécessaires comme des plus utiles emplois de son
temps.


C'est pourquoi le Supérieur devra employer ses moments
libres, dès le commencement de l'année, à voir les nouveaux
élèves, aies interroger avec soin, sur leur première commu-




144 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


nion, leur vocation, leur piété, leur moralité, leur travail,
leurs antécédents, enfin sur tout ce qui peut lui donner une
connaissance approfondie de chaque enfant. Dans le cours
de l'année, il continuera à les voir souvent.


Il serait bon qu'un Supérieur eût des heures, plusieurs
chaque semaine, pendant une étude, où tous les enfants qui
ont à lui parler pussent venir le trouver.


Le Supérieur ne doit même pas manquer de faire venir,
motu proprio, les enfants qui ont fait quelque faute, ou
éprouvé quelque malheur, quelque chagrin, afin de les con-
soler, de les relever.


#


Voilà un simple coup d'œil sur ce que le Supérieur a à faire
par lui-même, et dont il ne doit se reposer sur personne.


Pour tout cela, pour cette action si vaste, pour cette sur-
veillance universelle, pour cette attention à tout et à tous,
il est inutile d'ajouter que le Supérieur doit parfaitement
connaître tous les règlements de la maison, les plans d'é-
tude , les plans d'instruction chrétienne, les règlements des
directeurs, des professeurs, des congrégations, des caté-
chismes, des domestiques, les coutumiers, et en presser
l'exécution.


Mais pour tout cela, quelle activité, quelle vigilance, quelle
constance et quelle suite ne faut-il pas !


On le voit, un Supérieur est éminemment un homme
d'action.


Toutefois, il ne peut pas tout faire, il ne doit pas tout entre-
prendre: et il y a ici un écueil que nous devons signaler.




CH. XI.—IL NE DOIT PAS VOULOIR TOUT FAIRE PAR LUI-MÊME. 145


CHAPITRE XI


Le supérieur ne peut pas, ne doit pas vouloir tout faire
par lui-même.


1


Par Je simple exposé qui précède, tout incomplet qu'il soit,
de ce que le Supérieur doit faire par lui-même, on peut déjà
se former une idée de l'étendue et de l'importance de sa
tâche : elle est immense : c'est pourquoi, s'il doit la remplir
tout entière, il est bien essentiel aussi que par un zèle mal-
entendu il ne la complique pas.


En effet, quoique le Supérieur doive être un homme de
détail dans une œuvre, on ne saurait trop le redire, où le
détail est tout; cependant il ne peut pas tout faire par lui-
même, et il est bien obligé nécessairement de s'en remettre
pour une foule de choses à ses collaborateurs ; et cela, sous
peine de se laisser absorber par la multiplicité des détails,
et de se rendre impossible la direction de l'ensemble.


Mais il y a là un danger auquel sont exposés naturellement
les hommes d'action et de zèle.


Par amour de l'œuvre, par amour du bien, on se laisse
entraîner; on est, je ne sais comment, tenté de ne pas croire
les choses bien faites, si elles sont faites par d'autres : l'in-
quiétude alors saisit, un certain besoin d'agir tourmente, c'est
comme une sorte de fièvre. Et puis, il faut le dire, tout le
monde s'adresse à vous; on aime mieux cela, les choses
vont plus vite ainsi, et il n'est pas facile pour un Supérieur
de repousser les gens qui viennent à lui, et d'écarter les af-


F . , m. 10




U 6 L1Y. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


faires qui le réclament. Et ainsi, tandis que les hommes peu
actifs, moins zélés, s'endorment volontiers sur une quantité
de détails importants, et laissent tout languir par défaut de
vigilance, par aversion naturelle du travail, les hommes de
zèle, eux, se jettent, se plocgent avec toute l'ardeur de leur
âme dans la peine, sans calculer leurs forces ni leurs pos-
sibilités. Dans leur louable désir du bien, ils voudraient
tout faire par eux-mêmes, afin d'être plus sûrs que tout est
bien fait.


Sans doute, à la molle négligence d'un Supérieur qui en
prend àson aise, et s'arrange une vie douce et commode dans
une charge qui demande d'incessants labeurs, je préfère de
beaucoup l'activité, même immodérée, d'un Supérieur qui
se fatigue à vouloir trop faire ; mais il faut néanmoins recon-
naître que ce zèle excessif n'est pas dans l'ordre, et peut avoir
pour un Supérieur et pour une maison de très-sérieux incon-
vénients, parmi lesquels je me borne à signaler l'épuisement
des forces et le découragement du zèle lui-même.


Un Supérieur doit s'appliquer à comprendre parfaitement
ce qui est sa propre affaire, et ce qui est l'affaire des autres ;
ce qu'il doit faire par lui-même, n'abandonner à personne,
et ce qu'il doit simplement faire exécuter sous sa surveillance
par les hommes qui travaillent avec lui.


Nous avons dans l'Écriture sainte un exemple frappant de
ceci, c'est l'exemple de Moïse. Certes, si quelqu'un pouvait
se croire capable de suffire à tout, et dispensé de se donner
des auxiliaires, c'était bien ce grand homme, qui voyait la
face de Dieu, qui entendait sa parole, qui disposait en quel-
que sorte de sa puissance pour opérer des prodiges. Toute-
fois, il n'entra pas dans le dessein du Seigneur que Moïse
fût seul chargé de tout, parce que cela n'est conforme ni à la
nature de l'homme, ni à la nature des choses. Dieu voulut
qu'il se déchargeât des détails sur des subalternes bien
choisis et remplis de son esprit, et deux fois Dieu lui donna




CH. XI. — IL NE DOIT PAS VOULOIR TOUT FAIRE PAR LUI-MÊME. 147


cette lumière, la première fois par la bouche de Jethro, la se-
conde directement par lui-même.


Le récit de l'Écriture est plein d'intérêt. Je le donne ici
avec détail pour l'instruction et la consolation des Supé-
rieurs accablés.


I I


Jethro, vieillard centenaire, homme ayant la sagesse des
anciens jours, vient au camp des Israélites ; et, après avoir
béni le Seigneur de tout ce que sa divine bonté avait fait
pour son peuple, il examine ce qui se passe dans le camp. Il
voit ce peuple assiéger Moïse du matin au soir, et du matin
au soir Moïse assis pour juger le peuple : Moïse faisant tout,
et ne se laissant aider par personne. Et alors avec l'autorité
de son âge et de sa longue expérience, le vieillard ne craint
pas de dire à l'homme inspiré de Dieu, le Seigneur se ser-
vant de lui pour donner cette leçon à Moïse : « Ce que tu
fais-là, n'est pas bien. Non bonam, inquit, rem facis. Ce
peuple et toi, vous vous consumex dans un travail qui n'est
pas selon la raison : Stulto labore consumeris, et lu, et po-
pulus iste qui tecum est. L'affaire est au-dessus de tes forces,
et seul tu n'y suffiras jamais : Ultra vires tuas est negotium,
solus illud non pote-ris sustinere. » — Que faut-il donc faire ?
s'écrie Moïse attristé.


« — Écoute, poursuit le vieillard, mes paroles et mes
conseils, et Dieu sera avec toi; Audi verba mea et eonsilia
mea, et Deus erit tecum. Réserve-tôi pour le peuple surtout
dans les choses de la Religion ; Esto tu populo in his qumperti-
nent ad Deum ; mais choisis dans tout le peuple des hommes
capables, Provide autem de omni plèbe viros patentes, et
craignant Dieu, et timentes Deum, et ea qui soit la vérité
et la sagesse, et in quibus veritas sit. Constitue-les chefs de
tribus, de centaines, de cinquantaines, de dizaines, et qu'ils




U 8 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


expédient les affaires à chaque moment ; et à mesure qu'elles
viennent, qu'ils jugent le peuple. Qu'ils te renvoyent, sans
doute, les causes majeures : Quidquid autem majus est réfé-
rant ad te; mais qu'ils décident et fassent le reste, et ipsi
minora judicent. Partagée avec d'autres, la charge te sera
plus légère, Leviusque sit tibi, partito in altos onere. »


Eh bien! voilà précisément ce que je dirai aux Supérieurs,
car la vérité est qu'il en est du gouvernement d'une maison
comme du gouvernement d'un peuple. Je le sais pour l'avoir
expérimenté, c'est tout un monde qu'une maison d'Éduca-
tion. Les détails sont sans nombre, les sollicitudes infinies.
Comme Moïse, par un zèle outré de la justice et une immense
charité, vous voulez tout faire, vous occuper de tous ces dé-
tails, porter seul le fardeau de toutes ces sollicitudes, mettre
la main a tou t , vous préoccuper de tout. Eh bien! cela est
contre l'ordre et la raison, c'est un travail excessif, insensé,
stérile : cela est au-dessus des forces d'un homme, vous suc-
comberez. Que faut-il donc faire? Écouter ce que Jethro dit à
Moïse, et suivre ses conseils. Vous avez des auxiliaires, des
hommes choisis par vous, des préfets de discipline, d'étu-
des, etc. Eh bien ! laissez-leur faire leur besogne, et contentez-
vous de la vôtre. Le détail, les petits soins, c'est leur affaire ;
à vous le principal, les grandes sollicitudes, les soins géné-
raux : c'est la tâche d'un Supérieur. Les petits soins nuiraient
inévitablement aux grands. Vous vous noieriez dans cette
multiplicité d'occupations secondaires, et négligeriez les es-
sentielles, et tandis que vous feriez les petites choses, vous
laisseriez périr les grandes.


Je le dirai volontiers avec Jethro : la grande occupation
d'un Supérieur doit être la sollicitude pastorale, le soin des
âmes, Esto tu populo in his quee pertinent ad Deum : suivre
les enfants qui hemarchentpas bien, lesvoir, leur parler avec
affection, les soutenir, les relever ; les faire suivre aussi par
leurs confesseur, professeur, président d'étude, etc., faire




CH. XI. — IL NE DOIT PAS VOULOIR TOUT FAIRE PAR LUI-MÊME. 149


en sorte qu'ils ouvrent leur cœur à leurs parents sur ce qui
les empêche de se bien conduire, et obtenir que les parents
leur répondent, viennent les voir, les encouragent : voilà la
vraie tâche du Supérieur, et ce en quoi nul ne le peut rem-
placer. Quant au reste, discipline, études, économat, ce n'est
pas tant ce qu'il fait que ce qu'il fait faire qui est important ;
pour tout cela, sa grande action est de faire agir ses colla-
borateurs. Autrement, il est écrasé : il agit mal, et ne fait
rien, et personne ne faisant par ses ordres, rien ne se fait ou
tout se fait de travers.


La même leçon, fondée sur la nature des choses, sur
l'ordre providentiel, fut donnée un peu plus tard par Dieu
lui-même à Moïse. Le peuple murmurait au désert: indocile
et grossier, il se plaignait de la nourriture, il voulait de la
viande, il en demandait à grands cris. Fatigué de ces cris,
Moïse se plaint à Dieu. Tout à l'heure il succombait sous la
multitude des affaires, sous l'importunité de tout un peuple :
il succombe en ce moment sous son indocilité et sa révolte,


Hélas! un pauvre Supérieur se trouve bien souvent aussi
accablé sous le double et triple fardeau des sollicitudes,
des injustices et des ingratitudes de ceux auxquels il a dé-
voué sa vie; et il lui est bien triste ; d'avoir à dire à Dieu
comme Moïse :


« Pourquoi avez-vous affligé votre serviteur, et mis sur lui
« le poids de toute cette multitude ? Cur afflixisli servum
« tuttm, et cur imposuisti pondus universi populi hujus super
« me? Les ai-je donc conçus et engendrés, pour que vous me
« disiez : Porte-les dans ton sein, comme une nourrice son
« enfant, et conduis-les à la terre que j 'a i promise par ser-
« ment à leurs pères ? Numquid ego concept omnem hanc
« multitudinem, aut genui eos, ut dicas mihi : Porta eos in
« sinu, sicut portare solet nutrix infantulum, et defer in ter-
« i'am pro qua jurasti patribus [eorum. Je ne puis seul sou-




450 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


« tenir le poids de tout ce peuple, il m'accable ; Non'possum
« solus sustinere omnemhuncp&pulum,quia gravis est mihi.n


Enfin il va jusqu'à demander la mort, tant il est découragé :
« Otez-moi de ce monde, je vous en prie, et que je ne sois pas
« affligé de tant de peines : Sin aliter tibi videtur, obsecro
« ut inter/icias me, ne tantis afficiar malis. »


Il n'y a pas une de «es paroles de Moïse qui ne convienne
parfaitement à un Supérieur. Moïse parle de soins paternels
et maternels que réclame son peuple: ne faut-il pas qu'un
Supérieur soit véritablement un père, je ne dis pas assez,
une mère, puisqu'il les remplace auprès de leurs enfants?
Ne doit-il pas à cette grande famille, qui lui est confiée,
une triple nourriture, et tous ses soins? N'est-ce pas à lui à
les porter dans ses bras, à les soulager dans toutes leurs
souffrances, à les aider dans tous leurs embarras, à suppor-
ter leurs importunités comme leurs murmures ? N'est-ce pas
lui à qui ils doivent s'adresser, vers lui qu'ils doivent crier
et se plaindre? N'est-ce pas là sa charge, son fardeau?
Mais ce fardeau est trop fort pour un seul homme ; cet
homme fût-il assisté de Dieu, fût-il Moïse, il sera bientôt
accablé et découragé.


Il ne saurait y avoir une image plus vraie et plus frap-
pante du péril que je voudrais signaler ici.


Car n'est-ce pas là ce qui arrive toutes les fois qu'on em-
brasse plus qu'on ne peut? On s'exalte d'abord, on croit qu'on
pourra tout, et puis on ne suffit pas au travail ; on rencontre
bientôt l'ingratitude, l'injustice, et alors, on le sent bien vite,
les forces manquent; bon gré, mal gré, une multitude de
choses échappent; on s'aperçoit que la peine écrasante qu'on
prend est perdue, méconnue ; on s'attriste, on se désespère.
A ces plaintes désespérées, que répond Dieu? - « Rassemble
« soixante-dix des anciens d'Israël, dont tu connais et l'âge
« et l'autorité sur le peuple, et conduis-les à la porte du taber-
« nacle de l'alliance, et fais-les se tenir là debout avec toi :




CH.XI. — IL NE DOIT PAS VOULOIR TOUT FAIRE PAR LUI-MÊME. 454


« Congrega mihi septuaginta viros exsenibus Israël, quos tu
« nosti quod sintpopuli senes ac magistri, et duces eos ad os-
« tium tabernaculi fcederis, faciesque ibi stare tecum ; et je
« -viendrai à ton secours: je descendrai moi-même, et je te
« parlerai, et je prendrai de ton esprit, etjele leur donnerai,
« afin qu'ils soutiennent avec toi le fardeau du peuple, et que
« tu ne succombe pas sous le poids, en le portant seul : Et
« descendant, et loquar tibi, et auferam de spiritu tuo, tra-
it damque eis, ut 'sustentent tecum onus populî, et non tu
« solusgraveris.»


J'ai la confiance que plus d'un Supérieur méditera ces pa-
roles avec consolation, et comprendra que si le Supérieur
doit s'occuper du détail, puisque cela en Éducation est né-
cessaire, il ne doit pas cependant s'y absorber.


Que tout bon et zélé Supérieur ait donc, comme Moïse,
des hommes formés par lui, pleins de son esprit et de
son zèle, qui l'assistent, qui le secondant : alors, selon les
paroles de Jelhro, la charge divisée entre plusieurs ne sera
plus accablante; ou, selon les paroles de Dieu lui-même,
les hommes pleins de l'esprit du Supérieur soutiendront
avec lui le fardeau, et il ne succombera pas comme il
faisait, lorsqu'il voulait le porter seul.


I I I


Il est d'ailleurs bien facile de se rendre compte des raisons
qui établissent le nécessité d'une sage division et répartition
du travail entre le Supérieur et les hommes qui sont avec lui.


Féhelon les a très-bien senties, ces raisons, et admirable-
ment expliquées au duc de Bourgogne ; Bossuet aussi, dans
sa politique sacrée composée pour le Dauphin. J'ai déjà eu
occasion de dire que nul ne m'a été plus utile pour me faire
comprendre le gouvernement d'une maison d'Éducation, et




152 LIV. I e ". — LE SUPÉRIEUR.


le vrai rôle d'un Supérieur, que Fénelon et Bossuet. J'étais
encore, quand je fus placé à la tête du Petit Séminaire de
Paris, sans aucune expérience de ces choses. Mais, me di-
sais-je, il doit y avoir des livres où les fonctions d'un Supé-
rieur soient expliquées. J'en cherchai, je n'en trouvai presque
pas; et je demeurai avec le regret de ne pas rencontrer un
ouvrage spécial sur cette matière.


Je fis donc alors cette simple réflexion, qui dans le vrai ne
manquait ^>as de justesse, à savoir que Fénelon et Bossuet
ayant écrit d'admirables choses sur la manière de gouverner
les hommes, j 'en pourrais faire peut-être d'utiles applica-
tions au gouvernement des enfants. Je ne me trompais pas.
Rien de ce que j 'a i pu lire depuis ne m'a donné autant de
lumières pratiques sur la direction d'une maison d'Éduca-
tion et le rôle d'un Supérieur, que les conseils adressés
par Fénelon au duc de Bourgogne, et par Bossuet au Grand
Dauphin.


Par exemple, su r j e sujet qui nous occupe : «L'habileté,
« dit Fénelon, ne consiste pas à faire tout par soi-même ;
« c'est une vanité grossière que d'espérer d'en venir à bout,
« ou de vouloir persuader qu'on en est capable.


« Un Supérieur doit choisir et conduire ceux qui gouver-
« nent sous lui, mais il ne faut pas qu'il fasse le détail, car
« c'est la fonction de ceux qui ont à travailler sous lui. Seu-
« lement, » et c'est là un point essentiel, « il doit s'en faire
« rendre compte, et en savoir assez pour entrer dans ce
« compte avec discernement. »


C'est en ce sens surtout qu'un Supérieur doit être un
homme de détail; et c'est ainsi, comme nous l'avons vu
dans le chapitre précédent, que toutes les diverses parties
du gouvernement d'une maison, discipline, travail, piété,
administration, doivent passer successivement sous ses
yeux, et subir son contrôle. Il doit savoir où en est tout
cela, connaître les faits essentiels, la marche générale, l'en-




CH. XI. — IL NE DOIT PAS VOULOIR TOUT FAIRE PAR LUI-MÊME 153


semble de chaque chose ; mais il ne peut pas entreprendre
d'être à lui seul préfet de discipline, préfet des études, préfet
de religion, économe. L'impulsion, la surveillance, le con-
trôle le regardent ; l'exécution, les détails, il les confie, il les
demande à d'autres, à jour et à heure fixes, et il se fait obéir, .
avec bonté sans doute, mais avec précision et exactitude.
« Le suprême et parfait gouvernement consiste à gouverner
« ceux qui gouvernent, dit encore Fénelon. C'est merveilleu-
« sèment gouverner que de choisir et d'appliquer selon leurs
« talents ceux qui gouvernent ; il faut les observer, les éprou-
« ver, les modérer, les corriger, les animer, les élever, les
« changer de place, et les tenir toujours sous sa main. »


Cette immixtion du Supérieur en toutes choses aurait d'ail- ,
leurs d'autres grands inconvénients. D'abord, comment ne
gênerait-elle, ne blesserait-elle même pas les maîtres, qui
manqueraient, en la présence perpétuelle du Supérieur, de
la liberté d'action nécessaire, et qui croiraient que le Supé-
rieur manque -a leur égard de la confiance à laquelle ils ont
droit!


Et puis surtout", en fatiguant les autres, le malheureux
Supérieur ne se fatiguerait-il pas lui-même, et ne s'épuise-
rait-il pas physiquement et moralement ?


A un tel labeur la pauvre machine humaine ne saurait
longtemps résister : « Non-seulement, dit Fénelon, l'effort
« d'un grand travail épuise, mais encore une suite cfoccu-
« pations tristes et gênantes accablent insensiblement : Ven-
« nui et la sujétion minent sourdement la santé: Il faut se
« relâcher et s'égayer. La joie met dans le sang un baume
« de vie. La tristesse desséche les os ; c'est le Saint-Esprit
« même qui nous en avertit '. »


1 Fénelon écrivait une autre fois : « Point de remède, un peu de repos, de liberté
• et de galté d'esprit. Ce qui mettra votre esprit au large, soulagera aussi votre
t corps,et soutiendra votre santé. La joie est un baume de vie qui renouvelle ie
« sang et lesesprits. La tristesse, dit l'Ecriture, dessèche les os. >




l o i LIV. I " . — LE SUPÉRIEUR.


Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que ce Supérieur, en
faisant la besogne des autres, se mettrait bientôt hors d'état
de faire la sienne. De l'épuisement physique et de l'affais-
sement moral où il serait jeté,, résulteraient inévitablement
l'impuissance et l'insouciance pour les plus importantes
affaires.


« Vouloir examiner tout par soi-même, dit Fénelon, c'est
« défiance, c'est petitesse, c'est se livrer à une jalousie de
« détails qui consume le temps et la liberté d'esprit néces-
« saires pour les grandes choses. Pour former des desseins,
« il faut avoir l'esprit libre et reposé ; il faut'penser à son
« aise, dans un entier dégagement d'affaires épineuses. »


Un Supérieur, pour maintenir le bon gouvernement de sa
maison, pour entretenir l'activité et le zèle parmi les maîtres,
l'émulation des études, du travail et de la piété parmi les
élèves, pour prévenir les désordres, manier les esprits, ter-
miner les difficultés qui surgissent sans cesse, a besoin
d'être un homme fécond en moyens, en ressources : il y a
des combinaisons, des calculs à faire, des prévisions à avoir;
mais qui ne sent qu'il faut pour tout cela une liberté d'esprit
que n 'aura jamais un homme surchargé, surmené, perdu
dans les détails, quelque souplesse, quelque facilité qu'on
lui suppose pour porter ce lourd bagage? Fénelon le dit ad-
mirablement : « Un esprit épuisé par le détail est comme la
« lie du vin qui n'a plus ni force, ni délicatesse. » Lorsque,
dans les occasions importantes, il sera nécessaire d'agir
avec vigueur, de parler avec énergie, le pauvre Supérieur
se trouvera tout à coup absolument incapable.


Il faut surtout qu'un Supérieur prévoie, embrasse de son
regard la marche générale de sa maison, et ne songe pas
seulement au moment actuel, à l'affaire présente, mais à la
suite et à tout l'ensemble. C'est pour cela que nous lui de-
mandions tout à l'heure la générosité d'esprit , les vues
larges, le rapide et sûr coup d'œil. « Mais, dit encore Féne-




CH. XI. — IL NE DOIT PAS VOULOIR TOUT FAIRE PAR LUI-MÊME. 155


« Ion, ceux qui gouvernent par le détail sont toujours déter-
« minés par le présent, sans étendre leurs vues sur un avenir
« éloigné; ils sont toujours entraînés par l'affaire du jour
« où ils sont, et cette affaire étant seule à les occuper, elle
« les frappe trop, elle rétrécit leur esprit. Cette préoccupa-
« tion des détails expose un Supérieur à des vues fausses, à
« des jugements erronés sur une situation, à des mesures
« hasardées ou précipitées, où ne tombe pas un homme qui
« voit de plus haut et d'un point de vue plus général. On ne
« juge sainement des affaires que quand on les voit toutes
« ensemble. »


C'est pour cela que les gens qui gouvernent par le détail,
sont nécessairement médiocres. « C'est là, disait encore Fé-
« nelon, un caractère d'esprit court et subalterne : quand
« on est né avec ce génie borné au détail, on n'est propre
« qu'à exécuter sous autrui. »


Et empruntant aux beaux-arts une comparaison pleine de
justesse, il ajoutait :


« Celui qui , dans un concert, ne chante que certaines
« choses, quoiqu'il les chante parfaitement, n'est qu'un chan-
« teur ; celui qui conduit tout le concert, et qui en règle à la
« fois toutes les parties, est le seul maître de musique. Tout
« de même celui qui taille des colonnes, ou qui élève un côté
« d'un bâtiment, n'est qu'un maçon ; mais celui qui a pense'
« tout l'édifice, et qui en a toutes les proportions dans sa tête,
« est le seul architecte. Ainsi ceux qui travaillent, qui expé-
« dient,quifontleplusd'affaires,sont ceux qui gouvernent le
« moins ; ils ne sont que les ouvriers subalternes. Le vrai gé-
« nie qui conduit tout, est celui qui, ne faisant rien, fait tout
« faire, qui pense, qui invente, qui pénètre dans l'avenir, qui
« retourne dans le passé; qui arrange, qui proportionne, qui
« prépare de loin; qui seroidit sans cesse pour lutter contre
« la fortune, comme un nageur contre le torrent de l'eau ; qui
« est attentif nuit et jour pour ne laisser rien au hasard.




156 L1V. 1 e r . — LE SUPÉRIEUR.


« Croyez-vous qu'un grand peintre travaille assidûment de-
« puis le matinjusqu'au soir, pour expédier plus prompte-
« ment ses ouvrages? Non; cette gêne^et ce travail servile
« éteindraient tout le feu de son imagination : il ne travaille-
« raitplus de génie: ilfautque toutse fasse comme par saillies,
« suivant que son génie le mène, et que son esprit l'excite.
« Croyez-vous qu'il passe son temps à broyer les couleurs et à
« préparer des pinceaux? Non, c'est l'occupation de ses élè-
« ves. Il se réserve le soin dépenser ; il ne songe qu'à faire des
« traits hardis qui donnent de la noblesse, de la vie et de la
« passion à ses figures.'W a dans la tête les pensées et les sen-
te timents des héros qu'il veut représenter ; il se transporte
« dans leurs siècles et dans toutes les circonstances où ils
« ont été. À cette espèce d'enthousiasme il faut qu'il joigne
« une sagesse^qui le retienne ; que tout soit vrai, correct, et
« proportionné. Concluez donc que Voccupation d'un roi
« doit être de penser, de former de grands projets, et de
« choisir les hommes propres à les exécuter sous lui. »


Donc, pour conclure, qu'un Supérieur ne se laisse pas en-
traîner par son ardeur naturelle, et ne se livre pas sans pru-
dence et sans retenue à la fougue de son zèle. Qu'il n'épuise
pas, en petites choses, en vains détails, une énergie et une
vigueur que tant et de si importants labeurs réclament. Ne
pouvant tout faire, qu'il ne l'entreprenne pas ; mais sachant
discerner, avec une sagesse également éloignée d'une in-
tempérante ardeur et d'un secret amour du repos, ce qui
réclame son action, ce qu'il doit laisser faire aux autres,
qu'il y applique toutes les forces de son esprit et toute la
puissance de sa volonté. Qu'il se donne, comme le disait si
bien Fénélon, le temps de penser; qu'il se connaisse en
hommes ; qu'il les choisisse et les dirige ; qu'il ait le haut
talent de donner l'impulsion, de mettre en mouvement, de
faire agir -."c'est là son grand art et son grand devoir. Que




CH. X I I . " — IL DOIT FORMER DES HOMMES D'ACTION. 157


CHAPITRE XII


Comment le Supérieur doit faire agir les autres,
et former des hommes d'action.


11 nous reste à exposer maintenant, pour terminer ce pre-
mier livre, ce qu'il y a peut-être de plus essentiel, de plus
difficile, et aussi de plus fécond dans la charge du Supé-
rieur. Il doit former des hommes d'action.


Quelle que soit l'étendue et la nécessité de sa propre ac-
tion, ce qu'il a à faire faire aux autres, est bien plus consi-
dérable que ce qu'il-a à faire par lui-même. Agir, c'est beau-
coup; faire agir, c'est plus encore ; mais ce n'est pas un talent
vulgaire. On peut être actif, et ne savoir pas imprimer son


pour cela son esprit soit toujours calme, libre, élevé, fécond,
puissant ; sa vue étendue et sûre ; sa décision nette et ferme.
Ainsi sa maison aura véritablement une tête, un chef, et
marchera : autrement elle serait ce char que laisse aller au
hasard une main qui ne sait pas tenir les rênes, ou celte
barque sans gouvernail que ballottent le vent et les flots.


C'est pour la consolation et l'encouragement des Supé-
rieurs en leur rude tâche, que je suis entré dans tous ces dé-
tails. Je termine et résume tout cela par un mot charmant de
saint François de Sales, empreint de son ordinaire bon sens
et de son exquise délicatesse. Voici ce que cet aimable saint
écrivait à un Supérieur de communauté : « Il faut prendre
« du repos, et du repos suffisamment, laisser amoureuse-
« ment du travail à d'autres, et ne vouloir pas avoir toutes
« les couronnes ; le cher prochain sera tout aise d'en avoir
« quelques-unes. »




458 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


action. Une telle activité, quelle que grande qu'elle soit, si
elle est toute personnelle, si elle ne se communique pas, si
elle n'entraîne pas, n'est pas celle qu'il faut dans un Su-
périeur. 11 faut à un Supérieur une activité assez vive pour
donner l'impulsion, pour mettre tout en mouvement. Ne pou-
vant tout faire, comme nous l'avons vu, il faut qu'il prenne
assez d'empire sur les hommes pour faire faire ; il faut qu'il
répande la vie autour de lui; et la vie, c'est le mouvement,
l'activité constante : il faut qu'il attire dans sa sphère d'ac-
tion ses collaborateurs et les emporte en quelque sorte avec
lui. Semblable, selon une belle comparaison de Fénelon,
à un fleuve puissant, qui non-seulement roule avec force ses
flots rapides, mais entraîne encore dans sa course les plus
pesants vaisseaux dont il est chargé. Tel est l'homme d'au-
torité, l'homme d'action, tel doit être le Supérieur.


Mais comment le Supérieur animera-t-il de son souffle
ceux qui l'entourent? Comment fera-t-il d'eux des hommes
d'action? Et quelle doit être l'action tant du Supérieur
que de ses collaborateurs? C'est ce que je vais essayer de
dire.


Pour former des hommes d'action, plusieurs conditions
sont nécessaires.


La première va de soi : il faut d'abord que le Supérieur
donne l'exemple, et soit lui-même un modèle de travail
et d'activité. 11 faut qu'il fasse le mieux possible ce qu'il
a à faire, et décide par là même tout le monde à faire
comme lui.


Les mille détails dont se compose la vie d'un véritable
homme d'Éducation, de tout homme qui n'est pas seule-
ment un nom, un chiffre inutile, mais qui compte dans une
maison, ce métier-là, dirais-je, si ce terme trop vulgaire
convenait, ne se devine pas : il s'enseigne ; mais il s'enseigne
surtout par l'exemple : c'est l'exemple qui tout à la fois




CH. XII. — IL DOIT FORMER DES HOMMES D 1 ACTION. 159


instruit et entraîne, et avec une force, une autorité déci-
sives.


Il faut donc donner l'exemple : sans cela on reste isolé, sou-
vent méprisé, et par là même infécond.


Il n'y a de fécond que ce qui excite l'admiration, ou du
moins inspire l'estime, et par là même porte à l'imitation.


Mais il ne suffit pas de pouvoir mettre en mouvement
les hommes, il faut surtout savoir discerner leurs mérites
divers, leurs aptitudes respectives; et pour cela, il faut les
étudier de très-près :


Fênelon écrivait au duc de Bourgogne :
« Étudiez sans cesse les hommes ; apprenez à vous en ser-


« vir. Allez chercher le vrai mérite jusqu'au bout du monde:
« d'ordinaire, il demeure modeste et reculé. La vertu ne
« perce point la foule; elle n'a ni avidité ni empressement;
« elle se laisse oublier. Ne vous laissez point obséder par
« des esprits flatteurs et insinuants : faites sentir que vous
« n'aimez ni les louanges ni les bassesses. Ne montrez de la
« confiance qu'à ceux qui ont le courage de vous contre-
« dire. »


C'est ce qui n'arrive pas toujours. Il y a quelquefois des
Supérieurs qui par bonté, par faiblesse, ou par défaut de
discernement, se laissent peu à peu circonvenir, et finissent
par donner leur confiance à des hommes dont le plus grand
mérite souvent est de savoir les flatter et leur applaudir :
ces partialités sont funestes, et souvent mortelles à l'union
et au dévouement.


Je ne parle pas de ces Supérieurs, — on en a vu quelque-
fois, — qui, soit par une jalouse envie, soit par un confus
sentiment de leur infériorité, redoutent d'avoir auprès
d'eux des hommes de mérite, et , loin de les appeler, les
écartent. Rien n'est plus misérable.


Un homme à qui le mérite fait peur n'est pas digne de
commander aux autres.




4 6 0 LIV. 1 " . — LE SUPÉRIEUR.


Un vrai Supérieur commence par se choisir des collabo-
rateurs aussi bons, aussi capables que possible ; et quand
il les a près de lui, il les emploie de manière à ce qu'ils
puissent déployer toute leur valeur : c'est seulement alors
que les hommes font quelque chose. Quand un homme se
trouve dans sa sphère, quand il se sent capable de faire ce
qu'il a devant lui, c'est alors qu'il s'y donne, et y met tout
ce qu'il a de forces. Que s'il se voit dans des emplois aux-
quels il répugne ou pour lesquels il n'est pas fait, il perd
courage, et ne fait même pas là ce qu'il pourrait faire.


11 faut donc qu'un Supérieur se demande sans cesse :
quel parti puis-je tirer de tel ou tel homme? comment
puis-je employer leur talent, leur activité ?


Et que ne peut alors un Supérieur actif, secondé par de vrais
hommes d'action ! quel mouvement, quelle vie ils mettent
dans toute une jeunesse ! Au contraire si ces jeunes âmes
ne sont cultivées que par des mains languissantes, l'ivraie
aura bientôt tout envahi, et les ronces couvriront la sur-
face de la terre.


Il y a ici une remarque à faire: c'est de tous ses colla-
borateurs , mais des Directeurs particulièrement, que le
Supérieur doit faire des hommes d'action.


Il faut que les Directeurs, plus encore que les autres,
surtout les préfets et sous-préfets d'étude et de discipline,
participent à cette qualité essentielle du bon Supérieur,
puisqu'ils partagent et exercent plus particulièrement son
autorité ; puisqu'ils sont spécialement les hommes de son
action, dans les diverses sphères, où il doit agir lui-même.


Le point capital, c'est qu'ils soient hommes d'action en
ce sens que le Supérieur puisse compter sur eux :


C'est qu'ils soient de ces hommes rares, qui disent : Je
me charge de cela, fen réponds : et on peut s'y fier.


Quel soulagement qu'une telle assurance et une telle pa-
role, pour un Supérieur chargé de tout!




CH. XII. — IL DOIT FORMER DES HOMMES D'ACTION. 161


Mais aussi, quelle nécessité! Combien il est essentiel
qu'un Supérieur soit sûr qu'une chose est faite, quand il l'a
demandée, et ne soit pas obligé d'en reparler !


Mais, je le répète, les hommes sur lesquels on peut comp-
ter ainsi sont bien rares.


Quoi qu'il en soit, l'action des directeurs, comme de tous
les maîtres, doit s'exercer sous deux conditions indispen-
sables , dans Vunion et dans la règle.


Dans Vunion : Il faut que tous, mais les directeurs sur-
tout, soient des hommes de charité et d'union vraiment fra-
ternelle ; que leur accord soit parfait, leur action toujours
unie : Vis unita fortior.


C'est la condition essentielle d'une forte direction : pour
que les études, la religion, la discipline, soient fortement
dirigées, il faut l'action commune. Comment d'ailleurs
l'union serait-elle plus bas, si elle n'était pas en haut ?


Or, c'est l'action, c'est l'empire du Supérieur sur les Di-
recteurs, qui doit faire et maintenir cette union. Des con-
flits sont sans cesse possibles entre M. le préfet de reli-
gion et MM. les préfets d'études et de discipline, par
exemple; mais M. le Supérieur est là, qui décide, avec
douceur, patience, et fermeté.


Je dis fermeté ; car il doit conserver l'union à tout prix :
dès qu'il aperçoit ou craint un froissement, une division
quelconque entre ses collaborateurs, il doit tout faire pour
prévenir le mal ou du moins le corriger, même au prix
d'un départ, si c'était nécessaire.


Quand une main ferme est là pour diriger une maison,
les forces individuelles ne sont jamais en lutte, ou se trou-
vent bientôt ramenées à l'action commune et à l'harmonie;
mais quand le supérieur manque de caractère et de volonté,
les tiraillements sont perpétuels, les rivalités fréquentes, et
tout est en souffrance.


F.., III. \ \




462 L I Y . 1". — L E S U P É R I E U R .


Il y a un autre point, delà dernière importance, où l'éner-
gie de la volonté, l'ascendant de l'autorité dansun Supérieur
sur tous les hommes qui travaillent avec lui, est indispen-
sable : j 'en ai déjà dit un mot ; j ' y reviens : c'est l'obser-
vation rigoureuse des règlements par tous les maîtres de
la maison sans exception. Un Supérieur doit être inflexible
sur ce point II n'est pas question de laisser mettre en avant
ces mille prétextes que la légèreté et la mollesse inventent
si facilement pour se débarrasser d'un joug qui gêne et qui
pèse. Il s'agit d'une œuvre capitale, d'une œuvre qui est
essentiellement une œuvre de dévoûment. Eh bien ! dans
une telle œuvre, l'observation rigoureuse des règlements,
le règne de la règle, est-il nécessaire, oui ou non? Mais ce
règne: de la règle est évidemment impossible, si les maîtres
ne donnent l'exemple : c'est pourquoi un Supérieur doit
l'exiger inflexiblement.


Il en parlera donc souvent, il y insistera fortement dans
les conseils; partout et toujours, il y tiendra la main; mais
là encore, comme partout, son exemple est plus efficace que
sa parole.


C'est fort bien de dire aux maîtres dans les conseils :
Messieurs, faites travailler vos enfants ; faites leur obser-
ver la règle ; mais il faut ajouter à l'instant : Messieurs,nous
n'obtiendrons l'un et l'autre qu'en travaillant, et en obser-
vant la règle nous-mêmes.


Pour moi, je le disais souvent à nos Messieurs : « Une im-
« mense responsabilité pèse sur nous. Nous ne pouvons
« sauver tous ces enfants que par le travail et par la règle.


« Dans le travail et dans la règle se trouvera la piété, et la
« piété solide. Hors de là, rien que de faible et de faux.


« Mais pour cela il faut que noms travaillions nous-mêmes
et et que HOÏIS respections la règle inviolablement


« La règle nous oblige tout les premiers. D'ailleurs, ne
« l'oubliez jamais, les enfants ont les. yeux sur nous, et




CH. XII. — IL DOIT FORMER DES HOMMES D'ACTION. A&3


« soyez-en bien sûrs, ils n'auront pas pour la règle plus de
« respect que nous-mêmes. »
, J'ajoutais : « Je vous avertirai, Messieurs, de vos man-
q u e m e n t s , et je demande que vous m'avertissiez vous-
« même. »


Ainsi donc, pour résumer tout ceci, un Supérieur doit être
homme d'action, et former des hommes d'action.: d'abord
bien connaître ses hommes, et puis les mettre en œuvre
avec discernement; faire travailler tout le monde, mais avec
accord, unité, harmonie ; et surtout maintenir inflexiblement
l'empire de la règle : la faire observer par tous.


Maintenant, quels doivent être les caractères de l'action,
tant du Supérieur, que de ses collaborateurs ?


Ce doit être, d'abord, une action prompte, vive et vigilante.
C'est par là seulement qu'on empêchera les désordres, et


qu'on étouffera le mal à sa naissance.
Dans une maison d'Éducation, il ne faut tolérer aucun dé-


sordre, il ne faut jamais laisser un point noir à l'horizon. Ce
point pourrait grossir et faire un orage : il faut le décou-
vrir, dès qu'il se montre, et le dissiper d'un souffle.


Il faut prévoir : rien n'est pire que de se laisser sur-
prendre ; car souvent alors il est trop tard, et ce qui n'eût
été rien à l'origine devient une grosse affaire. Il faut pré-
voir le mal, le pressentir, le deviner, et dès qu'on l'a aperçu,
l'anéantir dans son germe.


Or, cela demande une action prompte; et surtout, je
l'ajoute, persévérante et suivie.


On ne triomphe du désordre que par la suite, la pour-
suite, la constance, l'obstination.


Par exemple : On a fait un reproche, on a donné un avis
grave à un enfant ; eh bien ! il ne faut pas s'en tenir là avec
cet enfant ; il faut voir s'il en profite, et ce qu'il devient. Il




164 LIV. I e r . — LE SUPÉRIEUR.


faut le suivre la semaine suivante, et le faire suivre en
même temps par ses parents, par le préfet de discipline, par
le professeur, le confesseur, le .président d'étude. Suivi,
surveillé, enveloppé ainsi de toutes parts, il est difficile qu'un
enfant échappe.


Voilà l'action, l'esprit, qu'un Supérieur doit avoir et com-
muniquer aux hommes qui travaillent avec lui.


Il y a du reste un mot qui peint cette action à merveille,
qui en exprime pleinement toute la promptitude, toute la vi-
gilance, toutes les sollicitudes, toute la constance, c'est le
mot zèle. Un Supérieur doit être un homme de zèle, et for-
mer des hommes de zèle. Qu'est-ce que le zèle?


L'Écriture parle quelque part de ce qu'elle appelle l'œil
du zèle, oculus zeli. Il y a aussi l'oreille du zèle, auris zeli,
et, si je l'ose dire, le pied du zèle, pes zeli. Oui, il faut que
le zèle ait des pieds, des yeux et des oreilles, mais des pieds
qui volent, des yeux qui voient tout, des oreilles qui enten-
dent tout. Il y a des gens, il y a des maîtres, pour qui
semblent faites ces paroles de l'Écriture : Ils ont des yeux
et ne voient pas, ils ont des oreilles et n'entendent pas, ils
ont des pieds et ne marchent pas. — Ils étaient là, et ils n'ont
rien vu, rien entendu de ce qui s'est fait et dit sous leurs
yeux : ils n'avaient qu'un pas à faire pour empêcher le dé-
sordre, disperser ce groupe : ils n'ont pas bougé. Est-ce là
le zèle ? Non, le zèle entend le plus léger bruit, il voit le
moindre signe; agile et prompt, il est partout. Mais plus
qu'à tous les autres, c'est au Supérieur qu'il faut oculus,
auris, pes zeli. Le Supérieur, s'il est vraiment capable,
est un homme qui voit tout, qui entend tout, qui se trouve
partout. Quelle différence entre un tel homme et celui que
dépeint Fénèlon : « Paresseux, inappliqué, présomptueux,
opiniâtre ; il ne va rien voir, il n'écoute rien, il décide et ha-
sarde tout ; nulle prévoyance, nul avertissement, nulle dispo-
sition; nulle ressource dans les occasions qu'un zèle fou-




CH. XII. — IL DOIT FORMER DES HOMMES D'ACTION. 165


gueux, brusque, inégal ; et quant au reste, inaction perpé-
tuelle de corps et d'esprit. »


Nous voilà bien loin de cette activité vigilante et ferme qui
prévient le mal, le découvre et l'anéantit dans son germe, ou
si déjà le mal a fait des progrès, le poursuit sans relâche et
avec énergie, jusqu'à ce qu'il ait disparu.


Je dois ajouter un mot nécessaire : c'est que si l'autorité du
Supérieur doit être soutenue d'une ferme volonté, son zèle
doit être calme et tranquille ; sans agitation, sans précipita-
tion, sans trouble extérieur ni intérieur, mais simple, coura-
geux et énergique. C'est par là qu'un Supérieur est craint,
respecté, obéi de tous. On le sait l'ennemi vigilant, prudent
et réfléchi, mais implacable du désordre : on n'essaie même
pas de résister.


Et il faut qu'il en soit ;de la sorte : oui, il faut qu'on ne
souffre jamais dans la maison un seul enfant qui résiste obs-
tinément, qui ait une mauvaise volonté déclarée.


On supporte la légèreté, la faiblesse des enfants; mais la
mauvaise volonté, jamais. Il faut que les enfants sachent
parfaitement là-dessus à quoi s'en tenir.


Comment donc se conduit-on avec un enfant qui a mau-
vaise volonté? le voici : On commence par l'avertir, et on
lui signifie que, s'il ne change, on ne le supportera pas ;
puis on attend un mois, deux mois ; puis on* fait encore un
effort; puis enfin, s'il résiste toujours, on se sépare ami-
calement; ou, s'il le faut, on le renvoie nettement.


Cette fermeté, cette sévérité au besoin, vous est indispen-
sable, si vous êtes Supérieur.


11 faut en effet que votre maison devienne un modèle.
II faut qu'on dise : On y est trop sévère.
On vous louera ensuite.
Sachez-le bien, on ne blâmera définitivement que vos fu-


nestes indulgences.
On peut avoir au saint tribunal, comme confesseur, une




466 LIV. 1 E R . — LE SUPÉRIEUR.


grande indulgence; mais comme Supérieur, non. Et voilà
pourquoi, quand j'étais Supérieur, je ne voulais confesser au-!
cun enfant. J'aurais craint de gêner ou d'affaiblir mon action.


Du reste, ce que je cherche à dépeindre ici; cette alterna-
tive de patience et de fermeté, de soins affectueux et dé
rigueur nécessaire dans lé gouvernement des enfants, Vir-
gile a décrit toutes ces choses avec son incomparable richesse
et son exquise délicatesse : je veux me donner le plaisir de
le citer ici, et terminer ces détails un peu sévères par cette
Gharmante et gracieuse comparaison :


Ac, dura prima notH's adolèscic fronlibus œlas,
Parcendum teneris : et 4um se lœtus ad auras
Palmes agit, Iaxis per purum immissus habenis,
Ipsa acies nondum falcis tentanda, sed uncis-
Çarpendm manibus frondes, interque legendœ.
Inde ubi jam vaîidis amplexœ nexibus ulmos,
Exierint, tum stringe cornas, tum brachia tunde,
. . .• . Tum denique dura
Exerce imperia, et ramos compesce flùentes,.


(GEOKG., liv. ii, 6 3 . )


Oui, dans les commencements, et quand l'âge est encore,
tendre, et les premières fois, il faut user de patience, de con-
descendance, de douceur, Parcendum teneris. Et même,
quand déjà les premiers accroissements se montrent, quand
paraissent les premiers jets de la passion, les premières sail-
lies du caractère, il ne faut pas s'armer du fer encore : Ipsa
acies nondum falcis tentanda; mais manier cette jeune nature
d'une main délicate, et essayer doucement de retenir ses
élans impétueux. Et, enfin, quand l'insolence persiste, gran-
dit, déborde, Inde ubi jam validis amplexœ nexibus ulmos
xierint, alors c'est le moment de la courageuse énergie,


de l'impitoyable rigueur, et de ce dur empire dont parle le
poëte ; alors il faut tailler, émonder, retrancher.


Je résume et je termine tout cet important chapitre.




CH. XII. — IL DOIT FORMER DES HOMMES D'ACTION. 467


Le Supérieur ne doit pas être seulement un homme d'ac-
tion, mais il faut encore qu'il sache communiquer son é»1"
tion aux autres, et former des hommes d'action. Tous les
hommes qui travaillent avec lui à l'Éducation de la jeu-
nesse doivent être comme lui des hommes d'action : mais
unis dans leur action, entraînés et harmonisés par l'action
supérieure et dirigeante de leur chef. Et cette action des
hommes de l'Éducation doit avoir les caractères suivants :
elle doit être prompte, vive, vigilante ; suivie et persévé-
rante ; énergique, et au besoin sévère ; c'est le zèle, le zèle
avec toute son activité, ses sollicitudes, ses prévoyances,
mais le zèle calme et tranquille, ferme et courageux, doux
et fort.


Nous n'entrerons pas dans plus de détails sur ce grave et
capital sujet. Nous avons essayé de dire ce que doit être un
Supérieur, ce qu'il doit faire, et surtout ce qu'il doit faire
faire. Il est temps maintenant de voir son action réalisée,
personnifiée dans ses collaborateurs, dans les maîtres : c'est
ce qui va faire l'objet du livre suivant.






LIVRE DEUXIÈME


LES MAITRES.


CHAPITRE PREMIER


Le Magisterium.


Quelles que soient leurs fonctions diverses, nous appelons
d'un seul et même nom tous les hommes qui concourent à
l'œuvre de l'Éducation ; nous les nommons, les maîtres.


Quelques considérations sur l'origine latine de ce mot ne
seront pas inutiles pour en faire apprécier le sens élevé.


La langue latine — la langue de ce peuple fort qui con-
quit et gouverna le monde, et mérita d'être appelé du plus
grand nom qui ait été donné à un peuple, le peuple-roi, —
est admirable par sa gravité et son énergie, et par le don
qu'elle a reçu plus qu'aucune autre langue d'exprimer avec
grandeur les grandes choses.


Le génie romain respire véritablement dans cette langue ;
et le latin est une preuve frappante de la vérité profonde
de ces paroles de M. Villemain, que j 'ai déjà citées : « Une
« langue, c'est la forme apparente et visible de l'esprit d'un
« peuple. »


Le peuple romain a marqué de son empreinte son langage;




170 LIV. II. — LES MAITRES.


et la gravité avec laquelle il traitait les choses dignes de
respect, apparaît dans cet idiome latin, grave, austère, plein
de force et de dignité.


On l'a déjà remarqué : moins riche que la langue grecque,
le latin a cependant un mot essentiel que la langue grecque
ne possède pas, et seul dans l'antiquité il a su nommer la
chose la plus auguste qui soit sur la terre, la plus faite pour
inspirer le respect aux hommes, la majesté : Majestas est un
mot essentiellement romain, un mot sorti des entrailles
mêmes de la langue latine, et qui la caractérise admirable-
ment.


Il est un autre mot, tout romain encore, allant bien par sa
gravité et son énergie à la nation qui portait la toge, et que
dans l'abaissement où la légèreté des mœurs françaises a
laissé tomber tant de mots longtemps respectés, nous n'avons
pas encore effacé complètement de notre propre idiome, où
quelque chose en a passé : c'est le mot Magisterium..


Le mot Magisterium n'existe pas, n'a pas d'équivalent
littéral en français : mais les mots maître, magister, magis-
trat, magîstratus, qui ont la même racine que Magisterium,
existent chez nous dans leurs sens les plus élevés.


Que signifie donc en latin, selon l'énergie de la langue, ce
grand mot, Magisterium? Ce n'est pas un mot étroit, res-
treint, propre à telle ou telle fonction, à tel ou tel pouvoir :
c'est un nom vaste, général, universel, désignant toute au-
torité, tout empire, toute grande fonction, particulièrement
dans l'ordre moral ; de même que le mot magister indique le
dépositaire de cette autorité, l'homme qui exerce cet em-
pire, cette fonction, dans tous les sens.


Les mots Magisterium, magister, expriment en latin l'auto-
rité , dans sa plus complète acception ; non - seulement
l'autorité dans sa puissance, l'autorité qui possède par la
force, qui dompte, et qui quelquefois écrase [dominûs, do-
mare, dominari) ; mais encore l'autorité dans ses droits les




CH. I . — LE MAGISTERIUM.


plus augustes et son exercice \e yAus sacre •.Yau\»f\\fe q\ï\
gouverne, qui élève, qui surveille et qui sauve, qui protège
et se dévoue.


Ainsi la plus haute fonction sociale est nommée en latin
Magisterium : c'est un magisterium que le prince exerce ;
ceux qui représentent son autorité, exercent aussi un ma-
gisterium : il est même à remarquer que les Romains ap-
pliquèrent spécialement ce mot à cette institution auguste
et presque sacrée; à la fois redoutable et secourable, qui
règne dans les sociétés humaines avec un souverain em-
pire, gardienne et organe des lois, protectrice dès petits et
des faibles, amie des opprimés, vengeresse inexorable des
crimes : cette puissance, comparable presque au sacerdoce,
au Presbyterium, ils la nommèrent d'un nom dérivé de ma-
gisterium, magistratus; incarnant ainsi dans le nom de
cette grande puissance de la Justice, le nom même de l'au-
torité suprême.
, Toutefois, l'acception la plus fréquente et non pas la
moins haute, du mot magisterium, vient de son application
aux choses de l'Education.


Ce mot exprimé admirablement l'œuvre même de l'Éduca-
tion : la force, l'autorité, le souverain empire moral avec
lequel elle doit se faire, le but élevé et saint auquel elle doit
tendre : il ne diminue par aucun côté ni l'œuvre, ni l'homme
qui doit l'accomplir : en latin, le magister, l'homme qui
exerce sur les enfants ce que la langue latine nomme si bien
magisierütm, se présente à nous avec tous les titres lés plus
grands qui soient à l'obéissance, au respect; à la confiance.


Chez nous, là puissance occulte et fatale qui a su avilir
tant de mots dignes de respect, a essayé d'entamer celui-ci;
mais j l n'a pas succombé sous ses atteintes : le matimagistrat
a résisté complètement, et le mot maître a conservé dans tous
les ordres de choses, et même en ce qui concerne l'Educa-
tion, des acceptions magnifiques.




472 LIV. II. — LES MAITRES.


On dit : Dieu est le souverain maître de toutes choses. Le
temps est un grand maître. On dit : Cet homme est le maître
des esprits et des cœurs. Il est maître de ses passions.


« Je suis maître de moi comme de l'univers, •


dit un grand prince chez un grand poëte.
C'est l'empire le plus honorable.
Dans l'ordre littéraire, ce mot exprime une supériorité in-


contestable, une autorité décisive. On dit : Les grands maî-
tres de la langue française. Les grands maîtres de Vécole
italienne. On dit : Un maître dans Vart de bien dire ; une
parole magistrale.


Dans l'ordre politique et social : les maîtres du monde...
les maîtres dans la science du gouvernement des hommes,
offrent des sens nobles et respectés.


En Éducation, le mot maître conserve encore une partie
de sa dignité et de son autorité. En vain a-t-il été abaissé
dans .le magister de village, et comme je l'ai dit ail leurs 1 ,
dans les maîtres d'études et les maîtres de pension ; ce nom
s'impose encore au respect par l'idée qu'il rappelle invinci-
blement, et qui en est inséparable, la grande idée du magis-
terium, du gouvernement, de la haute direction, de l'œuvre,
de l'action même et des droits de la suprême autorité mo-
rale.


Son sens est très-étendu et très-général; et bien qu'il
semble plus spécialement réservé à quelques-uns des hom-
mes qui font l'œuvre de l'Éducation, il s'applique néanmoins
à tous. Et il est bon que cela soit.


Cicéron parle quelque part, avec admiration et avec re-
gret, de ces beaux temps de la république où le prœceptor et
le doctor, l'homme qui enseignait la science et l'homme qui
enseignait la vie, n'étaient pas deux hommes distincts, mais


• Voyei au 2« vol. de cet ouvrage, le chap. U* du v° U n e .




CH. I. — LE MAGISTERIUM. 473


un seul et même homme : Neque disjuncti doctores, sed
iidem erant Vivendi prœceptores atque dicendi. Si la gran-
deur et la durée de l'œuvre de l'Education exigent que l'en-
fant soit nécessairement remis en plusieurs mains, il est
bon néanmoins que tous ceux aux soins desquels il est confié
ne scindent pas la grande œuvre, et soient tous tenus, cha-
cun selon son pouvoir, à la faire tout entière, à cultiver
le cœur en même temps que l'esprit, à donner la science et à
former la vie, à exercer véritablement le magisterium, à être
tous de vrais maîtres.


C'est ainsi que nous entendons l'Éducation, et tel est pour
nous le sens du mot maîtres donné collectivement à tous
ceux qui ont un emploi, une part quelconque d'autorité dans
une maison d'Éducation ; ce n'est pas un mot enveloppant
l'idée odieuse de quelque dur et tyrannique empire, mais
l'idée grande et respectable des droits et des devoirs ,les
plus élevés. Ces droits et ces devoirs, nous voulons qu'ils ré-
sident tous, quoique à des degrés divers, dans tous ceux qui
participent à l'institution de la jeunesse. Nous entendons,
nous voulons, pour tous ceux qui ont cet honneur, qu'ils
prennent tous part, qu'ils travaillent tous à ce qu'il y a de
plus élevé et de plus important dans l'œuvre de l'Éducation,
à savoir les vertus morales et religieuses, la formation du
cœur, de la conscience et du caractère, les hautes conve-
nances sociales, les mœurs, les sentiments, la connaissance
du monde, la science de la vie : nous voulons qu'ils réali-
sent ainsi, dans sa haute et grande acception, ce nom de
maîtres qui leur est conservé encore, et qui doit l'être ; nous
les voulons, en un mot, investis de cette grande fonction, si
bien nommée [magisterium, qui s'exerce par le plus noble
empire, par la plus auguste autorité, par la plus haute intel-
ligence des besoins de l'Éducation humaine, ainsi que des
droits et des devoirs de tous ceux qui s'y dévouent.


Voilà ce que sont à nos yeux les maîtres dans une maison




474 LIY. II. — LES MAITSES.


d'Éducation : sans cette dignité, sans cette autorité, leurs
fonctions ne peuvent manquer de descendre, leur autorité
de prendre un côté odieux. Mais des hommes qui compren-
nent ainsi leur mission, qui la respectent eux-mêmes et sa-
vent la faire respecter par les enfants, qui commandent, qui
gouvernent tout à la fois avec l'autorité qui s'impose et le
dévoûment qui se sacrifie, des hommes qui s'emparent ainsi
de l'enfant, qui cultivent toutes ses facultés, qui élèvent tout
son être, toute sa vie, nous pensons que de tels hommes sont
à bon droit nommés les maîtres de l'enfance, et que ce nom
dans les langues humaines mérite de prendre place à côté
de tous ceux qui demeurent à jamais grands et sacrés dans
le respect des hommes.


Or, et c'est une chose qui peut-être n'a pas été encore assez
remarquée, une réunion de tels hommes, voués par le même
dévoûment à la même grande œuvre, habitant tous ensemble,
et avec leurs élèves, sous le même toit, vivant de la même
vie, ayant là le centre de toute leur existence, et leur vraie
et seule famille, -une telle réunion ne se rencontre pas dans
l'antiquité. L'antiquité n'entendait pas ainsi l'institution de
la jeunesse ; cette grande œuvre s'y faisait isolément, soli-
tairement : le dévoûment collectif pour l'enfance et la jeu-
nesse n'existait pas. Il y avait bien ;des hommes qui ensei-
gnaient en public, et la jeunesse allait entendre leurs leçons ;
mais les fonctions de ces hommes se bornaient à enseigner,
soit les sciences, soit les lettres ; et la plus importante partie
de l'Éducation, la mission de surveiller, de diriger, de gou-
verner, de corriger, de façonner à la pratique du bien, de
former l'âme et le cœur, en un mot d'élever, était confiée
à quelque précepteur, lequel était le plus souvent un esclave.


L'idée de s'associer, de mettre en commun les talents, le
dévoûment, la vie, pour remplir auprès de la jeunesse ce
grand ministère de l'Éducation, pour exercer ce complet
gouvernement des esprits, cette magistrature des âmes, ce




CH. K — LE MAGISTERICM. 175


sacerdoce moral , et par l'ascendant suprême d'une telle
mission, par l'action laborieuse et continue d'un tel dé-
voûment, cultiver, développer, former véritablement la jeu-
nesse, et dans l'acception de ce grand mot, élever, faire des
hommes : une telle idée est une inspiration de l'esprit chré-
tien, et procède sans nul doute du respect plus profond, de
l'amour plus tendre, que le Christianisme a su inspirer
pour les enfants et pour les âmes.


De même donc qu'autrefois le Christianisme avait créé,
pour le service spirituel des âmes, dans chaque siège epis-
copal, autour de l'Évêque, une réunion d'hommes dévoués,
de prêtres consacrés non-seulement au culte de Dieu, mais
au ministère pastoral, à tous les soins de l'apostolat, et
avait appelé ce sénat vénérable le presbyterium; de même
pour l'Éducation de la jeunesse, pour la grande fonction
qui consiste à développer l'homme dans l'enfant et à faire
des hommes, l'esprit évangélique a créé cette admirable
réunion de vingt ou trente hommes dévoués, que nous pré-
sentent les collèges. chrétiens, cet autre sénat respectable
aussi, que, dans un sens nouveau et agrandi, nous pou-
vons appeler le magisterium, transportant le sens du mot
latin, des fonctions qu'il exprime, à la réunion d'hommes
qui les remplit.


Eh bien, ce sont là les hommes de VÉducation, dont nous
cherchons en ce moment à décrire l'action, que nous allons
essayer de montrer à l'œuvre L nous avons parlé de celui
qui est à leur tête, et qui les gouverne tous, du Supérieur ;
nous allons traiter maintenant de ceux qui, avec lui et sous
lui, font la grande œuvre, et d'abord de ceux qui ont la
principale part de son autorité et de sa responsabilité, des
Directeurs.




ne L1V. H. ~ LES MAITRES.


CHAPITRE I I


Les Directeurs.


I
Il y a dans la langue française une belle expression, qui


s'applique admirablement à la grande œuvre de l'Éducation.
La langue de l'Education .publique n'en fait pas emploi,
mais elle se conserve encore dans le mot de gouverneur,
que pour ma part je préférerais de beaucoup à celui-ci de
proviseur.


Il y a dans ce mot une grande idée, l'idée même de l'au-
torité souveraine.


On dit : gouverner les peuples, gouverner les volontés,
gouverner les esprits. On dit : Vart de gouverner les hom-
mes. On dit : le gouvernement des âmes.


Il est manifeste que, quand nos pères appliquaient cette
expression à l'œuvre de l'Éducation, ils pensaient que l'Édu-
ducation était l'œuvre de la plus haute autorité, l'action
même et le droit de l'autorité suprême, c'est-à-dire de l'au-
torité du père, vrai monarque de la famille.


Nous l'avons surtout conservée pour l'Education des prin-
ces, et cela est bien fait : les enfants des rois ou des grands
ont plus besoin que d'autres d'une Education fortement
gouvernée, non-seulement parce que leur Education importe
plus au bonheur de tous, mais aussi parce que la mollesse
de la vie et les délices de l'opulence aident peu au succès de
l'œuvre.


Quoi qu'il en soit, ce mot, je le répète, a été noblement




CH. II. — LES DIRECTEURS. 177


appliqué à l'Éducation : car, c'est un noble empire, que celui
qui s'exerce par l'ascendant paternel, par la haute intelli-
gence des besoins de la nature humaine, par le dévoûmenl
sans bornes.


Dans toute Éducation soit publique, soit privée, s'il n'y a
pas un gouverneur, sous un titre quelconque, l'Éducation est
essentiellement médiocre ou nulle.


C'est le Supérieur, le Principal, le Proviseur qui, dans une
maison d'Éducation, exercent les fonctions de gouverneur :
ce sont eux qui doivent gouverner les divers instituteurs,
présider à l'exécution des règlements et des lois de l'Éduca-
tion : ils en sont l'âme, et c'est d'eux que doit venir dans une
maison tout entière, le mouvement, la vie, l'inspiration, en
un mot, le gouvernement de tout ce qui se fait.


Mais le Supérieur, dans une maison d'Éducation, n'est pas
seul investi du gouvernement ; je veux dire que si en défini-
tive le gouvernement de tout part de lui, et revient à lui, il
doit cependant avoir sous lui, si je puis m'exprimer ainsi,
des gouverneurs partiels, des agents directs, relevant de lui,
mais commandant immédiatement aux autres maîtres, dans
les quatre grands ordres de choses entre lesquels se divise
l'œuvre totale de l'Éducation, à savoir les études, la religion,
la discipline, l'hygiène.


Partant en effet de ce principe que l'Éducation doit élever
l'homme, tout l'homme, son esprit, son cœur, son âme, son
corps même, nous avons distingué quatre sortes d'Éduca-
tions, l'Éducation intellectuelle, l'Éducation morale, l'Édu-
cation religieuse, l'Éducation physique, toutes quatre
diversement, mais souverainement importantes, et dont au-
cune ne peut être négligée, sans que l'œuvre totale ne souf-
fre, sans que l'homme ne demeure incomplet.


L'importance de ces quatre sortes d'Éducations, et leur
spécialité, rendent nécessaire l'établissement de quatre di-
rections spéciales, centres distincts de gouvernement, qui


K , , m. '12




LIV. II. — LES MAITRES.


tout à la fois multiplient et simplifient l'action, en la divi-
sant et la répartissant sur plusieurs. C'est pourquoi, en toute
maison d'Éducation bien ordonnée, il doit y avoir quatre
Directeurs, spécialement chargés et responsables de toute
une partie du gouvernement de la maison.


Un préfet de religion ;
Un préfet des études ;
Un préfet de discipline ;
Un préfet économe.
Un d'eux est le suppléant immédiat du Supérieur, avec le


titre spécial de Directeur de l'institution.
S'il y a, comme c'est l'ordinaire dans les maisons floris-


santes, une seconde division, nombreuse et séparée de la
première, il doit y avoir un préfet de discipline spécial,
chargé de la diriger, comme aussi un préfet de discipline
spécial pour la troisième division, s'il y en a une.


Ces diverses directions seront confiées à autant de Direc-
teurs particuliers, si cela est possible, et surtout si les élèves
sont nombreux.


Un Directeur peut néanmoins être chargé de deux direc-
tions. La préfecture des études et la préfecture de disci-
pline peuvent bien aller ensemble. La préfecture de reli-
gion peut aussi s'allier avec l'une ou l'autre des deux
précédentes.


L'économat seul n'est guère compatible avec une autre di-
rection : l'économe pourrait être cependant premier Direc-
teur de l'institution*


Quand une tête- de maison est ainsi composée, le gouver-
nement en est facile. Assisté de quatre bons directeurs, bien
choisis, capables, dévoués, qui apparaissent aux enfants
comme placés au-dessus des autres maîtres, comme des re-
présentations plus spéciales de la suprême autorité, un Su-
périeur est considérablement soulagé, et investi d'une force
immense.




CH. II. — LES DIRECTEURS. 179


Mais pour cela il importe que la fonction de chacun soit
nettement réglée, et incontestée : autrement leur action se-
rait paralysée : rien n'affaiblit plus l'autorité d'un homme
que des attributions douteuses et mal définies.


Je vais entrer ici dans les plus intimes détails et dire ce
que d'ordinaire on ne dit pas, montrer ce que d'ordinaire
on ne montre pas, ce qui reste caché dans l'intérieur des
maisons d'Éducation : c'est pour moi le seul moyen d'arriver
au but spécial que je me propose dans ce volume, et qui est,
je le dis nettement, de former des hommes d'Éducation, des
hommes pratiques.


Dans les précédents volumes, j 'ai posé les principes : j 'ai
dit, en général, ce que doit être, selon moi, une maison
d'Éducation, et les hommes qui se consacrent à la grande
mission d'élever la jeunesse. Mais que sont les meilleurs
principes, si on ne sait pas en faire l'application ? J'ai pensé
que j'éclairerais les principes eux-mêmes d'une nouvelle
lumière, et que je ferais un travail non moins utile, plus
utile peut-être que le premier, si j 'entrais ici dans le cœur
même de l'œuvre, si je descendais dans les derniers détails
de la pratique ; et bien que tout ceci paraisse convenir spé-
cialement aux hommes qui s'occupent de l'Éducation, aux
hommes du métier, s'il est permis de parler ainsi, néanmoins
je ne crains pas de le mettre aussi sous les yeux de tout le
monde, de faire mouvoir en quelque sorte devant le public
tout le personnel d'une maison d'Éducation, telle que nous
l'entendons, et de livrer tous nos secrets.


Oui, il est bon qu'on nous voie à l'œuvre, qu'on sache,
dans le vrai, comment des prêtres qui se dévouent à la mis-
sion d'élever la jeunesse, entendent ce second sacerdoce;
qu'on voie de près ce qui se fait par nous dans l'ombre et en
silence pour les enfants qui nous sont confiés, et ce que c'est
enfin précisément que cette œuvre vaste, presque infinie
dans ses soins, dans ses labeurs de chaque jour, qui s'appelle




180 L1V. II . — LES MAITRES.


l'Éducation. Loin d'avoir peur de la lumière, nous l'appe-
lons : l'Éducation cléricale, si attaquée encore en ce mo-
ment même, ne craint pas de se présenter au grand jour
et sans voile, et elle entend se justifier par elle-même.


I l


RÈGLEMEM DE MM. LES DIRECTEURS.


§ 1 e r ; — LEURS CHARGES.


MM. les Directeurs ont trois charges principales : 1" le
gouvernement général de la maison ; 2 ° les fonctions parti-
culières de leur direction spéciale; 3° la charge pastorale.


1° Ils partagent avec M. le Supérieur, et exercent, sous sa
direction immédiate, le gouvernement, l'administration, et
ie service general de la maison.


Il en est d'eux comme du Supérieur, et comme lui ils
doivent réunir, à un plus haut degré que les autres maîtres,
les qualités qui font le bon instituteur, et celles qui font
l'homme d'autorité, de gouvernement. Eux aussi, ils doivent
agir et faire agir.


C'est pourquoi ils doivent être profondément convaincus
de la gravité de leur charge, de l'étendue de leur responsa-
bilité ; sentir, comme le Supérieur, ce poids de toute une
maison pesant par un de ses côtés sur leur tête, ces sollici-
tudes de chaque heure, de chaque instant; et comme le Supé-
rieur aussi, donner aux maîtres l'exemple du zèle et de
l'abnégation, de la régularité, dû travail, de toutes les vertus
d'un bon maître. Constitués en dignité dans la maison, ils
doivent forcément l'exemple, et celui qu'ils donneront, bon
ou mauvais, sera suivi.


Comment d'ailleurs auraient-ils sur les autres maîtres
l'intluence nécessaire pour les diriger, pour leur imprimer




CH. II . — LES DIRECTEURS. 4 8 1


une utile impulsion, si eux-mômes les premiers ne se mon-
traient dévoués tout entiers et sans réserve à leur œuvre?


Je n'ai pas besoin de dire à quel point ils doivent s'en-
tendre avec le Supérieur, s'inspirer de son esprit, entrer
franchement dans sa voie, subir eux-mêmes son action, afin
de la communiquer aux autres. Sans doute, ils sont les
premiers conseillers de M. le Supérieur, et ils peuvent dis-
cuter avec la franchise convenable, avant qu'elles ne soient
adoptées, les mesures proposées ; mais de l'opposition pro-
prement dite, moins que personne ils n'en doivent faire,
d'aucune sorte, ni directe, ni indirecte. Ils sont les hommes
du Supérieur, ses agents immédiats, ses ministres : le con-
cert, l'entente entre eux et lui ne saurait être trop intime et
trop complète.


Qu'un Directeur, que tout professeur soit bien convaincu
de ceci, c'est qu'on fait plus de bien en secondant le Supé-
rieur dans la direction qu'il donne à la maison, qu'en vou-
lant suivre ou donner soi-même une direction opposée, fut-
elle meilleure.


2° MM. les Directeurs doivent observer exactement leur
règlement particulier, qui est comme l'impulsion première,
nécessaire et décisive qu'il faut donner à l'exécution de
tous les autres règlements, soit de MM. les Professeurs, soit
des élèves.


3° Chacun de MM. les Directeurs fait et remet à M. le Supé-
rieur, chaque semaine, à une heure fixée, et avant le grand
conseil, un rapport précis sur l'état général de la maison,
et spécialement sur la direction dont il est chargé. La ré-
daction en est faite d'après les notes de MM. les Professeurs
et d'après les propres observations de MM. les Directeurs.


Ce rapport est de la dernière importance, et on ne saurait
y mettre trop de soin, ni donner là trop de lumières à M. le
Supérieur. On peut dire que c'est un des plus puissants res-
sorts du gouvernement dans une maison d'Éducation. C'est




m LIV. II. — LES MAITRES.
pourquoi il importe que MM. les Directeurs sachent se faire
remettre des notes précises, exactes, détaillées, et qu'eux-
mêmes soient extrêmement attentifs à observer et à noter
leurs observations. Il leur faut à tous pour cela des carnets,
des listes, pour noter, pour écrire toutes choses.


4 ° MM. les Directeurs vont le plus possible en récréation
avec les enfants.


J'ai dit ailleurs les graves motifs qui doivent décider les
maîtres, dans une maison d'Éducation chrétienne, à se
mêler aux récréations des enfants. Il est évident que ces mo-
tifs s'appliquent, avec une force toute spéciale, à MM. les
Directeurs.


C'est ici une obligation quelquefois pénible, mais sur la-
quelle il faut insister d'autant plus qu'elle est de la dernière
importance : c'est ce qui fait un esprit ou un autre, une mai-
son ou une autre. Il n'y a pas moyen de s'en dispenser,
quand on a un vrai zèle, quand on tient, coûte que coûte,
comme on doit y tenir, à ce qu'une maison marche, à ce
que les désordres y soient prévenus, et le bien accompli.


Lorsqu'on se dévoue à une œuvre, il faut avoir le courage
de se dévpuer à ce qui est la condition; essentielle de cette
œuvre.


5" Ce sont MM. les Directeurs qui dirigent ordinairement
les congrégations : ils s'efforceront d'y répandre un esprit
de ferveur, de zèle, de bon exemple, et d'amabilité chré-
tienne, sans lequel elles n'auraient pas dans la maison
l'heureuse influence qu'elles doivent y avoir.


Cette direction des congrégations est réservée, non à de
simples professeurs, mais à MM. les Directeurs, à cause de
son importance. On sait ce que sont dans une maison d'Édu-
cation chrétienne les congrégations. Il en est d'elles comme
de tout grand moyen :d'actiôn : autant elles peuvent faire de




CH. II. — LES DIRECTEURS. 183


§ II. — ESPRIT DE MM. LES DIRECTEURS.


L'esprit qui doit animer les Directeurs d'une maison
d'Éducation chrétienne, c'est-à-dire d'une œuvre qui est
d'une si capitale importance pour l'Église et pour la reli-
gion, est un esprit véritablement sacerdotal, un esprit de
zèle, de dévoûment et de sacrifice.


MM. les Directeurs peuvent être considérés dans leurs rap-
ports entre eux, avec MM. les Professeurs, et avec les
élèves :


1 ° Entre eux : MM. les Directeurs doivent avoir les uns
pour les autres une vraie confiance, se consulter souvent,
s'avertir cordialement de leurs négligences, se faire part de
leurs bonnes idées, et, tout en s'occupant spécialement cha-
cun de sa chose, ne pas craindre d'empiéter sur la juridic-
tion d'un autre, quand il y a urgence ou simplement besoin
et utilité. — Tout ceci suppose ouverture de cœur, abnéga-
tion de toute susceptibilité, à plus forte raison de tout autre
sentiment trop humain et peu sacerdotal; enfin, simplicité
naturelle ou acquise : mais tout cela peut et doit se supposer
dans des prêtres chargés d'une telle œuvre.


2° Avec MM. les Professeurs : la justice et la charité leur
demandent pour MM. les Professeurs beaucoup d'égards, et,
au besoin, d'indulgence.—Le professorat est une fonction pé-
nible, fatigante, très-méritoire : il faut donc avecMM. les Pro-
fesseurs une grande douceur, une sincère obligeance ; mais
néanmoins, les devoirs et les diverses obligations de MM. les
Professeurs étant bien fixés, il est nécessaire de leur en de-
mander l'accomplissement d'une manière efficace, dans l'in-
térêt de tous, et surtout dans l'intérêt des enfants; et cela,
personne ne peut s'en plaindre.— Il y a un ton, une manière
d'être, une franchise et une cordialité simple, dont'on ne


bien, si elles sont conduites comme elles doivent l'être, au-
tant elles deviennent stériles, ou même nuisibles, si elles
sont'mal dirigées.




184 LIV. II. — LES MAITRES.


peut donner les règles, mais que chacun peut compren-
dre, et qui obtiennent toujours leur effet, même dans les po-
sitions les plus délicates : voilà ce à quoi MM. .les Directeurs
devront s'appliquer. — Une grande règle pour eux, c'est que
les obligations, dont ils sont chargés de procurer l'ac-
complissement, ne doivent jamais souffrir de leur délica-
tesse, de leur timidité naturelle, ni du défaut contraire :
ce serait pécher par mollesse ou par une imprudente rai-
deur.


3° Avec les élèves : douceur sans faiblesse, fermeté sans
humeur. MM. les Directeurs doivent se rappeler que leur
manière d'être avec les enfants servira de modèle à MM. les
Professeurs, et influera même sur la tenue des classes. Le
système d'une bonne maison, c'est d'user peu de la rigueur
et beaucoup de la douceur ; beaucoup d'avis particuliers,
d'avertissements publics, et peu de punitions. Inspirer la
confiance plus que la terreur ; par conséquent éviter avec soin
tous mauvais traitements, toutes voies de fait, comme aussi
les paroles trop amères, les expressions grossières ; enfin té-
moigner une égale affection aux pauvres et aux riches ; et
se donner ainsi le droit de prétendre au cœur et à la re-
connaissance des élèves, aussi bien qu'à l'amitié, à l'estime
et à l'imitation de MM. les Professeurs. *


, Tel doit être l'esprit de MM. les Directeurs.
Je ne saurais mieux terminer qu'en leur adressant ces pa-


roles-de Fénelon :
« Il faut pour vos confrères être l'homme de Dieu; il faut


« qu'ils trouvent toujours sur vos lèvres la sagesse de Dieu;
« il faut que chacun d'eux n'ait qu'à vous voir, pour savoir
« comment il faut faire pour servir Dieu ; il faut que vous
« soyez une loi vivante qui porte la piété dans tous les cœurs ;
« il faut être doux et humble de cœur, ferme sans hauteur
« et condescendant sans mollesse ; il faut être patient, appli-
« que, égal, plein de défiance de vos propres lumières, prêt
« à leur préférer celles d'autrui, en garde contre la flatterie
« qui empoisonne les meilleurs esprits, amateur des conseils
« sincères, attentif à chercher le vrai mérite et à le préve-




CH. II. — LES DIRECTEURS.


« nir; enfin il faut porter la croix dans les contradictions et
« dire : Necfacio animam meampretiosiorem quant me.


« Pour entrer utilement dans vos fonctions, il faut que ce
« soit un grand amour de Jésus-Christ qui vous presse ; il
« faut que Jésus-Christ vous dise comme à saint Pierre,
« M'aimez-vous? Il faut que vous lui répondiez, non des
« lèvres, mais du cœur : Et ne le savez-vous pas, Seigneur,
« que je vous aime? Alors vous mériterez qu'il vous dise :
« Paissez mes agneaux, paissez mes brebis. Oh ! qu'il faut
« d'amour pour ne se décourager jamais et pour souffrir
« toutes les croix de cet état !


« Il faut que votre piété surtout soit proportionnée à la
« grandeur de l'ouvrage dont vous serez chargé ; une nion-
« tagnede difficultés vous pend sur la tête. A Dieu ne plaise
« que je veuille vous décourager! Mais il faut dire : A A A
« Domine, nescio loqui, pour mériter d'être l'envoyé de
« Dieu : il faut désespérer de soi pour pouvoir bien espérer
« de lui. »


Toutes ces règles sont générales et s'appliquent également
à chacun de MM. les Directeurs; mais il faut, de plus, ainsi
que nous l'indiquions plus haut, que chaque Directeur ait
le règlement particulier de la direction spéciale dont«il est
chargé. Commençons par celui qui tient parmi eux le pre-
mier rang.


« I I I


RÈGLEMENT DU PREMIER DIRECTEUR.


4 ° Le premier Directeur a rangiaprès M. le Supérieur: il
est son suppléant immédiat en toutes choses, son aller ego.


2° Dans un Petit Séminaire, il est membre de la Commis-
sion administrative.


3° Il est spécialement chargé, avec M. le Supérieur, du




186 LIV. II. — LES MAITRES.


personnel de la maison, notamment de la direction et du
soin spirituel des maîtres qui ne sont pas prêtres.


Je ne puis point ne pas le redire ici : Dans les collèges,
dans les séminaires où il y a des ecclésiastiques qui ne sont
pas encore ordonnés prêtres, il est impossible qu'on ne
prenne aucun soin spirituel de leur âme, de leur vocation,
de leurs ordinations à venir : ce serait trahir indignement
l'Église. Le Supérieur ne doit point l'oublier, il a la charge
de toutes les âmes dans sa maison, mais spécialement la
charge de celles-ci : il manquerait à ce qu'il doit à Dieu et
à la religion, il manquerait à ce qu'il doit à ces âmes si
précieuses, destinées et engagées au sacerdoce, et en ayant
déjà franchi les premiers degrés, s'il n'avait aucune sollici-
tude de leur avenir sacerdotal, s'il ne leur en parlait sou-
vent, s'il ne les stimulait par aucune exhortation, par aucuns
conseils. — Je sais un jeune prêtre qui a reçu tous les ordres
sacrés en professant dans un collège, et à qui le Supérieur
n'a jamais dit un mot du sacerdoce, ni avant, ni après
aucune de ses ordinations : peut-il se concevoir une négli-
gence plus coupable ?


Le premier Directeur est très-particulièrement ici le sup-
pléait immédiat du Supérieur, et responsable avec lui.


4° Il appartient au premier Directeur de veiller à l'en-
trée et à la sortie des enfants, au commencement, à la fin
et dans le courant de l'année; et s'il y a , à ce sujet,
des renseignements à prendre ou des faits à éclaircir, c 'ej |
lui qui en a le soin.


5° Il peut être chargé des rapports habituels avec les
parents, avec le clergé, avec les protecteurs des enfants et les
bienfaiteurs de la maison.


6 ° Il aide M. le Supérieur, à la rentrée, dans l'examen des
élèves, lequel se fait sur leurs antécédents, leur piété, leur
moralité, leur vocation • ; et il continue à s'occuper de ce


• Xoyei l'appendice sur les Petits Séminaires.




CH. I I . — L E S D I R E C T E U R S . 187


soin durant l'année. C'est lui aussi qui tient le registre
matricule des élèves, qui les y inscrit avec toutes les indica-
tions nécessaires, et qui ajoute, pour chacun d'eux, lors de
leur sortie, les notes convenues en conseil.


7° Il surveille les rapports des élèves avec le dehors, vi-
sitant très-exactement les lettres qui entrent dans la maison
ou qui en sortent.


Les parents n'entendent pas que leur fils corresponde, sans
leur agrément, avec qui que ce soit, et ils s'en rapportent sur
ce point à la surveillance des maîtres. Les fraudes doivent
ici être très-sévèrement réprimées.


8° Il veille à ce que les enfants remplissent leurs devoirs
envers leurs parents, leur écrivent, n'oublient ni leur fête,
ni les souhaits de bonne année, etc.


C'est là une de ces petites choses qui ont de graves con-
séquences. La négligence qui atteint les choses de l'âme, les
sentiments et les devoirs du cœur, est ce qu'il faut le moins
permettre aux enfants. Or, il est impossible de les laisser à
eux-mêmes sur ces points ; la négligence des enfants y
est prodigieuse : ils manqueront aux plus essentiels égards,
aux plus délicats devoirs, si on ne les avertit. — En toutes
choses, il importe extrêmement d'inspirer aux enfants, et
de très-bonne heure, des habitudes de délicatesse, de recon-
naissance, de respect.


9° Il donne seul aux enfants la permission de sortir de
la maison, à moins que M. le Supérieur ne se charge lui-
même de ce soin. — Il remet à M. le Supérieur et à M. le
Préfet de discipline une liste exacte des enfants auxquels il a
permis de sortir, et avertit M. l'Économe de leur nombre.


Le soir, il veille à l'exactitude de la rentrée, et signale à
M. le Supérieur ceux qui ne seraient pas arrivés pour l'heure
réglée : il en avertit aussi M. le Préfet de discipline, qui
doit communiquer cet avis aux Présidents intéressés.


Quel que soit celui qui est chargé de donner les permissions




188 L I V . I I . — L E S MAITRES.


de sortir aux enfants, soit M. le Supérieur, soit M. le Direc-
teur, soit M. le Préfet de discipline, il importe que cette
attribution soit très-précisément fixée, parce que rien n'a
plus d'influence sur la discipline générale, et les conflits sur
ce point seraient particulièrement regrettables.


La rentrée, le soir, après les sorties, est un moment extrê-
mement dangereux ; les enfants sont dissipés, surexcités; les
hommes qui ont de l'expérience savent combien alors le
désordre est à craindre : c'est un moment qui demande
la plus grande surveillance, et qui néanmoins, dans plu-
sieurs maisons, n'est nullement surveillé. Il en sera né-
cessairement de la sorte, si cette rentrée ne devient une
affaire de surveillance spéciale et supérieure. Cette sur-
veillance spéciale sera très-convenablement confiée à M. le
Directeur en même temps qu'au Préfet de discipline.


4 0 ° Le premier Directeur prend une part habituelle à la pré-
sidence des exercices de piété. C'est lui spécialement qui pré-
side à la lecture spirituelle, en l'absence de M. le Supérieur.


11° Enfin c'est lui qui notifie a la communauté, de vive
voix ou par écrit, tous les changements qui peuvent arriver
dans l'ordre et le règlement de chaque jour, si M. le Supé-
rieur ne le fait pas lui-même.


42° Tout ce qui précède montre assez que nul des Direc-
teur ou des maîtres de la maison ne doit participer plus que
lui aux qualités, à la sollicitude, au dévoûment du Supérieur.
Il ne doit faire avec le Supérieur qu'un cœur et qu'une âme :
alter ego : cor unum et anima una.


CHAPITRE I I I


Le Préfet de religion.


Je demande qu'avant délire ce règlement, on veuille bien
se reporter à ce que nous avons écrit, dans le premier et le
deuxième volume de cet ouvrage, sur l'influence de la reli-




CH. III. — LE PRÉFET DE RELIGION. 489


gion dans l'Éducation; on se confirmera alors, je l'espère,
inébranlablement dans deux convictions : la première, que
de tous les moyens d'Éducation, aucun n'égale en in-
fluence et en puissance les moyens religieux ; et la seconde,
qu'il est absolument nécessaire, pour que ces moyens
aient toute leur efficacité, d'instituer dans une maison
d'Éducation un Directeur qui en fasse spécialement son
affaire : ce Directeur, c'est le Préfet de religion.


L'action religieuse sur les enfants est la grande force des
hommes voués sérieusement à l'Education, le plus puissant
moyen de toute Éducation véritable.


La raison en est que cette action atteint et pénètre la volonté,
qui est le grand ressort de l'âme. Toutes les vaines théories
sur les prétendus dangers d'imposer aux enfants la reli-
gion, toutes ces craintes absurdes, dérivées plus ou moins de
l'odieux et misérable système de Rousseau doivent se taire
devant une considération incontestable et décisive, à savoir :
que toute Education qui ne sauve pas la pureté des mœurs
de l'enfant, du jeune homme, est nécessairement frappée
au cœur ; mais, sans l'action puissante et pénétrante de la
religion, quel enfant, quel jeune homme se conservera pur?
Quiconque connaît les terribles fougues et la déplorable fai-
blesse de cet âge si ardent à la fois et si léger, ne l'espérera
jamais. Voilà ce que j'affirme avec toute l'autorité d'une
expérience qui a vu le fond des âmes. Indépendamment de
toutes les autres considérations déjà présentées 2 , ce seul
point, la conservation et la préservation des mœurs, qui est
capital et influe sur tout le reste, suffit pour justifier la su-
prême importance que nous attachons aux exercices reli-
gieux.


Ce n'est pas toutefois qu'il faille les multiplier sans


' Voir, sur le vrai respect qui est dû a la liberté de l'enfance, ce que nous
avons dit dans les chapitres 1 , 2 , 3 , U cl 5 du livre I V e , au 1 " volume de cet ouvrage.


> 1 " vol. liv. m«, ch. 2«, liv. v«, ch. 5 ' ; 11= vol., liv. 1 e r tout entier.




490 LIV, II. — LES MAITRES.


mesure et sans prudence; très-loin de là : j 'ai dit bien
précisément ma pensée à cet égard, lorsque j 'ai traité, au
volume précédent, des exercices de piété. Mais ce qui est
aussi d'une absolue nécessité, c'est que ces exercices reli-
gieux soient faits de manière à n'être pas vains, à ne
pas manquer leur but, à avoir toute leur efficacité et toute
leur puissance. La manière dont ils seront faits est tout
ici ; or,.ils ne seront faits comme ils doivent l'être, que si
un homme dans la maison en est spécialement chargé, en
fait sa principale et grande affaire, en assume toute la res-
ponsabilité.


Voilà pourquoi je considère comme indispensable dans
nos maisons l'institution d'une préfecture de religion; et jene
puis vraiment me défendre de quelque étonnement, quand
je vois qu'il n'en est pas toujours ainsi, quand je rencontre
cette regrettable lacune dans des maisons même chré-
tiennes. On a une préfecture des études, une préfecture de
discipline : on n'a pas une préfecture de religion. Je le
répète, c'est une lacune étrange, inexplicable, et qu'il est
absolument essentiel de combler : l'expérience ne me laisse
sur ce point aucun 'doute : c'est aussi le sentiment et la
pratique de tous les vrais et grands instituteurs de la
jeunesse, et je remarquais ces jours-ci encore, avec satisfac-
tion, mais sans surprise, dans la Vie du vénérable Barthé-
lémy Holzhauzer, qu'il avait voulu que, dans tous ses petits
et grands séminaires, il y eût un maître spécial pour la
piété et pour les vertus, Magister virtutum, lequel était aussi
chargé de diriger tous les exercices spirituels.


Nous allons exposer ici un règlement sommaire de la pré-
fecture de religion : on comprendra encore mieux, après
l'avoir parcouru, combien un homme ad hoc est nécessaire
pour cette partie si importante du gouvernement des âmes
dans l'Éducation.




CH. 111. — LE PRÉFET DE RELIGION. 494


Règlement du Préfet de religion.


Le Préfet de religion est chargé de conserver et de faire
croître constamment l'esprit de piété et de ferveur qui con-
vient spécialement à une maison d'Éducation chrétienne.


C'est lui qui dirige et surveille, sous la présidence de M. le
Supérieur ou de M. le Directeur, tous les exercices de piété
de la maison, soit ceux qui se font à la chapelle, soit ceux qui
se font à la salle des exercices. 11 y fait et ordonne le pla-
cement convenable des enfants.


Or, il y a des exercices de piété qui se font tous les jours ;
d'autres qui ne se font que les dimanches et fêtes ; d'autres
qui reviennent seulement une fois par année : c'est à tous
ces divers exercices de piété que M. le Préfet de religion
doit tous ses soins les plus appliqués, et ses prévoyances les
plus attentives.


I


EXERCICES DE PIETE QUI SE f O M 1 TOUS LES JOURS.


4" Les exercices de piété qui se font tous les jours dans
une maison chrétienne d'Éducation, sont : 1 ° la prière et la
petite lecture méditée du matin; 2 ° la sainte messe (sauf
pour les plus jeunes enfants, qui n'y sont conduits que deux
fois dans la semaine) ; 3° l'examen de conscience ; 4° la lec-
ture spirituelle ; 5° la prière du soir.


Il y a de plus les petites prières vocales avant et après les
repas, avant et après les études et les classes.


Enfin, il y a certains exercices libres, abandonnés à la
piété des enfants, tels que la visite au saint Sacrement, etc.


2° La prière du matin, qui est la première action de la
journée, doit se faire autant que possible à la chapelle, ou




L1V. II. — LES MAITRES.


au moins dans la salle des exercices. Le Préfet de religion
lit cette prière lui-même dans le Manuel, et de manière à
offrir aux enfants un modèle pour les prières vocales. Il la
lit à voix très-haute, bien articulée, sans raideur toutefois,
lentement, d'un ton pieux et recueilli.


Les enfants font presque toujours mal les prières vocales :
c'est très-fâcheux. Il faut ne rien leur passer à cet égard, et
on doit les faire recommencer jusqu'à ce qu'ils aient pris
l'habitude de prononcer posément, distinctement, chaque
parole, chaque syllabe, sans bredouillement, sans éclat de
voix, avec une vraie piété. Il importe, dès le commencement
de l'année, de faire prendre cette religieuse habitude, et
plus tard d'y ramener immédiatement les enfants, dès qu'ils
commencent à s'en écarter. C'est là une chose capitale
parmi les choses de l'Éducation, mais très-rare, et qui est
cependant facile à obtenir, quand on le veut bien, et qu'on y
met de la suite. — Ce que nous disons ici doit s'appliquer
aux Veni, sancte, aux Sub tuum, à toute prière vocale réci-
tée par les enfants.


Quant à l'attitude qu'ils doivent garder alors, comme dans
tous les exercices de piété, le Préfet de religion doit exiger
d'eux et leur faire observer le plus profond silence, une pos-
ture grave et modeste, et défendre tout mouvement de pieds
et de mains, et tout bruit capable de troubler.


3° La méditation suit la prière, et ne doit durer qu'un
petit quart d'heure.


Leiméditationdoit être courte, mais bien choisie, bien faite.
Quand on connaît les enfants, leur nature et leurs besoins


réels, on peut et on doit avoir tout dit dans un petit quart
d'heure.


Mais, dans sa brièveté, cette petite méditation doit être tou-
chante, persuasive, et propre à inspirer des résolutions pra-
tiques, sincères, généreuses.




CU. 111. — LE PRÉFET DE RELIGION. 193


Celui qui fait la méditation ne parle pas en son nom : il se
suppose un enfant, et s'applique ainsi à lui-même le sujet
qu'il médite, d'une manière instructive et pénétrante.


Il doit apporter le plus grand soin à préparer soit sa lec-
ture, soit sa parole ; il importe qu'il ne lise ou ne dise rien
au hasard, et sans s'être auparavant demandé : Cela va-t-il
aux enfants, et en ce moment même? Autrement, les enfants
ne sont pas saisis, ils sont même bientôt ennuyés, comme
d'une chose qui ne les regarde pas, et tout est perdu.


4° Les enfants demeurent à genoux pendant la prière, assis
pendant la méditation : on les fait mettre à genoux trois mi-
nutes avant la fin, et on termine en leur suggérant une ré-
solution pratique, qu'on met sous la protection de la sainte
Vierge par le Sub tuum '.


S° Les enfants entendent la sainte messe, immédiatement
après la prière, ou après la première étude du matin.


Le point pratique et capital, c'est que jamais on ne souffre
qu'un enfant soit là sans livre, et y demeure sans prier, sans
chanter, les mains pendantes ou dans ses poches. Il doit
être averti immédiatement. Tout laisser-aller à cet égard
est inexcusable en ceux qui président.


II est inutile de dire qu'il faut qu'un Préfet de religion soit
constamment très-ferme pour la discipline : nul ne doit sa-


1 II ne sera pas inutile d'Indiquer Ici quels peuvent être l'ordre et le sujet des
méditations et des lectures pendant l'année.


I o Au commencement de l'année, quelques méditations de'vive voix, pour
prendre les enfants oit ils en sont, et leur dire (les choses plus directes, plus per-
sonnelles.


2" Le Préfet de religion peut se servir ensuite du Guide de ta jeunesse chré-
tienne, par Arviscnct, et quinze jours avant la retraite, on prend les grandes vé -
rités dans le Mois de Marie, du P. de Bussi, ou dans la Retraite de Bourdaloue,
on dans le Guide du chrétien, excellent recueil par M. l'abbé Lagrangc (chex
Bray, Paris), afin de préparer les enfants aux méditations de la retraite, et de dé-
tachera l'avance leur cœur du péché.


3° Pendant les temps ordinaires de l'année :
L'Imitation, — Les Ames de Baudrand, — surtout l'Ame élevée ù Dieu, et


l'A me sur le Calvaire,—l'Évangile médité de Duquéne (4 vol.), — les Méditations
i., ut. 13




194 LIV. II. — LES MAITRES.


voir mieux que lui que la bonne tenue est indispensable au
recueillement et à la piété.


6 ° Le Préfet de religion règle chaque jour les cantiques
qu'on chante à la sainte messe.


Il doit les bien prévoir et les bien choisir, conformément
aux fêtes et à l'époque de l'année chrétienne où on se trouve.
Faire chanter les cantiques du temps pascal pendant l'Avent,
ou ceux du Carême pendant le mois de Marie, sont des ano-
malies' par trop étranges et qui toutefois se rencontrent.
Quels que soient les coupables, c'est impardonnable.


11 doit aussi surveiller très-attentivement la manière dont
on chante ces cantiques, ayant soin que tout le monde chante,
pieusement, sans crier, afin que les cantiques, qui sont une
prière, et la plus pénétrante des prières, aient sur la piété
des enfants toute l'action qu'ils doivent avoir.


En tout, le chant des louanges de Dieu par les psaumes,
par les hymnes et les cantiques, dirigé, fortifié, soutenu,
embelli par l'orgue, étant d'une influence si considérable sur
la piété des enfants, doit être par là même un point capital
dans une maison d'Éducation chrétienne : c'est pourquoi
M. le Préfet de religion devra surveiller attentivement les


rie Fénelon, 6 e vol., — l'Année chrétienne, 3 e vo l . ,— la Vraie et solide piété de
saint François de Sales.


4° Pendant VAvent i
Eossuct, Élévations, arrangées pour méditations;
Puis les O, de vive voix.
5" Temps de la Sainte-Enfance jusqu'au Carême :
Bossuct, Elévations ; ou Duquène, qui est très-historique ; ou M. Lctourucur ; ou


Jésus récité à l'enfance, par M. l'abbé Lagrange. (Chez Gaumc, frères.)
6" Pendant le Carême :
Hetraite, de Bourdaloue; — Guide du chrétien ; iîossuet, Méditations.
T Après Pâques : Duqueiic. — Mois de Marie, de M. Leiourneur.
8» Depuis l'Ascension jusqu'à la Trinité : Sur le Saint-Esprit ; Dossuet, Médita-


tions i Duquéne.
9° De la Trinité au Saint-Sacreuient : l'Eucharislie,— le saint Sacrifice, Bossuct (


Méditations.
10° Les Méditations ds M. Cnampeau.




CH. 111. — LE PRÉFET DE RELIGION. 195


classes de chant, et s'entendre constamment avec le maître
de musique.


7° Le Petit examen particulier, qui a lieu avant midi, ne
se fait pas en silence. Le Préfet de religion pose lui-même
les questions toutes pratiques de ce petit examen de la
matinée, parlant à haute voix, d'un ton grave, qui inspire
aux enfants le recueillement.


Dans quelques Séminaires, cet exercice est remplacé par
une lecture de l'Évangile, accompagnée de commentaires
de vive voix; mais il y faut joindre toujours quelques points
d'examen.


8° Quant à la lecture spirituelle, c'est le Préfet de religion
qui la fait, à défaut du Supérieur ou du premier Directeur.


Ou bien elle a lieu par manière d'entretien, on y donne des
avis, et l'on y fait une exhortation; et cela demande alors
une préparation sérieuse : ou bien c'est une simple lecture,
et alors il importe de bien choisir et la lecture et le lecteur.


Quelquefois le Préfet de religion lit lui-même ce qui est
court, et d'un grand intérêt. — Pendant qu'il lit, et surtout
pendant que lit l'enfant appelé, il interrompt quelquefois la
lecture brusquement par une réflexion vive et inattendue,
qui' réveille l'attention universelle : ou bien il interpelle un
enfant, lui demande tout à coup ce qu'on vient de lire et
ce qu'il en pense : ce qui est d'un grand effet pour rendre
attentif. Au reste, nous aurons bientôt occasion de parler en
détail de cet exercice capital.


9° La lecture spirituelle est toujours précédée de deux di-
zaines de chapelet.


On ne saurait trop inspirer aux enfants une tendre et so-
lide piété envers la très-sainte Vierge. Celte dévotion qui
prend si facilement l'enfant par ce qu'il y a de plus sensible
dans son âme, doit être florissante dans une maison d'Édu-
cation. — Le chapelet en est une des pratiques les plus sim-




196 L1V. II. — LES MAITRES.


pies, les plus faciles et les plus salutaires. On n'en fait dire
aux enfants qu'une ou deux dizaines ; mais ils l'achèvent li-
brement le matin ou le soir, avant ou après la prière.


10° Une petite visite au saint Sacrement et à la chapelle de
la sainte Vierge, de temps en temps, pendant la récréation,
est recommandée aux enfants.


Les enfants sont laissés à eux-mêmes pour ces pratiques
de piété, qui ne font point partie du règlement obligatoire.
Il est très à désirer cependant qu'on les mette en honneur
dans une maison, précisément parce qu'elles sont libres.
Et il importe que le Préfet de religion n'oublie pas que c'est
là, en dehors de la routine, un indice assez sûr de la piété
réelle des enfants.


I I


EXERCICE DE F1ETÊ DES DIMANCHES ET TETES.


Les fêtes, et surtout le dimanche, exigent du Préfet de reli-
gion des soins particulièrement attentifs, afin que le culte
de Dieu ait toute la pompe qui convient, afin que les enfants
assistent pieusement aux offices, et que le jour du Sei-
gneur soit bien distingué des autres jours, et religieusement
observé par tous.


1° Les offices des jours de fête, sont : la messe de commu-
nion, précédée d'une méditation de vive voix, la grand'-
messe, les vêpi-es solennelles et le salut.


Si l'on a une chapelle de la sainte Vierge en dehors de la
grande chapelle commune, on peut y faire, soit après le
chant des vêpres, soit après le salut, une belle procession.


2° Les exercices de piété des dimanches sont les offices
et le catéchisme.


3° Les offices du dimanche sont : la messe de commu-
nauté plus solennelle, les vêpres et le salut.


Sans blâmer la pratique contraire, nous croyons meilleur




CH. IH. — LE PRÉFET DE RELIGION. 197


de réserver pour les grandes fêtes, après une messe de com-
munion célébrée dès le matin avec cantiques, la grand'messe
très-solennellement chantée à la fin de la matinée, et de se
contenter d'une basse messe plus solennelle qu'à l'ordinaire
pour les simples dimanches. — Les jours de fête, la piété des
enfants plus excitée peut soutenir des offices multipliés :
mais les simples dimanches, on pourrait risquer de fatiguer
les enfants. D'ailleurs, il est bon que les grandes fêtes aient
ainsi quelque chose de très-exceptionnel.


4° Le Préfet de religion prévoit, règle et dirige le chant
et les cérémonies à la chapelle et ailleurs, selon la solennité
des fêtes, et de manière à procurer la gloire de Dieu, l'édifi-
cation commune, et le progrès de la piété des enfants.


5° 11 veille spécialement à ce que les enfants aient tou-
jours leurs livres de piété, les lisent, chantent, sachent où en
est l'office, le suivent, soient recueillis à l'entrée et à la sortie
de la chapelle, etc.


6 ° Il aura soin que les livres de piété qui servent à la
chapelle, et particulièrement le Manuel, VImitation, et i \ËMCo-
loge, .soient convenablement reliés et très-propres. Il appren-
dra aux jeunes enfants la manière de s'en servir.


Quiconque penserait que ces petits soins matériels impor-
tent peu à l'effet des exercices de piété sur les âmes, n'en-
tendrait pas le premier mot de ces choses : ces soins maté-
riels sont au contraire si essentiels qu'on perd tout si on les
néglige. Et quiconque croit qu'ils ne seront pas infaillible-
ment négligés, s'il n'y a pas un homme ad hoc, chargé d'of-
fice de cette surveillance, n'est pas un homme d'expérience.


7° Le catéchisme a lieu tous les dimanches. M. le Préfet de
religion est chargé, en chef, d'un catéchisme, et il a la sur-
veillance des autres. De temps en temps, et surtout au com-
mencement de l'année, il réunit en conseil tous les Messieurs
chargés avec lui des divers catéchismes, afin de leur donner
tous les avis nécessaires.


L'instruction religieuse, la plus nécessaire de toutes, est




498 LIV. II. — LES MAITRES.


quelquefois de toutes la plus négligée. Son caractère dis-
paraît souvent sous la forme qu'on lui donne. Fait dans une
classe, et non dans une chapelle, le catéchisme est considéré
par les enfants comme une étude vulgaire, et les rédactions
comme de simples devoirs de classe. Il en résulte qu'il de-
vient ennuyeux et quelquefois odieux : c'est déplorable.


Il arrive aussi qu'on ne s'occupe pas de la marche des caté-
chismes avec le soin et la suite qu'il faudrait, et que les notes
d'instruction religieuse n'entrent, par exemple, dans le
bulletin des élèves que comme les notes de musique ou
d'anglais. C'est au Préfet de religion à exiger que chaque
catéchisme se fasse avec la dignité et la convenance néces-
saires, dans une chapelle, et non dans une classe ou dans une
étude; avec zèle, avec suite, en un mot, avec religion:trop
souvent, dans bien des maisons, il n'en est pas de la sorte.


8° Il faut pour chaque catéchisme un plan d'instructions
certain et fixé d'avance : ce plan a dû être soumis à M. le Su-
périeur par M. le Préfet de religion.


1 L'importance, pour les catéchistes et pour les enfants, d'un
plan bien arrêté d'avance, est évidente : on va au hasard
quand on n'a pas tracé sa route ; et l'on ne sait jamais où
on en est. On s'expose à être pris sans cesse au dépourvu,
soit pour la préparation de chaque leçon, soit pour la distri-
bution convenable des matières et le temps à donner à cha-
cune. Pour cela, il est absolument indispensable que le Préfet
de religion se tienne très au courant de la manière dont cha-
que catéchisme est fait et qu'il exerce surtout le plus sérieux
contrôle sur l'exactitude avec laquelle le plan d'instructions
est suivi.


9» Le Préfet de religion dirige lui-même le catéchisme et
la retraite qui prépare à la première communion.


Rien, dans toutes ses fonctions, n'est plus important.— Il
est inutile de dire en particulier tous les soins que le jour




CH. 111. — LE PRÉFET DE RELIGION. 499


* 7>e CEdueaMon, t. II, p. 96.


de la première communion demande de lui. — Il doit pour
tout ceci étudier et observer avec la plus religieuse exac-
titude tout le règlement spécial de cette grande époque.


I I I


FÎTES ET EXERCICES QUI REVIENNENT TODS LES ANS.


Si la religion est de tous les moyens d'éducation le plus
touchant, le plus persuasif, le plus pénétrant, les fêtes, si
admirablement disposées par l'Église dans le cours de l'année
chrétienne, sont, comme je l'ai dit en traitant de ces choses \
le cœur même et le foyer de la vive et solide piété. Et il se
rencontre d'ailleurs que, par une heureuse coïncidence des
temps et des saisons, ou plutôt par une ^religieuse inspira-
tion de nos pères, la disposition de l'année scolaire se
trouve en harmonie avec les fêtes religieuses, qui ainsi sou-
tiennent et inspirent tout le mouvement classique, tous les
travaux intellectuels d'une maison.


L'année religieuse se partage en trois grandes époques
qui répondent aux trois principales époques de l'année clas-
sique : Noël, qui achève le premier trimestre; Pâques, qui
achève le second ou commence le troisième; enfin, la Fête-
Dieu, qui vient au milieu du dernier. Et autour de ces fêtes
principales s'en groupent d'autres, qui les préparent ou les
continuent, et forment pour les enfants, pendant tout le
cours des sérieux travaux de l'année, comme une couronne
des joies les plus pures, et impriment à toute une maison
le mouvement religieux le plus élevé et le plus fécond.


4 0 I I y a pendant le cours de l'année les fêtes et exercices
suivants ;


Pendant la première époque : La rentrée, avec la messe




200 LIV. II. — LES MAITRES.


du Saint-Esprit, et la fête de Notre-Dame du Retour; — Puis
la première retraite et les fêtes de la Toussaint, la Présen-
tation de la sainte Vierge ; — Puis l'Avent, l'Immaculée
Conception, les fêtes de Noël, la Sainte-Enfance, la Saint-
François de Sales, l'Epiphanie et la Purification de la
sainte Vierge.


Pendant la deuxième époque : Le Carême et la Retraite de
la semaine sainte. — Les fêtes et le temps de Pâques.


Pendant la troisième époque : La première Communion et
l'Ascension ; la Pentecôte et la Confirmation. — Les trente
et un jours du mois de Marie. — Et enfin, la solennité et les
processions du saint Sacrement et les fêtes de la fin de
l'année.


2° Il y a tous les ans une retraite un mois après la ren-
trée, et une autre pendant la semaine sainte.


Ces deux grandes époques, il est facile de le comprendre,
sont capitales pour le bien de la maison et pour le salut des
enfants. Le Préfet de religion n'épargnera rien pour en pré-
parer et en assurer le succès.


3° Il s'entend avec M. le Supérieur pour avoir d'avance
un bon prédicateur, qui convienne parfaitement aux en-
fants.


Il faut en effet s'y prendre à l'avance, si l'on ne veut pas
être pris au dépourvu, et n'avoir plus la possibilité du
choix.


4° Le Préfet de religion dirige les deux grandes retraites,
sous la présidence de M. le Supérieur, si M. le Supérieur
ne se charge pas lui-même de cette direction.


Cette direction demande de lui l'étude la plus attentive
des règlements de la retraite, du Manuel, et surtout des
dispositions des enfants eux-mêmes.


5» Il a soin de procurer aux enfants de bons livres, des lec-
tures pieuses; et, très-particulièrement, de leur faire faire
leurs cahiers de retraite.


Les enfants ont besoin d'être dirigés en toutes choses; car,




CH. III. — LE PRÉFET DE RELIGION. 204


abandonnés a eux-mêmes, ils ne sauraient comment s'y
prendre pour faire leur retraite, et perdraient leur temps;
mais convenablement guidés, ils peuvent étonnamment en
profiter. Les cahiers de retraite, personnellement rédigés
par les enfants, sont un excellent moyen de faire pénétrer
alors dans leur cœur la vraie piété : le Préfet de religion,
ainsi que les confesseurs, doivent les leur recommander, leur
bien expliquer la manière de les faire, se les faire remettre,
et les examiner attentivement.


6° La grande solennité de l'octave et les processions du
très-saint Sacrement demandent du Préfet de religion une
sollicitude toute particulière.


7° On fait enfin tous les ans, avec toute la pompe possible,
le mois de Marie.


Il y a des maisons d'Éducation, où on a remplacé la lec-
ture d'un Mois de Marie par une parole vivante : chaque soir
de ce mois, une courte instruction exhortative sur la sainte
Vierge est adressée aux enfants par les divers maîtres de
la maison : cette suite d'instructions, le chant des can-
tiques, l'ornementation de la chapelle de la sainte Vierge,
à laquelle il est bon de faire coopérer les enfants, exigent
pendant tout ce mois du Préfet de religion la plus grande
et la plus active surveillance.


IV


MITRES SOINS IMPORTANTS QUI REGARDENT LE PREFET OE RELIGION.


1° Le Préfet de religion est chargé de veiller à tout ce qui
intéresse le culte de Dieu, dans toutes les sacristies et dans
toutes les chapelles de la maison : nombre et convenance des
ornements, luminaire, linge, vases sacrés, etc., et il s'entend
à cet égard avec M. l'Économe.


2° Il aide M. le Supérieur, au commencement de chaque
année, à examiner très-sérieusement les nouveaux élèves




202 LIV. H . — LES MAITRES.


sur leurs antécédents, leur piété et leur moralité (et dans un
Petit Sé.minaire, sur leur vocation] : il les interroge sur lama-
mère dont ils ont l'ait leur première communion. 11 est spécia-
lement chargé d'exiger les attestations des curés des enfants
et de leurs confesseurs, pour savoir s'ils ont été exactement
à confesse, et de prendre enfin toutes les informations né-
cessaires.


3° Il recueille, au retour des vacances, les extraits de
baptême des nouveaux, les certificats de bonne conduite de
tous, et les attestations que les anciens doivent apporter
à M. le Supérieur; il garde celles de ces pièces qui doivent
être conservées.


4° Il prévoit, règle et inscrit pour toute l 'année, dans un
tableau, les homélies, méditations, sermons, et les noms de
ceux qui doivent en être chargés.


11 faut que chacun sache d'avance ce qu'il a à faire sur ce
point, afin de bien se préparer, à ses heures, et à loisir.


5° Il dirige, prévoit et choisit les sujets d'oraison, d'après
un plan certain.


Rien au hasard : de la prévision en tout et toujours.


6 ° Il veille à ce que les enfants se confessent exactement
et fréquentent les sacrements.


7 ° Il a la surveillance générale des congrégations et la
direction immédiate de l'une d'elles.


8° Il prend les plus exactes précautions, ainsi que le Préfet
de discipline et les autres Directeurs, afin qu'aucun mauvais
livre ne s'introduise dans la maison : pour cela, il fait de
fréquentes visites à l'étude, dans les chambres, dans les dor-
toirs, et dans tous les lieux de la maison où il le juge con-
venable, confisquant rigoureusement tout livre, fût-il bon,
qui n'a pas été soumis par l'élève au timbre de la maison.


La surveillance sur ce point ne saurait être trop rigou-
reuse. On a des exemples étonnants de ce que peuvent faire
ici certains enfants pour tromper. Il ne faut pas se contenter
du titre imprimé sur le dos des livres, il faut ouvrir les li-
vres et les cahiers. Dans une excellente maison d'Éducation,




CH. III. — LE PRÉFET DE RELIGION. 203


on a trouvé une fois des écrits détestables, reliés avec un
dictionnaire. C'est surtout après les sorties qu'il faut redou-
bler de vigilance. On est effrayé, quand on pense avec quelle
rapidité un mauvais livre, une fois introduit, peut circuler, et
faire des ravages dans la maison.


9° Le Préfet de religion a un soin très -important à
prendre des malades à l'infirmerie, soit pour leurs exer-
cices de piété ordinaires, soit pour l'accomplissement de
devoirs plus graves encore, pour la réception des sacre-
ments en temps convenable; pour l'audition de la sainte
messe les dimanches et fêtes. Il doit visiter l'infirmerie cha-
que jour.'


Par défaut de surveillance sur ce point, il est arrivé, dans
certaines maisons, que des enfants n'avaient pas entendu la
messe, le dimanche, qui auraient pu parfaitement l'entendre
si on y avait veillé.


Certes, on voit par ces détails, et je n'indique ici que le
gros des^choses, combien un homme spécial, un Directeur
ad hoc, un Préfet de religion, est indispensable dans une
maison d'Éducation. Il n'est évidemment pas possible qu'un
service si considérable, si détaillé, si distinct de tous les
autres, ne se fasse point à part, et soit confondu et comme
perdu dans l'ensemble des services : il est de toute néces-
sité qu'un homme en ait la charge spéciale et la respon-
sabilité.


Comme c'est d'ailleurs pour chacun une rigoureuse obli-
gation d'avoir la science propre de son état et de ses fonc-
tions, j'ajouterai que le Préfet de religion devra se faire un
point de conscience de lire tous les meilleurs livres qui
existent sur la manière de diriger et de confesser les en-
fants, sur les bonnes méthodes de catéchisme, etc. Tels sont,




204 LIV. II . - LES MAITRES.


par exemple, leDirecteur de l'enfance, par M. l'abbé Ody,—
excellent ouvrage (Paris, chez Camus); la Méthode pour
confesser les enfants, de Lhomond ; le traité De parvulis ad
Christum trahendis, de Gerson ; la Méthode des catéchismes
de Saint-Sulpice, etc., etc.


Il n'y a ni bon sens, ni esprit, ni zèle qui puisse dispen-
ser de telles lectures et y suppléer : on trouve dans ces
livres spéciaux, faits par des hommes d'expérience, une
quantité de choses, auxquelles on n'aurait peut-être ja-
mais pensé soi-même, et qui donnent les plus précieuses
lumières.


C'est aussi un devoir pour le Préfet de religion de conseiller
les mêmes lectures aux confesseurs et aux catéchistes, et de
s'entretenir souvent avec eux sur toutes les parties du mi-
nistère pastoral qu'ils ont à remplir à l'égard des enfants et
des jeunes gens : mais pour cela il faut qu'il soit lui-même
très-versé dans ces matières; qu'il connaisse bien les livres
qui en traitent, et qu'il ait beaucoup réfléchi sur toutes ces
choses.


CHAPITRE IV


Le Préfet des études.


Tout le monde sent la nécessité d'une préfecture des étu-
des. Mais ce n'est pas seulement pour la réglementation
de certains détails matériels, dont nous parlerons tout à
l'heure, pour une certaine marche extérieure des classes
dans une maison, qu'un Préfet des études est nécessaire ;
c'est surtout pour donner une impulsion véritable et une
forte direction à toutes les études ; pour souffler à tous, pro-




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 205


fesseurs et élèves, la flamme de l'émulation ; pour stimuler
efficacement et sans cesse le travail ; pour régler, surveiller
tous les enseignements; pour fortifier le gouvernement de
toutes les classes ; pour empêcher et prévenir les négli-
gences, les divergences ; en un mot, pour exercer de haut,
sur l'ensemble des humanités, une action sans laquelle,
chacun faisant de son côté et à sa mode, tout irait à l'aven-
ture, et on ne saurait jamais où en sont les études d'une
maison.


Avant tout, l'ordre de chaque chose, le plan d'études, le
choix des livres, l'ordonnance des différents cours; puis,
l'exécution par chacun des choses réglées; le contrôle et la
surveillance, partout indispensables, mais en matière
d'enseignement plus encore qu'ailleurs, quel que puisse être
le mérite des .professeurs ; la constatation fréquente de la
marche et des progrès réels, des méthodes d'enseigne-
ment, de la force ou de la faiblesse des maîtres et des
élèves; tous les moyens d'émulation, grands ou petits,
journaliers ou périodiques; le grand ressort des exa-
mens bien faits, des séances littéraires bien préparées, des
concours, des compositions, des notes, des prix; l'entente
constante avec les professeurs ; les rapports personnels et
fréquents avec les élèves signalés en bien ou en mal;
enfin des détails sans nombre, une action patiemment, per-
sévéramment poursuivie; une influence souvent invisible,
mais toujours présente : voilà, à grands traits, ce que doit
être, dans une maison d'Éducation, le rôle d'un Préfet des
études sérieu», n'acceptant pas comme une sorte de sinécure
des fonctions qui imposent des labeurs incessants, de con-
tinuels soins, mais entrant dans ces fonctions avec un
actif dévoûment, et tenant véritablement dans sa main les
rênes de cette importante partie du gouvernement d'une
maison.


Nous allons entrer maintenant dans le détail de ces fonc-




206 UV. H. — LES MAITRES.


tions. Le règlement qui suit indiquera ce que doit faire le
Préfet des études,— dès le commencement de l'année,—dans
le courant de l'année, — à l'époque des examens,—et avant
les vacances.


Règlement du Préfet des études.


I


CE QUE LE PREFET DES ETUDES A A FAIRE DES LE COMMENCEMENT DE L'ANNÉE.


La rentrée est une époque décisive pour une maison, par
conséquent très-importante pour le Préfet des études : c'est
pourquoi il a dû y songer et prendre ses mesures dès la fin
de l'année précédente. '


Rien n'est plus triste qu'une maison, où, dès la rentrée, les
choses ne sont pas parfaitement organisées, et qui reste ainsi,
quelquefois pendant un temps assez long, dans le provi-
soire et l'incertitude. Ce n'est pas seulement du temps
perdu, c'est la ruine des études. Tout doit donc avoir été
prévu et parfaitement réglé à l'avance, afin que, dès le pre-
mier jour, la maison marche, et que les élèves ne s'aperçoi-
vent d'aucune hésitation, d'aucun tâtonnement. C'est pour-
quoi le règlement entre ici dans les plus grands détails sur
la préparation de la rentrée, en ee qui concerne le Préfet
des études, et sur ce qu'il a à faire, jour par jour, dès la ren-
trée.


4 ° Un mois au moins avant la rentrée, M. le Préfet des étu-
des doit faire demander aux libraires tous les livres, en
nombre suffisant, soit pour les professeurs, soit pour les
élèves.


On comprend la nécessité de cette mesure, et le grand in-
convénient qu'il y aurait à ce que tous les enfants, sans




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 207


exception, n'eussent pas tous leurs livres de classe dès le
premier moment où ils en ont besoin.


Toute négligence à cet égard r soit de la part de M. le Préfet
des études, soit de la part de M. l'Économe, serait très-grave.


Il suffît qu'un enfant manque de ses livres, au commence-
ment de l'année, pour mal engager son année ; à plus forte
raison, si c'était toute une classe ; à plus forte raison si c'était
toute la maison : cela s'est vu.


Tous ces livres doivent être cartonnés solidement, et on ne
les achète que sous condition.


2° M. le Préfet des études, dès la veille de la rentrée, a dû
voir chaque professeur, lui remettre tous les règlements
d'études, tous les livres qui conviennent à sa classe, et lui
donner tous les renseignements nécessaires.


3° Le premier jour est consacré à la rentrée de tous les
élèves, anciens et nouveaux.


Selon le règlement général disciplinaire de la rentrée, à
mesure qu'un élève nouveau arrive dans la maison, il est
présenté à M. le Préfet des études.


M. le Préfet des études s'assure par le témoignage des pa-
rents et de l'enfant, s'il sort d'une autre maison d'Éducation,
et dans ce cas, il lui assigne provisoirement pour classe celle
qu'il suivrait précédemment.


Si cet enfant n'a pas été dans une autre maison d'Éduca-
tion, M. le Préfet des études lui fait subir un premier et
rapide examen, et lui assigne provisoirement une classe où
il fera les compositions d'épreuve.


4° Le second jour est consacré aux compositions d'é-
preuve, d'après le niveau des études. Ces compositions doi-
vent être corrigées immédiatement. — En outre, le Préfet
des études fait subir un nouvel examen très-attentif à tout
enfant nouvellement entré dans la maison, sur sa capacité,
son acquis, ses précédents, ses prix, ses attestations ; en un
mot, sur les espérances que ses talents peuvent offrir, afin
de le classer définitivement et convenablement.


Lé classement d'un élève est de la dernière importance,
et détermine quelquefois tout son travail de l'année. Sous




208 L1Y. II. — LES MAITRES.


peine de le décourager, on ne doit le classer ni trop haut
ni trop bas, mais juste où il doit être. En général, une
faute capitale, dont souffrent également les élèves et la
classe, c'est de tolérer dans une classe des enfants qui ne
peuvent pas la suivre. C'est par là qu'on affaiblit toutes les
études d'une maison. Ce point demande dans le Préfet des
études une très-grande attention, avec beaucoup de pru-
dence et de fermeté.


5° Le troisième jour est celui où l'on décide en conseil,
et où le Préfet des études proclame en public le classement
définitif de tous les élèves de la maison.


6° Le classement fait, le Préfet des études suit de
près le travail des nouveaux, et, dans les commencements,
il se fait rendre compte chaque jour de leurs progrès, de
leur force ou de leur faiblesse par M. le Professeur, jus-
qu'à ce que son jugement soit bien arrêté sur eux.


7° Le quatrième jour, les classes sont entièrement organi-
sées, et la maison prend sa marche régulière ; le cinquième,
on achève ce qui regarde l'examen du devoir des vacances.


Le point capital, pour le Préfet des études, c'est que toutes
les études et tous les exercices de cette première semaine,
soient parfaitement réglés et mis en train, qu'il n'y ait nulle
incertitude, nul tâtonnement dans la marche des classes et
de la maison, que le classement soit sûr, irrévocable, sans
hésitation et sans erreur, que les moyens d'émulation et
les notes apparaissent et fonctionnent le plus tôt possible.


Et puisque nous parlons ici de la rentrée, nous ajoute-
rons, pour être complet, qu'il importe, en même temps que
tout ce qui concerne les études doit être bien réglé, que tous
les jeux soient en train, que tous les maîtres de la maison
aillent en récréation et y témoignent de l'affection aux en-
fants, aux anciens et aux nouveaux, et les encouragent tous
ainsi à la bonne conduite et au travail;


Que le règlement soit lu et expliqué d'une manière très-
intéressante, surtout en ce qui tient aux études ;




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 20>J


Qu'en même temps tous les exercices de piété, lectures
spirituelles, méditations, homélies, soient très-bien faits ; —
qu'on y parle des études, qu'on s'y applique à donner aux en-
fants le bon esprit, le courage, l'émulation chrétienne dans
l'esprit de foi;


Que les catéchismes eux-mêmes soient très-intéressants,
amusants au besoin ;


S'il faut tout dire, que la nourriture de la maison soit
particulièrement bonne et soignée ;


En un mot, que tous les enfants soient pris de tous les cô-
tés à la fois, par l'étude, l'émulation, la piété, la discipline,
et tous les soins d'une affection paternelle, de manière à être
attachés à la maison et bien lancés pour l'année.


Une chose très-importante encore pour bien lancer les
nouveaux élèves, c'est que les anciens s'occupent d'eux avec
zèle, leur témoignent de l'amitié, des prévenances, les fas-
sent jouer, les mettent au courant de tout, les accoutument
à la maison.


8° Les cours supplémentaires et les répétitions seront com-
plètement organisés dès le commencement de la seconde
semaine, c'est-à-dire après le premier dimanche qui suit le
jour de la rentrée.


Pour cela il est nécessaire que, dès la rentrée, M. le Pré-
fet des études s'informe exactement, auprès de chaque
enfant et de ses parents, des cours supplémentaires que l'en-
fant doit suivre, ainsi que des répétitions qu'il aurait à
prendre.


11 ne doit y avoir ni aucune lenteur, ni aucune négligence
à cet égard : autrement l'organisation des cours supplémen-
taires et la marche des études, surtout pour les enfants en re-
tard, traînera et souffrira beaucoup.


Non-seulement il importe que, dès la rentrée, M. le Supé-
rieur, M. l'Économe, M. le Directeur, M. le Préfet des études
surtout, réveillent l'attention des parents sur tout ceci ; il


I'C, tu. 4 4




240 LIV. II. — LES MAITRES.


serait même bon que les parents fussent avertis à l'avance
d'y songer et de prendre un parti sur ces divers points :
l'avertissement pourrait leur être donné dans la circulaire
qui précède la rentrée.


9° Avec l'organisation des cours supplémentaires, toutes les
études de la maison sont mises dans une marche complète-
ment régulière jusqu'à la fin de l'année, sauf les dérange-
ments momentanés des examens, et les légères modifica-
tions de chaque trimestre.


M. le Préfet des études ne comprendra jamais assez que
c'est surtout dans la constitution des études qu'il ne doit y
avoir aucun retard, aucune incertitude, etpouraucun enfant.
A la rentrée, les études sont tout pour eux. Et d'ailleurs ils
s'attendent en rentrant à de sérieuses exigences sur ce point.


Les études, le mieux et le plus promptement possible orga-
nisées , voilà le plus puissant moyen de mettre immédiate-
ment tous les enfants dans l'ordre 'et.l'esprit de la mai-
son.


II


FONCTIONS DU PRÉFET DES ÉTUDES PENDANT L'ANNÉE.


1° Le Préfet des études est chargé spécialement de pro-
curer dans la maison des études fortes et brillantes, de
les soutenir et de les perfectionner sans cesse.


-2° Pour cela, il lui appartient de faire exécuter très-exac-
tement le plan des études relatif aux humanités françaises,
latines, grecques, à l'histoire, à la géographie, aux sciences,
aux langues vivantes et autres cours supplémentaires.


Il ne doit jamais permettre qu'aucun professeur s'écarte
en rien de ce plan : c'est là sa charge la plus importante.


3° A cette fin, il est dépositaire du plan des études de la
maison, et d'un programme de tous les auteurs choisis et dé-
terminés pour servir tour à tour dans les classes, et former
un plan fixe et varié de plusieurs années.




CH. IV. LE PRÉFET DES ÉTUDES. 244


A* 11 suit les travaux des classes, les progrès des élèves.
Il aide MM. les professeurs de ses conseils, de ses lumières,
de son influence sur les enfants, pour encourager leur tra-
vail ou réprimer leur paresse.


6° Un point très-important, c'est de bien connaître et dis-
cerner la force, les facultés dominantes, l'esprit, le genre, }e
talent dç chaque élève, et son aptitude spéciale, pour en
prendre note sur un registre ad hoc, et se servir de cette
connaissance, afin de diriger sûrement toute l'éducation in-
tellectuelle et l'avenir d'un jeune homme.


O» Poer tout cela : 4° de concert avee MM. les' professeurs,
le Préfet des études visite les classes; 2° il voit de temps en
temps les copies ; 3° il étudie et compare les notes de chaque
semaine; 4° il visite chaque jour les salles d'étude; 5° ce
qu'il a peut-être de plus important et de plus décisif à faire,
c'est d'examiner chaque semaine les cahiers de devoirs et
d'honneur.


7° Il préside les conseils particuliers de MM. les profes-
seurs.


Point capital : car si les conseils ne sont pas tenus régu-
lièrement, l'action du Préfet des études sur les professeurs
sera médiocre, et l'entente avec eux fort incomplète. C'est
là, au contraire, qu'un Préfet des études vigilant, actif,
attentif, exempt de toute petite tracasserie et de vaines mi-
Huties, mais entrant dans tout le sérieux de ses fonctions, et
montrant à ses confrères un sincère et vrai dévoûment pour
le bien dé la maison, l'avancement des élèves et l'honneur
de leurs classes, le tout avec une cordialité et une bonté
réelles, c'est là, dis-Jei qu'un bon Préfet des études ne tar-
dera pas à prendre l'ascendant qui lui convient, et à rem-
plir vraiment sa charge.


8° Il est chargé de multiplier, de varier et d'approuver
les moyen* d'émulation.


Les principaux de ces moyens sont les concours, Jes^otes,
les examens, les séances littéraires, etc.


11 fait composer avec d'autres établissements, avec des
maisons d'Éducation chrétienne, avec lesquelles on puisse,




212 L1V. II. — LES MAITRES.


dans un intérêt commun, établir des rapports bienveillants,
lorsqu'on le juge utile.


C'est là un point des plus importants pour un Préfet des
études, un de ses grands moyens d'action pour entretenir
parmi les élèves et les maîtres l'ardeur du travail, la flamme
de l'émulation, et aussi pour faire sentir aux maîtres l'uti-
lité de ses fonctions. Tout Préfet des études qui néglige
les moyens d'émulation manque à un de ses plus grands
devoirs. Toutefois, là surtout il est besoin de grands ména-
gements : les hommes sont hommes, et les susceptibi-
lités sont toujours faciles à éveiller dans les natures hu-
maines. 11 faut qu'on sente, je ne saurais trop le dire, dans
un Préfet des études, l'homme du devoir, l'homme qui ne
presse, ne stimule, n'excite ou ne surveille, que parce qu'il
est obligé de le faire, que le bien de la maison l'exige, que
son devoir le lui impose, et que sa conscience le lui com-
mande.


9° Il proclame les notes le samedi, après les avoir lues et
comparées d'avance.


Il proclame également les notes de la conduite générale
et des divers cours supplémentaires, le jour fixé de chaque
mois, si on ne préfère qu'elles soient lues avec les précé-
dentes.


10° Quand on fait les bulletins trimestriels, il reçoit les
notes de MM. les professeurs et dirige ce grand travail.


41° Il prépare les examens, en approuve le programme, les
dirige, les coordonne, les préside en l'absence de M. le Su-
périeur, en marque les notes, les résume.


Les examens sont un grand moyen d'émulation, une pré-
cieuse ressource pour provoquer et constater le travail; mais
à la condition d'être faits sérieusement : j'entends par là
qu'ils doivent être préparés avec grand soin par les profes-
seurs et par les élèves, et que l'interrogation des élèves doit
être impartiale et approfondie. Quelquefois les examens se




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 213


font d'une manière déplorable, n'ont aucune influence sur les
enfants, et deviennent ainsi de vraies pertes de temps. 11 ar-
rive aussi, quand les notes d'exa men sont données à la légère,
qu'elles constatent fort imparfaitement l'étatdes études. C'est
le devoir du Préfet des études de faire en sorte que les exa-
mens résument réellement le travail d'une classe, et que les
notes ne donnent pas des constatations factices, mais des ap-
préciations exactes. Il a besoin ici de vigilance et de fer-
meté. Il doit veiller aussi à ce que la sanction apposée aux
«xamens n'ait rien d'illusoire. De quelque manière qu'on
trompe ici l'attente des élèves, en supprimant soit les fa-
veurs, soit les rigueurs annoncées, ce n'est jamais impu 1


nément.


12° La préparation aux examens du baccalauréat est pour
M. le Préfet des études l'objet d'une très-particulière attention.


La préparation au baccalauréat, à la fin de la philosophie,
doit être surveillée de très-près. El d'abord, une maison
qui tient à de bonnes études doit être inflexible sur un
point, à savoir, ne présenter ses élèves à l'examen qu'après la
philosophie, et jamais après la rhétorique, comme quel-
ques familles, par une impatience peu sage, le demandent
maintenant.


Quant à la préparation elle-même, il y a deux grands périls
à éviter, l'un qui consiste à absorber la philosophie dans
cette préparation, l'autre à n'y pas donner le temps conve-
nable. Quand on ne voit, dans une année de philosophie,
que le baccalauréat à préparer, et qu'on subordonne à ce
but tout le travail, on fait une philosophie misérable; ou, pour
mieux dire, on n'en fait pas : tout se borne à apprendre plus
ou moins bien des réponses a un questionnaire. La meil-
leure préparation au baccalauréat est une bonne et forte phi-
losophie.


Néanmoins il faut convenir que cette préparation n'est pas




214 LIV. H. — LES MAITRES.


assez immédiate, et ne suffirait pas à toutes lés exigences
de l'examen oral : c'est pourquoi le Préfet des études doit
veiller à ce que le professeur de philosophie combine ses
leçons de manière à ce que les jeunes gens puissent tout
h la fois suivre de bons et vrais cours, et avoir à la Un de
l'année un temps suffisant pour repasser sommairement
leurs matières en vue de l'examen. — La même observa-
tion, fondée sur l'intérêt réel des études, s'applique dans
une certaine mesure aux professeurs chargés des cours de
lettres, d'histoire, et de sciences, pour les candidats nu
baccalauréat.


<3° Une des fonctions les plus importantes de M. le Préfot
des études, c'est de revoir avec un grand soin et de décider,
de concert avec chaque professeur, les pièces du cahier
d'honneur qui seront présentées et lues publiquement aux
examens ou à la distribution des prix.


Par la raison toute simple que ce sont là les principaux
moyens d'émulation, et que leur influence sur les élèves
vient en très-grande partie du soin qu'on y apporte.


14° Il est président titulaire de l'Académie.
Il arrête de concert avec MM. les professeurs les séances


littéraires, se fait présenter les morceaux préparés, et veille
à ce que tout ce qui doit être lu ait un intérêt convenable.


Des devoirs d'académie, lus en séance solennelle devant la
maison tout entière, et en présence d'étrangers de dis-
tinction , étant un des plus paissants moyens d'émulation,


* M. le Préfet des études doit apporter tous ses soins à les
encourager. C'est ici une tâche délicate, car il ne peut
rien sans le concours des professeurs, et il y a là à mé-
nager des susceptibilités de plus d'un genre. Avec tous les
égards et les ménagements possibles, le Préfet des études
doit exciter le zèle des maîtres et des élèves à préparer Ces
devoirs.




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 245


Ces devoirs doivent être bien choisis ; il faut que ce soient de
beaux sujets, élevés, délicats, intéressants, et faciles à trai-
ter. La correction en doit être faite de telle sorte qu'ils soient
dignes d'une lecture publique, et de vrais petits modèles en
leur genre; et, néanmoins, qu'ils demeurent l'œuvre des
enfants. Pour cela, il faut les leur faire retravailler à eux-
mêmes, en leur donnant tous les conseils et les secours né-
cessaires pour que le devoir arrive à une perfection relative,
tout en restant le travail personnel de l'enfant. Outre le
profit que tous retirent de la lecture de ces devoirs, et l'in-
térêt qui en résulte pour les séances académiques, nul tra-
vail n'est plus profitable à l'élève que celui qu'il fait ainsi,
avec tous les efforts dont il est capable, sous la direction plus
immédiate de son professeur. Un professeur qui a vraiment
le zèle de sa classe ne peut qu'être heureux d'avoir cette oc-
casion pour former plus immédiatement et plus intimement
un élève.


Avant la séance publique, le Préfet des études, assisté des
vice-présidents de l'Académie, doit exercer les enfants à une
lecture intelligente et bien sentie ; revoir avec soin le rap-
port fait par le secrétaire, n'y rien laisser d'incorrect, d'in-
délicat, de mauvais goût, nulle plaisanterie fade ou grossière :
en un mot, il doit pourvoir à tout, afin que tout se fasse avec
ordre, convenance, dignité.


15° M. le Préfet des études est chargé de la surveillance
générale des Cours supérieurs.


Quelle que soit l'importance des baccalauréats, il s'en
faut bien qu'ils soient le couronnement des études litté-
raires et scientifiques; et un établissement d'instruction se-
condaire est bien incomplet, s'il arrête et borne l'éduca-
tion d'un jeune homme à ces modestes résultats. Le vrai
couronnement de l'éducation, c'est un cours d'enseignement
supérieur, destiné à donner aux jeunes gens qui ont terminé




216 I.IV. II. — LES MAITRES.


leurs études, qui même en justifient par les titres de bache-
liers, une plus haute culture intellectuelle, une éducation
plus achevée, laquelle puisse ménager la transition de la vie
du collège à la vie du monde.


C'est au Préfet des études qu'appartient la direction de
ce cours supérieur; et il lui faut une grande prudence, aussi
bien qu'une érudition solide, pour faire sortir ces jeunes gens
du cadre restreint des études classiques, sans les exposer
au danger de lectures prématurées, d'études trop étendues,
et.de travaux au-dessus de leurs forces. 1


La liberté que leur donne leur règlement particulier,
toute restreinte qu'elle est par le règlement général de la
maison; la latitude qu'ils ont pour leur travail, dont ils
s'occupent seuls dans leur chambre, sans autres témoins
qu'eux-mêmes et leur conscience, pourraient leur devenir
funestes, si le Préfet des études ne fixait pour chacun d'eux
les cours qu'ils devront suivre, l'emploi régulier de leur
journée, de leurs heures, le temps précis à donner aux pré-
parations, aux rédactions, aux travaux de chaque cours; et
s'il ne s'assurait, par lui-même, en visitant tous ces divers
travaux, que tout se fait avec ordre , avec conscience, avec
tout le sérieux qu'on doit attendre de jeunes gens de cet âge.


Il recueille dans un livre d'honneur spécial, comme pour
l'Académie, les meilleures productions de ces jeunes gens, et
les réserve pour quelques séances solennelles et publiques
qu'il prévoit, prépare, et dirige comme les séances acadé-
miques.


Il compose leur bibliothèque commune et veille à sa con-
servation : il visite aussi leurs bibliothèques particulières,
et il n'y laisse aucun livre frivole ou dangereux.


Il fixe, de concert avec MM. les professeurs de l'enseigne-
ment supérieur, les jours et heures des différents cours, de
littérature, de philosophie, d'esthétique, d'Écriture sainte,
de droit préparatoire, de sciences, de langues vivantes, etc.,




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 2 1 7


et veille à ce qu'aucun élève ne s'absente ou ne se retire
de ces cours, sans son autorisation et celle de M. le Supé-
rieur.


Enfin, il recueille, de concert avec M. le Supérieur et
MM. les professeurs des différents cours, les no tes mensuelles
et trimestrielles destinées h être transmises aux parents, à
la fin de chaque trimestre, ou plus souvent, si les parents le
désirent.


Disons ici, pour ne rien omettre, que M. le Préfet de reli-
gion veille à ce que ces jeunes gens, non-seulement obser-
vent leurs devoirs religieux, et assistent aux divers exercices
de piété, mais édifient toute la maison et en soient les modèles.
M. le Préfet de discipline veille à son tour à ce qu'ils ne
troublent point l'ordre général, qu'ils observent leur règle-
ment disciplinaire, et n'abusent en ri,en des privilèges que
leur donne leur position exceptionnelle.


S'il y a quelque observation plus délicate à leur faire, soit
sous le rapport disciplinaire, soit sous le rapport religieux,
soit sous le rapport des études, il sera bon et prudent que
M. le Supérieur se charge de ce soin. Toutefois, il n'y faut
pas mettre une réserve exagérée, qui laisserait aller les
choses avec une mollesse bien plus funeste que ne le serait
ici l'irritation de quelque susceptibilité, l ine faut pas oublier
qu'il s'agit d'achever et de perfectionner une Éducation, et
que ce serait la gâter et non pas l'achever, si la confiance
dégénérait en abandon et la liberté en licence.


\%a Le Préfet des études est bibliothécaire du séminaire,
chargé de ranger ïa bibliothèque, de faire observer les
règlements qui la concernent, et de la composer convenable
et apte à une maison chrétienne d'Éducation. Il n'y doit lais-
ser aucun livre, en aucune langue, qui puisse avoir aucun
danger pour les jeunes professeurs.


<7° Il veille aussi à ce que, dans chaque étude, il y ait une
bibliothèque bien choisie pour les élèves, selon leur âge et
leur classe.




218 LIV. H . — LES MAITRES.


Il importe extrêmement de bien diriger les lectures des
enfants durant leurs études. Une fois leurs devoirs finis, le
plus souvent ils ne savent que faire ; et que de temps ne per-
dent-ils pas, tout le long d'une année, pendant lequel ils pour-
raient lire de bons livres et apprendre une quantité de choses
utiles, si on savait leur faire employer leurs moments libres
et leur ménager de bonnes lectures !


C'est pourquoi je regarde comme un très-grand avantage
pour une maison d'Éducation de posséder une bibliothèque à
l'usage des élèves, une bibliothèque bien choisie, bien com-
posée ; et je considère comme un très-sérieux devoir pour
un Préfet des études, de surveiller avec le plus grand soin
les lectures des élèves, et de faire en sorte que, durant le
cours de leurs études, ils aient tous lu un certain nombre de
bons livres..Sans vouloir entrer ici dans le détail, quel heu-
reux supplément à l'étude élémentaire de l'histoire, par
exemple, que la lecture de certains volumes de Rollin !


18° Il timbre les livres des élèves, cette mesure étant la ga-
rantie la plus efficace contre les mauvaises lectures. En con-
séquence, tous les livres doivent lui être immédiatement
remis, ou, à son défaut, à M. le président de l'étude, pour
être timbrés, sous peine d'une confiscation irrévocable.


4 9° Il dirige les lectures du réfectoire d'après un plan cer-
tain approuvé par M. le Supérieur.


Il reprend, au besoin, les lecteurs au réfectoire.


I I I


CE QUE LE PREFET DES ÉTUDES A A FAIRE A LA FIN DE L'ANNEE.


1° Il préside et à la préparation, à la décision des prix
d'examen, de trimestre et de fin d'année. Il est chargé de tous
les détails matériels des examens et de la distribution des
prix, comme achats de livres, invitations, etc., etc. Il s'en-




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 249


tend pour cela avec M. l'Économe et M. le Supérieur, ains
que pour la construction du théâtre, l'ordre des places, etc.


%a G êst lui qui distribue, ou du moins qui approuve pour
chaque classe les sujets des compositions de prix. 11 doit
contrôler avec soin la correction de ces compositions, et
veiller à ce que toutes les règles de la maison sur ce point
soient strictement exécutées.


3" C'est à lui qu'on remet les listes des prix de chaque
classe. Il doit exiger que ces listes lui soient remises à
temps, pour que l'impression du palmarès n'en souffre pas.


4° C'est lui qui fait imprimer le palmarès et qui fait
venir les livres des prix : il doit les choisir avec le dernier
soin, et ne pas donner aux enfants, sur la foi des prospec-
tus, des ouvrages dont il ne soit personnellement et parfaite-
ment sûr.


5° A la fin de l'année, il fait donner aux élèves un devoir
des vacances, qui devra être remis et corrigé à la rentrée.


6° Il est le gardien des archives, et il a soin que, chaque
année, avant les vacances, les cahiers de devoirs et de notes,
et les cahiers d'honneur, y soient très-exactement déposés.


7° Avankle départ pour les vacances, il n'oublie pas de
décider ennconseil quels sont les auteurs et les livres ïont
les professeurs et les enfants auront besoin dans chaque
classe, l è s le premier jour du premier trimestre de l'année
suivante, et même pour les deux autres trimestres.


Et cette liste doit être proclamée dans la maison et affi-
chée au moins trois jours avant la distribution des prix.


De tout ce qui vient d'être indiqué dans les divers articles
dé ce règlement, il résulte que suivre les classes, les progrès
des élèves, la marche des études ; aider les professeurs dans
le gouvernement de leurs différents cours, est tout ce qu'il y
a de plus important dans les fonctions du Préfet dont nous
parlons.


Une maison où l'on ne s'enquiert pas sans cesse de la
façon dont vont les études et les élèves,.peut receler dans
son sein les plus grandes misères cachées. L'enseignement




220 LIV. 11. — LES MAITRES.


de certains maîtres peut y être, y devenir déplorable, sans que
personne y remédie; une quantité d'élèves peuvent traî-
ner sur les bancs, sans progrès d'aucune sorte, et sans qu'on
essaye rien d'efficace pour les relever et les faire marcher.
C'est au Préfet des études à s'enquérir, à constater chaque
jour : il faut qu'à son œil vigilant rien n'échappe, et que la
marche de la maison sous le rapport des études, la manière
d'être et de faire de tous et de chacun, maîtres et élèves,
soit parfaitement connue de lui. De cette sorte, si l'ensei-
gnement de quelque maître dévie ou se néglige, si quelque
partie du programme n'est point ou est mal exécutée, si
quelque classe languit ou décline, si quelque désordre grave,
en un mot, apparaît : tout d'abord, et avant que le mal ait
pu grandir et devenir quelquefois profond, irréparable, le
Préfet des études, par sa haute autorité, sa ferme interven-
tion, coupe court et l'arrête. Si, de quelque manière que ce
soit, l'autorité d'un professeur est menacée ou échoue au-
près de quelques élèves, le Préfet des études i ^ r v i e n t en-
core et répare tout. Mais pour cela, pour cette double action
sur l'enseignement et le gouvernement des classes, pour
ce contrôle et ce salutaire concours, il est extrêmement
important que le Préfet des études n'omette rien de ce
qui est marqué dans les articles ci-dessus; qu'il exécute
réellement tout cela; non par saillies, par boutades, iné-
galement, mais avec suite. J'insiste, autant que je le puis,
sur ce mot : avec suite; rien ne demande plus l'esprit de
suite, c ' es t -à -d i re la persévérance patiente et paisible,
mais infatigable, que cette double action sur les profes-
seurs et les élèves, qui doit, pour être efficace, s'exercer
chaque jour et se continuer toute une année. Il faut que le
Préfet des études ne perde pas un instant de vue une seule
classe, un seul maître, un seul élève, qu'il sache parfaite-
ment où chacun en est, et quelles ressources offre chacun.


Un Directeur, un Préfet quelconque est une portion du




CH. IV. — LE PRÉFET DES ÉTUDES. 321


On peut maintenant se rendre compte de l'avantage pour
une maison d'Éducation de posséder un bon Préfet des
études, et se faire une idée exacte de son action et de ses
devoirs, comme aussi des qualités qu'il doit réunir.


Supérieur. Ce que le Supérieur doit être pour tous et pour
tout, le Préfet des études doit l'être pour les études. C'est
pourquoi le règlement entre dans tous les détails qu'on
a vus, l'oblige à suivre attentivement tout le mouvement
de la maison en ce qui concerne les études, de regarder les
notes, les cahiers des maîtres, ou des élèves, les devoirs
donnés et les devoirs faits, les places de composition, tout ce
qui peut être pour lui un indice quelconque de l'état vrai des
études ; et c'est pourquoi aussi il doit entretenir des rap-
ports fréquents et quotidiens avec les enfants et les profes-
seurs ; et indépendamment des conseils, voir ces Messieurs
en particulier toutes les fois que besoin en est, et faire venir
chez lui les élèves, ainsi que fait le Supérieur, aussi souvent
qu'il est utile ou nécessaire.


Mais tout cela ne rendra-t-il pas odieuses la charge et
la présence d'un Préfet des études? en définitive, qu'on
pardonne le mot, ne lui demandons-nous pas d'être en
quelque sorte sans cesse sur le dos des professeurs ? Non,
tout cela peut se faire sans froisser, sans blesser personne,
quand le Préfet des études y met des formes, qu'il ne presse
pas hors de propos, quand on voit qu'il n'exerce son auto-
rité que par un vrai zèle, en ménageant les personnes, et ne
recherchant que le bien. D'ailleurs, il est beaucoup plus en-
core l'auxiliaire des professeurs que leur surveillant, et
l'assistance évidente qu'il leur donnera, s'il remplit sa charge
avec zèle et intelligence, fera accepter des professeurs sans
conteste et même avec reconnaissance son contrôle et son
action.




LIV. II. — LES MAITRES.


Il doit être un homme très-instruit, non-seulement dans
les lettres et les sciences, mais en tout ce qui concerne
l'enseignement classique, et très au fait de la science pé-
dagogique, des méthodes, des auteurs, de la pratique. Ce
n'est pas tout, il doit unir à une très-grande activité, à une
très-consciencieuse vigilance, à une parfaite exactitude, à
un soin scrupuleux et presque minutieux des détails, à ce
qu'on appelle l'esprit d'ordre et de règle, il doit unir les
qualités du caractère qui donnent de l'autorité et concilient
l'affection. Il a besoin d'un grand ascendant pour exercer
une influence réelle sur les maîtres, et imposer aux élèves ;
et en même temps, il doit posséder l'art précieux de manier
les esprits, de commander sans exciter d'ombrages, de
tempérer la fermeté par l'aménité des manières, et par
les égards pour les personnes. Certains défauts d'esprit ou
de caractère lui nuiraient essentiellement dans ses fonctions.
S'il était bizarre, capricieux,mobile dans ses idées; étrange,
chimérique dans ses industries; brusque dans ses procédés
et ses manières ; peu exact, peu régulier, dans l'accom-
plissement de sa charge, il perdrait bientôt toute autorité,
il indisposerait, blesserait ses confrères, et n'exercerait
nulle action utile dans la maison.


Mais, tel que nous avons essayé de le décrire* éclairé,
actif, vigilant ; inspectant avec clairvoyance, stimulant arec
zèle, conseillant avec prudence, dirigeant avec fermeté et
persévérance, ne voulant que le bien, ne poursuivant que
les abus, ne connaissant que le devoir ; sans humeur, sans
étrangeté, sans brusquerie ; l'homme du travail, l'homme
du progrès, l'homme des études, il sera infiniment précieux
pour une maison d'Éducation et contribuera pour une large
part à l'œuvre commune, dont une partie aussi importante
que les études est remise entre ses mains.




CH. V. — LE PRÉFET DE DISCIPLINE. 223


CHAPITRE V


Le Préfet de discipline.


11 y a des maisons d'Éducation où les fonctions discipli-
naires sont loin d'être traitées comme elles devraient l'être,
et demeurent abandonnées aux maîtres les moins honorés, et
de fait les moins recommandâmes. Et toutefois ces fonctions,
dans un sens, sont peut-être les plus importantes de toutes,
attendu que, sans la discipline, tout périt dans une maison,
et que c'est elle qui maintient tout. Voilà pourquoi, dans les
maisons ecclésiastiques, les fonctions disciplinaires sont
entourées d'une, considération singulière, et ne se confient
d'ordinaire qu'aux hommes les plus éprouvés et les plus di-
gnes, à des prêtres capables par leur caractère et par leurs
qualités personnelles d'inspirer le respect et d'exercer une
grande autorité. Nous pourrions citer tel collège libre, qui
a dû une longue et célèbre prospérité en grande partie au ta-
lent et au bonheur qu'eut le Directeur de choisir et d'attacher
à son œuvre deux Préfets de discipline accomplis.


Le choix d'un Préfet de discipline est donc capital pour
une maison. Car, d'une part, si la discipline est mal dirigée,
Ce n'est point telle ou telle chose qui souffre, c'est tout sans
exception. Toute l'action des autres maîtres est entravée,
paralysée. Et d'autre part les hommes qui conviennent à la
discipline sont extrêmement rares. Ëien que dans notre sys-
tème d'Éducation tout le monde, comme nous le dirons, doive
mettre la main à la discipline, la discipline générale n'est
pas confiée à tout le monde, et il reste vrai de dire qu'il est
infiniment plus facile de trouver un bon professeur, pour
quelque classe que ce soit, qu'un bon Préfet de discipline.




224 LIV. II. — LES MAITRES.


Eu effet, il faut qu'un Préfet de discipline exerce un souve-
rain empire, non pas sur une fraction plus ou moins con-
sidérable des élèves d'une maison, mais sur la maison tout
entière : de plus, il y a dans la préfecture de discipline une
action à exercer sur les maîtres, laquelle demande une grande
fermeté et de grands ménagements. Il faut là tout à la fois
bien de l'ascendant sur les personnes, pour obtenir l'entier
accomplissement du devoir, bien de l'art et de l'habileté
pour manier tous les caractères.


Mais plus ces fonctions sont importantes et difficiles, plus
l'homme qui en est investi a une grave responsabilité, et
plus aussi il doit apporter de zèle et de dévoûment à les
remplir.


Car ces fonctions, il faut le dire, sont aussi les plus labo-
rieuses : un Préfet de discipline n'est peut-être pas dans une
maison d'Éducation le plus occupé, mais il est certainement
le plus assujetti : si ses sollicitudes, ses surveillances, lui
laissent du temps, elles ne lui laissent guère de repos, et
bien rarement une vraie liberté.


Le règlement qui va suivre n'indiquera que bien sommai-
rement tous ]es soins auxquels se doit le Préfet de discipline.


Règlement du Préfet de discipline.


4" 11 veille à l'observation générale de la règle, en tous
lieux, en tout temps, partout et par tous.


Sa juridiction est donc universelle : comme du Supérieur
on peut dire de lui avec vérité :


In te domus inclinata recumhit.


A cause de cela, nul ne doit mieux connaître tous les règle-
ments généraux et particuliers de la maison.




CH. V. — LE PRÉFET DE DISCIPLINE. 2?ü


C'est un devoir pour lui de les étudier et de les relire sans
cesse.


2° Il veille spécialement à la présence des élèves dans tous
les lieux où la règle la demande : études, classes, récréa-
tions et promenades, réfectoire, salle d'exercice, chapelle, etc.
Aucune absence ne doit avoir lieu sans qu'il s'en aperçoive,
sans qu'il soit prévenu.


Il notifie les absences aux divers professeurs et présidents
intéressés.


Il veille également à ce que les maîtres soient parfaite-
ment exacts à leurs présidences : il est responsable de leur
présence aux lieux et aux heures où ils doivent se trouver.


Nous l'avons dit : un Préfet de discipline a juridiction sur les
maîtres en même temps que sur les élèves. Car la discipline
règle ce qui est prescrit aux maîtres, non moins que ce qui est
prescrit aux élèves ; et l'exactitude disciplinaire de ces Mes-
sieurs est la condition essentielle de l'ordre disciplinaire dans
toute la maison. Sans doute cette partie de sa tâche est très-dé-
licate; et demande non moins de prudence que de fermeté.
Mais il serait par trop désastreux que le Préfet de discipline
eût ici de molles condescendances et une coupable faiblesse :
tout en souffrirait trop. Tout Préfet de discipline qui ne com-
prend pas qu'un de ses grands devoirs est de former les
maîtres à la discipline, ne comprend pas sa vraie mission. Lui
aussi, lui surtout, ne pouvant tout faire par lui-même, il faut
qu'il sache agir par les autres ; son devoiràlui aussi est de for-
mer des hommes d'action disciplinaire. Ce n'est pas facile, ce
n'est pas toujours agréable,mais c'est absolument nécessaire.


3° Il presídeles promenades ordinaires et toutes les pro-
menades extraordinaires.


La raison pour laquelle les Préfets de discipline doivent
se trouver à toutes les promenades, sans exception, c'est que
nulle part la discipline n'est plus difficile et plus importante


bien faire, et qu'ils connaissent mieux que personne tout à
F. , m. 43




226 LIV. II . — LES MAITRES.


la fois et les enfants, et les difficultés spéciales de ces jours :
de plus, habitués à leur obéir, les enfants, sous leur conduite,
sonttoujours moins portés à se mettre en contravention avec
la règle. "


i° Il se trouve aussi à toutes les récréations, veillant sur
tout.


La police des récréations, qui est spécialement confiée au
Préfet de discipline, demande de lui la plus grande vigilance,
et exige le plus grand zèle, joint à la plus grande saga-
cité, (i'estle Préfet de discipline surtout qui doit avoir oculum
zeli, aurem zeli, pedem zeli. Attentif et pénétrant, il doit tout
voir, tout deviner ; connaître et déjouer toutes les ruses des
élèves ; pressentir à leur air, à leur attitude, leurs disposi-
tions; savoir ce qui se passe parmi eux, ce qu'ils méditent,
ce qui les réjouit ou les attriste, pour ainsi dire ce qu'il y a
dans l'air.


Il est très-important, pour la discipline, que les cours soient
établies de telle sorte que la surveillance y soit partout fa-
cile. Il faut surtout éviter, ou surveiller avec le plus grand
soin, ce qu'un Préfet de discipline très-expérimenté appelait
les souricières, c'est-à-dire les coins où les enfants peuvent
se cacher et n'être pas vus. Il ne doit y avoir rien de cette
sorte dans une maison, tout doit y être inpromptu, in aperto,
au grand jour; afin que la surveillance se fasse constamment,
mais naturellement, sans efforts, et sans peser sur les enfants :
autrement elle leur devient odieuse.


5 ° II veille très-spécialement au bon ordre, au silence,
entre les exercices, dans les passages, dans tous les mouve-
ments, à l'entrée, à la sortie des classes, des études, etc.


C'est à la sagesse des enfants et à leur bonne tenue, en
ces occasions plus difficiles et nécessairement très-fréquentes,
que se reconnaît le bon esprit et la bonne discipline d'une
maison.




CH. V. — LE PRÉFET DE DISCIPLINE. 227


6° Il surveille et visite les salles d'études, au moins une
fois chaquejour.


Il doit avoir un tel ascendant sur toute la maison, que
son autorité se fasse sentir même en son absence, et qu'il
soit là, même n'y étant pas. Cela se voit, quand les Préfets
de discipline sont les hommes qu'ils doivent être. J'ai connu
du reste de simples surveillants d'études qui imprimaient
un tel respect aux élèves, que l'étude en leur absence, si
parfois ils étaient obliges de s'absenter un instant, allait
mieux même qu'eux présents : mais cela est rare.


7° Il surveille très-spécialement, pendant le grand si-
lence, tous les corridors, les chambres et tous les dortoirs.


C'est un soin capital.


8° Il veille à la propreté des élèves : afin que leur tenue
soit toujours convenable, il fait l'inspection des jeunes en-
fants tous les matins, et celle des grands deux fois par se-
maine.


9° Il visite, au moins chaque jour deux fois, l'infirmerie,
afin qu'aucun désordre ne s'y introduise, et s'entend chaque
jour sur ce point important avec M. le directeur de l'infir-
merie.


10° Il surveille et fait exécuter à chaque dignitaire le règle-
ment de sa charge. —Les dignitaires sont nommés par M. le
Supérieur sur sa présentation.


11° Il surveille très-exactement la police des parloirs.


C'est une chose ordinairement très-négligée que la police
des parloirs, et la négligence ici, on le comprend, peut avoir
les conséquences les plus funestes. Qui demande les élèves ?
avec qui conversent-ils là? Il faut avoir moyen de le savoir.
Les rapports des élèves avec les personnes du dehors sont
un point sur lequel il n'est jamais permis de fermer les yeux.


42° Il fait exécuter tous les changements disciplinaires qui
peuven t avoir lieu dans l'ordre et le règlement de chaquejour.


43° 11 fait tous les placements, excepté celui.de la chapelle;
il fixe aux élèves les rangs qu'ils doivent garder.




228 LIV. II. — LES MAITRES.


14° Aucun châtiment grave n'est infligé sans qu'il en soit
prévenu.


Les châtiments, dans notre système d'Éducation, étant
tout à fait exceptionnels, ce que cet article exige est absolu-
ment nécessaire. Autrement tout le bon esprit disciplinaire
d'une maison se trouverait livré quelquefois au caprice et à
l'inexpérience des plus jeunes maîtres.


15° Il fixe, au besoin, le lieu précis de la récréation et de
la promenade.


Toutes ces diverses fonctions, on le comprend, exigent du
Préfet de discipline une vigilance continuelle, active, inat-
tendue; une fermeté douce, mais constante; une autorité
grave, sans humeur, mais aussi sans faiblesse.


Mais rien ne demande moins à être fait d'une façon absolue
et inflexible que la discipline. C'est là surtout qu'il faut avoir
égard à l'âge, au caractère, aux dispositions variables des
enfants et des jeunes gens, et savoir se plier et se replier de
mille manières selon les exigences et les besoins de ces mo-
biles natures. Entre les tout jeunes enfants et les moyens,
entre ceux-ci et ceux d'un âge plus avancé, la différence est
grande ; la discipline à leur égard par conséquent doit l'être
aussi. C'est pourquoi dans les maisons quelque peu nom-
breuses, le fractionnement en deux, ou même trois divisons est
indispensable. Ainsi, par exemple, avec tous, il faut un cer-
tain mélange de douceur et de fermeté ; mais la douceur et la
fermeté doivent avoir une particulière expression selon l'âge
des enfants. La douceur qui convient avec les tout petits
n'est pas celle qui convient avec les moyens, en général plus
turbulents, plus étourdis, plus opiniâtres, plus difficiles, et
qui ont quelquefois besoin d'être domptés en même temps que
conduits ; et la douceur qui convient avec ceux-ci n'est pas
celle qui convient avec les grands, d'une raison déjà plus




CH. Y. — LE PRÉFET DE DISCIPLINE. 229


Règlement du Préfet de discipline spécial à
la 2 E et à la 3 « division.


1" La 2 e division, et surtout la 3 e , qui est composée des en-
fants les plus jeunes, réclament les soins d'un Préfet de dis-
cipline spécial. Celui qui en est chargé doit être pour ces
petits enfants comme un père, ou même comme une mère :
il doit étendre sa vigilance la plus attentive à tout, sous la
direction de M. le Supérieur et d'accord avec les Directeurs
généraux, surtout d'accord avec M. le Préfet de discipline
de la première division, auquel il convient qu'il soit dans
une certaine mesure subordonné.


2° A la rentrée, il prend auprès des parents tous les ren-
seignements nécessaires sur la santé, les besoins particu-
liers, les défauts de leurs enfants : il inscrit toutes leurs
recommandations avec le plus grand soin.


Un Préfet de discipline, q u i a déjeunes enfants à gouver-
ner, ne pourra jamais assez comprendre jusqu'où vala négli-
gence à cet âge, et les oublis où peuvent tomber ces enfants,
souvent même pour les choses de la nécessité la plus rigou-
reuse : ils n'y pensent pas, et souffrent, sans même songer à
se plaindre. C'est au Préfet de discipline à penser, à se sou-
venir, à prévoir pour eux. Et il ne suffit pas qu'il leur dise et
qu'il leur répète souvent les mêmes choses; ils oublieront


développée, d'un cœur plus accessible aux nobles mo-
biles , et qui ont plus besoin d'être conduits par la raison
que domptés par la force. Les soins matériels eux-mêmes
diffèrent également. Certains excès de recherche et de déli-
catesse sont à craindre chez les grands et même chez les
moyens,làoù chez les petits enfants on n'a à surveiller que la
négligence. Les besoins aussi ne sontpas les mêmes, et deman-
dent des attentions, des précautions différentes. Nous avons
essayé d'exprimer ces nuances dans les règles qui suivent.




230 LIV. II. — LES MAÎTRES.


trop tôt ses conseils, ses avertissements, aussi bien que les
recommandations les plus formelles de leurs parents : il
faut que le Préfet de discipline s'assure par lui-même,
par une inspection minutieuse et sans cesse renouvelée, que
ce que les parents ou lui-même ont prescrit est observé.


3° Il continue d'avoir avec les parents tous les rapports
nécessaires, et veille d'autre part à ce que les enfants leur
écrivent exactement, surtout pour leur fête et au premier de
l'an, et à ce qu'ils remplissent convenablement tous les de-
voirs de la piété filiale.


Les rapports assidus avec les parents sont également avan-
tageux aux parents et au Préfet de discipline. Ces rapports
donnent aux uns et aux autres plus de lumière, plus de
moyens d'action sur les enfants, qui, en définitive, ne man-
quent pas d'en profiter. C'est surtout pour les tout jeunes
enfants que le concours de la famille est précieux à l'ins-
tituteur, et le concours de l'instituteur précieux à la famille.


4° Il visite les lettres des enfants et celles qui leur sont
adressées, à moins que M. le Supérieur ou M. le Directeur
ne se soient chargés eux-mêmes de ce soin.


Le soin des lettres ne doit pas être négligé : il est né-
cessaire qu'on s'en occupe, tant pour apprendre aux enfants
à écrire, que pour les empêcher de dire à leurs parents
des choses absurdes. D'ailleurs des enfants qu'on ne sur-
veille pas sous ce rapport contractent de déplorables habi-
tudes de négligence et de manque d'égards. On ne saurait
trop leur insinuer de bonne heure le respect d'eux-mêmes
et des autres, et le soin, l'attention en tout.


S 0 II notifie à sa division tous les changements dans le
règlement de chaque jour.


6° Il donne le premier de ses soins à la piété de ces chers
enfants, leur inspirant de bonne heure la crainte de Dieu,
le respect des choses saintes et une grande innocence.


7 a 11 préside, au besoin, les exercices de piété qui se fe-




CH. V. — LE PRÉFET DE DISCIPLINE. 231


raient à part du reste de la communauté, comme la prière
de ceux qui se lèvent après les autres, la lecture spirituelle
des plus jeunes, leurs retraites, etc. ; il tient compte dans
ses instructions de l'âge de ses petits auditeurs ; il y fait
entrer de nombreuses histoires.


8° II veille avec sollicitude sur leur santé en général: sur
la salubrité des diverses salles, le bon état des cours en hi-
ver, l'opportunité des sorties par les temps incertains, la
convenance des vêtements, par rapport à la saison ; en par-
ticulier, sur le bon état de leurs chaussures, sur leurs jeux,
sur les imprudences qu'ils font sans cesse. Outre ces soins
préventifs, il conduit ou envoie au médecin ceux qui lui
semblent atteints de quelque malaise ou dont la santé ré-
clame son intervention : il visite l'infirmerie tous les jours,
quand il y a quelqu'un de ses enfants.


Quelquefois parmi les grands, un enfant sera tenté d'aller
à l'infirmerie par paresse ; moins souvent parmi les petits.
Il faut même quelquefois craindre chez eux la paresse ou la
négligence contraire. Et certes, on ne doit pas l'oublier, c'est
une bien grande responsabilité vis-à-vis des familles que celle
de la santé des enfants, comme aussi il y apeu desoins aux-
quels les parents soient plus sensibles, et avec raison.


9° La propreté demande de lui une vigilance encore plus
habituelle et plus constante : il visitera donc les études, les
classes, et se montrera surtout exigeant pour la bonne tenue
au réfectoire. Il sera présent le matin au lavage du lever et
aux soins hygiéniques, pour les plus jeunes : il assistera à
toutes les revues de propreté et les fera faire chaque jour
avec exactitude.


L'hiver surtout cette inspection est particulièrement né-
cessaire.


10° Il exerce, pour l'ordre général, toutes les fonctions
du Préfet de discipline sur ses divisions ; il est responsable
de l'exactitude des maîtres à leurs devoirs, pour le temps,
le lieu, le mode ; il veille à ce que tous les enfants soient
présents où ils doivent l'être, et il notifie aux maîtres les
absences autorisées.




232 LIV. II . — LES MAITRES.


Ai"l\ se trouve a tous les mouvements généraux, à tous
les passages, à toutes les récréations, et il préside la pro-
menade ordinaire ainsi que toutes les promenades extraor-
dinaires de ses élèves : s'ils vont avec la première divi-
sion, il s'entend avec le Préfet de discipline de cette
division, et la séparation se fait convenablement au lieu de
la station.


42° Il fait tous les placements, excepté celui de la cha-
pelle, et arrête l'ordre des rangsjjour les promenades.


43° Il fait exécuter tous les changements disciplinaires qui
peuvent avoir lieu dans l'ordre journalier de sa divisiofc.


44° Il exerce tout le jour 'une surveillance active sur la
partie de la maison qui est affectée à cette division, et no-
tamment sur les endroits dans lesquels il aurait aperçu quel-
que dégradation ou désordre.


Nous n'entrerons pas ici dans plus de détails. Il serait
trop long et difficile d'én'umérer tous les soins de santé, de
propreté, d'ordre, de politesse, de moralité, de piété, que
réclame ici d'un bon Préfet de discipline sa nombreuse et
jeune famille : c'est un dévoûment complet de tous les jours
et de tous les instants.


Il importe qu'il sache allier à la gravité un esprit indus-
trieux pour faire jouer ces jeunes enfants en récréation; et à
une bonté toute paternelle une fermeté quelquefois sévère,
qui leur imprime la crainte ; car de si jeunes enfants ne se
conduisent pas uniquementpar la raison. Les punitions sont
quelquefois nécessaires, et s'il faut en redouter et en em-
pêcher l'abus, il ne faut pas hésiter à y recourir, quand elles
doivent être vraiment salutaires. Enfin, non-seulement le
Préfet de discipline a besoin d'une grande activité et d'un
grand esprit de détail pour suffire personnellement à tout ;
mais c'est à lui encore d'exciter, de diriger et de soutenir le
zèle de ses collaborateurs, en même temps qu'il doit main-
tenir ènergiquement leur autorité sur les enfants.




CH. VI. — L'ÉCONOME. 233


CHAPITRE YI


L'Économe.


Dans l'Éducation, comme dans la guerre, on ne dédaigne
pas impunément ce qui est le nerf de la chose, l'argent.


Mais c'est à quoi sont exposés, plus que d'autres peut-être,
à cause de leur dévoûment désintéressé et de leur habitude
d'envisager l'Éducation sous de plus hauts aspects, les
prêtres chargés dans une maison d'Éducation de la gestion
financière. Il est très-bon d'être désintéressé, mais pas aux
dépens de la maison qu'on administre ; il est très-bien de
considérer d'un point de vue élevé la grande mission d'éle-
ver la jeunesse ; mais puisque avant tout il faut vivre et vivre
ici-bas, il est nécessaire de toucher terre quelquefois, et de
s'entendre suffisamment dans les affaires temporelles, sous
peine de compromettre son existence.


La gestion temporelle d'une maison considérable est donc
de la plus grande importance; car, en définitive, une maison
d'Éducation, fût-elle d'ailleurs bien dirigée, si elle est mal ad-
ministrée sous le rapport matériel, et ses finances en mauvais
état, peut se voir jetée dans de très-grands embarras, et
même finir par succomber.


C'est pourquoi un ben économe, un homme non-seule-
ment exact comptable, mais actif, zélé, intelligent et entendu
dans les affaires, et aussi d'un caractère ferme, est-il extrê-
mement précieux pour une maison. Chargé de dépenses
considérables, et qui se renouvellent chaque jour, la diffé-
rence qui peut résulter, au bout d'une année, dans l'état
financier de la maison, selon que l'économe est 'habile




234 LIV. II. — LES MAITRES.


ou inexpérimenté, vigilant ou inattentif, faible de caractère
ou ferme, cette différence est étonnante.


Mais ce n'est pas tout. Les choses matérielles sont beau-
coup plus liées qu'on ne le pense quelquefois aux choses
d'un ordre supérieur; et une bonne ou mauvaise direction de
l'économat a sur le bon ou mauvais esprit, e t*u r tout l'en-
semble d'une maison, une influence beaucoup plus grande
^u'il ne semble tout d'abord.


Toute souffrance sous le rapport temporel a inévitablement
son contre-coup quelque autre part. Au contraire, quand
tout va bien sous ce rapport, quand rien ne souffre et que
nul ne se plaint, toute l'œuvre de l'Éducation peut se faire
sans entraves, et sans aucune des sourdes résistances ou
des embarras cachés, qui naissent infailliblement d'un ma-
laise dans l'état matériel de la maison.


Aussi, le choix d'un économe est-il ordinairement très-
difficile, et demande-t-il d'être fait avec la plus mûre ré-
flexion. Les hommes doués de l'ensemble de qualités né-
cessaires pour ces fonctions, ne sont pas moins rares que les
hommes capables d'exercer les fonctions disciplinaires.


On a essayé, dans le règlement suivant, de résumer et de
préciser les soins principaux dont est chargé l'économe.


Règlement du Directeur-Économe.


•1° M. l'Économe, sous la direction immédiate de M. le
Supérieur (sous la haute surveillance de la Commission
administrative, s'il s'agit d'un Petit Séminaire), est chargé
généralement du temporel de la maison, savoir : recette et
dépense, nourriture, santé publique, propreté, vestiaire,
lingerie et domestiques.


Une maison d'Éducation chrétienne n'est pas, ne doit
pas être une simple pension, c'est une famille : M. le Supé-




CH. VI. — L'ÉCONOME. 235


rieur en est le père ; et M. l'Économe, plus qu'aucun autre de
ceux qui le secondent, doit entrer dans ces sentiments,
puisque c'est lui qui est chargé de pourvoir à la vie et aux
besoins de tous.


Ce principe le dirigera dans toute son administration et
dans tous ses rapports, soit avec les élèves, soit avec leurs
parents, soit avec MM. les Directeurs et Professeurs, soit
même avec les domestiques.


2° L'Économe se conformera très-exactement à tous les
règlements de comptabilité et d'économie qui ont été fixés
par l'autorité supérieure.


L'économat est une fonction qui a beaucoup d'indépen-
dance, beaucoup d'initiative, et qui doit en avoir ; mais il
n'en faut pas trop.


11 n'en faut pas pour le changement des règlements, ni
pour les grands achats, ni pour les constructions ou grandes
réparations de bâtiments, ni pour d'autres résolutions im-
portantes de cette sorte. «


Mais il en faut dans une multitude de détails ; autrement,
le Supérieur y perdrait son temps, et l'Économe en serait
très-fatigué et ne pourrait pas se mouvoir.


S'il y a une commission administrative, que son délégué
fasse son devoir, et par là bien des peines seront épargnées
à l'Économe et au Supérieur.


3° Tout élève, en entrant, paye d'avance un terme de la
pension et des frais accessoires.


4° A l'entrée de chaque élève, M. l'Économe inscrit sur un
registre son nom, son âge, son numéro, le prix de sa pen-
sion, les cours payants qu'il suit, et la somme qu'il a reçue.
Il prend au besoin l'adresse des personnes qui payent sa
pension, et non pas seulement celle des parents.


5° Au plus tard au commencement de chaque trimestre,
M. l'Économe envoie aux parents, avec le bulletin, la note
de chaque élève qu'il a dû tenir prête à l'avance. Après
quinze jours écoulés, on tire à vue sur- ceux qui n'ont pas




236 LIV. II . — LES MAITRES.


payé, comme ils en ont été prévenus dans le bulletin par
une note formelle, et mieux encore, quelquefois par une
lettre spéciale, qui prévient toute susceptibilité de la part
des parents.


Ce devoir du Directeur-Économe est considérable et délicat
dans l'exécution, surtout pour un prêtre. Car, d'une part, la
maison souffre, si les rentrées ne se font pas exactement :
elle souffre et fait souffrir tous ses ouvriers et fournisseurs ;
et d'un autre côté, les exigences sur ce point peuvent être
pénibles pour les familles pauvres, comme le sont souvent
celles avec qui ont affaire les économes dans les Petits Sé-
minaires. Qu'un Économe n'oublie pas qu'il est comptable
et responsable, mais qu'il n'oublie pas non plus qu'il est
prêtre, si, en effet, il a l'honneur d'être revêtu du sacer-
doce : qu'il sache, en un mot, concilier ce qu'il doit à la
maison, à son propre caractère, et aux familles avec les-
quelles il traite.


Il sê ga donc d'une extrême bonté avec les paripts, s'ils
sont pauvres, se rappelant que, comme prêtre, il est père,
et prenant bien garde d'humilier par de dures paroles
ceux qui le sont déjà assez par leur position. S'ils ont natu-
rellement peu d'élévation, cette dureté leur en donnerait
moins encore ; s'ils ont quelque chose de noble et de géné-
reux, c'est surtout alors qu'ils ont droit à de vrais ménage-
ments pour leur juste délicatesse.


Cela dit, et religieusement accompli par un Économe dé-
licat, il se souviendra également que l'existence, la réputa-
tion de probité et d'honneur de la maison exigent qu'elle
satisfasse à toutes ses obligations, et, pour dire le mot, qu'elle
paye exactement à chacun ce qu'elle doit; or, elle ne le peut
faire, si ce qui lui est dû ne lui est pas exactement payé à
elle-même.


Il n'oubliera pas qu'en fait de générosité et de condescen-
dances, on ne peut se permettre que celles qui ne blessent




CH. V I . — L'ÉCONOME. 237


pas la justice, et ne vont pas au déshonneur et à la ruine
d'une maison.


6 ° Si on ne veut se ruiner, il faut dépenser moins qu'on
ne reçoit. Pour être sûr de demeurer dans ces limites,
M. l'Économe reconnaîtra EXACTEMENT le chiffre de chaque
dépense en particulier, comme nourriture, enseignement,
ameublement, chauffage, éclairage, lingerie, frais du culte
divin, honoraires des maîtres, gages des domestiques, etc.,
afin que le Supérieur et la commission, s'il y en a une,
puissent statuer, en connaissance de cause, sur les réduc-
tions de pension qui pourraient être demandées par les pa-
rents.


D'ailleurs, ce travail lui fournira les éléments du budget
qui devra être présenté à qui de droit avant la fin d'octobre.


7° M. l'Econome aura soin de surveiller avec une extrême
vigilance toutes les dépenses, mais surtout celles qui revien-
nent chaque jour ; et il est facile d'en comprendre la forte
raison. — Il examinera les denrées, verra les fournisseurs et
il se transportera même de temps en temps aux marchés, et
regardera comme un devoir de sa charge de faire quelque-
fois, selon les besoins de la maison, ces choses person-
nellement et par lui-même.


Savoir acheter et acheter a temps -.point capital d'où peuven t
résulter pour la maison ou des gains sérieux ou de notables
pertes : un Econome a donc une très-grande responsabilité à
cet endroit.


8° II surveillera avec un égal soin l'emploi des provisions
faites, et, en gardant toutes les convenances, il réprimera
sévèrement toute profusion, tout gaspillage, empêchant sur-
tout que personne ne détourne rien à son profit. S'il décou-
vrait quelque désordre de ce genre, il le ferait connaître à
M. le Supérieur; et le coupable serait immédiatement et pu-
bliquement renvoyé.


Sans une surveillance attentive, rigoureuse et persévé-
rante, une maison d'Éducation peut souffrir des dommages
considérables. C'est ici surtout qu'il y a lieu de rappeler
l'importance des petites choses, qui, répétées tous les jours,




238 L1V. II. — LES MAITRES.


finissent par prendre quelquefois d'étonnantes proportions.
Or, en ces matières, la négligence est facile; moins que per-
sonne un Économe ne doit s'endormir ou fermer les yeux.


9° Il se rend chaque jour à la cuisine et au réfectoire, un
peu avant le repas, pour voir comment sont servis les élèves,
si les plats sont assez abondants, ou s'ils le sont trop ; si la
nourriture est saine; si les domestiques ne cachent rien au
détriment des élèves. Il veille à ce que la viande que l'on
sert sur les tables soitpesée avant d'être portée au réfectoire,
et que la quantité fixée s'y trouve comme la qualité.


1 0 ° Le vendredi de chaque semaine, il dresse le tableau
de la nourriture de la semaine suivante, jour par jour et re-
pas par repas; il en remet le projet à M. le Supérieur, et re-
çoit ses observations.


Ce tableau sera affiché aux endroits convenus.


Il y a de bonnes économies, et il y en a de mauvaises :
celles qui prennent sur la nourriture et la santé des enfants
sont de détestables économies. Il faut, dans le régime adopté
pour la maison, que, sans profusion d'aucune sorte, rien ne
manque et que tout soit bon et sain.


\ \ ° Il prendra des mesures pour que les salles d'études et
les classes soient aérées, éclairées et chauffées à temps, les
cours de récréation bien sablées, les appareils de gymnas-
tique, l'école de natation en bon état, etc.


Le chauffage en hiver est un point d'une extrême impor-
tance. Une maison, quelque pauvre qu'elle soit, ne doit pas
marchander sur ces dépenses nécessaires. Il faut sans doute
ici une attentive surveillance et une intelligence parfaite des
besoins ; mais ce qui doit être fait, il faut le faire. Les classes
durent deux heures : or, en hiver, dans les grands froids,
se contenter d'allumer les poêles au commencement des
classes ne suffit pas pour des enfants qui arrivent d'une
étude bien chauffée ou d'une cour de récréation, llifaut, de
plus, que la chaleur soit entretenue tout le temps que dure
la classe. Autrement, qu'arrive-t-il? Le poêle est ardent,




C H . VI. — L'ÉCONOME. 239


rouge de chaleur au commencement; puis, le combustible
étant consumé, le poêle se refroidit promptement, et les en-
fants et les professeurs gèlent le reste du temps. C'est fu-
neste, non moins pour le bon espiitdes enfants qui murmu-
rent et suivent difficilement la classe, que pour leur santé.


12o Le soin particulier des malades résidant à l'infirmerie
peut être confié à quelque Directeur désigné par M. le Supé-
rieur; mais les soins généraux dus à la santé des élèves, tels
que la vigilance pour que les dortoirs et salles soient très-
propres, bien aérés, pour que le froid ou la chaleur n'y puisse
nuire, etc., font essentiellement partie des attributions de
M. l'Économe.


43° C'est lui qui veille à ce que le service matériel de l'in-
firmerie soit fait avec le plus grand soin, par un domestique
particulièrement zélé, sous la direction du président de l'in-
iirmerie.


14° C'est à M. l'Économe qu'il appartient de prendre à
l'avance tous les moyens qu'il jugera convenables, pour que
les élèves se tiennent toujours propres, soit sur eux-mêmes,
soit dans leurs dortoirs. 11 examinera si les domestiques font
bien les lits, s'ils changent régulièrement les draps et ap-
portent exactement le linge et les vêtements, soit celui qui
est distribué régulièrement chaque samedi, soit celui que
les enfants demandent chaque jour, par des billets recueillis
à l'étude, soit enfin celui qui est nécessaire pour changer au
retour des promenades pluvieuses;


15" Chaque mois, M. l'Econome visite la lingerie et s'in-
forme auprès de la Sœur supérieure ' si chacun a son trous-
seau complet : s'il ne l'a pas, on écrit immédiatement aux
parents.


Les frais d'entretien d'un enfant sont toujours considéra-


1 II est inutile de faire ressortir l'avantage qu'il y a de confier à des religieuses
certaines parties de l'économie domestique, telles que la cuisine, la buanderie,
l'infirmerie, la lingerie, le vestiaire. Mais il suit de là, par un principe de haute
convenance et de bonne administration, la nécessité d'une double comptabilité,
celle de la Sœur supérieure et celle de l'Économe : ces deux comptabilités toutefois
n'en faisant définitivement qu'une éntreles mains de ce dernier, et sous la surveil-
lance du Supérieur, qui partage avec lui la responsabilité de tout.




240 L1V. II. — LES MAITRES.


bles, et les négligences des enfants augmentent souvent en-
core ces dépenses. Ils perdent souvent leurs effets ou les
gâtent faute de soins, en les laissant traîner, en ne faisant
pas faire à temps les réparations nécessaires, etc. Dans une
maison bien réglée, la tenue du vestiaire, l'inspection atten-
tive des trousseaux, le blanchissage et le raccommodage, la
vigilance sur les objets qui traînent ou s'égarent, sont choses
capitales. C'est à l'Économe à avoir constamment l'œil là-
dessus et à inspecter tous ces services. 0


16° Chaque semaine, M. l'Économe, avec les dortoriers et
le cordonnier, visitera les casiers où les élèves déposent leurs
souliers, et on fera remplacer ou raccommoder ceux qui en
ont besoin. Il aura soin qu'on numérote les souliers neufs.


Il surveillera ou fera surveiller par une personne très-sûre
les divers raccommodages.


47° Il surveille très-spécialement le service de MM. les Di-
recteurs et Professeurs.


II examine s'ils ont dans leurs chambres tous les meubles
nécessaires, et si ces meubles sont en bon état.


18° M. l'Econome donne un soin particulier h ce que la
nourriture de ces Messieurs soit saine et abondante.


Si leur santé réclame une nourriture particulière, il cher-
che à les contenter le mieux possible.


En un mot, M. l'Économe acceptera avec un cœur fraternel
toutes les demandes de ses confrères et toutes leurs observa-
tions, s'éloignant également d'une faiblesse qui souffre tout et
pourrait devenir très-nuisible à la maison, ou d'une rigueur
également fâcheuse qui blesserait et détruirait l'union.


19° Le cheval et la voiture, qui sont destinés au service ex-
clusif de la maison et non des particuliers, ne pourront
être employés par personne, sans l'agrément formel de M. le
Supérieur.


20° M. l'Econome est chargé du soin et de la direction de
tous les domestiques, quels qu'ils soient. Rien n'est plus
important dans sa charge : il assigne à chacun son travail de
chaque jour et de chaque heure, et veille constamment à ce




CH. V!. — L'ÉCONOME. 241


que tous soient appliqués à leur besogne, exacts et propres.
Il connaîtra donc à fond tous les règlements des domesti-


ques et leurs]di verses fonctions, afi n de les leur faire exécuter.
21° Il n'oubliera pas que la multitude des domestiques inu-


tiles ou inoccupés, non-seulement charge et quelquefois
écrase le budget d'une maison, mais nuit à l'ordre et au ser-
vice régulier de cette maison.


22° Il est aussi le directeur spirituel des domestiques: il
leur fait faire la prière matin et soir, leur dit la messe lui-
même, s'il est prêtre, leur fait les instructions et le catéchisme
à des époques régulières, et exige d'eux l'exactitude encore
plus là qu'ailleurs.


Il veille à ce qu'ils entendent la messe tous les jours; à ce
qu'ils assistent le dimanche aux vêpres, à l'instruction et au
salut du grand catéchisme. Il doit savoir le nom de leurs
confesseurs, et s'informer auprès d'eux si les domestiques
se confessent régulièrement : une petite retraite leur sera
donnée pendant les vacances ou vers la Toussaint, ou à Noël,
ou avant Pâques.


Dans ses instructions il cherchera à leur inspirer du dé-
voûment pour leur emploi et la pratique de l'obéissance.


23° Il ne les laissera sortir en ville que rarement et pour de
bonnes raisons bien connues, et il exigera qu'ils se pré-
sentent à lui en rentrant.


Voici sur la manière de se conduire avec les domestiques
une admirable page de Fénelon qu'un Économe, un Supé-
rieur, que tout chef de maison ne saurait trop méditer ; il ne
se peut rien de plus sage, de plus chrétien et de plus délicat :


« Il faut traiter bien ses domestiques, avec une autorité
« ferme et douce, un grand soin d'entrer dans leurs besoins,
« de leur faire tout le bien qu'on peut, de distinguer ceux
« qui méritent quelque distinction et de les attacher à soi
« par le cœur ; supporter leurs défauts, lorsqu'ils ne sont
« pas essentiels, et qu'ils ont bonne volonté de s'en corriger,
« se défaire de ceux dont on ne saurait faire d'honnêtes
« gens selon leur état.


« Parlez-leur, non-seulement pour donner vos ordres,
m. 16




242 LIV. II. — LES MAITRES.


« mais encore pour trois choses : 1° pour entrer avec affec-
« tion dans leurs affaires; 2° pour les avertir de leurs dé-
« fauts tranquillement; 3°pour leur dire ce qu'ils ont bien
« fait; car il ne faut pas qu'ils puissent s'imaginer qu'on
« n'est sensible qu'à ce qu'ils font mal, et qu'on ne leur
« tient aucun compte de ce qu'ils ont bien fait. Il faut les
« encourager par une modeste mais cordiale louange.


« Ne leur dites jamais plusieurs de leurs défauts à la fois ;
« vous les instruiriez peu, et les décourageriez beaucoup. Il
« ne faut les leur montrer que peu à peu. »


24° M. l'Économe doit prendre une autorité absolue, quoi-
que paternelle, sur tous les gens de la maison, et même sur
les fournisseurs et les ouvriers du dehors, afin que le service
de tous se fasse exactement et pr amplement : l'inexactitude
ou les lenteurs des domestiques ou des ouvriers étant si fâ-
cheuses pour une communauté qui marche toujours et n'at-
tend pas.


Il veillera surtout à ce qu'aucun domestique ne se re-
lâche sur les détails de la propreté, particulièrement pour
les dortoirs, lavoirs, tables de nuit, cabinet d'aisances, etc.
Il les visitera souvent, et à des heures irrégulières, au milieu
de leur besogne, pour les tenir en haleine, leur fera des
observations et leur donnera les avis nécessaires.


25° De plus, le lundi de chaque semaine, M. l'Econome
invitera M. le Supérieur à visiter la maison, afin qu'il s'as-
sure par lui-même si elle est parfaitement propre.


Chaque domestique devra être à son dortoir au moment
de la visite ; si M. le Supérieur ne peut venir, M. l'Econome
invitera M. le Directeur à cette visite, ou même la fera seul,
mais sans jamais s'en dispenser.


26° Enfin, tout ce qui concerne le temporel de la maison
étant confié au zèle et à la sollicitude de M. l'Econome, il
portera sa vigilance sur l'entretien du jardin et du parc, sur
les réparations et l'entretien des cours et bâtiments.


S'il remarque des réparations importantes à faire, il en
donnera avis à M. le Supérieur, et il les fera exécuter après
avoir pris son agrément.


27° Nul travail ne doit être commandé par qui que ce soit




CH. VII. — DES PROFESSEURS. 243


sans que le dessin du travail (grandeur, quantité, qualité)
ait été soumis à M. l'Économe, et par lui au Supérieur, ainsi
que le devis, et qu'ils l'aient approuvé ; et ils feront bien de
n'approuver jamais sans avoir pris les conseils nécessaires.


Si on ne suit pas ces principes, beaucoup de choses se
commanderont à la légère et seront autant de dépenses
inutiles.


28° La surveillance des ouvriers, des hommes de journée,
la manière dont ils emploient leur temps et dont ils font
leurs travaux, et enfin la réception régulière de ces travaux
sont chose d'une extrême importance.


29° M. l'Econome s'animera, au milieu de tant de soins,
par la pensée du noble but auquel tous tendent dans une
maison d'Éducation chrétienne, qui est de sauver des âmes,
former de bons prêtres, honorer l'Église et glorifier Dieu.


CHAPITRE T U


Des Professeurs.


Dans un premier volume sur la haute Éducation intellec-
tuelle, nous avons traité, avec le dernier détail, de la ma-
nière de faire et de gouverner une classe ; et nous avons été
même jusqu'à appliquer à chaque classe, en particulier, les
principes exposés d'abord par nous d'une manière générale.
C'est pourquoi nous n'ajouterons ici que quelques commen-
taires aux règlements qui vont suivre, afin d'appeler plus
spécialement l'attention sur certains points d'une particu-
lière utilité, notamment sur l'esprit avec lequel MM. les Pro-
fesseurs doivent exercer leurs fonctions.




244 U V . II. — LES MAITRES.


Règlement de MM. les Professeurs.


I


NOMBRE ET FONCTIONS GÉNÉRALES DE HAÏ. LES PROFESSEURS : ESPRIT


DE CES FONCTIONS.


1° MM. les Professeurs ont deux charges principales :
4° faire la classe; 2° veiller à la discipline générale de la
maison.


Ils exercent la première de ces charges sous la direction
immédiate de M. le Préfet des études, et la seconde sous la
direction immédiate de M. le Préfet de discipline.


Nous traiterons spécialement de cette seconde obligation
dans le chapitre relatif aux fonctions disciplinaires exercées
par tous les Maîtres.


Pour s'acquitter avec zèle et assiduité de ces deux fonc-
tions, MM. les Maîtres doivent souvent se rappeler qu'ils
peuvent exercer sur les enfants une influence immense, soit
en développant leurs facultés intellectuelles, comme profes-
seurs, soit en concourant à former leur caractère et à corriger
leurs défauts, encore comme professeurs, et aussi comme
présidents de récréations, d'études, de promenades, etc.


2° Il y aura un Professeur pour chaque classe ou division
de classe, savoir : un Professeur de philosophie, un Profes-
seur de sciences, un Professeur de rhétorique, un ou deux
de seconde, un ou deux de troisième, un, deux ou trois de
quatrième, cinquième, sixième, un ou deux pour les cours
élémentaires ou préparatoires.


11 y aura, de plus, un Professeur spécial d'histoire et de
géographie, pour la seconde, la rhétorique, et la philoso-
phie, qui formeront les cours supérieurs d'histoire. Pour les
autres classes, les leçons d'histoire et de géographie seront
faites par chacun de MM. les Professeurs.




CH. VII. — DES PROFESSEURS. 2i'ô


3° Quand une classe a plus de trente-six élèves, il y a deux
Professeurs, et la classe se divise, afin que les Professeurs ne
soient pas surchargés et que tous les enfants soient parfai-
tement soignés.


On tient essentiellement, dans les maisons d'Éducation
ecclésiastiques, à la division des classes nombreuses. Dans
notre système d'enseignement, nous exigeons du Professeur,
pour tous et chacun de ses élèves, tant de soins de détail,
qu'il nous paraît impossible qu'un seul homme y suffise,
s'il a des élèves au delà d'un certain nombre. D'ailleurs nous
n'admettons pas de différence, quant aux soins à donner aux
élèves, entre la tête et la queue d'une classe : nous voulons
que tous, les plus faibles comme les plus forts, soient égale-
ment suivis, interrogés et corrigés, et les faibles encore plus
s'il est possible que les forts : nous ne nous contentons pas,
pour ceux-là, de la simple assistance aux classes ; nous de-
mandons absolument au Professeur de se faire, de se dé-
vouer tout à tous.


Dans les classes supérieures, le dédoublement peut n'être
pas nécessaire, parce que les élèves ne sont plus des enfants
à qui une correction spéciale de leurs propres fautes soit in-
dispensable, mais des jeunes gens qui peuvent tous profiter
de la correction de quelques-unes des copies : la nature des
devoirs s'y prête d'ailleurs plus facilement ; mais pour les
classes inférieures, quand elles atteignent un certain chiffre,
il faut absolument les diviser.


Quelque pauvre que soit une maison, elle ne doit pas hé-
siter à se donner le nombre de maîtres nécessaires : c'est une
très-mauvaise économie que d'économiser là-dessus. D'abord
on écrase les maîtres, qui trop surchargés ou font mal leur
besogne, ou succombent, s'ils la font bien ; et puis, on né-
glige les enfants. Car, quel que soit le dévoûment des maî-
tres, il y a nécessairement des choses dont ils ne peuvent
venir à bout, s'ils sont trop peu nombreux : la nature hu-




246 LIV. II. — LES MAITRES.


mainc a des bornes; que l'on économise sur ce que l'on vou-
dra, mais pas sur ce point '.


4° Il y aura aussi des maîtres de langues vivantes, de des-
sin et de musique, qui seront aux frais et à la charge despa-
rents: ils pourront être externes, mais devront être choisis
avec le plus grand soin par.M. le Supérieur,


5 ° Le jour et l'heure de leurs leçons seront fixés par M. le
Préfet des études; ils s'engageront à être exacts et assidus.
M. le Préfet des études y veillera très-attentivement.


6° Ils rendront compte, chaque vendredi, par écrit, à
M. le Préfet des études, de la tenue, de la conduite et
des 4 progrès des élèves. Ces notes pourront être lues en
public avec celle des autres classes, si M. le Supérieur le
juge utile. De plus les notes de tous les cours supplémen-
taires se donneront régulièrement et solennellement une fois
par mois.


La raison de tout ceci est toute simple : du moment où
ces cours sont jugés utiles aux élèves et qu'ils les suivent, il
faut que maîtres et élèves y travaillent sérieusement, qu'il y
ait un contrôle exact du travail, et que les Professeurs de
ces cours puissent disposer comme les autres Professeurs
des moyens d'action et d'émulation nécessaires avec les
enfants.


7° MM. les Professeurs seront animés d'un grand zèle pour
la gloire de Dieu, pour le salut des âmes, pour l'intérêt de
l'Égli se et le bien moral, intellectuel et religieux de la maison.
Ils participeront à l'esprit de MM. les Directeurs, puisqu'ils
sont appliqués à la même œuvre.


Ces Messieurs doivent tous se proposer pour but de leurs
efforts le développement total, c'est-à-dire intellectuel, phy-
sique, religieux et moral des élèves ; car c'est à eux de


• Mais pas plus sur ce point que sur un autre, il no faudrait tomber dans l'excès.
J'ai connu une grande maison d'Éducation ou un nouveau Supérieur supprima
quinze maîtres inutiles, et chacun de ceux qui restaient n'en fit que mieux son
devoir.




CH. VII. — DES PROFESSEURS. 247


continuer l'œuvre de Dieu, de former Jes facuííés des enfants,
de les perfectionner, de les fortifier, de les polir ; en un mot,
de donner aux enfants toute l'éducation d'esprit et de
cœur, toute l'élévation de caractère dont ils sont suscep-
tibles


Il ne suffit donc pas à un Professeur, surtout s'il est
prêtre, de bien enseigner à ses élèves les langues latine,
grecque et française ; mais il doit se proposer un but plus
élevé, celui d'arriver, par l'enseignement de ces langues,
à étendre, élever, polir ei perfectionner toutes leurs fa-
cultes.


Un Professeur ne contribue pas moins puissamment qu'un
bon Préfet de discipline à corriger les défauts de caractère
de ses élèves.


Il connaît ces défauts mieux que personne, mieux que
les enfants ne les connaissent eux-mêmes ; mieux quelque-
fois que le confesseur, qui souvent ne sait que les fautes
sans en connaître le principe : le Professeur, au contraire,
prenant à tout moment les défauts sur le fait, peut dès lors
s'appliquer plus efficacement que personne à les combattre
et à les corriger.


Le confesseur et le Professeur concourent, chacun à sa
manière, au bien de l'enfant. Le premier guérit les plaies de
l'âme, attire la grâce, donne et entretient la vie surnaturelle ;
le second prépare pour cette vie surnaturelle des facultés
fortes et vives, un esprit droit, net et pur.


C'est encore le Professeur qui inspire l'amour du vrai ec
du beau, et par conséquent prépare à l'amour de la religion
et de la vertu ; c'est lui enfin qui, en fortifiant le caractère,
prépare la volonté à la pratique des devoirs et des vertus les
plus difficiles.


8» MM. les Professeurs auront entre eux beaucoup de cor-
dialité, et ils se feront part avec simplicité de leurs embarras,
de leurs bonnes idées, de leurs conseils. Ils auront la même




248 LIV. II . — LES MAITRES.


simplicité, la même confiance, la même ouverture de cœur à
l'égard de M. le Supérieur et de MM. les Directeurs. Ils
éviteront avec ceux-ci, aussi bien qu'entre eux, la suscepti-
bilité, les vaines délicatesses, les discussions vives, les pré-
tentions exigeantes, et tout ce qui pourrait troubler la paix et
altérer la confiance mutuelle.


L'esprit de support du prochain est toujours et partout
indispensable. On est destiné à vivre ensemble : chacun a
ses défauts, sa manière de voir, ses petites susceptibilités,
son caractère; donc, comme dit l'apôtre : Alter alterius
onera portate; il n'y a pas d'autre moyen de vivre heureux
et de faire quelque bien.


Ce n'est pas qu'il soit nécessaire, ni même à propos, d'être
toujours, pour ainsi dire, sur le qui-vive, pour ne blesser
qui que ce soit en paroles ni en actions ; sans doute il faut
veiller sur soi, et cette disposition part d'un bon principe,
mais souvent il en résulte une gêne mutuelle et une irrita-
bilité concentrée. Le mieux, sans contredit, est beaucoup
d'abandon et de cordialité.


9° Ils doivent enfin avoir pour les enfants une vraie ami-
tié, leur témoigner de la confiance, du plaisir à être avec
eux, se montrer leurs amis, leurs pères, se mêler beaucoup
à leurs conversations, à leurs jeux, sans aucune familiarité
déplacée, et éviter avec eux la dureté, la rigueur et les pré-
ventions, et surtout une sévérité décourageante.


II


RÈGLEMENT GENERAL POUR LA] DIRECTION DES CLASSES.


i" Outre les règles générales qui vont être tracées, MM. les
Professeurs devront étudier avec soin : 1° le plan des études;
2° la méthode pratique pour faire les classes ; 3° VOrdo dis-
cendi et docendi.




CH. VII. — DES PROFESSEURS. 2 4 9


Le premier devoir de MM. les Professeurs est de se con-
former rigoureusement au plan d'études adopté dans la
maison; ils n'y doivent rien changer sans l'agrément de
M. le Préfet des études.


Ils observeront exactement VOrdo discendi et docendi; et
se conformeront chacun avec un zèle intelligent à la mé-
thode pratique qui leur est indiquée pour leur classe.


2° Au commencement de chaque année et de chaque tri-
mestre, ils conviendront, avec M. le Préfet des études, des
auteurs à expliquer en classe, des auteurs à apprendre de
mémoire, des meilleurs ouvrages à étudier, traductions à
consulter, ne se serviront ainsi que de livres parfaitement
sûrs : très-particulièrement ils seront toujours fidèles à la règle
fondamentale de ne pas empiéter sur la classe supérieure.


3°Pour se donner sur leurs élèves l'autorité et l'ascendant
nécessaires, MM. les. Professeurs devront se montrer, avant
toutes choses, d'une grande impartialité pour tous, d'un ca-
ractère ferme, sans emportement, d'une humeur toujours
égale.


4° Nul Professeur ne manquera d'entretenir le zèle pour
le travail par tous les moyens d'émulation possibles, comme
cahiers d'honneur, notes de chaque jour, éloges, encoura-
gements, reproches, camps rivaux : ce soin est un de ses plus
grands devoirs. Mais il infligera bien rarement les punitions
qui abattent, et jamais celles qui flétrissent. Notamment
jamais de pensums.


5° Quelque faute que commette un enfant, M. le Profes-
seur ne le frappera jamais, et jamais ne lui adressera une
parole grossière: il n'infligerade punitions que très-rarement
aux enfants, aux plus jeunes seulement, et quand il sera ab-
solument nécessaire.


Tout ceci est de la dernière importance: un Professeur
qui néglige l'émulation laisse languir les âmes; un Profes-
seur qui insulte ou raille ses élèves ruine immédiatement son
autorité; un Professeur qui plaisante sans dignité se fait
mépriser; un Professeur qui frappe n'est plus qu'un plago-
sus : il doit se corriger ou quitter sa fonction.




250 L1V. II. — LES MAITRES.


6° Chaque classe doit être préparée avec un soin scrupu-
leux, tant pour Y explication que pour la traduction et même
la récitation.


Les devoirs à donner seront choisis d'avance; tous les de-
voirs seront corrigés, autant que possible, et tous les élèves
interrogés chaque jour.


Cet article dit assurément beaucoup en peu de paroles : la
préparation des classes et la correction des devoirs, que de
travaux secrets, que de petits et importants détails sont com-
pris dans cesïBux mots! Labeur intime qu'on ne voit pas,
qu'on ne peut pas contrôler, qui est abandonné k peu près
complètement à la conscience du Professeur ; mais qui ne l'en
oblige pas moins rigoureusement. Avec une bonne prépara-
tion, un Professeur même médiocre peut arriver à bien ensei-
gner : sans préparation suffisante, un Professeur, même ca-
pable, presque infailliblement fera mal s'a classe. C'est dans
ces devoirs secrets, abandonnés pour ainsi dire à la seule
conscience, qu'il importe surtout d'être consciencieux, de ne
pas craindre d'en trop faire, de ne pas croire trop facile-
ment qu'on en fait assez. La préparation d'une classe exige
toujours un soin très-sérieux; et quelque habitude qu'on
ait des matières, il ne faut jamais se présenter à ses
élèves sans avoir tout prévu, et d'avance bien arrêté ses ex-
plications, ses développements, et réglé le temps qu'il faut
donner à toute chose.


7° La récitation des leçons est le premier et un des plus
importants exercices de la classe. Elle exige du Professeur
une attention particulière.


Il sera bon de diviser la classe en deux camps rivaux, de
manière que chaque élève ait un adversaire désigné et de
même force que lui.


La récitation doit être rapide, non interrompue : elle de-
mande un ton naturel, une bonne prononciation. Les Pro-
fesseurs ont beaucoup a faire pour corriger tous les vices de




CH. VII. — DES PROFESSEURS. 251


prononciation que les élèves apportent de leur provinces ou
de leur village, et ils n'en viendront à bout qu'avec des efforts
persistants et toujours exempts d'ironie blessante.


Chaque élève devra réciter, sinon à chaque classe, du moins
tous les jours.


II ne fautpas admettre facilement les excuses; la difficulté
de la mémoire n'est d'ordinaire qu'un prétexte dont certains
élèves couvrent leur paresse.


Il y a des enfants en qui la mémoire paresseuse et têtue re-
fuse d'abord tout service, et paraît condamnée à une entière
impuissance. Il ne faut pas se rebuter aisément, ni céder à cette
première difficulté, que l'on a vue souvent vaincue et domp-
tée par la patience et la persévérance. D'abord on donne peu
de lignes à apprendre à un enfant qui est dans ce cas, mais
l'on exige qu'il les apprenne parfaitement. On tâche d'adoucir
la peine de ce travail par l'attrait du plaisir, en ne lui
proposant que des choses agréables, telles que sont, par
exemple, les fables de La Fontaine, les charmants contes de
Fénelon ou des histoires.


Un maître industrieux et zélé se joint quelquefois à son
disciple, apprend avec lui, se laisse quelquefois vaincre et
devancer, et lui fait sentir par sa propre expérience qu'il
peut beaucoup plus qu'il ne pensait : Possunt, quiaposse vi-
dentur. Les louanges et la douceur ont ici bien plus de force
que les réprimandes et la sévérité. A mesure qu'on voit
croître le progrès, on augmente par degrés et insensiblement
la tâche journalière. Par cette sage économie, on vient à bout
de surmonter la stérilité ou plutôt la difficulté naturelle de la
mémoire, et l'on est étonné de voir des jeunes gens de qui
d'abord l'on aurait été tenté de désespérer, devenir égaux à
tous leurs compagnons.


8° Le Professeur doit apporter le plus grand soin à me-
surer la quantité de devoirs nécessaire pour remplir le
temps d'étude accordé aux élèves. Il est d'expérience que




252 L1V. II. — LES MAITRES.


trop ou trop peu de devoir nuit également à l'application, en
amenant ou la précipitation et le dégoût, ou la perte du
temps.


C'est surtout à la classe de l'après-midi qu'il faut donner
le devoir, de manière à occuper la longue et importante étude
qui termine la journée.


9° Chaque élève doit apporter à chaque classe l'intégralité
du devoir et des leçons.


La première chose qu'un Professeur doit faire est de s'as-
surer que toutes les copies ont été remises, et que chacune
d'elles contient le devoir en entier. C'est surtout dans les
classes inférieures, et au commencement de l'année, qu'il
faut s'appliquer à établir sous ce rapport de bonnes habitu-
des, et stimuler particulièrement les élèves nouveaux, qui
n'ont point été formés jusque-là à un travail fixe et régu-
lier : il faut avec indulgence devenir inflexible sous ce
rapport.


Pour cela, ce n'est pas en classe même, comme dans cer-
taines maisons, mais avant la classe, à la fin d'une des études
qui précèdent, que les copies doivent être recueillies pour
être remises à MM. les Professeurs.


10° Nul élève ne doit oublier aucun livre ou cahier, ni au-
cun des objets qui lui sont nécessaires pour suivre la classe,
écrire les dictées, etc.


Il n'est besoin, pour obtenir cette régularité, que d'en don-
ner l'habitude aux enfants, et de se montrer exact, sévère
au besoin, et cela dépend toujours du Professeur.


En général, un Professeur doit s'attacher dès les premières
semaines à former chez ses élèves toutes les bonnes habitudes
qui assureront, pour le reste de l'année, l'ordre, la discipline,
l'exactitude, l'ensemble, sans lesquels une classe ressemble
quelquefois à un corps d'armée débandé et encombré de
traînards.




CH. V U . — DES PROFESSEURS. 253


Le soin matériel des cahiers et surtout des copies ne ré-
clame guère moins l'attention du Professeur et des élèves.
Chaque copie doit être propre et très-bien écrite; avoir une
marge de largeur convenable, et porter en tête les noms de
baptême et de famille de l'élève. Il convient même que l'en-
fant y mette habituellement une invocation ou une pensée
pieuse.


1 4 ° Chaque devoir doit être corrigé exactement et sans
délai. Rien n'importe plus à la bonne direction d'une classe
et aux progrès des élèves.


Omettre de corriger une partie des devoirs serait faire un
tort notable à la classe, et donner aux élèves la tentation de
se négliger en leur laissant espérer que tel devoir qui leur
déplaît ne sera pas corrigé, et que leur négligence passera
inaperçue.


En retarder la correction, c'est encombrer la marche
de la classe, et se mettre bientôt dans la nécessité d'aller
trop vite et de s'en tenir à la superficie des choses.


Il y a des Professeurs qui corrigent à fond toutes les co-
pies de leurs élèves et les leur remettent ainsi corrigées. C'est
un travail considérable. Un Professeur, à la rigueur, y est-il
obligé ? Je n'oserais le déclarer; mais ce qui est incontes-
table, c'est qu'un tel travail est infiniment utile aux élèves,
surtout aux plus faibles, et qu'on ne saurait trop louer et
trop admirer le zèle qui se l'impose librement. Un enfant
à qui l'on ne montre pas ses propres fautes, profite peu de
la correction générale qui est faite en classe : l'impossibilité
où est un Professeur de corriger ainsi en classe les devoirs
de tous est même une des principales causes de la faiblesse
d'un grand nombre; et je déclarerais, sans hésiter, la cor-
rection complète de toutes les copies obligatoire, si elle
était possible.


Mais ce que le temps ne permet pas toujours de faire dans




254 LIV. II. — LES MAITRES.


la classe, le Professeur peut s'imposer à lui-même la peine
d'y suppléer en dehors de la classe, — autant qu'il le peut, du
moins, et il le peut toujours, lorsque sa classe est dédoublée,
— par cette correction intégrale et à fond des copies, je le
répèle, il élèvera et formera véritablement ses élèves. C'est
ici qu'un Professeur ne doit pas trop compter avec sa peine,
ni mesurer trop strictement à ses élèves le temps qu'il leur
doit. Au'reste ce travail se peut faire bien plus aisément
qu'on ne le croirait d'abord. Sur la marge des copies, — la-
quelle doit être exigée à cause de cela assez large, — un pro-
fesseur exercé a bientôt indiqué les fautes, et refait les prin-
cipales phrases. C'est un moyen certain de se faire aimer,
admirer même de ses élèves, qui ne peuvent point n'être
pas touchés de tels soins. C'est par là qu'un Professeur se
montre véritablement leur maître, leur père et leur ami.


12° Le Professeur ne manquera jamais de dicter à ses
élèves le corrigé du devoir ; et il exigera que chacun d'eux
tienne en parfait état ses cahiers de corrigés.


Un Professeur doit tenir absolument à ce que ses élèves
aient des cahiers de corrigés en très-bon état. C'est une
preuve d'ordre, de soin et d'application : c'est un moyen de
succès. 11 excitera donc leur émulation et leur zèle sur cet
article, leur en faisant comprendre l'importance, soit au
point de vue des études elles-mêmes : la correction des de-
voirs, en effet, profite plus à l'élève qui soigne ses corrigés,
et les corrigés relus de temps en temps sont extrêmement
utiles ; soit à un autre point de vue encore. Ces cahiers,
s'ils sont propres, seront conservés par eux comme un sou-
venir qui aura un jour ses charmes : Forsan et hœc olim
meminissejuvabit. Et enfin on peut l'ajouter, la bonne tenue
des cahiers est toujours l'indice de qualités précieuses un
jour dans la conduite de la vie.


J'ai sous les yeux, au moment où j'écris ces lignes, des




CH. VII. — DES PROFESSEURS. 255


cahiers faits par un élève de rhétorique ayant pour profes-
seur M. Villemain : ces cahiers ne datent pas d'hier, comme
on voit; ils contiennent les devoirs corrigés et dictés par le
jeune professeur, depuis littérateur illustre et éminent aca-
démicien : ils sont encore dans un état de propreté parfaite.
Il est vrai que l'élève qui soignait si bien ses cahiers, depuis
ministre des travaux publics, et aujourd'hui encore membre
distingué de l'Institut, a toujours porté dans toutes ses
études et tous ses travaux l'esprit d'ordre et d'exactitude
qu'il avait étant écolier.


13° Après la correction du devoir dicté vient l'explication,
qui doit avoir lieu à chaque classe et avec la même exacti-
tude.


W Chaque leçon, devoir ou explication est immédiate-
ment suivie de la note méritée par l'élève et inscrite par le
Professeur.


11 importe extrêmement d'être très-exact sur ce point,
d'avoir toujours le crayon à la main, et de noter, à l'instant
même : on oubliera si on attend ; et l'élève qui est là, les
yeux fixés sur ce crayon, est mécontent si sa bonne note se
fait attendre, s'il ne la voit pas inscrire immédiatement, ou
trop content, si sa note est mauvaise et que le professeur
l'oublie.


'15° Chacun de MM. les Professeurs tiendra note exactement,
sur un cahier ad hoc, des devoirs de toute espèce qu'il aura
donnés en classe, d'un examen à l'autre, avec la date de
chacun d'eux, et ce cahier sera présenté à l'examen, pour
faire connaître à MM. les examinateurs la force des études,
et la marche, suivie dans chaque classe.


Les cahiers de dictées et de corrigés renfermant jour par
jour, classe par classe, tous les devoirs dictés par le Profes-
seur, ainsi que tous les corrigés de ces devoirs, on comprend
gue l'importance de ces cahiers est supérieure de beaucoup


à celle même des cahiers d'honneur.




256 LIV. II . — LES MAITRES.


16° Outre le cahier de dictées et de corrigés, que chaque
élève doit tenir très-proprement, bien écrit et cartonné, il
y a donc de plus dans chaque classe un cahier de dictées
et de corrigés destiné à prendre place dans les archives de
la maison. La tenue de ce cahier est surveillée par le Profes-
seur lui-même, qui désigne, pour le tenir, un élève intelli-
gent, soigneux, exact, qui ait une écriture propre, nette
et lisible.


Ce cahier est d'un format adopté, toujours le même, moins
grand que celui des cahiers d'honneur ; il est relié, propre-
ment et porte au dos le nom de la classe, la date de l'année,
et sur la première page le nom du Professeur.


Les cahiers de corrigés, tant celui de la classe que ceux
appartenant à chaque élève, sont ainsi tenus : le texte est
toujours placé en regard du corrigé ; le titre de chaque de-
voir est mis exactement ; la date se trouve en marge ou en
tête ; enfin l'orthographe française, latine ou grecque est
l'objet d'une attention particulière.


Tout ceci est d'une extrême importance ; et d'abord les
dictées ne doivent pas être prises au hasard : il est bon d'y
mettre, autant qu'on le peut, de la suite, et de les faire
d'après un certain plan, surtout dans les classes supé-
rieures.


On pourrait, par exemple, en seconde et en rhétorique,
les faire concorder avec les leçons faites aux élèves sur l'his-
toire de la littérature latine, et leur composer un recueil
excellent qui confirmerait ces leçons. On pourrait encore
accompagner les cours de littérature et de rhétorique d'une
suite de versions prises dans les grands rhéteurs de l'anti-
quité, tels que Cicéron et Quintilien, et qui constituerait une
sorte de littérature et de rhétorique latine ; ou bien encore
choisir une série de sujets moraux ; ou bien encore faire
passer sous les yeux des élèves les portraits des grands
hommes.


Les corrigés des thèmes sont tirés par le Professeur des
auteurs latins ou grecs, anciens ou modernes, des recueils




CH. V I I . — D E S P R O F E S S E U R S . 2 5 7


spéciaux, des anciens cahiers, ou mieux encore rédigés par
lui-même.


Le Professeur dicte tous les corrigés, lentement, surtout
pour les devoirs plus difficiles.


Si, pour un devoir facile, les élèves se contentent de pren-
dre des notes pendant la correction, et s'en servent pour re-
produire ensuite le corrigé préparé par le Professeur, le Pro-
fesseur doit revoir avec soin les cahiers, en faire relire tout
haut quelques-uns, etc.


Mais dicter avec soin est toujours plus sûr, et même plus
court.


17° Il y a dans chaque classe un cahier d'honneur, où tout
bon devoir peut être inscrit par l'élève qui en est l'auteur, et,
dans ce cas, il en doit être fait toujours mention aux notes.


Ce moyen d'émulation est un des plus puissants, des plus
utiles, parce qu'il est accessible à tous, parce qu'il n'y a pas
d'élève qui ne puisse, au moins dans quelque faculté, faire
quelque bon devoir, et être engagé par cette espérance à es-
sayerdes efforts véritables. Mais toute l'efficacité de ce moyen
d'émulation dépend de l'importance qu'y attache le Profes-
seur, et de son zèle pour les faibles comme pour les forts.


18° Non-seulement le cahier de dictées et de corrigés, ainsi
que le cahier d'honneur, doit être déposé sur le bureau, aux
examens trimestriels : mais, chaque semaine, il est remis au
Préfet des études, afin qu'il puisse apprécier la nature et le
choix des devoirs, le mérite des corrigés, et l'exactitude aux
diverses prescriptions des règlements sur les devoirs dictés.
C'est avant le conseil du dimanche soir que les cahiers de
dictées et de corrigés doivent être remis au Préfet des études
par le Professeur.


Parmi les cahiers de corrigés et les cahiers d'honneur,
ceux de la seconde et de la rhétorique ont une importance
particulière, et il n'y en a pas dans la maison auxquels M. le
Supérieur et M. le Préfet des études doivent tenir plus exac-
tement.


K . , III. 17




L1V. II . — LES MAITRES.


Les Messieurs, chargés de faire les examens, doivent re-
garder avec soin les divers cahiers déposés sur le bureau,
tant pour faire honneur aux élèves laborieux, que cela flatte
toujours, que pour activer le Professeur lui-même, qu'on
inspecte en réalité, en inspectant ces cahiers. Cette inspec-
tion et ce contrôle sont, sans contredit, un des moyens les
plus naturels et les plus efficaces de suivre la marche réelle
des classes.


49° A la fin de Tannée, les cahiers de dictées et de corrigés
sont déposés par le Préfet des études dans les archives. Ils
pourront ensuite être prêtés à MM. les Professeurs, qui y trou-
veront des modèles, et aussi, de temps en temps, des devoirs
tout prêts.


Mais chacun en répond à M. le Supérieur.
20° MM. les Professeurs doivent exiger de leurs élèves le


plus grand soin pour la tenue des cahiers, comme pour la
propreté des copies.


M. le Supérieur et M. le Préfet des études ne manquent
jamais de regarder de très-près ces copies, qui leur donnent,
chaque semaine, des renseignements précieux sur chaque
classe.


21° Un de leurs premiers devoirs, c'est d'entretenir pour
les devoirs d'académie une ardeur soutenue. Ces devoirs
devront toujours être prêts pour l'époque indiquée d'avance
par M. le Préfet des études, et par conséquent ne seront
jamais un prétexte de se dispenser de l'assistance aux exa-
mens.


22° Us auront soin, pour ce qui concerne les examens, de
présenter leurs programmes à M. le Préfet des études quinze
jours à l'avance, et de les distribuer à MM. les examinateurs
huit jours avant l'examen.


23° Ils feront composer exactement chaque semaine, pen-
dant le temps assigné pour cela, et ne se permettront jamais
de changer ni l'heure, ni l'ordre, ni le mode des composi-
tions.


Ils ne peuvent dispenser aucun élève de la composition,
ni la lui faire faire avant ou après les autres. Tout enfant qui
la manque sans une nécessité reconnue pour telle par M. le




CH. VII. — DES PROFESSEURS. 259


Supérieur ou par M. le Préfet des études, est mis le dernier,
ét mention en est faite sur le cahier des places.


2£° Chaque semaine, ils remettent à M. le Supérieur, le
samedi avant midi, quelques-unes des copies de la composi-
tion, c'est-à-dire les trois premières, les trois dernières et
deux du milieu.


De tous les moyens d'émulation, les compositions de cha*-
que semaine sont sans contredit le plus actif, le plus puis-
sant. Elles transforment les études en une lice toujours ou-
verte,, en u a concours permanent, et mettent les jeufies
combattants dans la nécessité de se tenir toujours prêts pour
la lutte. Rien n'est plus propre à animer les esprits généreux
que l'alternative de succès et de revers qu'amènent les com-
positions. Mais la parfaite impartialité, l'exacte justice du
Professeur dans la correction des compositions et le classe-
ment des devoirs doit être tellement connue des élèves, qu'il
ne s'élève jamais un doute sur ce point dans leur esprit : au-
trement les compositions perdraient à l'instant même ce qui
en faitde si excellents moyens d'émulation.


25° MM. les Professeurs donneront un soin spécial à la
préparation des examens trimestriels; et à la rédaction des
bulletins envoyés aux parents à la fin de chaque trimestre.


Inutile d'insister sur ces deux points ; il y a là des né-
cessités et des convenances de premier ordre.


26° Tous les samedis, il est rendu compte en public des
notes données par MM. les Professeurs et par MM. les Pré-
sidents d'étude sur le succès, le travail et la conduite des
enfants. Aucun Professeur ne. peut s'absenter de cet exercice
sans la nécessité la plus absolue et sans l'agrément exprès
de M. le Supérieur. Les cahiers de notes sont exactement
remis à M. le Supérieur à une heure fixée.


Ces notes doivent être, suivant le besoin et la force des en-
fants, données d'après le tarif approuve, de manière à ce
qu'elles soient proportionnées aux efforts, au travail, aux




260 LIV. II. — LES MAITRES.


succès de chaque enfant, et que les capacités différentes ne
soient pas taxées d'après des notes uniformes. Elles doi-
vent être tempérées par l'indulgence, ou dictées par una
exacte justice. Il faut y éviter également une sévérité décou-
rageante ou une indulgence excessive. Les chiffres sont de
leur nature rigoureux, mais les observations écrites en
tempèrent la rigueur ; celles-ci doivent être fréquentes, ré-
digées avec simplicité, précision, et présenter un mélange
de dignité et de douce familiarité.


Les élèves ont le sentiment profond de la justice, et discer-
nent très-bien quand on est juste à leur égard, ou quand on
ne l'est pas. Je ne dis pas qu'ils soient désintéressés dans
toutes leurs réclamations et qu'il faille toujours les écouter ;
je dis qu'en général ils ne se trompent guère dans leur sen-
timent intime et les appréciations de leur conscience. Aussi
est-il extrêmement important d'être toujours juste à leur
égard. Une injustice quelquefois peut suffire pour gâter sans
remède les bonnes dispositions d'un enfant, pour l'irriter et
le déranger sans retour. Toutefois, il faut bien entendre que
cette justice n'exclut pas, exige même l'appréciation équi-
table que nous indiquions tout à l'heure, cette attempération
des notes au caractère, aux moyens, aux efforts, ou même
aux résultats bons ou mauvais qu'on peut prévoir de telle
indulgence ou de telle sévérité. Il ne s'agit pas ici d'un con-
cours rigoureux, où tout se compte et se pèse exactement. Des
notes ne se donnent pas comme on marque les fautes. C'est
une affaire de justice, mais aussi de tact et de zèle intelligent.


27° On aura soin de former les élèves aux bons procédés
et à la politesse entre eux; on leur interdira en conséquence
les contestations amères, les paroles dures ou vives, les so-
briquets, les plaisanteries de mauvais goût.


Que dire si le Professeur, cela s'est vu, se les permettait
lui-même?




CH. V I I . — D E S P R O F E S S E U R S . 261


Dans les Petits Séminaires, nous interdisons même le tu-
toiement.


28° Pour les accoutumer à la bonne tenue, en un mot, pour
les former à une bonne Éducation, M. le Professeur leur en
fera observer les règles, particulièrement à son égard, ne to-
lérant en classe aucune infraction à l'inviolable respect qui
lui est dû.


MM. les Professeurs n'étant pas seulement responsables de
l'emploi du temps, des succès et du développement des fa-
cultés des élèves, mais aussi de leur bon esprit, de leur ca-
ractère, de leurs mœurs, de leur vocation même, le langage
de la plus haute éducation ne sera pas étranger à la classe.
Le langage même de la piété y sera quelquefois entendu :
elle leur sera présentée comme le mobile le plus noble et le
plus puissant de leur travail, de manière à laisser reparaître
quelquefois le prêtre à la place du professeur.


29° M. l'Économe ne fournira aucun livre aux élèves que
sur la signature de MM. les Professeurs et sous leur respon-
sabilité. Quant aux objets de bureau qui sont confiés à leurs
soins et qu'ils distribuent aux enfants, ils ne les donneront
qu'avec discrétion et en empêcheront le gaspillage.


30° MM. les Professeurs doivent être toujours en classe
avant les élèves, pour prévenir toute dissipation et toute perte
de temps.


Toute HABITUDE de retard, de négligence sur ce point in-
dique un homme qui a ou peu d'ordre, ou peu de zèle, et en
somme, un pauvre homme.


3i° Après la prière, sans s'arrêter lui-même et sans jamais
permettre à aucun élève, sous aucun prétexte, de s'arrêter ou
de causer dans la classe, M. le Professeur reconduit ses élèves
à l'étude.


32° Quand MM. les Professeurs ont à l'infirmerie quelques-
uns de leurs élèves, ils ont soin d'aller chaque jour, après la
classe du matin, leur faire une petite visite, s'informer s'ils
sont capables de quelque travail, ce qu'ils peuvent faire, et




262 LlV. II. — LES MAÎTRES.


leur donner, s'il y a lieu, un petit devoir, suivant leurs forces.
33° MM. les Professeurs ne feront jamais sortir un élève du


lieu de la récréation, et surtout de la salle d'étude, sans des"
raisons vraiment graves ; ces sorties doivent être très-courtes
et très-rares, à moins d'une autorisation formelle de M. le
Supérieur: et, en tout cas, il faut que l'élève ait l'agrément
de M. le Président, et que le Professeur vienne en personne
chercher l'enfant; il devra ensuite le reconduire de même.


Il faut observer strictement la règle sur ce point, et ne pas
craindre de se déranger et de quitter sa chambre. En fait de
discipline, rien ne doit être abandonné aux élèves, et quelle
que soit la confiance qu'on ait en eux, il vaut encore mieux
ne s'en rapporter qu'à soi-même, et leur éviter toute occasion
de dissipation et de désordre.


CHAPITRE mu
Les Présidents de discipline.


DES FONCTIONS DISCIPLINAIRES EXERCEES PAR MM. LES PROFESSEURS
ET AUTRES MAÎTRES.


Nous l'avons dit : dans l'Éducation, on n'a pas toujours
de la discipline l'estime qu'il faut en avoir, on ne comprend
pas assez tous les fruits qu'elle opère.


Cependant, telle est son importance, que rien n'y peut
suppléer. Il faut le redire toujours :


La discipline est la protectrice de la piété et de la foi des
élèves, la gardienne des mœurs, lé gage des fortes études,
l'inspiratrice du bon esprit, la conservatrice de la docilité,




CH. VIII. — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 263


§ I. — QUELQUES AVIS ET PRINCIPES GÉNÉRAUX TOUCHANT


LA DISCIPLINE.


1 ° Qu'on soit de présidence ou non, ne jamais permettre
en sa présence un désordre quelconque: ce serait trahir la
règle, trahir la maison, se manquer à soi-même. Il faut
même, si Un enfant se trouve en dehors de la règle,-lui de-
mander toujours ses motifs, et ne pas le supposer autorisé.


Si ce point capital était bien observé, l'ordre disciplinaire


du respect, de Vaffection même; la maîtresse, la dispensa-
trice, la trésoriere du temps; le nerf de tout le règlement, et,
quand il le faut, le vengeur des infractions.


La discipline est quelque chose de si essentiel à l'Éduca-
tion, que l'en détacher sur aucun point serait priver l'Éduca-
tion de son soutien le plus ferme, et peut-être faire manquer
tout son travail. Sans discipline, nul ne saurait concourir à
l'Éducation que d'une manière très-imparfaite, et qu'avec
ies chances de succès les plus incertaines.


C'est pourquoi dans les maisons d'Éducation ecclésias-
tiques, la discipline n'est pas seulement l'affaire d'un seul :
tous les maîtres y participent.


Tous, professeurs ou autres, s'acquitteront donc, avec tout
le zèle possible, des fonctions disciplinaires qu'ils auront
à remplir.


Pour en comprendre l'esprit, ils auront soin de lire d'a-
bord avec grande attention les traités et règlements disci-
plinaires, adoptés et consacrés dans la maison.


Ils devront lire également le règlement général, qui peut
seul les bien mettre au courant de tout ce qui se fait ou doit
se faire, de tout ce qui est permis, ordonné ou défendu.


Enfin ils étudieront soigneusement les règles particulières
qui suivent :




264 L1V. II. — LES MAITRES.


de la maison serait assuré ; et l'actionne ceux qui sont char-
gés plus officiellement de la discipline, ne paraîtrait jamais
odieuse.


2° Toutes les fois qu'on met soi-même un élève en dehors
de l'ordre commun, il faut toujours l'accompagner ou le faire
accompagner, à moins que l'enfant ne soit un de ceux qui
ont été autorisés à aller seuls par M. le Supérieur, en conseil.


Laisser plusieurs enfants seuls, chez soi ou ailleurs, sous
prétexte qu'on les croit sûrs, ne saurait être admis; l'erreur
est trop facile, et les conséquences pourraient être trop dé-
plorables.


3° De même MM. les maîtres ne mettront jamais un élève à
la porte du lieu où ils président, de peur qu'il ne s'échappe,
et ne rencontre quelque autre élève: ils auront recours à
M. le Préfet de discipline et l'enverront prier par un billet de
venir prendre l'élève indiscipliné.


4° Quand on est chargé d'une présidence quelconque, d'é-
tude, de dortoir ou autre, il faut aller chercher les enfants à
l'endroit où ils se trouvent,' et les reconduire jusqu'à ce
qu'on les confie à un autre Président ; c'est le seul moyen de
maintenir le silence dans les mouvements et les passages.


-5° Du reste, quelque faute que commette un enfant, M. le
Professeur n'infligera pas de punition tout à fait grave sans
en prévenir M. le Préfet de discipline. Être au pain sec en-
tièrement à un repas, être mis à genoux dans quelque en-
droit où la communauté entière est réunie, sont du nombre
des punitions regardées comme graves, dont il s'agit ici.


6° Tout Professeur doit apporter une ponctualité parfaite
à tout devoir disciplinaire, pour le temps et le lieu, être à
son poste toujours le premier, et à la minute.


Le bénéfice de cette exactitude précise et constante est de
n'abandonner jamais les enfants seuls à eux-mêmes, de pré-
venir ainsi une multitude de fautes qu'ils sont portés à faire
en l'absence des maîtres, et d'établir le régime préventif,
mille fois préférable au régime répressif.


Cette exactitude est de tous les instants, pour l'étude, la
classe, la récréation, les repas, les exercices de piété : sur-




CH. VIII. — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 265


tout pour la lecture spirituelle, qui est le moment capital de
la journée, celui où se forme l'esprit des enfants, l'esprit
même de toute la maison, et qui a pour objet de donner
l'unité d'impulsion à tous, maîtres et élèves.


7° Tous les maîtres doivent assister également à la prière
du soir, et accompagner ensuite les élèves jusqu'aux dor-
toirs, veillant très-attentivement au bon ordre, et au respect
du grand silence.


8° Quant aux sorties de ces Messieurs et rapports extérieurs
qui sont nécessaires, ils ne doivent jamais avoir lieu au pré-
judice des devoirs et des fonctions qu'ils ont à remplir dans
la maison.


Ces Messieurs ne sortent donc jamais à des heures où ils
doivent être présents à un exercice, à moins d'avoir obtenu
l'agrément de M. le Supérieur; et s'ils ont à remplir quelque
fonction, ils doivent en outre se faire remplacer convenable-
ment.


S'ils devaient rentrer après neuf heures du soir, ce qui ne
peut être que très-rare, ils auraient besoin d'une autorisation
particulière.


9° Lors même qu'ils ne sont retenus dans la maison par
aucun devoir spécial, il n'est pas convenable qu'ils s'en
absentent sans avoir averti M. le Supérieur.


Il faut, d'ailleurs, éviter les sorties trop fréquentes, ou
trop nombreuses à la fois, tant pour soi, afin de ne pas s'ex-
poser à la dissipation, sous prétexte de distraction, que pour
les enfants, auxquels il faut montrer qu'on prend goût et
intérêt à vivre avec eux, et qu'on ne cherche point à les fuir
ou à se dédommager ailleurs.


40° Dans l'intérieur de la maison, ils s'abstiendront de
causer devant les élèves, soit dans la cour, soit dans les ga-
leries, soit dans les corridors et les escaliers, pendant le
temps du silence de la communauté, et surtout pendant le
temps des exercices de piété; et même en l'absence des
élèves, quand on n'est pas en récréation, ils doivent s'abste-
nir d'y parler haut.


Sans l'exacte observation de ce point important, il n'y a
pas d'ordre, d'autorité, de respect et de discipline possible
dans une maison.




266 LIV. I I . — LES MAITRES.


§ N . ' — CHARGES PARTICULIÈRES DE MM. LES PRÉSIDENTS


D'ÉTUDE.


I


PRESIDENCE DE L'ÉTUDE.


MM. les Présidents d'étude sont les premiers après "M. le
Préfet de discipline, dans l'ordre des fonctions discipli-
naires.


Ils ont le titre de sous-préfet de discipline, et prennent
rang dans la maison : le Président de la première étude
après M. le professeur de seconde, le Président de la se-
conde étude après M. le professeur de troisième, le Président
de la troisième étude après M. le professeur, de quatrième.


L'importance de leur charge, l'autorité dont ils ont be-
soin d'être revêtus aux yeux des élèves, leur assignent cette
place et ce titre.


1° M. le Président d'étude est chargé de veiller à ce que
le silence le plus absolu et le bon ordre, en môme temps
que le travail, régnent dans la salle d'étude.


Tout se tient dans l'Éducation. Si MM. les Professeurs
n'occupent pas leurs élèves à l'étude, l'étude deviendra très-
difficile à tenir ; et si les Présidents d'étude ne savent pas
faire travailler les enfants, les classes en souffriront déplo-
rablement. Nous disons, faire travailler; car la fonction d'un
sérieux Président d'étude ne se borne pas à exiger le silence
et un ordre matériel; il doit de plus exiger positivement le
travail, et même le diriger au besoin ; c'est-à-dire ne pas re-
fuser à un élève un renseignement, une explication, une
rectification de texte, etc., toutes choses auxquelles souvent




CH. VIH. — LES .PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 267


un mot suffit, mais mot indispensable à l'élève, et sans
lequel l'élève travaillera sans fruit et perdra son temps. II
faut môme, avec les jeunes enfants, aller au-devant de leurs
besoins et les prévenir souvent sous ce rapport.


2" Un moyen capital pour obtenir le travail aussi bien que
le silence, c'est de faire avec habileté le placement des en-
fants, de manière aprevenir tout rapprochement funeste, à
fortifier au contraire les faibles par les forts, et à combiner
si bien le tout, qu'il n'y en ait pas un qui ne soit entouré de
bons exemples.


Cest l àun des grands secrets pour bien diriger une étude,
et ce n'est pas difficile dans une bonne maison : il faut seu-
lement connaître à fond les enfants et y regarder constam-
ment de près.


C'est pourquoi M. le Préfet de discipline fait lui-même les
placements à l'étude, de concert avec M. le Président, et après
en avoir soumis le tableau à M. le Supérieur. Dans le cours
de l'année, M. le Président d'étude n'y fera pas de change-
ment permanent sans avertir, avant ou après, M. le Préfet de
discipline et M. le Supérieur.


3" M. le Président ne s'absentera jamais delà salle d'étude
sans un motif très-grave : les élèves-présidents sont occupés
de leurs devoirs, et, d'ailleurs, n'ayant qu'une autorité se-
condaire, il serait dangereux pour tous de les en laisser user
trop souvent.


4° M. le Président sera TOUJOURS arrivé le premier et sorti
le dernier : ayant soin qu'il y ait le moins possible de temps
perdu, tant au commencement qu'à la fin des études; et pour
cela, il doit éviter, surtout en ce moment, de s'entretenir en
particulier avec aucun élève : son attention doit alors être
fixée sur tous.


Il doit veiller particulièrement à ce que la tenue des élèves,
pendant la prière, soit respectueuse : pour cela, il aura
soin, avant de la commencer, que chacun soit convenable-
ment placé, que tous les livres soient serrés, et que toute
préoccupation ou dissipation ait cessé.




268 LIV. I I . — DES MAITRES.


5° Il doit se trouver à l'étude très-exactement à la sortie
et à l'entrée des classes : à la sortie, pour recevoir les élèves
qui viennent déposer leurs livres dans leurs pupitres, et les
envoyer en récréation ; à l'entrée, afin de les mettre succes-
sivement en rang et en marche chacun pour sa classe.


6° Il ne parlera PRESQUE JAMAIS à haute voix, pour les avis
qu'il aurait à donner : cela trouble tous les enfants pour un
seul ou pour un petit nombre qu'il faut avertir. Rien ne serait
plus propre à faire perdre en peu de temps presque toute au-
torité à M. le Président : c'est un fait constaté par l'expérience.
Il avertira donc de sa chaire par signes, ou bien se transpor-
tera là où son avertissement est nécessaire. S'il a un avis
public absolument indispensable à donner, il le donnera ;
mais toujours en très-peu de mots, bien préparés, avec la
plus grande convenance, et évitant toute expression capable
d'irriter ou de dissiper les enfants.


Quant à reprendre publiquement un enfant ou un dé-
sordre particulier, il ne le fera jamais à moins d'une circons-
tance extraordinaire. Le moyen de conserver son autorité,
c'est de la ménager.


M. le Président rie doit pas non plus faire de sa chaire une
tribune d'annonces pour les objets trouvés ou perdus : cela
est incompatible avec la dignité de l'étude et même avec celle
de M. le Président.


7° M. le Président ira souvent, pendant les études, visiter
à l'improviste les quartiers où sont les élèves les plus dissi-
pés et les moins laborieux. Il doit TRÈS-DIFFICILEMENT per-
mettre aux élèves de parler à leurs voisins ou de se trans-
mettre différents objets. Tout cela trouble et dérange
étrangement l'étude. Les enfants en abusent pour causer, se
passer des devoirs tout faits, des livres, etc.


8° Un des devoirs, et une des fonctions les plus utiles de
M. le Président, c'est de visiter très-souvent, au commence-
ment de chaque étude, les enfants des dernières classes et
les paresseux des autres classes, pour les mettre en train,
regarder si quelque instrument de travail ne leur manque
pas, y pourvoir et s'assurer qu'ils ne demeurent pas oisifs,
ou occupés à des choses étrangères. Il faut les revoir encore
vers le milieu de l'étude : enfin, il faut les visiter souvent
et les convaincre qu'on a toujours les yeux sur eux ; et,




CH. VIII. — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 269


outre les notes de chaque semaine, il faut les noter de temps
en temps, et quelquefois tous les jours, auprès de leur pro-
fesseur.


9" M. le Président veillera, en général, sur les lectures de
tous, ayant soin d'interdire toute lecture avant que le travail
de classe soit achevé, et ne permettant de lire que les
seuls livres autorisés par MM. les professeurs ou confes-
seurs : cette autorisation se donne toujours par écrit et se
conserve dans le livre pour être présentée au besoin.


On ne saurait trop tenir à cette règle, autrement les
enfants font des lectures qui ne leur conviennent pas, et per-
dent leur temps. Le choix des lectures n'est pas moins im-
portant pour la nourriture de l'esprit, que celui des ali-
ments pour la nourriture du corps.


10° 11 prendra garde surtout à ce que nul ne fasse usage de
livres, même bons, qui ne porteraient pas le timbre destiné
à constater qu'ils sont approuvés.


41° Il confisquera tout livre qui ne se trouvera pas dans
ces conditions, et en fera immédiatement son rapport à
M. le Supérieur, ou à MM. les Préfets des études et de disci-
pline.


M. le Président d'étude doit bien savoir et n'oublier jamais
que les lectures frivoles ou dangereuses sont un des périls
les plus grands des maisons d'Éducation; que dans les
meilleures, quelquefois, de mauvais livres sont parvenus à
s'introduire, et que de toutes les responsabilités d'un sur-
veillant, celle-là peut-être est la plus grande.


42° Il ne laisse sortir aucun enfant de l'étude, pour aller
chez MM. les Directeurs ou Professeurs, sans que celui de ces
Messieurs qui désire lui parler vienne le demander lui-même.
Si ce Directeur ou ce Professeur doitgarder l'enfantune par-
tie de l'étude, il en préviendra M. le Président, et lui fera part
de la permission nécessaire de M. le Supérieur.—Ces absences
doivent être très-rares et très-motivées ; en tout cas l'élève
sera toujours reconduit par le maître qui l'a demandé.


•l 3° M. le Président ne permet de sortir pour les lieux com-




270 LIV. II. — LES MAITRES.


muns sauf indisposition réelle, qu'à la première étude du
matin, à la dernière heure de l'étude du soir et de toutes
celles qui durent plus de deux heures ; et jamais deux enfants
en même temps.


Il faut accoutumer les enfants à prendre leurs précautions
à l'avance.


14° En tout et toujours, M. le Président d'étude doit con-
server vis-à-vis des élèves une attitude grave et simple, évi-
tant par-dessus tout de causer avec eux pendant le travail,
de les reprendre a b irato, de les menacer : tout en lui doit
respirer une sage et ferme modération, qui commande le
respect.


Les enfants s'aperçoivent immédiatement d'un mouvement
de colère, de l'impatience d'un homme qui ne sait pas se
posséder, et s'en font un jeu. Le sang-froid et la calme pos-
session de soi-même sont ici tout à fait indispensables.


Pour cela, l'on doit agir plus que parler, prévenir plus que
réprimer, et faire sentir à tous une autorité paternelle, vigi-
lante, sévère au besoin, mais sans heurter les caractères
difficiles.


15° Enfin, il doit s'appliquer à posséder son étude et à en
connaître à fond les dispositions personnelles et matérielles.


11 est inutile d'ajouter que tous les besoins matériels, l'é-
clairage à temps, le balayage, les réparations de tout genre,
le chauffage, seront prévus par lui de manière que rien ne
souffre dans la salle d'étude.


16° Ses rapports avec MM. les professeurs doivent être
pleins d'obligeance. Il les servira de toute manière auprès de
leurs élèves, autant qu'il dépendra de lui, et que cela se
pourra concilier avec l'ordre et la règle de son étude, qu'il
doit, avec prudence et fermeté néanmoins, toujours faire
prévaloir par-dessus tout.


47° Enfin il préside toutes les récréations et doit se trou-
ver à tous les mouvements généraux. II. assiste aux prome-
nades extraordinaires.




CH. VIII. — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE.


II


PRESIDENCE DE LA RÉCRÉATION.


Toutes les récréations sont présidées par M. le Président
d'étude, assisté de M. le professeur de semaine. — M. le Pré-
fet de discipline en a la haute surveillance, comme de tout
ce qui concerne le bon ordre de la maison, et ainsi qu'il a
été dit dans son règlement; mais la présidence en appartient
à M. le Président d'étude, et il l'exerce conformément aux
règles suivantes :


4° Le Président de chaque cour veille à ce que la porte, qui
a dû être fermée par le réglementaire, aussitôt que le der-
nier élève est arrivé, demeure exactement close, et il en
porte toujours la clef sur lui, afin de pouvoir l'ouvrir au
besoin.


Les portes fermées, c'est la meilleure des précautions : tous
les maîtres doivent le comprendre, l'accepter, ets'yassujetir
avec scrupule.


2 ° Il empêche avec grand soin les jeux de mains, les fami-
liarités inconvenantes, les fréquentations assidues des mêmes
enfants.


Les rapports des enfants entre eux demandent de la part
du Président des observations très-attentives.


La maxime nunquam duo doit être par lui perpétuellement
rappelée.


Il doit avoir l'œil particulièrement ouvert sur deux choses,
les amitiés particulières et les familiarités inconvenantes.


Ces amitiés, qu'on appelle particulières, et que saint Au-
gustin appelait amicitias inimicissimas, le Président doit




272 L1V. II. — LES MAITRES.


savoir les découvrir, les deviner, les suivre, les désoler au
besoin par sa vigilance et sa clairvoyance.


Le désordre des jeux de main, querelles ou familiarités
inconvenantes, doit être réprimé à l'instant. Un Président ne
peut en être témoin et les laisser continuer, ou bien, il
abdique. Sa seule présence devrait les empêcher ; mais s'il
n'a pas même la force de les arrêter quand elles se produisent
sous ses yeux, c'est un homme qui ne compte plus pour la
discipline.


Règle générale, déjà proclamée : ne voyez jamais le désor-
dre sans le reprendre. Je dis reprendre, et non point punir.
Une punition peut et doit même souvent se différer. Punir
sur-le-champ n'est presque jamais bon. Savoir attendre
est souvent une grande force pour soi et un grand bien pour
l'élève. Mais avertir , reprendre, au besoin, est toujours
utile.


3° Il s'applique particulièrement à surveiller les environs
des cabinets d'aisance, les endroits retirés : si la récréation
se prend dans les salles ou sous les hangars, sa vigilance
doit surtout se porter sur les sorties, les alentours des lieux
communs, et pour l'intérieur des salles, sur la règle nun-
quam duo.


4° Il a soin qu'aucun enfant ne reste en place et sans mou-
vement; il excite les jeux et les met en train.


11 se mêle dans les groupes, entretient le bon esprit des
conversations. C'est le meilleur moyen d'appliquer la grande
maxime : prévenir le mal, plutôt que le réprimer.


S'il aperçoit quelque enfant malpropre, il l'envoie se net-
toyer sous la conduite d'un élève sage et ad hoc autorisé.


5° Il s'applique à former les enfants à la politesse en-
vers leurs maîtres, envers les étrangers, et entre eux-
mêmes.


La politesse est la marque extérieure du respect; c'est le
vernis de la bonne Éducation; c'est ce qui frappe le plus les
étrangers qui ne font que visiter une maison en passant. Il
importe d'ailleurs d'accoutumer aux formes extérieures du




CH. Vili. — LES PRÉSIDENTS DB DISCIPLINE. 273


respect; c'est un moyen efficace d'inculquer le respect lui-
même.


L'impolitesse vient sans doute de la légèreté chez les en-
fants, mais souvent aussi d'une habitude d'orgueil, d'une
pensée habituellement personnelle, orgueilleuse, hautaine,
Les instituteurs religieux de la jeunesse n'y regarderont ja-
mais de trop près.


La grossièreté collégienne est même devenue un type, un
adage. Je n'hésite pas à dire qu'il faut lui déclarer une vive
guerre. Un élève d'une maison d'Éducation chrétienne ne
doit avoir rien de ce qui s'appelle le genre collégien.


6° Les élèves ne doivent jamais sortir du lieu de la récréa-
tion, si ce n'est pour le parloir, et dans le cas de quelques
accidents qui compromettraient la santé ou les conve-
nances : dans ce cas, le Président de récréation donne seul
la permission. M. le professeur, et M. le Préfet de discipline
lui-même devront lui adresser les élèves qui auraient quelque
permission à lui demander.


Aucun maître ne peut faire sortir un élève de la récréation
pour lé mener se promener avec lui dans le parc ou à l'écart,
si ce n'est pour quelques moments, et avec la permission de
M. le Supérieur.


Le Président se montre extrêmement difficile pour per-
mettre de monter dans la maison ; et pour qu'un enfant
obtienne exceptionnellement la permission d'aller chez un
Directeur, il faut qu'il soit demandé nommément par lui.


Le Président ne laisse aller seul un enfant dans la maison
que s'il est digne de toute confiance et autorisé comme tel par
M. le Supérieuren conseil; autrement, il le fait accompagner;
encore doit-il le munir d'un billet attestant la permission.


7° M. le Président de récréation ne s'absentera du lieu de sa
présidence que dans un cas indispensable, et jamais sans
avoir prié quelqu'un de le remplacer très-exactement jusqu'à
son retour.


t . , m.




274 t I V . II. — LES MAITRES.


8° Dès que la cloche annonce la fin de" la récréation, le
Président ouvre promptement la porte et veille à ce que
chaque enfant aille se placer à son rang, croisant à l'instant
les bras, et que la communauté défile ainsi, deux à deux, en
rang et en silence.


§ III. — CHARGES PARTICULIÈRES DE M. LE PROFESSEUR


DE SEMAINE.


1° M. le Président d'étude ne pouvant suffire seul à la sur-
veillance des récréations, MM. les Professeurs sont chargés
tour à tour de cette surveillance, et simultanément avec lui et
sous sa présidence ; ils partagent toute sa sollicitude et ses
soins à l'égard des enfants.


Il est même dans l'esprit de leur règlement qu'ils assistent
le plus possible aux récréations qu'ils ne surveillent pas.


Cette surveillance des récréations est très-importante et
réclame tout le zèle et toute l'attention de MM. les Profes-
seurs.


Nous exposerons, au chapitre des fonctions simultanées,
les graves raisons pour lesquelles les Professeurs doivent
prendre leur part de la discipline et de la surveillance des
récréations : nous dirons seulement ici que sur ce point il
ne faut que très-difficilement admettre des privilèges ; au-
trement, et si quelques Professeurs sont dispensés de leur
semaine, les autres sont portés à regarder la leur comme
une charge, quelquefois comme une charge injuste, plutôt
que comme un devoir.


2 ° Pendant sa semaine, M. le Professeur doit assister à
tous les mouvements généraux et à toutes les promenades.
Il a une part très-grave de responsabilité pour le maintien
de l'ordre et de la discipline dans toute la maison, et pour
la parfaite observation du règlement.


3°I1 a non-seulement le droit, mais le devoir, de réprimer




CH. VIII. — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 275


tout désordre, toute infraction à la règle dont il est témoin ;
et ce serait manquer à sa charge que de se reposer de ce soin
sur M. le Préfet de discipline.


Il doit néanmoins avertir ce dernier, quand il s'agit d'un
désordre général ou d'une faute grave qui mérite une ré-
pression exemplaire,


4° Pour surveiller tous les mouvements disciplinaires, il
faut que M. le Président de semaine soit toujours à temps à
son poste. Sa première qualité est l'exactitude.


Dans tous ces mouvements, il doit marcher à la tête des
rangs, excepté quand les enfants vont à l'étude ; car, dans
ce cas, c'est M. le Président d'étude qui marche le premier.


5° Dès que la cloche qui annonce la récréation a sonné,
ceux de MM. les Professeurs qui sont désignés pour la sur-
veillance dans les trois divisions doivent se rendre en toute
diligence à la porte de l'étude, pour conduire les enfants
dans leur cour, et prévenir la dissipation qui précéderait le
signal, si MM. les surveillants tardaient à paraître.


6° Ils ont soin que les élèves marchent sur deux lignes,
séparées l'une de l'autre par une distance de deux pas, jus-
qu'à ce qu'on permette de rompre les rangs ; et pour le re-
tour, qu'ils se rangent devant la porte de l'étude, se tenant
immobiles et les bras croisés, en ordre et en silence, jus-
qu'au signal pour entrer dans la salle.


7° Toutes les fois que les enfants passent d'un lieu à un
autre, ils surveillent ces mouvements et les dirigent. Pour
cela, l'un d'eux doit prendre la tête de la colonne et modérer


-sa marche, de telle sorte que les enfants ne soient ni trop
resserrés, ni trop espacés, et ne marchent ni trop lentement,
ni trop vite. Les lacunes font le désordre, les aggloméra-
tions le favorisent et le dissimulent.


L'ordre dans les mouvements est très-important et très-
facile à obtenir : il suffit de le vouloir et d'y tenir. C 'est une
simple et ferme habitude à faire prendre tout d'abord à une
division. Rien, d'ailleurs, ne fait plus plaisir à voir que ces
mouvements réguliers d'enfants, défilant deux à deux, en
silence ; rien n'est plus disgracieux, au contraire, que des
enfants se précipitant en désordre, et, qu'on me passe l'ex-




276 LIV. II . — LES MAITRES.


pression, comme un troupeau de moutons. — On peut dire
à coup sûr que le désordre est encore ailleurs dans une mai-
son où les choses se passent ainsi.


8° M. le Professeur de semaine surveille le déjeuner, soit
au réfectoire, soit dans les cours, sous la présidence de
M. le Préfet de discipline; ou de M. le Président d'étude,
quand le déjeuner se prend au réfectoire. M. le Professeur
de semaine se trouve à la sortie de l'étude et se tient dans
la galerie pour maintenir l'ordre ; il entre le premier au
réfectoire; il veille, quand on dit le benedicite, b ce que
tous soient à leur place, les bras croisés et le visage tourné
vers le crucifix.


On a soin, pendant le déjeuner, que tous restent assis et ne
fassent pas sans permission de course dans le réfectoire ; au
son de la cloche, tous se lèvent et on dit les grâces.


M. le Président sort le dernier du réfectoire, afin de veiller
au bon ordre des rangs et d'empêcher que personne ne reste
après lui. M. le Professeur de semaine marche en tête des
rangs pour conduire les élèves en récréation.


Quand le déjeuner se prend dans la cour, un élève ton-
suré préside au réfectoire de la \ " division ; et le président
d'infirmerie dans celui de la 2 e , surveille ceux des enfants
qui ont besoin de prendre quelque chose de chaud.


9° M. le Professeur de semaine fait encore la surveillance
à la chapelle, pendant la prière, la méditation et la messe
de communauté. Les deux Professeurs de semaine sur-
veillent chacun un côté de la chapelle.


10° MM. les Professeurs sont chargés de surveiller tour à
tour les promenades, sous la présidence de M. le Préfet de
discipline, et ils ne s'absenteront jamais sans s'être fait
remplacer et sans avoir prévenu M. le Préfet de discipline.


La surveillance des enfants pendant les promenades est
une des choses les plus importantes au bon ordre, aux
bonnes mœurs et au bon esprit de la maison. C 'est là sou-
vent que se commettent, et presque toujours par défaut de
surveillance,'des désordres qui mettent ensuite un Supé-
rieur dans les plus graves embarras.


Il faut toujours deux maîtres, outre M. le Président, pour




CH. V i l i . — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 277


les promenades ordinaires : ce sont le Professeur de semaine
et celui qui a fait sa semaine quinze jours auparavant. Cer-
tes, ce n'est pas trop pour un exercice qui exige une si par-
ticulière surveillance '.


Les difficultés que présentent les promenades au point de
vue de la discipline et des bonnes mœurs, exigent non-seu-
lement la présence de trois maîtres au moins, mais encore
une vigilance attentive et délicate, à laquelle ne puissent
échapper ni les écarts, ni le choix des compagnies, ni les
conversations elles-mêmes, s'il est possible.


41° MM. les Professeurs désignés pour la surveillance des
promenades se conforment aux règles suivantes :


Dès que la cloche sonne pour faire monter les enfants aux
dortoirs, ils les font ranger dans la cour par ordre de dor-
toirs et les y accompagnent, afin d'y maintenir le bon ordre
pendant que les élèves prennent leur casquette ou font leur
toilette, s'il est nécessaire. Il ne faut pas que les enfants sor-
tent avec un extérieur négligé, qui ferait peu d'honneur à la
bonne tenue de la maison.


Ils aident celui de MM. les Directeurs qui conduit la pro-
menade à examiner la propreté des élèves : souliers, habits,
linge, casquettes, mains, visage, oreilles, col, etc.


Pendant le chemin, ils ne se mettent pas au milieu des
rangs des élèves, mais de l'autre côté du chemin, pour pou-
voir surveiller l'ensemble de la communauté, avertir ceuxqui
ne se tiendraient pas en rang, prévenir les accidents, etc.


En arrivant au lieu de la station, ils exercent la même sur-


• Nous avons institué au Petit Sommaire d'Orléans des présidents de quinzaine,
pour deux raisons : 1" Pour donner un troisième surveillant aux promenades ordi-
naires, le règlement en exigeant au moins trois dans chaque division. —H y a des
Petits Séminaires où l'o:i fait bien mieux : il est de règle que tous les maîtres vont
a toutes les promenades; — 2" Pour soulager le Président de se raine aux jours
de sorties, en partageant la surveillance.


Les jours de sorties sont très-daugercux, soit pour les élevés qui restent, et ont
besoin d'être surveillés loute la journée; soit pour les élevés qui sortent, et qui
ont besoin d'être surveillés quand ils rentrent. Il importe que ce point du ser-
vice disciplinaire soit uès-bien réglé dur.s une inaisou. Sans cela, des désordres
souvent tres-graves sont inévitables.




278 LIV. II. — LES MAITRES.


veillance que s'ils présidaient la récréation à la maison, s'em-
ployant surtout à mettre les jeux en train.


Néanmoins, afin qu'il y ait unité, ils renvoient pour les
permissions à celui qui préside la promenade, à moins qu'il
ne soit trop éloigné.


Ils ne doivent point quitter le lieu où se tient la commu-
nauté ; ils n'iront donc pas ailleurs, et éviteront môme de se
livrer à quelque lecture ou conversation particulière qui les
absorbe, de manière à ce qu'ils ne surveillent plus.


12° Si quelque accident empêche de partir pour la prome-
nade, après l'heure ordinaire de récréation terminée, les
Messieurs désignés pour la promenade sont tous de prési-
dence, et ne doivent se retirer qu'après avoir prévenu le
Directeur chargé de la promenade, et qui doit aussi s'y
trouver.


4 3° Quand il y aura une promenade extraordinaire pour
toute la communauté, tous les maîtres, sans exception, sont
tenus d'y assister. C'est absolument nécessaire au bon or-
dre dans ces circonstances exceptionnelles.


4 i" Dans les promenades de faveur accordées à une classe
ou section d'élèves, il y aura toujours au moins deux maî-
tres pour faire la surveillance. On n'y permettra jamais rien
qui soit défendu par le règlement général, comme d'aller en
bateau, se baigner, et faire des dépenses extraordinaires.


Très-souvent il arrive, dans ces sortes de promenades,
que les élèves, excités plus que de coutume, demandent cer-
taines permissions inusitées, d'acheter ceci et cela, de pas-
ser par tel endroit plutôt que par tel autre. Il faut savoir
résister à leurs instances, et redouter, là surtout, la dange-
reuse faiblesse de vouloir faire de la popularité. Ce serait,
certes, une popularité de bien mauvais aloi. Les élèves ont
quelquefois aussi leurs raisons pour désirer aller ici plutôt
que là. Il faut s'en défier. C'est au Président à conduire les
élèves, et non point à se laisser mener par eux.


C'est ici le lieu de rappeler combien les condescendances
qui font en quelque sorte participer les maîtres aux fautes
des élèves sont nuisibles à la discipline, funestes a ceux qui




CH. V i l i . — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 279


s'en rendent coupables, odieuses à leurs confrères, doulou-
reusement pénibles, et quelquefois très-embarrassantes, pour
les Supérieurs.


45° Quand au retour de la promenade, les élèves descen-
dent des dortoirs, si la récréation doit suivre, MM. les Pré-
sidents de promenade y doivent descendre et rester avec
les enfants jusqu'à ce que la récréation se termine. M. le Di-
recteur qui a conduit la promenade doit aussi s'y trouver.


Les Messieurs qui président les dortoirs étant obligés d'y
maintenir l'ordre, ne prennent qu'après la descente de tous
les élèves le temps qui leur est nécessaire avant de descen-
dre eux-mêmes en récréation:


§ IV. — CHARGES PARTICULIÈRES DE MM. LES PRÉSIDENTS


DE DORTOIRS*.


• 4 ° II y a dans chacun des grands dortoirs deux maîtres
chargés de la surveillance, et responsables du bon ordre
pendant le temps du grand silence.


Chacun de ces Messieurs surveille la moitié du dortoir atte-
nante à sa chambre ; néanmoins, il a autorité sur le dortoir tout
entier, et ne doit pas restreindre sa vigilance seulement à la
moitié du dortoir dont il est particulièrement chargé.


2° MM. les Présidents de dortoirs sont spécialement chargés
de tout ce qui concerne l'ordre, la propreté et la bonne tenue
de leurs dortoirs ; et lorsque tout n'y est pas comme il doit
être, s'ils n'y peuvent remédier par eux-mêmes, ils doivent
avoir immédiatement recours à M. l'Économe ou à M. le Pré-
fet de discipline.


4 " La surveillance disciplinaire des dortoirs est un point
extrêmement grave : l'ordre et le grand silence ne sauraient
y être trop rigoureusement gardés. MM. les Présidents se fe-
ront donc un devoir strict d'arriver les premiers aux dor-
toirs, de ne jamais compter sur l'élève suppléant, de ne parler


'B ien que ce qui va suivre soit, sur plusieurs points, tout à fait spécial au Petit
Séminaire d'Orléans, nous ne retrancherons cependant aucun détail à cause de
l'impoitance extrême de cette présidence, et du soin avec lequel nous avons cher-
ché a pousser les prévoyances aussi loin que possible.




280 LIV. II. — LES MAITRES.


alors à personne à moins d'une absolue nécessité, et d'ins-
pirer à tous par leur exemple une gravité et un silence vrai-
ment religieux. Ils ne recevront point dans leurs chambres
les enfants de leurs dortoirs pendant le grand silence, sous
AUCUN PRÉTEXTE : l'infraction de cette règle serait considérée
comme tout à fait répréhensible.


5° Les Présidents de dortoirs ne manquent jamais- de se
lever quelques instants avant les élèves et se couchent après
eux, pour veiller constamment au bon ordre et à l'observa-
tion du silence. C'est le premier des deux Professeurs qui
donne aux élèves le signal du lever, en disant à très-haute
voix : Benedicamus Domino


6» Le signal de se lever étant donné a l'avant quart de
. l'heure, tous les enfants doivent être sur pied, lorsque l'heure
sonne.


Après que les enfants sont habillés, MM. les Présidents
veillent à ce que les rideaux soient tout à fait repliés et retirés
à la tête du lit. Cette mesure n'est pas moins nécessaire pour
la surveillance que pour la bonne tenue du dortoir.


7° Ils veillent ensemble à ce que les élèves se lavent, se
peignent et se brossent exactement chaque matin, afin d'être
parfaitement propres; ils ont soin que tout enfant, qui n'a
plus rien a faire, se tienne debout au pied de son lit, ou assis
sur son tabouret.


8° C'est une des fonctions de MM. les Présidents de dor-
toirs, de se rendre compte si les enfants ont tous les habits
qu'il leur faut, s'ils ont pris le linge blanc qui leur est donné
le jeudi et le dimanche, les souliers propres qui sont mis
chaque jour au pied de leur lit.


C'est au dortoir et par MM. les Présidents que se fait la
première inspection de propreté.


Lorsque les enfants ont changé de linge, ils doivent réunir
le linge qu'ils ont quitté dans un petit paquet, qu'ils déposent
au pied de leur lit. Ce paquet est relevé par le domestique et
porté à la buanderie.


9» Les permissions de sortir pour aller soit à la chapelle,
soit à la chaussure, soit aux lieux d'aisance, ne sontaccor-
dées que par un seul de MM. les Présidents.


* Il y a des maisons où l'élcve-président récite tout liant, soir et matin, une
courte prière vocale, à laquelle répondent les entants: c'est un usage très-édifiant.




CH. VIII . — L E S P R É S I D E N T S DE DISCIPLINE. 284


Sauf des cas T R È S - E X C E P T I O N N E L S et imprévus, il ne faut ja-
mais permettre aux enfants d'aller à la lingerie le matin et le
soir; plusieurs enfants des différents dortoirs et des deux
divisions pourraient ainsi se rencontrer à la porte de la lin-
gerie; et d'ailleurs les enfantsont dû demanderdanslajour-
née, par un billet, les objets dont ils avaient besoin.


Pour éviter que les enfants aillent jamais à la lingerie,
M. le Préfet de discipline de chaque division va tous les di-
manches, les jours de fêtes et aux sorties, prendre note des
demandes des élèves, en contrôle les motifs, va lui-même
immédiatement en référer aux Sœurs de la lingerie, et fait
rapporter ce qui a été jugé nécessaire.


Ce contrôle des rapports des élèves avec la lingerie par
M. le Préfet de discipline, obvie à une foule d'inconvénients :
— Les élèves sont mieux servis; l'uniforme maintenu; les
Sœurs soutenues contre les prétentions capricieuses des en-
fants, qui, sans cela, discutent, tourmentent, etc., et trouvent
occasion de se dissiper.


40° Au premier coup de la cloche qui annonce la descente
du dortoir, la toilette doit être achevée, et les enfants, rangés
au pied de leur lit, attendent le second coup.


Quand il sonne, l'un de MM. les Présidents se meta la tête
de la colonne, et descend les escaliers lentement, pour éviter
toute lacune. L'autre demeure dans le dortoir pour faire
hâter les retardataires et fermer la marche.


Tous les deux doivent accompagner les enfants jusqu'à la
chapelle, où se fait la prière.


Les enfants des dortoirs du premier étage ne doivent ja-
mais descendre avant que ceux du deuxième étage soient
déjà descendus.


44° MM. les Présidents de dortoirs ne permettent de rester
au lit le matin qu'à ceux qui, déjà malades la veille, ont une
permission écrite de M. le Supérieur ou de M. le Préfet de
discipline, et à ceux qui ont été vraiment indisposés la nuit
et qui leur paraissent réellement malades.


Ils doivent être très-difficiles pour accorder cette permis-
sion. C'est là que le nunquam duo est de rigueur" absolue.




882 L1V. I I . — LES MAITRES.


Aussi, MM. les Présidents doivent-ils TOUJOURS ET IMMÉDIATE-
MENT avertir M. le Préfet de discipline des permissions de ce
genre qu'ils ont accordées, bien que M. le Préfet de disci-
pline fasse chaque matin une visite des dortoirs, aussitôt
que les enfants sont descendus à la chapelle.


Le moindre retard pourrait avoir ici les plus graves con-
séquences.


42° Pour le coucher, MM. les Présidents de dortoirs se trou-
vent au milieu des enfants au sortir de la prière du soir, et
l es accompagnent au dortoir.


Seulement l'un de MM. les Présidents de chaque dortoir a
soin de>'y rendre à l'avance, afin que les enfants ne s'y trou-
vent pas seuls, même un instant.


L'un des présidents de dortoirs du deuxième étage doit
avoir pris la tête de la colonne et entrer le premier dans le
dortoir.


13° Ils veillent à ce que les enfants se couchent prompte-
ment et décemment. Tous doivent être couchés au moment
où l'on sonne le couvre-feu.


14° Aucun enfant, quand il est couché, ne doit, sous aucun
prétexte, s'entourer de ses rideaux. Ils doivent être retirés
et repliés à la tête du lit.


MM. les présidents veillent aussi à ce que les enfants ne se
couchent pas avec la cravate au col, qu'ils ne s'ensevelissent
pas dans les draps : ce sont des précautions hygiéniques
importantes.


15° Ils veillent à ce que toutes les portes de leurs dortoirs
soient fermées, de sorte qu'aucun enfant ne puisse en sortir,
même pour aller aux lieux d'aisances, sans en demander la
clef au président qui en est chargé.


46° Outre MM. les maîtres qui couchent aux deux extré-
mités du dortoir, et dont la porte doit demeurer ouverte toute
la nuit, il y a au milieu de chaque dortoir un élève président.
11 est responsable du bon ordre et du silence auprès de
MM. les Présidents du dortoir, et il doit les avertir immédia-
tement du moindre désordre dont il s'apercevrait avant eux,
surtout depuis le couvre-feu jusqu'au moment du lever.


47" Il y a dans chacune des alcôves de MM. les Présidents
un carreau, donnant sur le dortoir, et qui doit pouvoir s'ou-




CH. VIII. — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 283


§ V. — DES CHARGES SUPPLÉMENTAIRES DE DISCIPLINE ET DE


QUELQUES AUTRES OBLIGATIONS COMMUNES A TOUS.


4° Afin de conserver dans la maison une parfaite observa-
tion de l'ordre et de la discipline, quelques charges supplé-
mentaires pourront être établies au besoin, et chacun se
portera avec zèle à les remplir. Du reste, on aura soin que
ceux qui prendront ces charges supplémentaires, soient dé-
chargés d'ailleurs par une juste compensation.


vrir instantanément. Au moindre bruit qu'ils entendent,
MM. les Présidents se lèvent, imposent silence et voient de
près ce qui a pu troubler l'ordre. Les fautes du dortoir
doivent être réprimées avec la plus grande promptitude et
la plus grande vigueur. Les moindres sont très-graves et
M. le Supérieur doit en être averti dès le premier moment.


48° Les jours de sortie, et toutes les fois qu'on monte au
dortoir cxtraordinairement, il faut qu'il y ait au moins un
de MM. les Présidents, lorsque les enfants s'habillent.


Le silence est alors de rigueur comme le matin et le soir.
Aucun enfant ne peut sortir du dortoir sans permission.


M. le Président s'assure que tous ont mis les habits qu'on
leur a donnés à la lingerie. M. le Préfet de discipline sur-
veille alors ce mouvement.


La descente du dortoir se fait comme le matin de chaque
jour, en rang, en silence, et seulement au signal donné.


4 9° MM. les Présidents et surveillants de dortoirs, s'ils
se trouvent dans la maison, doivent encore se présenter dans
leur dortoir, quand les élèves y montent, avant et après la
promenade. Cet instant est celui de tous où les élèves sont le
plus portés à se dissiper, malgré la surveillance de MM. les
Préfet de discipline et surveillant de promenade, qui sont
toujours là d'ailleurs.


20° Au dortoir, encore plus que dans tous les autres
lieux où ils exercent quelque surveillance, si MM. les Pro-
fesseurs s'aperçoivent qu'il leur manque quelque élève, i ls
le font savoir incontinent à M. le Préfet de discipline, ou,
à son défaut, à M. le Supérieur.




234 LIV. II. — LES MAITRES.


Ainsi un de ces Messieurs pourra être cliargè de veiller
chaque jour à un passage, à une courte présidence dans un
endroit difficile : quelquefois même, ce qui est extrêmement
rare et arrive à peine une ou deux fois par année, de pré-
sider une retenue, ou de conduire une promenade extraor-
dinaire. — En général, on se prêtera avec zèle aux divers
besoins du service, quand on en sera requis.


2° Aux époques des grands examens, il y a pour MM. les
Professeurs obligation d'une assiduité constante et rigou-
reuse. La préparation des séances académiques ne serait
point une excuse suffisante. Ils ne manqueront pas non plus
d'assister aux examens d'histoire et des autres classes sup-
plémentaires. Ils éviteront de s'y occuper à des lectures ou
à des travaux qui paraissent les rendre étrangers à ce qui s'y
passe.


3" Toutes les fois que quelqu'un ne peut pas remplir sa
fonction, il doit pourvoir à se faire remplacer par un de ses
confrères. Aucun de ces changements ne peut avoir lieu sans
l'agrément de M. le Supérieur.


4° Quand un professeur est malade ou absent d'une ma-
nière passagère, il est remplacé dans sa classe, à tour de
rôle, par MM. les Directeurs, par MM. les Professeurs des
cours supplémentaires, et par MM. les Présidents d'étude.


3° MM. les maîtres n'acceptent pas de fonctions hors de la
maison, sans l'autorisation expresse deM. le Supérieur.


6° Tous doivent assister en habit de chœur à la messe de
communauté, le dimanche et les jours de fêtes. Ils assistent
également à tous les exercices des retraites données aux
enfants.


7° MM. les Professeurs ne doivent jamais manquer les
conseils ou réunions que préside M. le Supérieur, non plus
que les conseils particuliers que M. le Supérieur fait présider
par MM. les Préfets-directeurs.


8° Le dimanche de chaque semaine, chacun de MM. les
Professeurs remet avant le dîner la note écrite de ses obser-
vations sur les études, sur la discipline, sur la religion, sur
l'économat, à MM. les Préfets de religion, de discipline et
d'études, et à M. l'Économe. Ces notes doivent être détaillées
et précises ; elles doivent signaler tout ce qui a été remarqué
dans la maison, en bien ou en mal, afin que, d'après ces in-




CH. — LES PRÉSIDENTS DE DISCIPLINE. 285


dications et d'après leurs propres observations, MM. les Di-
recteurs puissent faire leur rapport complet, chacun dans
son département sur l'état général de la maison.


S'il y avait quelques notes plus confidentielles, elles de-
vaient être remises directement à M. le Supérieur.


Si ces Messieurs n'avaient pas de notes à donner, ils le
diraient par écrit; mais ils sont instamment priés de ne se
dispenser, sous aucun prétexte, de ce devoir, dont l'accom-
plissement est de la plus haute importance.


Je considère cet article comme si important, que, je ue
crains pas de le dire, s'il est bien observé, il est à lui seul
une garantie certaine que M. le Supérieur sait tout ce qui se
passe dans sa maison, et peut, par conséquent, pourvoir et
remédier à tout.


9° MM. les Professeurs remettent aussi directement et im-
médiatement à M. le Supérieur la note écrite des désordres
survenus, qui auraient besoin d'une prompte répression,
comme indocilité, mauvais discours, coups, grande dissipa-
tion, etc., etc.


10° Ces Messieurs devront s'abstenir de parler devant les
élèves pendant le temps du silence, — et s'astreindre les
premiers à l'observation de la règle.


Ils respecteront surtout le grand silence; après la prière
du soir, ils ne se réuniront jamais dans leurs chambres pour
converser, s'ils avaient alors quelque affaire indispensable
et nécessairement très-rare, ils la traiteraient le plus briève-
ment possible et de manière à n'être pas entendus. Tout abus
sur ce point entraînerait les plus graves inconvénients. La
perte de temps est le moindre. Ils ne quitteront point leurs
dortoirs pour aller se promener dans le parc, en été.
Ceux-là même qui n'ont pas de dortoirs devront toujours
être rentrés à neuf heures, avant que les clefs de la maison
soient remises à M. le Supérieur.


11* Ils ne mangent pas dans leurs chambres; et quand ils
sont indisposés, ils ne s'adressent jamais directement aux
domestiques, mais à M. l'Économe, qui s'empressera de faire
monter immédiatement chez, eux tous les objets de santé,
qui leur sont nécessaires.




286 LIV. II. — LES MAITRES.


Règle générale, lorsqu'ils ont des besoins particuliers, ils
ne vont jamais eux-mêmes à la dépense; c'est à M. l'Économe
qu'ils s'adressent.


12° Ils ne doivent JAMAIS donner aucune friandise d'au-
cun genre aux enfants, ni au réfectoire, ni ailleurs.


Ils éviteront de montrer de ces préférences qui font tou-
jours un si mauvais effet dans une maison d'Éducation.


13° Ils ne reçoivent jamais d'élèves dans leur chambre,
même les élèves de leur classe, et même en récréation, sans
une bonne raison, et sans que l'élève en ait obtenu la
permission. Ils ne peuvent employer les élèves à faire pour
eux des travaux de copie ou des commissions qui demandent
un certain temps, sans l'autorisation expresse de M. le Supé-
rieur.


4 4° Lorsque les élèves souhaitent les fêtes de leurs maî-
tres, il convient que tout se fasse avec cordialité et sim-
plicité. Ils peuvent orner leur classe plus qu'à l'ordinaire,
mais tout doit se passer à la fin de la classe du soir et dans
l'intérieur de la classe.


Au dîner, le lendemain, les élèves du Professeur servent, et
lui portent un dessert de fête : à ce moment, le réfectoire
applaudit et on parle.


On donne à tous un dessert de plus pour la fête des Direc-
teurs; on allonge la récréation du dîner de trois quarts d'heure
pour un Directeur, et d'un quart d'heure pour les autres
maîtres. Mais, il n'y a jamais ni musique, ni promenade, si
ce n'est pour la fête de M. le Supérieur.


Dans les maisons bien réglées, les fêtes des maîtres n 'ap-
portent qu'une gaîté pleine de convenance, qui épanouit les
coeurs; dans les maisons mal réglées, elles causent une
dissipation qui, quelquefois, amène de graves désordres.
Gela est vrai surtout des soirées récréatives qu'on donne aux
enfants, et encore plus des pièces de comédie qu'on leur
permet quelquefois de jouer. J'ai entendu dire au Directeur
d'une très-bonne maison, qu'après ces sortes de divertisse-
ment, on était presque toujours condamne à renvoyer quel-
que élève. Le fait est que rien ne demande, de la part de
tous, plus de surveillance et plus de soin.




CH. IX. — LES CONFESSEURS. •287


§ VI. — RANG.


\° Il y a un ordre à observer entre MM. les Professeurs,
vis-à-vis des élèves en certains lieux, à la chapelle, à la
salle d'exercice, à la salle du conseil, au réfectoire et pour
les diverses présidences. Ces choses-là doivent être ré-
glées précisément, pour éviter tout conflit et tout froisse-
ment.


2° L'ordre et le rang sont désignés d'abord à chacun,
selon son rang ecclésiastique; les prêtres avant les diacres
et les diacres avant les sous-diacres, etc.


3° A égalité d'ordre ecclésiastique, indépendamment de
l'ancienneté dans cet ordre et de l'ancienneté d'âge, MM. les
Professeurs prennent rang entre eux, selon le rang de leur
classe. M. le Professeur d'histoire prend rang après M. le
Professeur de seconde. Le rang de MM. les Présidents d'é-
tude est fixé comme nous l'avons dit plus haut.


CHAPITRE IX


Les Confesseurs.


LA CONFESSION ET LA COMMUNION.


Nous touchons ici aux délicatesses les plus intimes comme
aux résultats les plus profonds de l'œuvre de l'Éducation. Je
veux parler de cette lente et merveilleuse formation de
l'homme et du chrétien dans l'enfant, de ce laborieux enfan-
tement de son âme à la vie morale et surnaturelle.




288 LIV. H. — LES MAITRES.


Il est tout à fait nécessaire que dans un livre tel que celui-
ci on traite un pareil sujet avec quelque étendue; c'est ce que
nous voulons essayer de faire.


I


Dans toute créature humaine, il y a un lieu sacré, qui est
comme le sanctuaire del 'âme: c'est là que l'Éducation, pour
accomplir pleinement son œuvre, doit agir puissamment et
exercersaplus pénétrante influence. Si elle n'atteint pas jus-
que là, jusqu'à ce point caché et mystérieux, elle demeure
inefficace, incomplète ; si elle y parvient, elle s'assied vrai-
ment dans l'âme, en touche les profonds ressorts, et produit
d'admirables résultats.


Et ce lieu toutefois est naturellement inaccessible à tout re-
gard, à tout effort humain.


Nulle puissance humaine, dit Fénelon, ne peut forcer le
retranchement impénétrable de la liberté d'un cœur, même
dans un enfant.


Aucun des hommes de l'Éducation, ni le Professeur, ni le
Préfet de discipline, ni le Supérieur lui-même, ne saurait
aller jusque-là : non-seulement parce que la force n'y peut
rien, mais aussi parce que les abords en sont gardés par
je ne sais quelle pudeur délicate etcraintive, qui nepermet à
personne d'approcher et de lever les derniers voiles. 11 y a
au fond du cœur de l'enfant, si confiant qu'il soit, quelque
chose cependant qu'il ne confie pas à tous : c'est comme
une partie réservée, qu'il ne révèle pas, disons tout, qu'il
n'est pas obligé de révéler même à ses' plus utiles et plus
chers instituteurs; et cependant c'est là qu'il serait souverai-
nement important de pénétrer pour faire le bien réel de
son âme, en prendre une direction plus sûre, y exercer une
action décisive: mais nul des instituteurs ordinaires ne
peut aller jusqu'à ce fond intime de l'âme; et l'Éducation,




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 289


par cette interdiction inévitable, se voit condamnée à ne
travailler qu'à la surface plus ou moins entamée de l'âme,
sans pouvoir creuser jusque dans les dernières profondeurs,
pour poser là les fondements solides d'une complète et heu-
reuse transformation.


Je me trompe toutefois, et, heureusement, il y a , dans
l'œuvre de l'Éducation, quelqu'un qui peut pénétrer et opérer
jusque-là; il y a quelqu'un pour qui les délicatesses les plus
intimes et les timidités les plus farouches n'ont plus de
craintes, les consciences plus de voiles, les cœurs plus de
secrets. Il y aun homme investi d'une mystérieuse puissance
et d'une divine autorité, qu'une confiance inspirée d'en haut
fait spontanément descendre dans le plus intime de la cons-
cience et de la vie, et qui voit là ce que nul autre œil n'a vu,
qui apprend là ce que nul autre que lui ne sait; un homme à
qui le dernier mystère du cœur se révèle, le dernier mot de
l'âme se dit. Cet homme que nul décret, que nulle loi humaine
ne pourrait créer, c'est le prêtre, c'est le Confesseur. Cette inef-
fable et divine puissance delà confession, qui agit si profon-
dément sur les âmes, qui préserve, soutient, guide, console
si efficacement le chrétien dans la vie, a plus de prise encore
sur l'enfant, et devient entre les mains d'un saint prêtre le
plus puissant comme le plus auguste et le plus délicat moyen
d'Éducation : un supplément, un auxiliaire inappréciable
de tous les autres. L'homme en qui cette force est remise
peut sur l'enfant ce que ne peut aucun autre de ses maîtres,
et l'Éducation trouve dans le Confesseur un concours surna-
turel , e t , p a r l a , un degré d'efficacité et d'influence que,
seule, et avec ses ressources propres, elle n'aurait jamais.


Ce n'est pas que l'Éducation ordinaire, que l'Éducation
laïque, si elle est bien faite, ne prenne aussi son point de dé-
part dans la conscience ; ce n'est pas qu'elle ne parle jamais
à l'enfant au nom du devoir, qu'elle ne cherche pas à en déve-
lopper chez lui le sentiment, qu'elle ne s'adresse quelqùe-


m. 49




290 L1V. II. — LES MAITRES.


fois à l'âme, au cœur, à tous les nobles instincts de la nature :
oui, elle dispose de ces moyens, elle met en œuvre ces'
grandes forces, et par là, elle peut beaucoup pour façonner
la jeune âme de l'enfant, et pour l'élever ; mais il n'en est
pas moins vrai que l'enfant ne lui livre pas sa conscience
tout entière, et qu'il ne lui permet pas de voir et de pénétrer
jusqu'au fond de lui-même.


Quelque autorité méritée que prenne un maître, quelque
naïve et candide confiance que lui accorde un enfant, le
maître de l'enfant n'est pas le maître de sa conscience : il ne
la gouverne pas, il agit sur elle du dehors, et non pas, si je
puis le dire ainsi, du dedans : en un mot, il n'est pas, l'enfant
ne l'a pas constitué lui-même, par son respect religieux, par
sa confiance, par sa foi, l'arbitre et le directeur de sa cons-
cience. Or, le Confesseur est cela : la religion de Jésus-Christ
par le bienfait de son fondateur, possède un sacerdoce que
l'institution divine a investi d'un caractère sacré, d'où dérive
une mystérieuse autorité sur les âmes; et quand cette auto-
rité surnaturelle vient s'ajouter dans un prêtre à l'autorité
naturelle de l'instituteur, elle en complète merveilleusement
la puissance, elle en achève divinement l'œuvre ; et c'est
pourquoi le Confesseur pour élever peu à peu l'enfant par les
voies de la grande vertu chrétienne jusqu'à la maturité de
l'homme parfait, est dans une maison d'Éducation l'institu-
teur par excellence.


Voilà ce que doit bien comprendre, et méditer souvent, un
prêtre à qui est confié l'important ministère de la confession
des enfants. C'est pour un prêtre, voué à l'Éducation de là
jeunesse, le labeur le plus doux, comme aussi le plus fé-
cond, et tant qu'un prêtre, dans une maison d'Éducation,
ne l'a pas connu, il ne sait ni les grandes consolations, ni
les grands fruits de l'œuvre qu'il fait.




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 294


II


Maintenant, je voudrais essayer de faire sentir ici tout le
bien qu'un prêtre peut accomplir dans l'âme des enfants
par ce grand ministère, et dire en même temps quelles
sollicitudes, quelles délicatesses, quel dèvoûment un tel
ministère demande de lui.


Et d'abord le Confesseur doit apparaître aux enfants comme
la vivante personnification du Sauveur, et leur inspirer une
•confiance comme un respect sans bornes. Mais la confiance,
et surtout une confiance de cette nature, ne se commande pas :
elle se donne librement. C'est pourquoi il est nécessaire de
laisser aux enfants la faculté de choisir leur Confesseur.
C'est là une condition de son influence qu'il importe de ne
pas méconnaître ; c'est un droit de la conscience de l'enfant
qu'il faut savoir respecter. Cependant, il ne faut pas oublier
que des enfants ne sont pas des hommes faits, et que le plus
souvent ils ne savent pas choisir : quelque attention que
méritent, en pareille matière, les sympathies ou l'éloigné^
ment qu'on leur inspire, ces impressions peuvent n'être pas
toujours conformes à leurs véritables intérêts, et là, comme
en toutes choses, ils ont besoin d'être guidés. On peut donc
leur désigner leur Confesseur, le leur conseiller même, mais
jamais le leur imposer; il faut qu'ils sachent toujours qu'ils
demeurent libres dans leur choix. Je dois ajouter qu'en gé-
néral les enfants qui arrivent dans une maison n'ont point
de goût ou de répugnance prononcés, et s'en tiennent sans
difficulté au prêtre à qui on les adresse ; si, plus tard, ils se
trouvaient mal à l'aise avec lui, et voulaient s'adresser à un
autre, il ne faudrait pas y mettre d'obstacle, bien qu'en
général il soit bon que les changements de Confesseur ne
soient pas arbitraires ni fréquents dans une maison.




292 L1V. II. — LES MAITRES.


Il faut donc que les enfants viennent à leur Confesseur
avec la plus grande confiance, avec une entière ouverture
de cœur. De son côté le prêtre, quand il voit arriver a lui
ses jeunes pénitents, quelle affection, quel tendre respect
même ne doit-il pas ressentir pour eux ! que de questions
n'a-t-il pas à se faire sur le ministère qu'il va remplir au-
près d'eux ! que va-t-il être pour leur conscience ? quelle in-
fluence exercera-t-il sur leur vie tout entière et sur leur salut
éternel? c'est pour lui une véritable paternité qui com-
mence : c'est lui que Dieu charge d'enfanter à la grâce ces
enfants : Filioli, quos iterum parturio. Les voilà qui viennent
à lui pour lui faire les premières et sacrées confidences de
leur cœur, tout lui dire, se mettre sans réserve entre ses
mains ; et sa parole tombera avec une souveraine efficacité
sur ces jeunes âmes : ce qu'il y déposera, ce qu'il y écrira,
restera gravé en caractères peut-être ineffaçables. Il peut,
s'il est zélé, s'il est habile, manier, pétrir admirablement
ces tendres cœurs, et les former selon le cœur de Dieu.
Oh ! à leur confiance naïve et sincère qu'il réponde donc par
une affection profonde et un entier dévoûment ! Qu'il les
aime, et qu'ils le sentent! qu'en venant à lui, ils trouvent
bonté, douceur, amitié ! que tous sachent bien qu'ils ont dans
leur Confesseur leur meilleur ami, le plus dévoué, le plus in-
time : leur soutien, leur protecteur contre eux-mêmes, et
même contre les autres, l'homme qui prend en tout leurs
intérêts.


Oui, et c'est une réciprocité dont ils sont dignes, et qui
augmente en même temps pour lui leur confiance : non-seu-
lement nul maître dans la maison ne leur fait plus de bien
en secret, au fond du cœur, mais nul ne les protège et ne
les sert mieux dans leurs peines ou leurs difficultés. Sans
manquer en rien à une discrétion inviolable, à des confi-
dences sacrées, les Confesseurs peuvent néanmoins beaucoup
extérieurement, et il est bon que les enfants ne l'ignorent




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 293


Tome II, p. ,478.


pas, pour leur épargner des fautes,"des ennuis, des tris-
tesses, de fausses démarches, de mauvaises affaires, soit
avec leurs professeurs, soit avec le Supérieur même. Com-
bien de fois n'ai-je pas dit à mes enfants : « Quand vous me
croyez injuste envers vous, allez trouver votre Confesseur :
je ne demande pas mieux qu'il soit votre refuge contre moi.
Je puis me tromper, moi; mais lui, si vous êtes francs avec
lui, comme vous devez toujours l'être, il ne se trompera pas,
et vous donnera, dans vos embarras, tous les conseils,
toutes les consolations dont vous pourrez avoir besoin, soit
pour bien prendre mes avis, soit pour profiter de mes re-
proches, soit même pour arranger une affaire difficile,
quand c'est possible. » Et le fait est que j 'ai vu des Con-
fesseurs rendre souvent de très-grands services aux en-
fants de cette manière. Je sais bien qu'un Confesseur est
toujours enclin à la miséricorde, et qu'il y a des cas ,
comme j 'ai eu occasion de le dire dans un précédent
volume 1 , où il ne doit pas intervenir; mais en général son
intervention n'a rien qui puisse gêner un Supérieur, et elle
peut avoir des résultats très-avantageux.


Si tel est un Confesseur pour les enfants, on comprend à
quel degré doit être influent un pareil ministère !


Mais comment le Confesseur doit-il l'excercer ?


m


Je dis d'abord, et cela se conçoit, que le Confesseur ne peut
pas avoir une méthode unique pour tous les enfants qui
s'adressent à lui, mais qu'il doit varier son langage et ses
industries suivant l'âge et les dispositions des enfants.


Et d'abord avec les tout jeunes enfants, avec ceux qui
n'ont pas encore fait leur première communion, quelle ne




294 LIV. II . — LES MAITRES.


doit, pas être sa délicatesse, sa tendresse, son affable et
compatissante bonté ! quel regard discret il faut jeter sur
ces jeunes âmes! avec quelle main délicate il faut les tou-
cher ! Ineffables confidences, qu'une sainte et divine religion
a seule le droit de provoquer ! révélations mystérieuses, qui
sous les yeux d'un homme de Dieu, fait et consacré par son
caractère médecin et guide des âmes, amènent le fond même,
le fond candide et pur d'une âme naïve ; qui permettent d'y
saisir le premier frémissement de la vie, le premier épanouis-
sement du cœur, le premier amour du bien, le premier ôtonne-
ment du mal, le sourd et confus éveil des passions naissantes
et indistinctes encore, le lointain écho des choses, la vague
agitation des pensées incertaines, des désirs latents, des
pressentiments confus, tout ce qui se lève enfin à l'horizon
de la conscience, tout ce qui commence à s'y réfléchir,
tout ce qui vient s'y répercuter du dehors : c'est tout cela
que la confession des jeunes enfants découvre au prêtre ,
c'est sur tout cela que son zèle et sa science sacrée des âmes
doivent agir.


Ou précieusement surveillés par une pieuse mère, dans le
sanctuaire d'une famille chrétienne, ils ont conservé leur inno-
cence, et alors quel dépôt sacré à garder ! quelles'fleurs choi-
sies, toutes fraîches et pures encore, à cultiver! quelles at-
tentions! quelles délicatesses! quelles sollicitudes! Ou bien
déjà le mal, devançant l'âge, a touché leur jeune âme : et alors
quelle hâte, quel saint empressement pour en arrêter les pro-
grès, et l'étouffer à sa naissance! Le bonheur de ce ministère,
à ce premier âge de la vie, c'est de rencontrer des âmes
neuves et tendres, où toutes les impressions sont vives et
profondes, où tout se grave, où l'empreinte qu'on appose se
marque comme un sceau pour la vie entière. M. de Maistre
a dit une parole vraie : « L'homme, ce qu'on appelle
« l'homme, c'est-à-dire l'homme moral, est peut-être for-
« mé à dix ans ! » On ne croirait pas , si l'expérience ne




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 298


l'apprenait, à quel point il est possible de donner, en
quelque sorte, à un cœur de dix ans, une forme qu'il gar-
dera peut-être toujours, d'imprimer aux idées, aux senti-
ments, une direction, dont les effets se feront sentir bien
longtemps après même qu'elle aura cessé, en un mot,
comme le disait M. de Maistre, de former l'homme moral
dans l'enfant : il est étonnant à quel point la conscience d'un
enfant, bien cultivée, bien dirigée, peut s'ouvrir, se déve-
lopper, s'élever, se former, sous la main d'un Confesseur
habile.


Je ne dis pas que la confession, que la direction mo-
rale du Confesseur a toujours cette influence; je dis non ce
qu'elle fait infailliblement, mais ce qu'elle peut faire, ce
qu'elle fait le plus souvent, quand elle est dévouée ; et si
j'insiste sur ce point, c'est que je voudrais faire bien sentir
tout ce que le ministère sacerdotal auprès des petits enfants
peut avoir de grands résultats dans son apparente peti-
tesse ; tout ce qu'un prêtre, investi de cet honneur et de
cette puissance, doit se proposer d'atteindre dans ces
jeunes âmes, tout ce à quoi il doit appliquer les ressources
de son esprit, de son cœur et de son zèle, pour préserver ses
jeunes pénitents du les conserver, pour leur inspirer la vraie
piété, faire entrer en eux, mettre en quelque sorte dans
leur sang et dans le fond de leur être les enseignements les
plus élevés de la foi, les goûts les plus purs de la vertu.


Ce qui importe avant tout avec les enfants, dans ce pre-
mier âge, c'est de déposer dans leur âme une grande idée de
Dieu, de leur en donner la crainte et l'amour ; et par là for-
mer leur conscience ; leur inspirer l'horreur du mal, leur faire
comprendre, autant que possible, combien le péché, qui leur
semble parfois peu de chose, est un désordre extrême, et
à quels malheurs ils s'exposent, pour le temps et pour
l'éternité.en cédant aux premières invitations de leurs mau-
vais penchants : colère, gourmandise, paresse, orgueil, déso-




296 LIV. II . — LES MAITRES.


bèissance, impureté, dissipation, etc., tous ces défauts, tous
ces vices, qui se lèvent pêle-mêle dans l'âme avec les bonnes
qualités, c'est tout cela dont il faut leur faire sentir vivement
la nécessité de se défaire, et de bonne heure, avant que ces
mauvais penchants aient grandi et étouffé les bonnes incli-
nations. Je dis : tout cela, toutes ces passions, tous ces vices :
Malheur à un enfant dont le confesseur serait assez peu
éclairé et prévoyant pour ne s'effrayer et ne se préoccu-
per que des vices les plus grossiers, du vice impur par
exemple ! Pour moi, je ne crains guère moins dans un enfant
l'orgueil, que les autres vices qui paraissent plus grossiers ;
d'autant que l'un infailliblement mène aux autres, et mène
à tout, en fait de péché : Initium omnis peccati superbia.


Mais les idées et les sentiments doivent être soutenus et
mis en œuvre par des pratiques : sans cela, j 'y insiste pour
qu'on le remarque, on ne fait rieir. 11 faut donc qu'un Confes-
seur intelligent et zélé, s'il veut rendre véritablement pieux
ses enfants, les accoutume à quelques pratiques, simples, fa-
ciles, maisbien choisies, et propres à former et nourrir la piété,
par cela même que l'enfant les fera seul, librement, en secret,
et sous l'œil de Dieu : par exemple l'habitude de donner sa
première pensée à Dieu dès son réveil, de prendre quelques
résolutions pour là journée dès le matin, de réciter quelques
prières avant de s'endormir, de faire un acte de contrition
après chaque faute : je pourrais indiquer encore quelques
moyens pour se rappeler la présence de Dieu pendant la
journée. Je ne demande pas que ces pratiques soient nom-
breuses ; non, mais précises, bien définies, bien observées,
point par routine et comme mécaniquement, mais avec un
sentiment vrai du cœur, et persévéramment recommandées
à l'enfant, jusqu'à ce qu'elles soient entrées dans les habitu-
des de son âme et de sa vie.


Il est touchant de voir avec quelle docile simplicité
quelquefois, et quelle sincérité de cœur, de petits enfants,




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 297


heureusement prévenus de la grâce, observent ces recom-
mandations de leur Confesseur, et comme la piété croît
et se développe en eux par ces actes de piété ingénue et sin-
cère. C'est ce qui faisait dire à un saint prêtre, directeur ad-
mirable des enfants, et ayant excellemment le don de semer
la piété dans les jeunes cœurs, que l'âge auquel on aime
le plus le bon Dieu dans la vie, c'est de dix à douze ans.


11 s'agit ici, qu'on n'oublie pas de le remarquer, non d'une
vaine sensibilité, à laquelle se prête l'âge tendre des en-
fants, et qu'il serait peut-être plus dangereux qu'utile d'exci-
t e n non d'une fade et fausse dévotion qui serait toute en
impressions, sans aucune racine dans l'âme : c'est d'une
toute autre piété que les enfants chrétiens sont capables,
et dont la grâce de Dieu, qu'ils ont reçue au baptême, a
déposé les germes précieux dans leur âme ' . La piété qu'il
faut inspirer aux jeunes enfants est celle-là même que nous
avons définie tout à l'heure, et qui a son principe dans la
conscience ; dans l'amour du bien, du devoir, de Dieu ; dans
l'horreur du mal, des péchés, des vices, et dans ce combat
sérieux pour le bien contre le mal, dont leur jeune âme, avee
sa générosité naissante, est très-capable. Oui, il y a, et nous


* Je lis à ce sujet dans la Vie et les Opuscules du vénérable Barthélémy II ol:»
hauser une remarquable et profonde observation de ce célèbre fondateur des
séminaires en Allemagne, laquelle ne saurait être trop méditée par les directeurs de
la jeunesse : « Les enfants pieux eux-mêmes, dit Holzhauser, quand leur piélè
« s'appuie sur la sensibilité et sur une certaine tendresse de cœur, plus que sur la
« raison et sur la foi, sont très-exposés, dans le temps des aridités intérieures, à
• se laisser séduire par l'amorce des passions charnelles, soit parce qu'ils ne sont
« plus alors soutenus par les consolations divines, soit parce que le démon se sert
« de leur naturel tendre et impressionnable pour les porter au mal, en agissant vi-
« veinent sur leur sensibilité par Içs attraits du vice. Afin de les prémunir contre
'« cet écucil, les directeurs des jeunes gens ne sauraient trop s'appliquer à leur
• inspirer une vertu mâle, en les accoutumant à se conduire en toute chose par
• les principes de la raison (t de la foi, et non par les impressions et affectious
« sensibles : c'est le meilleur moyen de leur donner une vertu solide el qui dure ! >
[Vieet Opuscules du Vén. Barthélémy Uoliliauser, par M. l'abbé Gaducl, pag.361.
Paris, chez Douniol, 1861.) Ce livre sera lu avec grand intérêt.et profit par MM. les
directeurs des petits et grands séminaires.




298 L1V. II. — LES MAÎTRES.


avons vu souvent, caché dans le cœur d'un petit enfant,
avec le plus tendre et le plus aimable amour de Dieu, une
sorte d'héroïsme, qui se produit dans le secret de son hum-
ble conscience par de petits mais généreux sacrifices, par
des actes répétés de vrai courage, de vraie vertu, où se révèle
déjà une âme forte, et qui pourra devenir grande, si elle est
soutenue dans cette voie par un directeur digne de cette âme
et des desseins de Dieu sur elle.


IV


Le travail du Confesseur grandit encore, quand vient pour
l'enfant l'époque de sa première communion. Tout ce qui a
été semé jusque-là dans sa jeune âme doit y être alors forte-
ment enraciné parla main persévérante d'un sage directeur.
Le grand sacrement, sans cesse présenté à sa pensée et à sa
foi avec tout ce qu'il a de plus doux au cœur et de plus au-
guste pour l'âme, doit provoquer de sa part les plus coura-
geuses résolutions pour s'y préparer. La première commu-
nion sera toujours pour un Confesseur, qui sait profiter de
cette grande action, un des plus puissants moyens de faire
faire à l'enfant de vrais efforts, de l'arrêter tout court, si la
pente du mal l'entraîne, ou de le pousser fortement dans la
voie du bien, s'il y est déjà entré. La parole du Confesseur
alors devient plus grave, plus vive, et plus pressante, ses
conseils plus sérieux et d'une plus grande portée : saisi,
dominé par l'impression du grand jour qui s'approche,
l'enfant s'incline plus docilement, plus humblement sous
sa main : son autorité est comme agrandie de toute la ma-


. jesté du sacrement. Il peut alors ce qu'avant il ne pouvait
pas; il peut fouiller jusqu'au fond de cette âme, briser,
arracher, étouffer le mal : tour à tour sévère et tendre, me-
naçant ou plein de douceur, il presse tous les ressorts du
cœur, touche toutes les fibres de l'âme, invoque, avec un as-




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 299


cendant plus grand que jamais, dans l'âme de l'enfant, tous
les motifs naturels et surnaturels. En un mot, c'est pour lui
le moment solennel et décisif : jamais, à aucune époque,
sa puissance sur le cœur de l'enfant ne sera plus complète
ni plus absolue.


Voilà ce qu'un Confesseur doit sentir: alors, proportionnant
les efforts de son zèle à l'importance des résultats qu'il doit
obtenir,il ne néglige rien pour assurer àia vie entière de l'en-
fant l'incomparable bienfait d'une bonne première commu-
nion, et puisque le moment est suprême, il fait lui-même
un suprême effort.


Ce qu'il y a à faire relativement aux enfants qui doi-
vent être admis à la première communion dans l'année,
le voici :


D'abord, il est de la plus grande importance que le Confes-
seur ne se laisse pas plus surprendre que l'enfant par l'ap-
proche de la première communion, qu'il la voie venir de
loin, et n'attende pas, pour y disposer son jeune pénitent, les
derniers moments, ni l'époque de l'admission définitive. C'est
dès le commencement de l'année qu'il faut songer pour
l'enfant à cette grande action, et le préparer dès lors par
des soins tout spéciaux, et par la vue anticipée de ce grand
jour. En outre, au moment surtout de la confession géné-
rale, qui doit, chose importante à remarquer, être précédée
d'une préparation spéciale, et se faire trois semaines ou un
mois avant la première communion, tous les efforts du zèle,
s'appuyant sur les plus importantes vérités de la Religion
fortement rappelées et inculquées, doivent être mis en œuvre
pour inspirer aux enfants l'esprit de pénitence, le plus
sincère regret du passé, ET LA VOLONTÉ FORTE d'une vie meil-
leure à l'avenir, d'un changement immédiat et profond. La
grâce de Dieu, si abondante à cette heureuse époque de la
vie, rend tout cela assez facile, surtout dans une maison
d'Éducation chrétienne, où les enfants sont en général mieux




300 LIV. II. — LES MAITRES.


disposés, et à l'abri des scandales ordinaires ; et c'est là
vérité de dire qu'en y mettant ce zèle et en employant ces
simples moyens, les premières communions s'y font géné-
ralement d'une manière admirable.


V


La première communion faite, il s'agira de faire persévérer
l'enfant, et de le conduire, adolescent, jeune homme, à tra-
vers les illusions, les entraînements et tous les ècueils de
cet âge périlleux où la volonté, si faible encore, laisse
la vie plutôt livrée aux impressions sensibles, à l'empire
fougueux des sens, qu'au gouvernement calme et fort de
la raison. Sauver un jeune homme de tous les dangers
de cet âge, le défendre tout à la fois contre sa faiblesse
et son ardeur, contre son inexpérience et sa présomption ;
le calmer, le modérer, l'assouplir; quand l'orgueil s'é-
veille, indocile, hautain, dédaigneux, impatient du frein,
le plier à l'obéissance, à la règle, à la sagesse; quand la
passion s'allume et remue ce pauvre jeune cœur, sollicité,
entraîné à la fois par l'ardeur du sang et les ignorances
de l'âge, le contenir, le dompter, le garder pur : garder
pur un jeune homme jusqu'à vingt ans, le préparer par
une jeunesse sans tache à entrer fort et tout armé dans
la vie, quelle œuvre! quel service rendu à son âme! et
quel secours pour tout le travail de l'Éducation ! Et cela se
peut : la Religion dispose de tels moyens d'action sur les
âmes, elle possède de telles sources de force et de pureté,
qu'elle peut, en usant de ces moyens et trempant dans ces
sources mystérieuses la jeunesse, faire des miracles de con-
servation et de préservation : c'est son chef-d'œuvre, c'est
sa gloire, et c'est le confesseur dans une maison d'Éduca-
tion qui a la part principale dans cet ouvrage.


Mais à quelles conditions le fera-t-il ?




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 3 0 1


Je l'ai indiqué déjà : avant tout, il faut qu'il soit vérita-
blement prêtre, un prêtre pieux et fervent; un homme de
prière, un homme de Dieu. Le ministère d'un prêtre tiède,
négligent des pratiques intimes de la vie sacerdotale, litté-
rateur plutôt que prêtre, professeur plutôt qu'apôtre, aura
peu d'influence, et sera peu béni de Dieu. Cela se conçoit.


Ensuite, il faut que le Confesseur, à un grand amour de
Dieu joigne un grand amour de ses enfants; c'est ici la source
unique du vrai zèle : que ses jeunes pénitents soient l'objet de
ses constantes sollicitudes, qu'il les porte à tous moments
dans sa pensée et dans son cœur, sorte de gestation sacrée
nécessaire pour leur enfantement spirituel ; qu'il prie sou-
vent, tous les jours, pour eux ; qu'il les suive d'un œil attentif
dans tous leurs progrès et leurs défaillances. Un Confesseur
qui n'éprouve pas toutes ces attentions, toutes ces inquié-
tudes, toutes ces angoisses de la paternité spirituelle, n'est
pas un vrai père. Un Confesseur qui n'a pas souvent sous
ses yeux la liste de ses enfants, pendant son oraison, après
sa messe, pendant son action de grâces, pour bien voir devant
Dieu où ils en sont tous, et ce qu'il y aurait à faire pour cha-
cun d'eux; qui, en les voyant quelque part, n'éprouve pas un
tressaillement particulierà leur présence ; qui, en récréation,
dans leurs jeux, dans leurs ébats ; à la chapelle pendant les
offices, ne les suit pas, d'un regard plein d'affection et de
sollicitude, qui n'entend pas une voix lui disant sans cesse :
Tous ces enfants, toutes ces jeunes âmes, Dieu les a remises
entre tes mains pour préparer leur vie et leurs éternelles
destinées : ce Confesseur-là n'est pas un prêtre qui sente ce
qu'il doit aux enfants de Dieu et aux siens.


VI


Mais indépendamment de la piété tendre et vraie du Con-
fesseur, et de son zèle actif, suivi, persévérant, il y a, quant




302 LIV. II. — LES MAITRES.


à la confession même et à la direction des enfants et des jeunes
gens, des conditions, des règles indispensables à observer.


Je dis quant à la confession et la direction, car il faut bien
distinguer ces deux choses : toute entrevue des enfants avec
leur confesseur ne doit pas être toujours, ainsi que nous
l'expliqueronstout à l'heure,une confession proprement dite.


Et d'abord, quant au lieu où l'on confesse les enfants, quel
doit-il être? — Il peut paraître étrange que nous posions
une telle question : nous ne croyons pas cependant qu'il soit
superflu de la poser. Il est clair que tout lieu n'est pas con-
venable pour un tel acte; que si les enfants se confessaient
dans un lieu tout profane, où rien ne les rappellerait au
respect du sacrement de pénitence, où le recueillement rein
gieux leur serait difficile; si quelque confesseur imaginait
par exemple, comme cela s'est vu, je le sais, de les con-
fesser dans une classe, lieu toujours moins agréable aux éco-
liers, de les faire agenouiller pour le sacrement là même où
ils auraient peut-être été mis à genoux pour une punition,
il y aurait là une véritable irrévérence, et un sérieux danger
d'altérer chez les enfants la haute idée qu'ils doivent avoir
d'une action si sainte.


La chambre même des Confesseurs n'est pas sans inconvé-
nients. Les enfants s'y sentiront moins recueillis et y auront
quelquefois moins d'ouverture ; etd'ailleurs, les allées et ve-
nues dans les corridors les exposeraient avant et après les
confessions à une dissipation très-dangereuse.


Il est tout à fait convenable et presque de rigueur que les
enfants se confessent toujours dans une chapelle, où ils
soient très-recueillis, où rien ne vienne les distraire.


Il faut qu'il y ait un crucifix et une image de la sainte
Vierge dans chaque confessionnal.


Si c'est le soir, il faut que les confessionnaux soient bien
éclairés, et que la surveillance puisse se faire sans peine
dans la pônitencerie par les Confesseurs.,




CH. IX. — L E S C O N F E S S E U R S . 303


Maintenant, à quels intervalles faut-il voir et confesser les
enfants?


Après la première communion, la règle fixant la confes-
sion à tous les quinze jours, il ne faut pas la rendre plus fré-
quente sans nécessité, ou sans utilité réelle.


On doit cependant ACCORDER la confession tous les huit
jours à tout enfant pieux, laborieux, désireux de son avan-
cement dans la piété, et qui demande à se confesser plus
souvent, surtout s'il est avancé en âge, c'est-à-dire de qua-
torze à dix-huit ans, et dans les hautes classes.


Il faut L'EXIGER de ceux à qui elle est nécessaire pour se
corriger de leurs défauts, pour vaincre leur tiédeur ou triom-
pher de leurs mauvaises habitudes, quel que soit leur âge, et
même avant la première communion. Il est des habitudes
qu'on ne brisera jamais sans cela.


Un des plus grands directeurs déjeunes gens, dans ce siècle,
disait : « Tout jeune homme qui veut persévérer dans la
« vertu doit se confesser au moins tous les quinze jours. »
Et il ajoutait : « Une expérience de trente-cinq ans m'a appris
« qu'il y en a même beaucoup qui ne persévéreraient pas
« sans la confession de tous les huit jours. »


Il faut de plus remarquer qu'outre la confession sacramen-
telle, il y a la confession directive : après la première com-
munion, il est presque toujours utile de faire venir les en-
fants tous les huit jours, pour les entretenir quelques instants,
les encourager, et causer paternellement avec eux de leurs
défauts, de leurs progrès, de leurs peines, etc.


Et surtout pour les plus jeunes enfants, qui, grâce à Dieu^
ne sont pas de grands pécheurs, très-souvent l'entrevu
avec le Confesseur ne peut guère être autre chose qu'un rel
gieuxet paternel entretien, pour leur parler plus intimement
du bon Dieu, leur apprendre à le prier, bien graver l'idée
du devoir dans leur conscience, les consoler et les encou-
rager dans leurs petites difficultés du moment, au besoin




304 LIT. II. — LES MAITRES.


les gronder doucement quoique très-sérieusement de leurs
fautes, leur insinuer peu à peu et comme goutte à goutte
l'amour du devoir et les sentiments de la piété.


Cette confession directive est d'ailleurs, je dois le faire
observer ici, un moyen très-efficace deprévenir la routine,
qui est, pour les enfants, le grand danger des confessions
fréquentes.


VII


La routine, voilà ce que les Confesseurs pieux et zélés doi-
vent prévenir et empêcher à tout prix.


Mais qu'on ne s'y trompe pas : ce danger de la routine de-
mande aux Confesseurs une extrême attention. En général
les enfants, dans une maison d'Éducation chrétienne, com-
mettent peu de fautes graves: mais il n'en faut pas conclure
de suite à leur solide vertu ; c'est le bienfait du lieu, ce n'est
guère le mérite des enfants.


La plupart des enfants sont là sans occasions, sans tenta-
tions, sans obstacles, et par conséquent presque toujours
sans efforts, sans grand mérite et sans vertu. Us ne portent
au saint tribunal presque aucune faute grave; et souvent,
toutefois, leur âme est comme sans vie : la vie active de la
grâce paraît presque éteinte en eux. Le travail de la vertu
leur est comme étranger. Aussi, qu'arrive-t-il de là? Le
voici :


C'est que les vertus de collège, de séminaire, souvent ne
tiennent pas. Elles sont dans les habitudes extérieures plutôt
que dans le fond de l'âme : à la première occasion délicate,
elles s'évanouissent.


Cela même arrivera toujours, si le Confesseur se contente
de l'absence si facile des grands péchés, et s'il ne s'applique
pas à donner un exercice réel et journalier à la conscience
e\. àes. evAfau\s., eu les. MsaTAl combattre éner-




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 305


giquement contre les petites fautes, contre leurs défauts, en
leur faisant faire des actes de vertu et des pratiques libres de
piété et de mortification.


Il a été d'expérience que des enfants qui avaient passé
un long temps, par exemple cinq ou six mois, ou même l'an-
née entière, au collège, au séminaire, sans aucune faute
grave, sans tentation même, tombaient tout à coup dans les
désordres les plus extrêmes, dès qu'ils revoyaient le monde.
N E TROUVANT PAS D'AILLEURS DANS LEURS FAMILLES DES EXEMPLES


PROPRES A LES SOUTENIR, ils devenaient très-facilement des
enfants presque sans religion, et bientôt sans mœurs : l'ob-
servation du dimanche, celle des lois de l'Église, qui n'étaient
pour eux au collège ou au Petit Séminaire qu'un article du
règlement, quelquefois ne se présentait même pas à leur
esprit comme un devoir. La confession de tous les quinze
jours, dans laquelle la confession des grandes fêtes s'était
trouvée comme perdue, ne leur laissait qu'à peine la pensée
de se confesser à Noël et à Pâques.


Tout cela semblera inintelligible à quiconque1 n'en a pas
fait l'expérience ; mais tout cela est de fait, et m'a profondé-
ment convaincu que, dans un collège chrétien, dans un
Petit Séminaire, la routine des choses saintes, et en parti-
culier la routine du sacrement de pénitence, est un danger
considérable, et que la FERVEUR ACTIVE, LA FERVEUR GÉNÉ-
REUSE peut seule y sauver les enfants. Malheur à celui qui
n'a pas connu, qui n'a pas éprouvé cette ferveur à une épo-
que quelconque de sa jeunesse ! Au contraire celui qui a
senti une fois la vraie ferveur en conservera toujours quoi-
que chose, et il y aura là au besoin, pour lui, à un jour
donné, un germe de résurrection spirituelle. C'est le semen
vitœ déposé dans les profondeurs de l'âme. Et qui dépo-
sera dans les âmes cette semence de vie, si ce n'est les insti-
tuteurs et les confesseurs de l'enfance et de la jeunesse ? Plus
tard, souvent, hélas', il n'est plus temps !


K . , t u . 2 0




3 0 6 1,1V. I I . — LES MAITRES.


Je ne craindrai pas de le dire ici : quand on est un homme
sérieux, un prêtre, et qu'on travaille vraiment pour le salut
des âmes, eh bien! il ne faut pas se contenter d'apparences
et ne point voir au delà ; il faut vouloir non des fruits éphé-
mères, mais des résultats durables ; bâtir, non sur le sable et
gpur un jour, mais sur les solides fondements d'une piété
t raie et qui persévère. Et voilà pourquoi il importe de bien
entendre tout ce que nous venons de dire.


Sans doute, la confession fréquente peut et doit aider
beaueoup à entretenir cette ferveur dans le cœur des enfants ;
mais il faut qu'elle soit bien prise, bien entendue, et ne pas
s'imaginer que quand on leur a laissé faire machinalement
tous les huit jours ou tous les quinze jours le récit de leurs
fautes, suivi d'une exhortation quelconque, on a accompli
tout son devoir.


L'expérience m'a démontré qu'il n'y avait guère d'autre
moyen d'éviter les inconvénients et de recueillir les fruits
delà confession fréquente, que d'y ajouter presque toujours*
en quelque chose, le langage, la manière, LA FAMILIARITÉ PA-
TERNELLE, et la confiance d'une DIRECTION amicale et zélée. Et
qu'on ne craigne pas de diminuer par là dans l'esprit des
enfants le respect du sacrement de pénitence : c'est le meil-
leur moyen de leur inspirer ce respect ; et il suffit parfois
de quelques paroles d'une piété; vive et en même temps
cordiale, pour les disposer aussi saintement que possible à
l'absolution, quand ils doivent la recevoir.


Lorsque les enfants font de la confession une routine, c'est
la faute du Confesseur : on peut l'affirmer à peu près tou-
jours.


Je le dirai enfin : il importe aussi, pour que les efforts du
Confesseur ne soient pas peine perdue, que son langage ne
se borne pas à être le langage d'une piété douce et affec-
tueuse : il est nécessaire qu'il soit plus souvent encore le
langage d'une piété forte, d'une foi éclairée, d'une religion




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 307


profonde, le ferme langage des vérités éternelles. Il im-
porte de rappeler souvent aux enfants et aux jeunes gens les
grandes maximes évangôliques, les grandes vérités, les fins
dernières, les mystères chrétiens ; et cela en termes graves
et énergiques, qui fassent une salutaire impression et les
gravent au fond du cœur.


En résumé : la confession doit être très-simple, très-pa-
ternelle et familière, et aussi très-pressante, très-ferme,
très-décisive, très-énergique au besoin.


Je dis très-ferme et très-énergique; car bien qu'il faille avoir
égard à la faiblesse et à la fragilité de l'âge, il est rigoureu-
sement nécessaire que le Confesseur se montre exact à suivre
les bonnes règles, notamment pour ce qui concerne l'abso-
lution : autrement on endort les enfants dans le péché, ét
sous le prétexte mal entendu de ne pas les décourager, on
les endurcit, et on rend leurs maladies spirituelles incu-
rables. Cela a lieu surtout quand à l'absolution se joint la
sainte communion, permise inconsidérément, et s'alliant,
dans une âme d'enfant, avec l'habitude réellement formée
et persistante du péché mortel. Cela est particulièrement
déplorable chez ceux qui se destinent au saint état ecclésias-
tique : c'est préparer presque infailliblement à l'Église dans
ces malheureux enfants de très-mauvais prêtres ' .


1 Nous ne^croyons pas inutile d'ajouter les conseils suivants :
1" Les Confesseurs doivent appeler eux-mêmes les enfants par un billet, lors-


que ceux-ci négligent de venir les trouver à l'époque fixée : non pour les confesser
malgré eux, mais pour les encourager, et leur donner quelques bons conseils, très-
doux et très-paternels;


Ou bien, quand un enfant a eu de mauvaises notes, ou quelque grand chagrin,
quelque grande humiliation, pour le relever et le consoler


2° Il doit y avoir des réunions de Confesseurs, où. on lira, chaque année, pen-
dant les deux premiers mois, tout ce qui regarde les principes et la pratique de
la ditectijn spirituelle des enfants.




os LIV. II. — LES MAITRES.


VIII


DE LA COMMUNION.


Mais un des plus grands avantages de la Confession, c'est
qu'elle prépare à un autre bienfait infiniment précieux et
souverainement efficace, dont elle règle l'usage, et dont
elle fait recueillir tous les fruits : ce suprême bienfait, dont
il nous reste à parler, c'est la Communion.


Que de jeunes gens lui ont dû, avec la préservation et la
sanctification de leur jeunesse, les plus douces et les plus
pures joies de leur âme ! En effet toutes les délices de la
piété, et toute sa divine efficacité sont là : c'est une source
merveilleusement féconde de pureté, de force, de joie, de
vie : c'est bien Veau qui, selon la parole du Sauveur, rejaillit
jusqu'à la vie éternelle.


A tous les âges de la vie, il faut venir se désaltérer à cette
eau céleste : « Vous tous qui avez soif, venez aux eaux vives, »
a dit le Sauveur ; et à toutes les heures de leur passage ici-bas,
les âmes sont altérées : mais les âmes jeunes encore plus
que les autres.


Je le dirai donc tout d'abord : dans une maison d'Éduca-
tion chrétienne, si l'on veut faire auprès de la jeunesse la
grande œuvre de préservation et de conservation, il faut
que la sainte Communion soit en honneur : il faut amener
les enfants et les jeunes gens à goûter le bonheur de la
sainte Communion.


Toutefois, quelque chose serait plus funeste encore que
la négligence à l'endroit de ce grand et divin moyen d'ac-
tion sur les âmes, ce serait l'usage imprudent ou l'abus cou-
pable.


Plus le secours est grand et le sacrement auguste, et plus




CH. IX. — 1ES CONFESSEURS. 309


grandes aussi doivent être les délicatesses avec lesquelles il
faut le traiter.


Mais avant de tracer les règles relatives à la Communion
dans un Petit Séminaire, je ferai observer que, quoique la
Confession et la Communion se touchent de fort près, j 'ai
remarqué beaucoup moins de danger de routine danslaCom-
munion fréquente que dans la Confession fréquente. —Il est
toujours ici question de la Confession sacramentelle, et non
de celle qui n'est que directive. — La majesté de cet au-
guste sacrement frappe davantage l'esprit de l'enfant.


Je n'ai presque jamais vu la Communion fréquente
ne pas amener de t rès-heureux résultats pour préser-
ver du mal ou faire arriver au bien ; ce n'est même que
par la Communion fréquente que j 'ai vu la ferveur s'établir
dans nos Petits Séminaires, et DES ENFANTS DÉSESPÉRÉS
REVIVRE.


J'ai observé aussi que la Communion fréquente, accordée
par des Confesseurs éclairés et prudents, était presque tou-
jours aussi une Communion fervente, tandis que plus on com-
muniait rarement, moins, en général, on communiait bien.
Toutes ces observations sont certaines, quoique non absolues
et sans exceptions, et elles supposent toujours les enfants
bien préparés à la communion.


Ceci remarqué, on peut, pour la sainte Communion, en sui-
vant d'ailleurs les principes généraux donnés par les maîtres
de la vie spirituelle, et en apportant les modifications que la
prudence conseille relativement à chaque enfant, on peut se
souvenir des règles suivantes :


I. Il ne faudrait point prendre pour pratique, après la pre-
mière Communion des enfants, de ne les pas faire communier
avant deux ou trois mois : cette pratique est absurde ; il faut
suivre la grâce, les désirs et les besoins de chaque en-
fant.


Il est très-utile, en général, de les faire communier au plus




310 LIV. II . — LES MAITRES.


tard au bout d'un mois, et ensuite de mois en mois, au moins ;
et il se trouvera tel enfant quelquefois, qui, après sa première
Communion, devra communier tous les quinze jours. Ce sera
peut-être le moment et le moyen décisif de l'arracher défini-
tivement à de mauvaises habitudes, ou de lui inspirer, pour
sa vie entière, une très-profonde piété: il faut suivre la
grâce ; faire autrement, c'est s'exposer à tout perdre.


II. Dans les classes inférieures et au-dessous de quinze ans,
à moins d'une piété, d'une fidélité active, et d'un travail très-
soutenu, on ne doit pas faire"communier plus souvent, me-
sure commune, que tous les mois et les grandes fêtes en plus.
Or, comme dans un collège chrétien, dans un Petit Sémi-
naire, ces fêtes sont assez fréquentes, il en résulte pour ces
enfants une communion toutes les trois semaines environ,
et quelquefois tous les quinze jours; généralement c'est
assez.


III. De quinze à vingt ans, même dans les classes infé-
rieures, on peut accorder la Communion tous les quinze
jours et les grandes fêtes : pourvu qne l'enfant soit d'une
certaine ferveur, laborieux, régulier, docile.


IV. Pour un enfant très-pieux, très-régulier, qui, par
exemple, ne rompt que fort rarement le silence, on pourra
le faire communier tous les huit jours, s'il le désire, s'il aime
la sainte Communion, et si l'on remarque, d'une Commu-
nion à l'autre, des fruits réels et des efforts constants.


V. Cela fait que dans une maison où il y a deux cents com-
muniants, il s'en trouve chaque dimanche quatre-vingts on


cent qui communient.
On comprend quel mouvement de piété cela met dans une


maison, et les effets de ce mouvement pieux ne peuvent
manquer de se faire sentir, en quelque manière, à ceux même
qui s'en tiennent le plus éloignés.


VI. La Communion, un jour en semaine, ne doit pas être
inouïe : elle peut avoir lieu, par exemple, le jour de la fête du




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 341


saint patron d'un enfant ; s'il est d'ailleurs pieux et régu-
lier, on peut l'engager à communier ce jour-là, et surtout
le lui accorder, s'il le demande : de même, à l'anniversaire
de sa première Communion, ou dans quelques autres cir-
constances extraordinaires.


Cette Communion, toute particulière, où l'habitude et la
routine n'ont aucune part, fait quelquefois aux enfants un
très-grand bien : elle édifie beaucoup les autres, et ce qui est
un avantage considérable pour tous, elle met la piété en
honneur dans une maison.


VII. Après les deux retraites, où*les enfants ont tous été
renouvelés dans la pureté et dans la ferveur, il faut les faire
communier plus souvent, parce qu'ils en sont plus dignes,
et que la Communion fréquente les aide à conserver les
fruits de la retraite. *


VIII. Il y a une observation extrêmement importante à
faire ici, qui donnera la raison des règles précédentes et
servira beaucoup à en diriger l'application : les années qui
suivent la première Communion d'un enfant, de douze à qua-
torze ans, sont celles où sa direction offre le moins de diffi-
cultés. Dans un Petit Séminaire surtout, c'est une époque de
ferveur et de simplicité. Un enfant de cet âge ouvre aisé-
ment son cœur à la piété, et, quand sa première Communion
a été très-bonne, les passions ne troublent pas encore son
innocence et sa candeur. Le Confesseur doit soigneusement
profiter de ces bonnes et heureuses années pour préparer
l'âme de l'enfant aux orages des années suivantes.


Mais vers quatorze ans, époque où les passions commen-
cent à se développer, les difficultés naissent, et, jusqu'à dix-
huit et vingt ans, elles se font plus ou moins sentir. Il est
d'expérience que, lorsque les élèves d'un Petit Séminaire ne
se fixent pas alors dans le bien avec une certaine générosité
et ferveur, et deviennent tièdes, le mal ne tarde pas à les
entraîner : ce milieu d'une vie tiède et languissante ne




312 LIV. II. — LES MAITRES.


leur est guère possible longtemps : la tiédeur n'est pas
naturellement de cet âge ; la dissipation, l'étourderie,
une certaine indocilité légère, peuvent aller à cet âge ; la
tiédeur ne lui va pas.


Si de jeunes adolescents présentent les apparences de la
tiédeur, s'ils sont languissants dans le service de Dieu, sans
mouvement et comme sans vie, on doit craindre que ces
tristes apparences ne cacbent souvent un mal plus profond
encore : soit une religion, une loi, qui s'éteint dans l'abus
des grâces, et dans la familiarité irréligieuse des choses
saintes; soit des mœurs qui se troublent et se corrompent;
soit un amour-propre, un orgueil qui s'empare de l'âme et
de toutes les facultés, qui devient le fond de la vie tout entière
et le mobile de toutes les pensées et de toutes les actions;
soit l'amour du monde, de la vatiité mondaine, qui est quel-
quefois à cet âge une passion étonnante; soit l'amour d'une
créature, qui préoccupe aveuglément, gâte le cœur, appau-
vrit l'esprit et dégrade dans l'âme les facultés les plus nobles.


Ces observations encore sont certaines : ces plaies des
jeunes âmes, je les connais; je les ai trop souvent vues
de mes yeux et touchées de mes mains et de mon cœur
pour les pouvoir ignorer.


Il n'y a que la ferveur, la ferveur vive et agissante, et par
conséquent LA COMMUNION FERVENTE ET FRÉQUENTE, qui
puisse alors préserver un jeune homme dans un Petit Sé-
minaire, ou dans un collège chrétien.


Pour l'établir et le conserver dans cette ferveur, il est très-
bon aussi de le porter à des actes et à des pratiques de vertu,
qu'il fasse librement, secrètement, sous l'œil seul de Dieu,
sans y être forcé par la règle de la maison, et qui soient son
action spontanée : telles seraient, par exemple, de légères
mortifications au réfectoire, et sans que personne s'en aper-
çoive; une visite chaque jour au saint sacrement, une autre
à la chapelle de la sainte Vierge, la récitation du chapelet.




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 313


Les congrégations, la dévotion à la très-sainte Vierge peu-
vent être encore pour cela d'un grand secours.


Mais, plus que tout le reste, la SAINTE COMMUNION.
On conçoit d'ailleurs parfaitement que ce que nous venons,


de dire de la nécessité où se trouve un jeune homme de qua-
torze à dix-huit ans, de mener une vie fervente, sous peine
d'être bientôt entraîné au mal et dominé par ses passions,
s'applique avec bien plus de force à un jeune homme qui
vit dans un collège chrétien, dans un Petit Séminaire,
qu'à celui du même âge qui vivrait au milieu du monde.
En effet, la situation de l'un et de l'autre est très-différente.
Car :


t° Un jeune homme, dans le monde, recevant des grâces
moins nombreuses et moins pressantes, peut n'être pas très-
fervent sans se rendre coupable d'un abus aussi périlleux,
d'une infidélité aussi grave, et de cette habitude de mal
user des choses saintes qui endurcit.


2° Dans le monde, un jeune homme a, chaque jour, à soute-
nir des combats qui rendent sa fidélité plus active et réveil-
lent sa foi : dans un collège, dans un Petit Séminaire, au con-
traire, la fidélité d'un enfant peut n'être, durant plusieurs
années, qu'une espèce d'habitude et de routine, et non l'ef-
fet d'une volonté généreuse pour remplir ses devoirs, malgré
les obstacles.


Les Directeurs ont à conclure de ce que nous venons de dire,
que c'est pour eux un devoir de la dernière importance d'é-
tudier, d'observer, de suivre de près, avec tout le zèle pos-
sible, ceux de leurs pénitents parvenus à l'âge dont nous
venons de parler, c'est-à-dire qui ont de quatorze à dix-huit
ans, et de faire tous leurs efforts pour les amènera la Com-
munion fréquente et fervente.


IX. L'observation suivante pourra paraître exagérée au
premier abord ; mais, outre qu'elle est toute d'expérience,
quiconque examinera attentivement les raisons sur les-




314 MV. 11. — LES MAITRES.


quelles on l'appuie, en reconnaîtra facilement la justesse et
la vérité.


Lorsqu'un enfant dans un Petit Séminaire ne communie
habituellement que tous les deux ou trois mois, il y a malheu-
reusement tout lieu de craindre que la vie spirituelle ne s 'é-
teigne en lui. La raison de cette observation, c'est que, dans
un Petit Séminaire, les instructions chrétiennes sont si nom-
breuses, si variées, si pressantes ; les soins donnés aux en-
fants si éclairés, si charitables ; les principes d'éducation si
élevés, les grandes fêtes si fréquentes, qu'une Communion
aussi rare n'est plus enharmonie avec tout le reste,et suppose
l'abus des grâces, une insouciance extrême, et, de toute façon,
une vie en contradiction avec le grand mouvement de foi et
de piété qui se fait perpétuellement sentir dans un Petit
Séminaire.


Quand un enfant en est réduit à cette triste situation, et
qu'un Confesseur zélé n'a pu venir à bout de l'en tirer, il peut
être expédient souvent de lui conseiller de changer de Con-
fesseur. C'est au Confesseur alors à y inviter Y enfant. 11 peut se
borner, toutefois, à lui en insinuer la pensée; à moins qu'il
ne jugeât ce changement tout à fait nécessaire, et, dans ce
cas, il le lui déclarerait nettement.


X. Pareillement, quand un enfant, dans un Petit Séminaire,
laisse habituellement passer la plupart des grandes solennités
où tous ses condisciples communient, sans approcher lui-
même de la sainte table, se séparant ainsi de tous les autres,
on peut présumer que cet enfant, sauf le ca» de scrupules
excessifs, est dans une triste situation : il est au moins de
ceux à qui on peut appliquer ce mot de l'Évangile : Incipiebat
mori; son âme demande de grands soins, et son Confesseur
ne saurait faire trop d'efforts pour l'aider a sortir de ce
dangereux état.


Cette observation, comme la précédente, est fondée sur ce
que, dans une maison où l'action morale et chrétienne est




CH. IX. — LES CONFESSEURS. 3+3


Ibrte, les exercices de piété et les jours de fêtes nombreux,
il y a une sorte de nécessité morale à ce qu'un enfant
puisse communier souvent : autrement il n'y a plus d'ac-
cord entre ses dispositions personnelles et le mouvement
extérieur et général de piété qui règne autour de lui :
il en est ennuyé, fatigué, souvent irrité : il en conçoit un
mauvais esprit, un esprit d'hostilité et de contradiction ; en
un mot, sans la Communion fréquente, son âme s'en va
•peu à peu, et tout dépérit en lui.


Les mêmes inconvénients n'existent pas, au même degré,
pour les enfants du monde, ni pour ceux qui, vivant dans
les maisons où les grandes fêtes et les exercices de piété sont
moins nombreux, ne communient qu'à de plus rares inter-
valles : car, par là, ces enfants ne se mettent pas en con-
tradiction avec ce qui se passe autour d'eux.


En un mot, les admirables avantagesde l'Education pieuse
des Petits Séminaires ne sont que pour ceux qui en pro-
fitent : ils se changent facilement en inconvénients et en
périls pour les autres.


C'est ce qui fait ici la grande responsabilité des Confes-
seurs en particulier, comme aussi, en général, de tous les
maîtres. Us ne doivent sentir leur âme en repos, ou du moins
en sûreté, devant ceux de leurs enfants qui se perdent, que
quand, dans leur conscience et devant Dieu, ils peuvent se
dire : tout ce qu'il était possible de faire pour sauver ces en-
fants, nous l'avons fait.


XI


Reste ici à résoudre une question délicate, relative à la
Confession et la Communion.


On peut se demander : quelle liberté un Supérieur doit-il
laisser aux élèves de sa maison relativement à la Confession
et à la Communion?




316 LIV. II. — LES MAITRES.


Doit-il s'enquérir, doit-il savoir ou ignorer ceux qui se
confessent et ceux qui communient?


La réponse est très-simple :
1° Quant à la Confession, le Supérieur doit exiger que


tous les enfants aillent régulièrement à confesse tous les
quinze jours, ou plus ou moins souvent, selon que la règle de
la maison le demande : c'est-à-dire qu'ils aillent simplement
trouver leur Confesseur.


Pour ce qui se passe entre le Confesseur et chaque en-
fant, cela ne regarde point le Supérieur : il ne peut, il ne
doit s'en enquérir en rien, sous aucun prétexte.


2° Quant à la Communion, il doit laisser aux enfants la
plus grande liberté, et éviter tout ce qui, de près ou de loin,
en pourrait faire des hypocrites.


Au Petit Séminaire de Paris, où la plupart des enfants
communiaient tous les quinze jours, tous les mois au moins,
et un certain nombre tous les huit jours, j 'en ai eu qui ne
communiaient qu'une ou deux fois par an ; j 'en ai même eu
un qui fut deux ans sans faire ses pâques.


Jamais ces pauvres enfants ne me trouvèrent moins bon
pour eux, moins amical : au contraire.


Le Supérieur, toutefois, ne peut ignorer quels sont ceux
qui communient, et ceux qui ne communient pas parmi ses
enfants.


D'abord, il est dans l'ordre qu'un père sache cela dans sa
famille.


Un père et une mère de famille chrétiens seraient assuré-
ment bien étonnés, et auraient droit de l'être, lorsque, de-
mandant à un Supérieur si leur enfant communie quelque-
fois, ou ne communie pas, le Supérieur répondait : « Je n'en
sais rien, je ne m'en occupe point... »


Et puis, comme le Supérieur et tous les Directeurs assis-
tent à la messe de comm unauté, on le sait nécessairement,
parce qu'on le voit.




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 317


Pour moi, je savais ceux qui communiaient ou ne commu-
niaient pas : mais à ceux-ci, je le répète, je ne témoignais
pas moins d'affection : je jouais avec eux comme avec les
autres ; je les reprenais peut-être moins sévèrement que d'au-
tres; ce qui est sûr, c'est que jamais ils n'en ont été gênés.


Du reste, je m'expliquais sur tout cela simplement et
librement à la lecture spirituelle.


CHAPITRE X


Système des-fonctions simultanées.


Nous venons de passer en revue tous les hommes de l'Édu-
cation, Supérieur, Directeurs, Préfets, Professeurs, Prési-
dents, Confesseurs ; et nous avons exposé, avec le plus grand
soin et dans le plus grand détail, les fonctions de chacun
d'eux. Cependant nous n'avons pas tout dit, et un dernier
mot, d'une très-grande importance, un dernier trait, tout à
l'ait essentiel, reste à ajouter.


Nous avons considéré les hommes de l'Éducation agissant
isolément, chacun dans sa sphère, remplissant chacun sa
fonction spéciale : mais chacun d'eux demeurera-t-il néces-
sairement confiné danssaspécialité, dételle sorte qu'en de-
hors des fonctions particulières dont il est chargé, il soit
complètement d'ailleurs étranger à ce qui se fait dans la
maison, et ne partage en rien les fonctions de ses collègues?


La question est si grave, que je crois devoir la poser aussi
nettement que possible. Je le demande donc ;


Les facultés de l'enfant étant multiples, et l'Éducation une
œuvre complexe, est-il plus simple de la diviser rigoureuse-




318 LIV. II . — LES MAITRES.


ment en autant de parties distinctes et de fonctions sépa-
rées que l'enfant a de facultés diverses ; et de confier cha-
cune de ces fonctions à des maîtres différents, qui en feront
chacun leur affaire, sans se mettre en peine du reste : de
telle sorte que l'un sera chargé de l'Education intellectuelle
sans s'occuper de l'Education morale ; l'autre chargé de
l'Education religieuse sans s'inquiéter en rien de l'Educa-
tion littéraire ou disciplinaire? En un mot, fautil que parmi
les maîtres, les uns s'occupent exclusivement d'enseigne-
ment, les autres exclusivement de religion, les autres exclu-
sivement de discipline, et pas d'autre chose ?


Le professeur, le maître d'étude, et l'aumônier, sont, dans
les maisons universitaires, le type parfait de ce système.


Ou bien,les diverses branches de l'Education, quoique dis-
tinctes, étant au fond solidaires, et l'œuvre unique, vaut-il
mieux que, tout en gardant son titre et sa fonction propre,
chacun cependant ait une part commune et active dans l'œu-
vre générale, dans l'œuvre entière de l'Éducation, et pour
cela exerce simultanément, DANS UNE MESURE CONVENABLE et
de justes limites, les fonctions disciplinaires, professorales
et pastorales?


Telle est la question.
Sans prétendre réprouver absolument le procédé con-


traire, nous nous prononçons sans hésiter pour le second de
ces systèmes, que nous appelons le système des fonctions
simultanées ; et dans lequel, quoique chacun ait sa fonction
spéciale, nul ne demeure étranger aux fonctions des autres,
et à rien de ce qui se fait dans l'œuvre de l'Éducation.


Nous préférons cesecond système, parce que, sans rien
perdre des avantages du premier, c'est-à-dire sans renoncer
à la sage division des fonctions et du travail, il a d'autres
avantages inappréciables, que le système des fonctions sépa-
rées n'a pas : nous le préférons, parce qu'il est en plus pro-
fende harmonie avec la nature même de l'Éducation;parce




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 349


qu'il réalise bien plus complètement l'idée d'un véritable in-
stituteur ; parce qu'il est essentiel à la dignité des maîtres,


Ji leur autorité, à leur action même ; parce que seul il peut
leur donner l'influence et les lumières qui leur sont néces-
saires, pour accomplir leur œuvre dans sa plénitude.


Tels sont nos motifs pour préférer le second système au
premier.


I


Mais, je dois le dire tout d'abord, par système des fonc-
tions simultanées, je n'entends pas, qu'on le comprenne
bien, l'accumulation permanente des diverses fonctions de
l'Éducation sur un même homme : je n'admets point, par
exemple, qu'un professeur fasse à la fois plusieurs classes,
ou tout ensemble la classe et l'élude, ou soit toute une année
professeur et préfet de discipline : non, un tel cumul, ou tout
autre de ce genre, écraserait les hommes, dévorerait leur
temps, empêcherait la préparation nécessaire des classes, et
à plus forte raison les études personnelles dont un maître,
jeune surtout, a besoin pour se développer et se former.


Qu'on fasse cela dans des circonstances particulières, tout
àfait exceptionnelles, dans une maison très-pauvre, qui com-
mence et ne peut commencer que par un dévoûment ex-
traordinaire ; que là, des prêtres zélés suppléent par un tra-
vail infatigable à la pénurie d'hommes et de ressources, je le
conçois : cela se peut, cela s'est vu dans le clergé ; le clergé
n'est au-dessous d'aucun genre de dévoûment et de sacri-
fices. Et il faut bien dire qu'aux temps malheureux qui ont
suivi le rétablissement du culte en France,-dans la détresse
des séminaires à peine relevés de leurs ruines, ce fut grâce
uniquement à des hommes admirables, — qui surent a'ors se
multiplier eux-mêmes et élever leur zèle à la hauteur de tous
les besoins, — que les Petits Séminaires purent être fondés,




320 L1V. II . — LES MAITRES.


et le nouveau clergé recevoir l'instruction nécessaire. Avec
un personnel très-insuffisant quant au nombre, bien des
maisons firent alors des merveilles. Mais ce qui fut fait à
cette époque n'est pas une règle, ce fut une exception. Des*
hommes héroïques font quelquefois l'impossible ; mais il ne
faut pas le demander à tous, ni toujours aux mêmes : et il
demeure bien certain, qu'au point de vue du bien personnel
des jeunes prêtres employés dans les séminaires, comme
au point de vue de l'œuvre dont ils sont chargés, ce serait
une grande faute de leur donner trop à faire. Qu'il me soit
permis de le dire ici, c'est un devoir rigoureux pour les
évêques de ne rien épargner afin qu'il y ait dans leurs sé-
minaires un personnel assez nombreux, qui suffise au travail,
sans être condamné à des efforts écrasants.


Ce que j'entends donc par le système des fonctions simul-
tanées dans l'Education, et ce que je demande, le voici : c'est
que les hommes qui se dévouent à cette grande œuvre ne
soient pas attachés exclusivement, et sans faire autre chose,
à une partie restreinte de l'Éducation; ne demeurent pas
confinés dans une fonction spéciale, sans réelle autorité ni
aucune action au delà : ce que je demande, c'est qu'un pro-
fesseur ne soit pas exclusivement professeur, sans s'occuper
jamais de la discipline générale ; ni un préfet de discipline
exclusivement préfet de discipline, sans s'occuper jamais des
études, et de la direction spirituelle; ni un préfet de religion
exclusivement préposé aux exercices religieux, comme un
aumônier universitaire, et hors de là rien dans la maison :
ce que je demande, c'est que la division des fonctions ne
scinde pas l'œuvre de l'Education en diverses parties étran-
gères les unes aux autres, ni les hommes de l'Éducation
en catégories absolues, indifférentes et presque inconnues
entre elles, comme s'il y avait en réalité plusieurs Éducations,
et non pas une seule, comme si l'Éducation intellectuelle,
l'Éducation religieuse, l'Éducation morale, et même l'Édu-




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉ b b . 321


cation physique, n'avaient pas toutes un seul et même but,
n'étaient pas essentiellement une seule et même chose.


En quoi consiste l'Éducation ? A élever l'homme, l'homme
tout entier : son esprit, son cœur, son âme, sa conscience,
son caractère, toutes ses facultés, toutes ses puissances,
toute sa vie. Sans doute cette œuvre vaste se subdivise, et on
distingue, ai-je dit, quatre sortes d'Éducations. Toutes quatre
sont nécessaires; mais ce qu'il faut rappeler ici, c'est la con-
nexité intime, la corrélation essentielle de ces quatre Edu-
cations; c'est leur pénétration réciproque, la constante in-
fluence de chacune sur les autres ; c'est le concours qu'elles
se prêtent mutuellement, ou les entraves qu'elles peuvent se
créer tour à tour ; c'est, enfin, le devoir impérieux pour tout
instituteur de ne pas séparer, de ne pas mutiler, et ruiner
par là même une œuvre qui est essentiellement une et indi-
visible.


Je dis que chacune de ces quatre Éducations influe sur
les autres : en effet, l'Éducation physique est-elle en souf-
france, soyez sûrs que l'Éducation intellectuelle en subira le
contre-coup. Vous donnez exclusivement tous vos soins au
développement de l'esprit, sans vous occuper des vices du
cœur et des défaillances de l'Éducation morale ; vous vous
trompez étrangement : l'esprit de votre élève ne tardera pas
lui-même à défaillir. Vous voulez former dans cet enfant
l'homme moral, et vous ne vous occupez pas de former aussi
l'homme religieux ; vous tentez d'élever un édifice sans
fondement; bientôt vous sentirez que vous avez bâti dans le
vide. Vous croyez que l'Éducation religieuse n'a pas d'ac-
tion en dehors de la conscience ; et je vous dis, moi, que pré-
cisément parce qu'elle a action sur la conscience, son in-
fluence s'étend sur tout le reste, sur l'esprit et les études
littéraires, sur le cœur, sur le caractère, sur la santé même,
et qu'elle est votre plus puissant ressort pour tout bien : de
même qu'à son tour elle souffre, elle est entravée par tout ce


É., m. 21




LIV. 11. — LES MAITRES.


qui fait souffrir et entrave soit les études, soit l'action disci-
plinaire et morale J .


C'est donc la nature des choses et le fond même de l'œuvre
à accomplir qui décide ici la question.


Les catégories et les distinctions ne changent rien au fond
de la nature humaine, et à l'ordre de son développement
providentiel.


De même que, dans l'unité de l'être humain, et dans le
mouvement de la vie, tout l'homme se développe et grandit
à la fois, de même dans le mouvement et l'unité de l'Éduca-
tion , œuvre vivante s'il en fut jamais, tout marche, tout
s'élève, tout se soutient en même temps. Que s'ensuit-il ?
il s'ensuit, les grandes fonctions de l'Éducation étant essen-
tiellement connexes et solidaires, que chacune d'elles, prise
à part, sera incomparablement mieux faite par un homme
qui, DANS UNE MESURE CONVENABLE, et de justes limites, est
appliqué à toutes, que par un homme qui ne serait appliqué
qu'à une seule ; pourquoi? parce que l'autorité, l'expérience
qu'il acquerra dans l'une lui viendra fortement en aide dans
les autres : les fonctions disciplinaires aideront aux fonc-
tions professorales, les fonctions professorales aideront aux
fonctions disciplinaires ; et les fonctions pastorales surtout
aideront à toutes les autres, comme elles seront à leur tour
aidées par elles.


Et voilà aussi pourquoi j 'ai dit que le système le plus con-
forme à la nature même de l'Éducation, ce n'est pas celui
qui refuse d'établir entre les hommes de l'Éducation la so-
lidarité qui existe entre les fonctions mêmes, mais celui qui
institue, pratique et met en action cette solidarité : ce n'est
pas celui qui divise et restreint rigoureusement les fonc-
tions, c'est celui qui les unit et par là même les étend et les


• J'ai traité à fond toutes ces choses dans un premier volume (liv. m , ch. 1). Je
supplie qu'on veuille bien relire ic ice que J'ai écrit sur cet Important sujet.




CH. X. — SYSTÈME DES FOHCTiOKS SIMULTANÉES. 3S&3


élève : ce n'est pas le système qui fragmente, qui particularise
l'action des hommes de l'Éducation, c'est celui qui leur donne
tonte leur puissance, et les employant à une fonction spé-
ciale, les applique, les intéresse et les dévoue à l'œuvre tout
entière ; en un mot, c'est le système des fonctions simul-
tanées.


I I


Je le demanderai même : est-os un homme d'Éducation, mé-
rite-t-on vraiment ce grand nom, quand on se borne à un seul
côté, à un seul détail de cette grande œtrvr&, quand on con-
fine là sa vie, sans faire un pas au delà, quand on n'a jamais,
en réalité, fait une Éducation, élevé un homme?


Vous dites que vous êtes un homme d'Éducation, et tout
se borne pour vous à faire la classe, ou à faire l'étude, on à
administrer matériellement la maison : hors de là, vous ne
faites rien, vous n'êtes rien•: tout le reste vous est étranger.
Eh bien! non, vous n'êtes pas un homme- d'Éducation, car
t o u s ne faites pas l'Éducation ; vous êtes an professeur, un
maître d'étude, un économe, Tien de pins : l'œuvre, la grande
œuvre à laquelle votre vie est vouée, vous ne l'aurez jamais
accomplie. Si vous devez jamais devenir Supérieur d'une
maison, vous n'aurez presque rien appris de votre métier;
vous aurez même contracté des habitudes funestes, qui au-
ront tué d'avance en vous les qualités du Supérieur, en voas
tenant concentré et comme étouffé, non-sealement dans une
fonction particulière et secondaire, mais dans une vie étroite
et amoindrie.


Quoi ! cela vous suffirait, et vous y trouveriez un conve-
nable emploi de vos facultés et de vos forces, de votre intel-
ligence et de votre cœur! et vous ne vous sentiriez pas
rapetissé par ce petit rôle ! Vous êtes prêtre peut-être, et
vou s trouveriez une vie de prêtre bien remplie par une classe.




324 LIV. II. — LES MAITRES.


par une présidence d'études, par la tenue des livres et la
gestion d'une caisse, sans rien plus?


Ali ! je le dis comme je le sens : je vous plains ! oui, vous
êtes malheureux :


Infelix opéra sutnma, quia ponere totum
Nesciet, HORACE.


Au contraire, combien le système des fonctions simul-
tanées, appliqué dans une juste mesure, agrandit le rôle des
maîtres, ajoute à leur dignité, à leur autorité, à leur action,
à leur zèle ! combien, dans une maison, où ce système est
en vigueur, les maîtres sont-ils plus honorés, mieux obéis!


On le sait, l'âge, les degrés hiérarchiques entre les maîtres
établissent aussi des degrés dans l'estime et le respect que
leur portent les élèves : mais qui ne sent que la participation
de tous à toutes les fonctions unit d'une certaine manière
tous les niveaux; établit une sorte d'égalité parmi les maîtres
et, sans en abaisser aucune les relève tous, et fait rejaillir sur
les plus humbles l'estime et le respect qui s'attachent aux
plus éminents ? qui ne sent, par exemple, tout ce que gagne
en considération, aux yeux des élèves, un professeur de
sixième qu'on verra succéder dans une fonction disciplinaire
à un professeur de rhétorique, ou la partager avec lui? tout
ce que gagne un surveillant, qu'on ne verra pas relégué
exclusivement dans les fonctions subalternes de la surveil-
lance, mais appelé aussi à s'occuper des études, à juger les
élèves dans les examens, où il pourra faire à leurs yeux ses
preuves d'homme instruit et capable? et si l'Éducation est
essentiellement une œuvre d'autorité et de respect, tout ce
qui relève l'autorité et le respect, ne favorise-t-il pas l'Édu-
cation ?




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 325


III


Mais entrons dans plus de détails, et parcourons suc-
cessivement trois des grandes fonctions de l'œuvre, les
fonctions disciplinaires, les fonctions professorales, les fonc-
tions pastorales, pour apprécier avec exactitude tout ce que
chacune de ces fonctions gagne à être exercée, dans une
certaine mesure, simultanément par chacun.


La discipline d'abord : quelle œuvre vaste ! où s'arrête-
t-elle ? où finit-elle ? ou plutôt quelle partie de l'Éducation
lui est étrangère ? Elle règle tout, elle voit tout, elle préside
à tout. Sans doute, seule elle ne fait pas tout, mais sans elle
rien ne se fait. Elle est la condition de toute action sérieuse
et profonde sur les enfants. C'est le frein, c'est la digue :
toutes ces volontés si vives et si mobiles, toutes ces forces
toujours prêtes à s'échapper, c'est la discipline qui les con-
tient, qui lés maîtrise. Eh bien 1 croit-on qu'à une telle œuvre
un préfet de discipline ou un vice-préfet, si zélés, si actifs, si
vigilants qu'on les suppose, puissent suffire, et que la disci-
pline sera ce qu'elle doit être dans une maison, si en dehors
de ceux qui en sont chargés d'office, tous les autres croient
n'avoir rien à y voir, rien à y faire, nul concours à y don-
ner? Non, elle fera défaut en mille circonstances: maints
désordres auront lieu en maintes occasions, qui auraient été
prévenus et empêchés, si l'action des préfets et vice-préfets
de discipline avait trouvé un auxiliaire, un supplément in-
dispensable, dans le concours et le zèle de tous les profes-
seurs et de tous les maîtres de la maison : sans cela, elle se
bornera à n'être qu'une police extérieure, très-insuffisante
pour atteindre au but réel de toute vraie Education.


Pour procurer à la discipline préventive ou répressive
une fermeté, une exactitude, une efficacité constante, il faut




326 L1V. II. — LES MAITRES.


nécessairement l'intervention de tous ceux qui, d'une ma-
nière quelconque, prennent part à la direction de la maison.
C'est ainsi seulement que la discipliné peut arriver à être
présente partout, à tout voir, à tout entendre, pour tout
maintenir dans l'ordre, ou y faire tout rentrer. Mais si la
discipline n'a qu'un ou deux représentants officiels, loin des-
quels on se croit tout permis, ce m sera plus qu'une police
impuissante, pins ou moins odieuse, plus ou moins triste-
ment exercée par deux m trois fonctionnaires.


En effet, si ces fonctionnaires eux-mêmes et toute lear
action se bornent aux fonctions disciplinaires, s'ils demeu-
rent complètement étrangers à la marche des études, s'ils
n'ont aucun ministère spirituel a remplir, que deviendront-
ils? le ne crains pas de le dire : parquer les hommes de la
discipline dans la discipline même, et ne leur accorder au-
cune action au delà, ne leur ouvrir aucun autre horizon,
c'est sacrifier la discipline et les hommes qui la font. Lac
discipliné qui n'enseigne, a i ne prêche* a i ne dirige les âmes,
est trop exposée à dégénérer en une sorte de mécanique oa
de matérialisme, qui abrutit maîtres et élèves.


Un prêtre n'y tiendrait qu'autant qu'il aurait en lui une
source peu commune de vie intérieure : autrement, et tout
autre que lui y serait vite desséché. Qui ne voit que, dans cet
isolement, l'homme et la fonction sont à la fois abaissés ? Car
la discipline, la vraie discipline, il faut sans fin le redire,
n'est pas une simple police, n i l'ordre qu'elle produit un
ordre purement extérieur, ni l'obéissance qu'elle exige une
soumission servile : non, la discipline n'est véritablement un
moyen d'Éducation , elle ne concourt à élever l'homme, que
si elle atteint l'âme, la conscience ; or, comment ira-t-elle
jusque-là, si les hommes qui la font n'ont à exercer qu'une
surveillance matérielle, et par aucun autre côté ne peuvent
s'adresser à la conscience et à l'âme?


Et n'est-ce pas cet isolement, qui, les condamnant à un




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 327


rôle mécanique, fait, en grande partie, le discrédit immérité,
mais réel, où sont tombées presque partout les fonction»
disciplinaires ? Pourquoi en effet ce discrédit?


Est-ce que la discipline, dispensatrice du temps, protec-
trice du travail, inspiratrice du bon esprit, gage des fortes
études, gardienne de l'innocence et des mœurs, nerf du rè-
glement intérieur, ressort puissant de l'Éducation tout en-
tière, est-ce que la discipline ne mérite pas tous les respects?


Elle est loin cependant de les obtenir toujours, et k«
noms les plus misérables, infligés à ceux qui la représentent»
sont là pour attester cet injuste et déplorable abaisse-
ment.


Quelle plaie n'est-ce pas pour certaines maisons d'Éduca-
tion que les maîtres d'étude ? d'où vient que le nom même en
a été avili, à ce point qu'on n'ose plus le porter? encore une
fois, pourquoi cela? Sans doute, plusieurs de ces employés
n'étaient que trop souvent dignes du mépris qu'ils obtô»
Baient-, mai* on peut dire aussi que souvent ils succombaient
sous le poids d'une charge impossible, et dans l'abaissement
de la fonction elle-même. On l'a si bien senti, qu'on a fait
des règlements pour relever la fonction, en faisant du maître
d'étude un répétiteur : ce n'est pas grand'eltose encore; mais
la tentative au moins prouve qu'on sent le besoin de ne pas
renfermer des hommes dans l'étroit horizon de la discipline
matérielle, et de les relever par une partieipa^Bn quelconque
à L'œuvre de l'Éducation intellectuelle.


Bans 1 » ptofHMt de» maison» d'Éducation chrétienne, c'est
au contraire par son alliance avec les antres fonctions que la
discipline est relevée et hon&rée


On respecte et on aime le président de récréation, qoand


1 II y a ic i , relativement a s * ordres religieux, une observation impsmfMsa
faire s c'est que l'état religieux, par lui-même, et ce n e » «te Père, donné atffi
maitres, même aux plas Jeunes, leu» confète, dans une certaine nwstfre, «M
véritable sup.ilémen*d'autorité. Ainsi, de jeunes scholastiqties sont employés aux




328 L1V. II. — LES MAITRES.


on le retrouve en classe, et le président d'étude, quand on le
retrouve aux examens et à la chapelle.


On respecte toutes les présidences disciplinaires, quand
on les voit exercées tour à tour par les premiers maîtres
d'une maison comme par les derniers, par le professeur de
rhétorique comme par le professeur de sixième.


Que la dignité sacerdotale et les fonctions pastorales s'y
joignent, et la présidence disciplinaire prendra vite le ca-
ractère sacré d'une mission de dôvoûment, et d'une sollici-
tude paternelle. Elle sera relevée par cela même qui la dé-
précie aux yeux des enfants et des maîtres, par ses pénibles
assujettissements.


IV


Ce que je dis des fonctions disciplinaires et des hommes
de la discipline, est vrai aussi du professorat et du Profes-
seur. Réduire la grande et haute mission d'un instituteur de
la jeunesse à professer une classe, que ce soit la sixième ou
la rhétorique, borner l'œuvre du Professeur à la distribution
de l'enseignement classique, sans autre action sur les élèves,
c'est amoindrir l'œuvre et l'homme.


Non, l'œuvre est plus grande, et le professorat peut être
une autre chose : le professorat, même laïque, qu'on l'entende
bien, peut et do^ être un vrai apostolat, et j 'ai connu des Pro-
fesseurs laïques, qui, réduits simplement à enseigner, mais ne
se réduisant pas, eux, à cet unique rôle, voyaient dans lè*urs
disciples non pas simplement des humanistes, mais des
hommes et des chrétiens à élever, s'occupaient de leur âme,
de leur cœur, de leur salut éternel, et non pas seulement de


fonctions disciplinaires ; mais la réputation de piété fervente où ils sont a bon
droit aux yeux des enfants leur concilie le respect : Les Pères qui professent, s'ils
ne sont pas présidente de discipline, prêchent et confessent; les Préfets et vice-
Préfets de discipline sont aussi des Pires vénérés dans la maison.




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 329


leur instruction scientifique ou littéraire, et trouvaient
moyen de travailler à leur vraie Éducation, tout en profes-
sant : ils savaient les rencontrer en dehors des classes, leur
parler affectueusement, se rendre dignes de leur confiance,
leur donner de bons conseils, et par là exerçaient sur eux
une action sérieuse et durable, et suppléaient du moins, par
l'esprit le plus élevé du système, au système lui-même des
fonctions simultanées.


Mais n'être que Professeur, et ne vouloir que professer, se
renfermer dans sa chaire et dans ses classiques, n'appa-
raître à ses élèves que quatre ou même deux heures par
jour, et en dehors de là ne les voir jamais, ne leur parler
jamais que grec et latin, histoire et géographie, mathéma-
tiques, physique ou chimie, et borner là toute son action sur
eux :je le répète, non, ce n'est pas là être un instituteur de
la jeunesse. Quoi qu'on fasse, et de quelque manière qu'on
enseigne, c'est se mouvoir dans un horizon trop rétréci,
c'est trop amoindrir une grande œuvre.


Mais l'homme ne souffre pas moins que la fonction de cet
amoindrissement. Sans doute, réduit à lui seul, le professorat
semble moins que la discipline une œuvre matérielle, et pa-
raît offrir, dans les classes supérieures surtout, à l'intelli-
gence du professeur, plus d'aliment : soit; mais qu'offre-t-il
de plus à son âme, à sa vie chrétienne et intérieure, et surtout,,
s'il est prêtre, à sa vie de prêtre? En quoi le commerce avec
les auteurs grecs et latins nourrit-il davantage la vie surna-
turelle, l'esprit apostolique, et en tous, prêtres ou laïques, la
flamme du zèle pour la grande œuvre de l'Éducation des
âmes? Bien plus, les grandes fonctions de l'enseignement, —
car je ne parle pas seulement ici de l'enseignement élémen-
taire, delà correction des thèmes et des versions, je parle
même des classes supérieures, — et je dis que les études pro-
fanes les plus élevées ont moins de variété et d'intérêt, plus
de monotonie et d'ennui qu'il ne semblerait d'abord : on




330 U V . 11. — LES MAITRES.


ne tarde pas à l'éprouver. Mais fussent-elles toujours
pleines d'attraits et de charmes, à quoi pourraient-elles
aboutir? A faire des littérateurs; mais un professeur, et
surtout un prêtre littérateur, qui n'est que cela, est peu de
chose : souvent la sécheresse du cœur et l'enflure de l'es-
prit, voilà ce qu'on retire de plus net de tout ce bagage litté-
raire.


Mais, de même que le zèle pour l'âme des enfants, répétons
le mot, que l'apostolat par l'Education, préserve le Préfet de
discipline ou le Président d'étude de la sécheresse d'âme d'un
censeur ou d'un maître d'étude universitaire ; de même il
garantit le Professeur contre le danger de devenir, comme
saint Jérôme, plus cicéronien que chrétien, et d'être, comme
saint Jérôme encore, repris de Dieu pour ses admirations pro-
fanes.


D'ailleurs pour tous, prêtres ou laïques, si, dans l'œuvre de
l'Éducation, ils n'ont jamais fait que la classe, le pédantisme
n'est pas loin.: le pédantisme, c'est-à-dire la fatuité, les pré-
tentions ridicules, souvent dans la plus complète inexpé-
rience des choses de la vie; puis des habitudes gauches, un
ton pédagogique, une incurable manie de disserter et de
professer, même quand on parle avec des hommes. Combien
en a-t-on vu, en effet, de ces scholâtres vieillis, n'ayant fait
toute leur vie autre chose que professer, et qui n'en avaient
rapporté que l'ignorance absolue des hommes et de la vie
pratique, incapables de quoi que ce fût en dehors de leurs
auteurs, pareils à ces musiciens qui ne sont plus rien quand
ils n'ont plus à la main leur instrument?


Certes, ce n'est pas la fonction même qui réduit à cela
certains hommes, c'est la fonction rétrécie, amoindrie, par
l'habitude du seul enseignement classique, à l'exclusion de
toute autre œuvre, pendant toute la vie.


Mais quand un prêtre n'arriverait pas, comme on y arrive
à degrés divers, à cette nullité, qu'est-ce dans une maison




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 334


d'Éducation qu'un prêtre qui ne veut être que professeur?
Le prêtre ne tarde pas à être absorbé dans le professeur,
et le professeur n'est bientôt plus, comme chez les anciens,
qu'une sorte de pédagogue, distributeur de latin et de grec,
qui oublie et fait oublier non-seulement qu'il est prêtre,
mais même qu'il est instituteur de la jeunesse; qui vit chez
lui et pour lui, très en dehors du mouvement de la maison,
très-étranger à l'œuvre morale qui s'y fait, très-indépendant
du Supérieur : on tel homme compte-il vraiment dans une
maison d'Éducation ? y exerce-t-il une influence sérieuse?
y fait-il une œuvre ?


Très-souvent, il n'y fait pas même bien sa classe, il ne la
tient pas, il ne la gouverne pas ; l'autorité morale, l'influence
réelle, lui manque, parce que la science classique, le talent
même d'enseigner ne suffisent pas ici ; parce que les simples
fonctions de l'enseignement, telles qu'il les comprend et
les exerce, ne lui donnent pas assez de prise sur les
âmes. Gela est si vrai, qu'une expérience irrécasable a ton-
jours constaté dans les professeurs étrangers à une maison,
et venant y donner leurs leçons dn dehors, ane véritable
infériorité morale, quelle que fût d'ailleurs leur instruc-
tion : c'est ce que m'affirmait eneore, il y a peu de jours,
un homme qui a longtemps vécu dans une institution libre
où venaient de ces professeurs : « Us ne peuvent tenir
« leurs élèves, me disait-il; les enfants n'ont pas pour eux
« assez de respect ; leur autorité réelle sur leur classe est
« nulle. »


Les aridités de l'enseignement et des études classiques, les
soins minutieux et monotones du professorat, je conçois
qu'un prêtre ou qu'un homme de cœur les accepte et s'y dé-
voue, quand il ne s'y emprisonne pas, quand il étend son
action au delà ; quand, par les fonctions de la discipline, il
se met en contact, non pas seulement dans la classe, mais à
l'étude, mais dans les jeux, mais partout, avec les enfants;




332 L1V. II. — LES MAITRES.


quand surtout, par les fonctions pastorales, par le caté-
chisme, par la prédication à la chapelle, par la confession,
par la direction morale, et il y en a une possible pour les
maîtres laïques eux-mêmes, il se met en rapport avec les
âmes : oui, je conçois alors qu'un prêtre trouve là un aliment
pour son cœur, pour son zèle, pour sa vie sacerdotale.


11 est vrai, l'horizon même de ce ministère n'est pas très-
étendu;il n'y a pas là autant d'âmes que dansune paroisse ;
mais ce sont des âmes multiples, si je puis me servir de ce
mot pour rendre ma pensée ; des âmes qui portent en elles, et
qui pourront sauver un jour une infinité d'autres âmes, à
cause des positions, des emplois, des relations, de l'influence,
quelquefois très-vaste, que ces enfants sont appelés à avoir
plus tard dans le monde et dans l'Église. Je comprends,
dans ces conditions, et avec de telles perspectives, la vie d'un
prêtre dans une maison d'Éducation : quel bien n'y a-t-il
pas à faire là par la discipline, et surtout par les fonctions
pastorales auprès de cette jeunesse ! Mais,un prêtre qui ne
comprend pas cela, qui est insensible à un tel bien, qui, en
présence de cette vive jeunesse, et de toutes ces âmes si pré-
cieuses, ne sait que se renfermer dans sa chambre, dans ses
livres et dans ses fonctions de professeur, en vérité est-ce un
prêtre digne de l'œuvre qu'il accomplit et du caractère qu'il
porte?


Que nul ne s'y méprenne ici, la discipline elle-même,
qui préside à tout, qui voit tout, qui entend tout, n'est
jamais une fonction subalterne : elle a au contraire une
part profonde dans l'œuvre de l'Éducation. Comment donc
un homme qui a dévoué sa vie à la jeunesse refuserait-il de
participer à la discipline ! ne montrerait-il point, par cela
seul, qu'il n'a pas la première idée de la grande œuvre dont
il s'occupe?


Mais pour m'adresser ici pbgs spécialement aux professeurs
prêtres, ce sont surtout les fonctions pastorales qui ajou-




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 333


tent à la dignité et à l'autorité d'un prêtre, et sont essentielles
à sa vie dans une maison d'Éducation. Ce sont elles, elles
seules, qui le font paraître comme prêtre devant les enfants,
etqui, par conséquent, le revêtent à leurs yeux de lamajesté
du sacerdoce. Quand un homme, occupât-il le dernier rang
dans une maison, a été posé, devant la maison tout entière,
dans la dignité et la grande autorité du ministère évangèlique,
quand il a dit à tous du haut de la chaire : « Mes enfants ! »
quand il les a tous tenus inclinés sous sa parole, l'action
qu'il a exercée là persévère, bon gré mal gré, et l'environne
aux yeux de tous, même en dehors des fonctions sacrées et
de la chapelle, d'un prestige qu'ils subissent. Il n'est plus pour
eux alors simplement professeur ou président d'étude, il est
prêtre : ils l'ont vu agir en prêtre, il ont vu et senti le sacer-
doce en lui, l'impression sur eux en est profonde, et toute son
action dans la maison s'en ressentira.


Et d'un autre côté, si un prêtre dans une maison d'Éduca-
tion ne fait simplement que dire la messe et confesser les
enfants, sans prendre aucune part à l'enseignement, à la dis-
cipline, sans voir les enfants ailleurs qu'à la chapelle, com-
bien son ministère en est-il affaibli et diminué d'une certaine
manière. Le prédicateur, le confesseur, totalement étranger
à la discipline, aux études, aux récréations, aux jeux, aux
conversations, aux habitudes des enfants, est privé des lu-
mières les plus précieuses pour leur conduite et leur correc-
tion. Celui au contraire qui les voit partout, qui les suit là
où leurs défauts et leurs qualités paraissent, où leur caractère
,se révèle, où leur âme s'épanouit, où leur cœur se montre,
où à chaque instant on peut prendre leur nature sur le fait,
combien mieux les connaît-il ! combien plus à propos et plus
habilement peut-il leur parler et les diriger !


Qui ne sait que la parole adressée aux enfants, pour qu'elle
ne se perde pas en l'air, pour qu'elle porte, doit être adaptée
parfaitement, non-seulement à leur intelligence, mais encore




334 LIV. O . — LES MAITRES.


et surtout à leurs dispositions actuelles, si mobiles, si
dépendantes de la moindre circonstance? Car rien de
plus variable et de plus inconstant que ces jeunes âmes,
rien de plus accessible aux impressions des choses et aux
incidents de chaque heure : il y a des choses qu'il ne faut
absolument pas leur dire dans tel moment, mais qui tel au-
tre jour leur feront une impression profonde; il y en a d'au-
tres sur lesquelles il est tout à fait besoin d'insister auprès
d'eux, à l'heure même ; il y a des traits qu'il est surtout à pro-
pos de leur lancer sur-le-champ. Si, avec un tel auditoire, le
ministère de la parole est confié à des hommes qui vivent en
dehors delà vie même des enfants, loin de ce qui les agite et les
trouble, de ce qui les réjouit ou les attriste,de ce qui les irrite
ou leur agrée, comment la parole de tels hommes pourra-
t-elle gouverner ces mobiles esprits, trouver le chemin de leurs
âmes, frapper juste, et produire les fruits qu'elle doit pro-
duire ? Dans de telles conditions, la prédication sera pres-
que nécessairement vague et vaine.


Que dirai-je même du ministère plus intime de la direc-
tion, de la confession, là où l'on n'a jamais trop de lumières,
là où il est si important de savoir très-précisément où en est
un enfant, quelles sont ses dispositions et ses tendances du
moment, la pente par laquelle il glisse, les liaisons peut-être
dangereuses qui vont commencer pour lui ; que sais-je? mille
choses qui ne se peuvent énumérer et qui suggéreraient au
directeur, au confesseur, ce qu'il y a à faire, cequ'il y a à dire,
le mot, l'unique mot peut-être, qu'il faudrait à l'enfant pour
le retenir et le sauver ? Toutes ces connaissances, ce sont les
classes, ce sont les notes, c'est la discipline, les récréations,
les jeux, l'attitude même des enfants, leur visage, leur lan-
gage, qui les révèlent. Mais pour cela il faut les voir, les
connaître. Non, si l'on veut remplir utilement ces gran-
des fonctions pastorales, qui à leur tour réagissent sur
toutes les autres et sur tout l'ensemble de l'Éducation, il




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 33&


est évident qu'il faut se mêler à l'Éducation tout entière.
En résumé donc, le système que nous exposons ici est ré-


clamé par la nature même de l'Éducation : dans une œuvre
qui est une, et dont les diverses parties se pénètrent réci-
proquement, il faut, non l'action divisée et amoindrie de
chacun, mais la participation de tous à l'œuvre tout entière.


De plus, ce système est infiniment plus avantageux à
chaque fonction et à chaque maître : car la discipline sou-
tient l'enseignement, et l'enseignement donne de l'autorité
à la discipline ;


De leur côté, les fonctions pastorales relèvent et fortifient
toutes les autres fonctions, comme elles sont à leur tour
éclairées et soutenues par elles ;


Enfin chaque maître trouve dans l'extension de sa sphère
d'action plus de dignité, plus d'influence, plus de connais-
sance des enfants, et plus de zèle.


V


Tels sont donc les avantages évidents du système que
nous soutenons, et je dois ajouter que s'il apporte aux maî-
tres quelques assujettissements de plus, il est au fond, et
pour peu que les maîtres soient des hommes de zèle et de
bonne volonté, d'une très-facile exécution. Car en somme,
quelles sont ses exigences? Les voici.


C'est d'abord que tous les maîtres d'une maison, profes-
seurs de quelque classe que ce soit, présidents d'étude, pré-
fets de discipline, directeurs, économes, s'ils sont prêtres,
prêchent et confessent : mais réparties entre tous, la prédi-
cation et la confession, dans les plus nombreuses maisons
d'Éducation, ne donnent à chacun des maîtres qu'un petit
nombre d'enfants à entendre et de diseours à fournir, et,
sansles écraser, leur conservent le caractère et l'esprit sa-
cerdotal ;




336 L1V. I ) . — LES MAITRES.


C'est ensuite que tous les maîtres, prêtres ou laïques, assis-
tent : aux retraites, qui sont la grande action sur l'âme des
enfants, et comme la mise en train de l'année tout entière ;
aux offices les dimanches et jours de fête, ainsi d'ailleurs
que tout bon chrétien doit le faire ; et à la lecture spiri-
tuelle, centre de toute la maison, seul exercice commun du
reste, qu'on le remarque bien, où leur présence soit exigée ;


C'est encore que tous les présidents d'étude, les préfets de
discipline et l'écorrome, comme les professeurs, assistent aux
examens, aux séances académiques, aux fêtes littéraires,
et même accompagnent quelquefois M. le Supérieur ou M. le
Préfet des études dans la visite des classes : témoignant
ainsi aux élèves l'intérêt et la part qu'ils prennent à leurs
travaux, à leurs succès, et gagnant par là à leurs yeux un
surcroît de respect et d'autorité;


C'est que tous enfin se partagent la présidence si impor-
tante des dortoirs, des récréations et des promenades : pré-
sidence qui, en ce qui concerne les dortoirs, est, à vrai dire,
un avantage, en ce sens qu'elle supprime toute visite rendue
ou reçue à cette heure, fait éviter une perte de temps, et ré-
serve le libre et utile emploi de la soirée ; et, en ce qui con-
cerne les récréations et les promenades, présidence qui au
fond ne prend rien sur les heures du travail, et ne se pré-
sente guère dans une maison bien instituée, que toutes les
cinq ou six semaines, c'est-à-dire à peu près six ou sept fois
par an.


En vérité, sont-ce donc là des charges insupportables?
Non certes, et des hommes tant soit peu dévoués ne le


penseront jamais. Après tout, il ne faut pas l'oublier, l'œuvre
de l'Éducation est une œuvre sérieuse, et elle réclame non
des hommes qui comptent strictement les minutes qu'ils
donnent, et sont plus préoccupés de leurs aises et de leur
liberté que de l'œuvre à faire, mais des hommes qui avant
tout, et à tout prix, veulent le bien réel des enfants.




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 337


Tout, en un mot, se réduit à dire qu'un homme qui se des-
tine à l'Éducation de la jeunesse doit prendre son parti d'une
vie dévouée.


Et qu'on ne pense pas d'ailleurs que des hommes qui n'au-
raient qu'une partie de l'œuvre à faire, y apporteraient plus
de cœur : non, le dévoûment à une œuvre est en raison de
la part active qu'on y prend, et il est d'expérience qu'on s'in-
téresse aux détails d'autant plus qu'on s'intéresse a l'en-
semble. Est-ce qu'un statuaire qui ne ferait que des mains
ou des bras, mais jamais une statue, apporterait autant de
cœur à son œuvre, que l'artiste appliqué à faire sortir de
son ciseau la statue entière, animée et vivante? De même
pour l'Éducation, qui sculpte aussi, à la ressemblance d'un
divin idéal, non des pierres, mais des âmes. Appliquer,
dans une juste mesure, tous les maîtres à toute l'œuvre, c'est
évidemment inspirera tous et à chacun une plus grande
somme de dévoûment, une plus vive flamme de zèle que s'ils
restaient parqués invariablement en un seul et même détail,
en un même et unique emploi.


Dans cette belle union et ce concert d'actions et d'efforts,
l'œuvre propre de chacun est fortifiée par sa participation
à l'œuvre de tous, et l'œuvre de tous fortifiée par la parti-
cipation de chacun. Tous s'appuient, se soutiennent, se por-
tent, et l'œuvre se fait, et le char marche. Ainsi, pour
emprunter en terminant à l'Écriture sainte une belle compa-
raison , ainsi en était-il du char mystérieux qui apparut à
Ézéchiel. Les quatre animaux qui le traînaient avaient chacun
quatre faces diverses, quatuoi' faciès uni, et chacun avait son
élan, et marchait devant soi, unumquodque coram facie sua
ambulabat ; mais leurs ailes étaient unies les unes aux autres,
dit le prophète, junctœque erant pennœ eorum alterius ad
alterum, et leurs efforts conspiraient au même but. Soutenus
et portés les uns par les autres, ils volaient sans efforts et
sans fatigue chacun devant soi, selon le souffle de l'esprit


nt. 22




338 LIV. IL — LES MAITRES.


divin qui les animait : Ubi erat impetus Spiritus, Uluc gra-
diebantur ; et voilà pourquoi le char marchait sans secousse,
avançait sans reculer, et parvenait au terme : Nec reverte-
bantur cum ambularent. Il ne se peut une plus juste et plus
noble image de l'union d'action et d'efforts que nous deman-
dons, et des résultats merveilleux qui seront le fruit de
ce concert pour la marche de toutes choses dans une mai-
son.


VI


Et, pour joindre ici à toute cette théorie un exemple frap-
pant et bien connu, je n'hésite pas à dire que les merveilleux
succès partout obtenus dans la direction des grands sémi-
naires par les vénérables prêtres de Saint-Sulpice, tiennent
en grande partie à l'application la plus dévouée et la plus
complète de ce système des fonctions simultanées. H y a or-
dinairement dans chaque grand séminaire six prêtres, Supé-
rieur, professeurs, économe : chacun de ces prêtres a sa
fonction spéciale ; mais tous concourent avec zèle et dans
une action commune à toute la grande œuvre de l'Éducation
ecclésiastique. Tous dirigent, tous prêchent, tous assistent à
tous les exercices avec les séminaristes, tous interrogent aux
examens, tous sont présents et mêlés aux jeunes gens dans
les récréations et les promenades : en sorte que, si l'on de-
mandait à un sulpicien : Que faites-vous dans votre sémi-
naire? ce sulpicien, pour donner la réponse la plus vraie et
la plus complète, devrait dire, « non pas je suis professeur
de théologie, non pas je suis maître de cérémonies, non pas
je suis économe; mais je travaille à former des prêtres. » Eh
bien! voilà ce que je voudrais que pût répondre tout homme,
prêtre ou laïque, employé dans une maison d'Éducation :
quel que fût d'ailleurs son emploi spécial, je voudrais que
cet homme pût répondre : « Je travaille à élever, à former




CH. X. — SYSTÈME DES FONCTIONS SIMULTANÉES. 339


des hommes. » C'est toute l'idée et tout le but de ce qui s'ap-
pelle le système des fonctions simultanées.


Et si à côté de cet admirable exemple des prêtresde Saint-
Sulpice, il m'est permis d'en placer un autre, je dirai que ce
n'est pas d'après une théorie préconçue, mais d'après ce que
j 'a i vu, d'après l'expérience, que je préconise le système
des fonctions simultanées : je l'ai vu pratiquer sous mes
yeux, au Petit Séminaire de Saint-Nicolas, et à l'heure qu'il
•est encore au Petit Séminaire d'Orléans, avec zèle et avec
succès ; et je puis ajouter ici, et c'est un hommage qu'il m'est
doux de rendre à mes anciens et nouveaux collaborateurs,
que si la nouveauté du système, quand il en fut question
pour la première fois, excita quelque étonnement, les objec-
tions cessèrent bientôt, et les consolants résultats du dé-
vouaient unanime de tous à l'œuvre de l'Éducation tout
entière témoignèrent à la fois de leur zèle et de la bonté
du système.


Une lettre qui fut écrite alors par l'un d'eux, professeur
d'une des classes supérieures, après une semaine de très-
pénible surveillance disciplinaire, et lue devant tous en con-
seil, est un monument précieux de l'esprit véritablement
sacerdotal qui animait ces jeunes et excellents prêtres : je
ne puis mieux terminer ce chapitre qu'en la citant tout en-
tière ici : •


« Et moi aussi, écrivait-il, j 'avais cru voir d'abord dans
le système nouveau une surcharge excessive ; mais l'expé-
rience et la réflexion m'ont bientôt détrompé, et en regar-
dant les choses de près, et me rendant de bonne foi compte
de tout, il m'a paru clairement qu'il ne s'agissait que de
bien régler sa vie et son temps, dans les semaines même les
plus occupées, pour suffire à tout, et cela sans fatigue extraor-
dinaire, ni aucune diminution du sommeil et du délasse-
ment nécessaire. Ainsi par exemple, la règle accorde huit
heures de sommeil : mais le système veut qu'on prenne ces
huit heures; et les présidents de dortoir ne sont réveillés




340 LIV. H . — LES MAITRES.


que 7 minutes avant les autres. La règle accorde 3 heures
moins 4/4 de récréation : mais le système veut précisément
qu'on les prenne et qu'on joue avec les enfants. La prépara-
tion exigée par les classes, à quoi se réduit-elle? A deux
heures ; et encore il faut remarquer qu'il n'y a en somme que
quatre jours sur sept d'occupés comme cela; pour les trois
autres jours, on a de libre la journée entière ou la moitié,
et le système se borne à demander quïls soient employés aux
choses moins réglées qui se rencontrent et qui sont rares.
L'instruction au catéchisme ne revient guère que toutes les
six semaines ; l'homélie à la chapelle tous les deux ou trois
mois. Chacun de nous n'a guères qu'une vingtaine au plus
d'enfants à confesser. Et c'est tout. En vérité, ce n'est pas
exorbitant. Sans compter que la division des classes, en
diminuant pour chaque professeur le nombre des élèves,
diminue par là même le travail.


« Après avoir fait ces réflexions, je me suis mis avec cœur
à la présidence dont j 'étais chargé. Néanmoins, ma dernière
semaine de présidence au premier de l'an avait été si labo-
rieuse, qu'il m'en était resté un souvenir peu attrayant : je
crus devoir noter pour mon compte personnel, quelques
bonnes résolutions pratiques, afin de me soutenir dans ma
tâche. Comme il peut être utile à nous tous de nous com-
muniquer les moyens que chacun de nous imagine pour
bien remplir ses fonctions, je les dirai très-simplement ici :


a 4° Deux ou trois jours à l'avance, j'avais relu dans
M. de la Salle, les chapitres de la force, de la douceur, de
Impatience,de Imprudence, et des conditions de la correction.


« 2 ° Je m'étais ensuite recueilli plus qu'à l'ordinaire,
pour réparer par avance la dissipation inséparable de cette
surveillance.


« 3° Je m'étais dit que cette semaine, la chose à laquelle je
devais m'appliquer particulièrement était cette surveillance :
sans toutefois négliger en rien mes devoirs de professeur.


a 4° Je me préparais aux plus graves difficultés de la part
des enfants, cherchant en quoi je pouvais ou les prévenir ou
les réparer.


« 5» Je dis à ma messe l'oraison Pro familia sibi commissa ;
plusieurs fois le psaume Nisi Dominus custodierit domum...
frustra vigilat qui custodit eam. La veille au soir j'allai offrir




CH. XI. — L'HOMME ItE PRIÈRE. 341


toute la maison, qui m'était spécialement confiée, à la sainte
Vierge, lui demandant que mon défaut de vigilance ou d'at-
tention, ou mes fautes passées ne fussent pas cause que
Dieu fût offensé pendant ce temps.


« Et c'est parce que, malgré les dérangements d'un examen,
les longues récréations dans les salles, et le temps fort plu-
vieux, cette semaine m'a été non-seulement moins pénible,
maisp/ws heureuse elplus recueillie que les autres, que je me
permets, ou plutôt que je crois devoir dire en toute simpli-
cité a des prêtres, ce que prêtre j'ai cru devoir faire. »


En relisant cette lettre après un si long temps, je me sens
ému et attendri, parce que je reconnais dans ces paroles,
dans cet épanchement fraternel et sacerdotal, l'accent du
vrai zèle, et cette flamme de l'apostolat, dont la grâce de Dieu
avait autrefois allumé dans nos cœurs quelques étincelles :


Agnoscoveteris vestigia flammœ!


CHAPITRE XI


L'homme de prière.


De tout ce qui vient d'être dit, s'il résulte clairement une
chose, c'est que les hommes de l'Éducation sont des hommes
d'action et de dévoûment. La vie, dont nous avons donné
l'idée réelle par les règlements qui précèdent, évidemment
n'est pas une vie de loisir et de plaisir : c'est une vie de noble
labeur et de sollicitude incessante, une vie de zèle et de sa-
crifice.


Mais, pour mener une telle vie, pour être les hommes de
ce dévoûment et de ce sacrifice, et pour l'être avec cons-




342 LIV. II. — LES MAITRES.


tance, il faut être des hommes de vie intérieure, des hommes
de prière.


L'homme d'action, l'homme de conseil, l'homme de dé-
voûment lui-même, tomberont bientôt, si l'homme de prière
ne les soutient.


Tout édifice qui s'élève a un fondement qui le porte : enfoui
dans la terre profonde, ce fondement ne se voit pas, mais
c'est lui qui soutient tout.


De même, les grandes œuvres qui s'opèrent, les grandes
vies qui se déploient, ont dans les profondeurs de l'âme leur
racine cachée, d'où s'élève avec force et noblesse tout ce qui
parait et s'épanouit au dehors.


Cette vie occupée et laborieuse que nous avons décrite,
ces détails, ces sollicitudes, cette responsabilité, tout cela,
est-ce toute la vie d'un prêtre dans une maison d'Éducation f


Un instituteur n'a-t-il rien de plus à faire, pour lui-même-
et pour ses enfants, rien de plus pour le soutien de son âme,
pour sa vie sacerdotale, s'il est prêtre, et aussi pour le bien
de son œuvre, et le succès de son ministère ?


Non : tout cela, c'est ce qui se voit, c'est ce qui paraît; mais
ce n'est pas tout. Il y a autre chose qui ne se voit pas, qui
ne paraît pas, et qui est le plus essentiel devoir de l'instituteur,
et fait plus pour l'œuvre de l'Éducation que l'exacte observa-
tion de tous ces règlements, que le dévoûment, que le talent
même. Il y a quelque chose qui est la racine secrète de toute
cette action, l'inspiration de ce dévoûment, quelque chose
qui soutient et dirige l'instituteur dans tout ce labeur, et ap-
pelle sur ses travaux la rosée du ciel, la bénédiction de Dieu.
Cette force invisible et cachée, ce mystérieux auxiliaire de
l'Éducation, le complément de tous ces moyens et de toutes
ces ressources, je le dirai, c'est l'esprit intérieur, c'est la
vie de prière, en un mot, c'est la piété.


Oui, pour l'œuvre si délicate et si laborieuse de l'Éduca-
tion des âmes, la piété, la vie de prière, j'ose le dire, c'est




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 343


le principe, c'est la force de tout. Donnez-moi un professeur
vraiment pieux et nomme de prière, non-seulement je ne
douterai point de son zèle, non-seulement tout ce qu'il lui
sera possible de faire, je suis sûr qu'il le fera ; mais je serai
sûr aussi qu'il le fera avec un courage persévérant ; et labéné-
diction de Dieu, attirée par ses prières, ne manquera pas à
ses travaux. Mais si dans son cœur le fondement de la vie
intérieure et de la prière fait défaut, le reste sera caduc :
cette grande action que nous avons décrite se ralentira, le
dèvoûment se lassera, les travaux commencés-: avec le plus
de zèle resteront inachevés ou stériles : s'il est prêtre, la vie
sacerdotale elle-même languira, périra : on cherchera dans le
professeur, dans le maître, quel qu'il soit, on cherchera le
chrétien, on cherchera le prêtre, on ne le trouvera plus.


Je voudrais ici convaincre profondément tous les hommes
d'Éducation, prêtres ou laïques, de la nécessité rigoureuse
où ils sont de devenir des hommes pieux, des hommes de
prière, pour eux-mêmes d'abord, pour leur âme, pour leur
salut, pour leur bonheur; et aussi pour leur œuvre, pour le
succès de leur grand ministère.


Oui, l'homme d'Éducation doit être avant tout et par dessus
tout un homme de piété,- et ici, je le dois bien expliquer,
j'entends parler d'une piété véritable et non d'une piété illu-
soire; d'une piété sérieuse, enracinée dans l'âme, et non
d'une piété superficielle ou d ' imagina^^ , d'une piété vi-
vante et non d'une piété morte. La piété que je demande à
l'homme d'Éducation, c'est une piété qui prenne sa source
dans une foi vive, dans un sentiment profond du cœur, et qui
s'appuie sur des pratiques, se conserve par le recueillement,
se nourrisse par la prière.


Ma conviction sur ce point est tellement ferme, que je dis
sans hésiter: Ne meparlez pas, pourl'Éducation, d'unhomme
qui n'ait pas une telle piété : ni l'activité, ni l'intelligence,
rien n'y peut suppléer en lui ; si elle lui manque, c'est une




344 U V . II. — LES MAÎTRES.


lacune que rien ne comblera, qui se fera toujours sentir pai
quelque endroit. L'édifice péchera toujours par le fondement
et croulera.


I
Je pourrais commencer par dire : vous êtes prêtre, donc


vous devez être un homme intérieur, un homme de prière.
Le prêtre ne se conçoit pas autrement.


Il y a dans ̂ 'Écriture un mot admirable, qui exprime mer-
veilleusement toute la dignité du prêtre, et en même temps
ses devoirs : Tu autem, ô homo Dei : Mais vous, ô homme de
Dieu ! Mais qu'est-ce que l'homme de Dieu, si ce n'est
l'homme uni à Dieu, l'homme recueilli avec Dieu dans la
prière ? L'idée d'homme de Dieu n'implique-t-elle pas néces-
sairement l'idée d'homme de prière ?


Mais je veux me placer ici au point de vue même de la si-
tuation personnelle des hommes voués à l'enseignement; je
prends un maître dans un collège, dans un séminaire, avec
des enfants, qu'il soit prêtre, ou laïque, pourvu que ce soit un
laïque bon chrétien, et je lui dis : Là, dans le grand ministère
de l'Éducation, non moins que dans le ministère des pa-
roisses, si vous êtes prêtre, et plus que dans toute autre fonc-
tion, si vous êtes laïque, vous avez besoin d'être un homme
de prière, et de tr^gper fortement votre âme dans l'esprit de
la piété chrétienne ou sacerdotale. Pourquoi ?


D'abord, parce qu'une vie de collège est une vie très-"
occupée, souvent même une vie accablée ; or, plus le travail
extérieur occupe, absorbe un chrétien ou un prêtre, plus il
a besoin de vie intérieure ; c'est-à-dire de se retrouver avec
lui-même, de refaire et de fortifier son âme avec Dieu : autre-
ment il verra bientôt se dissiper et s'évanouir en lui l'esprit
chrétien ou l'esprit sacerdotal.


Il tombera dans ce triste état, si énergiquement défini par




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 345


saint Bernard, lorsqu'il disait : Votre vie n'est pas autre
chose qxCafflictio spiritus, evacuatio gratice, et evisceratio
mentis. Fénelon, dontj'emprunterai souvent le langage dans
ce chapitre, écrivait à un laïque de ses amis : « Ne vous livrez
pas au torrent des affaires; s'il vous entraîne, vous êtes per-
du. » Il ajoutait : « Réservez-vous toujours des temps pour
être libre et seul avec Dieu. » Cela est évident : tout homme
qui se dépense pour les autres, s'il ne veut pas ruiner son âme,
a besoin d'avoir des moments pour se retrouver, se recueillir
en lui-même, se refaire avec Dieu. C'est très-bien d'agir et
de se donner, écrivait encore Fénelon à son ami ; mais il faut
aussi recevoir et se nourrir ; autrement on s'épuise, et on
tombe d'inanition ou de fatigue. Il est assurément très-bon
de songer aux autres, et de travailler à leur salut ; mais,
pour cela, il ne faut jamais s'oublier soi-même, et délaisser
sa propre sanctification. Fissiez-vous des miracles, si vous
vous négligez vous-même, dit l'auteur del'Imitation, qu'avez-
vous gagné? Quid prodest, se neglecto, signa facere ?


Il faut donc savoir s'arracher de temps en temps aux af-
faires, et, qu'on soit prêtre ou laïque, avoir ses moments de
calme, où l'on possède son âme dans la paix, où l'on vit pour
soi, après avoir vécu pour les autres, où l'on se tient tranquille
sous le regard et la main de Dieu, où l'on se repose à ses
pieds. On se relève de là plus propre aux affaires : on se sent
libre, soulagé, simple, décisif pour l'action : je l'affirme, pour
l'avoir expérimenté bien des fois, je n'ai jamais eu de colla-
borateurs plus dévoués et plus effectifs que ceux qui, dans
l'occasion, me refusaient leur travail pour demeurer fidèles à
prier et à lire aux heures de recueillement : les autres ne
me faisaient le plus souvent que de la mauvaise besogne, ce
que saint Bernard appelle : aranearum telœ.


Le danger des hommes très-occupés, c'est de se perdre ,
c'est de s'absorber dans l'action ; mais leur besoin, c'est de
se replier en eux-mêmes, pour y réparer, dans le recueille-




346 LiV. II. — LES MAITRES.


ment avec Dieu, tout ce qu'ils ont dépensé au dehors. Le
sentiment intime du devoir s'émousse au sein des distrac-
tions d'une vie préoccupée, s'il n'est pas ranimé par la grâce
de Dieu; la source intérieure de la piété tarit, si elle n'est
pas alimentée par les eaux vives, et les effusions de l'Esprit-
Saint. Alors, que devient un instituteur? Sans l'onction inté-
rieure de l'amour de Dieu, sans la force mystérieuse de la
piété, sans le ressort surnaturel de la grâce, il n'est plus
l'homme de Dieu, il n'est plus que lui-même, il n'a plus son
point d'appui en Dieu, mais en lui seul. Eh bien ! quels que
soient son mérite, sa capacité, ses talents, c'est peu de chose
que lui-même, j'ose le dire, c'est une grande faiblesse que sa
force.


« L'action, quand elle est continuelle, dit Fénelon, et iso-
lée de Dieu, dessèche et décourage. » Les occupations ex-
térieures, l'agitation, le mouvement, ne suffisent pas à con-
tenter, à remplir, à apaiser. « On est plein alors, dit encore
Fénelon, mais plein de rien. » C'est une fausse et vaine plé-
nitude. L'âme n'y trouve pas son véritable aliment, et n'étant
pas nourrie, elle s'épuise, et, épuisée, elle retombe pénible-
ment et tristement sur elle-même. Que de fois l'homme qui
n'est pas vraiment pieux l'éprouvera-t-il ! Mais l'homme qui
a dans son cœur une vraie source d'amour de Dieu, trouve
dans ce doux et fort amour une sorte de nourriture supé-
rieure qui répare ses forces, qui lui redonne ce qu'il a dépensé
et perdu dans l'action, qui lui fait porter le fardeau de ses
devoirs sans trop en sentir le poids; ou si le poids se fait
sentir, comme il est inévitable, si l'accablement survient, si
les forces fléchissent, il reste au moins quelque chose qui
soutient, qui relève, qui ranime et réconforte.


I I


Mais, je l'ajoute, la nature même des occupations dans une




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 347


maison d'Éducation rend d'une absolue nécessité pour un
maître, qu'il soit prêtre ou laïque, l'habitude du recueille-
ment, de la prière et des exercices réguliers de piété. Qui le
peut savoir, qui le doit sentir mieux que les hommes livrés
à ces occupations? Non-seulement les travaux de l'enseigne-
ment, de la surveillance, de la direction d'une nombreuse
maison, absorbent une vie, et souvent laissent à peine res-
pirer ; mais ces fonctions ne sont pas seulement accablantes
par leur multiplicité et leur continuité, elles sont souvent
irritantes et pleines d'ennuis. Les enfants ne sont pas tou-
jours aimables. Les journées, dans un collège, bien souvent
sont arides et laborieuses ; elles se suivent, presque toutes
monotones, fastidieuses, pénibles à la nature, toujours sem-
blables à elles-mêmes, et ne différant guère les unes des
autres que par les soins nouveaux qu'elles amènent.


Et à quoi se passent-elles d'ailleurs? A des occupations en
soi bien profanes : à enseigner la grammaire, l'orthographe,
l'histoire, la géographie, les mathématiques, à expliquer les
auteurs latins, grecs et français; "% corriger des copies;
à présider des études, des récréations et des -promenades; à
gourmander la paresse, à lutter avec la dissipation.


Sans doute ces travaux peuvent, comme toute chose, être
rapportés à Dieu ; mais enfin ils n'entretiennent pas de Dieu
directement : comment pourraient-ils suffire à l'âme d'un
prêtre ou d'un chrétien fervent? Non, si les heures de recueil-
lement, si les exercices de piété, si la prière n'étaient pas là,
poar ramener ce pauvre professeur du dehors au dedans,
des pensées profanes aux pensées de Dieu, pour compenser
les pertes de l'âme, pour lui donner son aliment réparateur
et vivificateur, infailliblement le cœur se dessécherait, la
piété s'en irait, la flamme du zèle s'attiédirait, l'esprit •ctoré-
tiea, l'esprit sacerdotal se perdrait.


La prière, mais pour ua tomïne «nniHyé, et quelquefois
accablé, c'est le repos, c'est la paix, c'est la douceur, c'est




343 L1V. II . — LES MAITRES.


la force. Oh ! qu'il est doux à un professeur qui a fait toute la
journée du latin et du grec, à un préfet de discipline qui a
eu du matin au soir à lutter contre la dissipation et la turbu-
lence de deux cents enfants, à un Supérieur qui s'est fatigué
à mille surveillances, à mille soins divers, qu'il est doux à
tous ces hommes de se retrouver de temps à autre paisibles,
recueillis, seuls avec Dieu seul, avec l'ami véritable, avec
celui qui, au fond, ne les fatiguera jamais, et les reposera
de tout, et pour lequel ils savent bien qu'ils travaillent!


Ce n'est pas tout : outre ces labeurs et ces ennuis, qui
peuvent être acceptés par dévoûment, mais n'en sont pas
moins sensibles à la nature, la vie du collège a d'autres
épreuves : c'est une vie de communauté, et dans toutes les
communautés, même les meilleures, il faut vivre avec des
esprits, des humeurs, des caractères, différents de son
esprit, de son caractère, de son humeur; en un mot, il y a
à souffrir et à supporter. Il faut de la patience ; on en a, mais
enfin il en faut. On se résigne à souffrir; mais on souffre. On
pratique le précepte de saint Paul : Supportantes invicem...
Aller alterius onera portate ; on se supporte mutuellement,
on porte les fardeaux les uns des autres. Mais ces vertus-là
sont-elles dans l'âme sans la piété? est-ce que ce n'est pas la
piété qui aide à les pratiquer ? est-ce qu'un homme sans
piété les pratiquera?


Et puis, est-ce qu'il n'y a pas, au collège, comme partout,
les tristesses des choses, le poids de la vie, cet inexorable
ennui, comme ditBossuet, qui fait le fond de la vie humaine,
les abattements, les découragements, le cœur qui défaille,
l'âme qui retombe sur elle-même ? Chacun a ses difficultés et
ses peines, ses insuccès et ses mécomptes : les enfants qui ne
répondent pas à votre affection ; des efforts qui demeurent
infructueux; des ingratitudes inattendues, des injustices
révoltantes : ah ! oui, il y a des moments où on sent la charge,
on la sent là, qui pèse sur les épaules, et on ne sait comment




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 349


la porter : combien de fois, un Supérieur surtout sent-il cela !
Eh bien ! dans ces moments pénibles,"dans ces ombres de la
tristesse, dans cette nuit de l'âme souffrante, où est le re-
fuge ? où sera la consolation et la force, le rayon de joie et de
lumière ? Dans l'ami véritable, dans le père, en Dieu, et dans
la prière qui nous ramène à ses pieds, ou plutôt sur son cœur.


« Oh! s'écriait autrefois Fénelon, que Dieu est compatissant
et consolant pour ceux qui ont le cœur serré, et qui recou-
rent à lui avec confiance ! Les hommes sont secs, critiques,
rigoureux, et ne sont jamais condescendants qu'à demi ; mais
Dieu supporte tout, il a pitié" de tout; il est inépuisable en
bonté, en patience, en ménagements : aimez-le donc au-des-
sus de tout, et ne craignez qu'une chose, non de Vaimer trop,
mais de ne pas Vaimer assez. Il sera lui seul votre lumière,
votre force, votre vie, votre tout. Oh! qu'un cœur est riche et
puissant au milieu des croix, lorsqu'il porte ce trésor au
dedans de soi ! »


Oui, de deux hommes également occupés au dehors, mais
inégalement pénétrés de piété et d'esprit intérieur, celui qui
sera le plus fort et le plus persévérant dans l'action, le plus
affermi contre les découragements ou les tristesses, le plus
résigné et le plus persistant dans les peines, dans les
épreuves, dans les insuccès, celui qui en définitive fera le
plus et fera le mieux, c'est incontestablement celui qui aura
plus abondante au cœur la source de la piété, c'est celui qui
se dérobera le plus fidèlement, dans les heures fixées, à l'ac-
cablement du travail, pour se recueillir devant Dieu, et se
retremper dans la prière.


L'instituteur a donc besoin de la prière, parce qu'il a be-
soin de Dieu, parce que Dieu est tout pour lui, parce que
sans Dieu il n'est rien et ne peut rien, il languit et défaille
comme une pauvre terre aride et sans eau.




350 L1V. 11. — LES MAÎTRES.


I I I


D'ailleurs, il faut le dire : tout ministère a besoin, pour
être fécond, de la grâce de Dieu. L'œuvre de Dieu, quelle
qu'elle soit, ne se fait pas par le talent de l'homme, mais
par la vertu de Dieu : or, l'œuvre de l'Éducation, cette œuvre
qui s'accomplit essentiellement dans le fond des ' âmes,
qui oserait penser, même parmi les hommes les plus éloi-
gnés de la religion, qu'elle puisse réussir sans une particu-
lière bénédiction de Dieu? Mais cette bénédiction, qui la
mérite? qui l'attire? Est-ce l'homme dissipé, l'homme irré-
ligieux? Quoi ! vous élevez la jeunesse et vous ne priez ja-
mais ! Eh bien 1 moi, je vous déclare que la piété, que la
prière ici fait plus que le talent, que la science, que l'habi-
leté la plus raffinée.


On est étonné souvent de l'infécondité évidente, des échecs
complets de certains hommes, auxquels rien ne manque
d'ailleurs, humainement parlant, pour réussir auprès des
enfants ; mais il leur manque quelque chose que les qualités
naturelles ne suppléent pas, il leur manque l'onction d'une
certaine grâce que le zèle humain ne remplace pas, il leur
manque l'accent de l 'âme, il leur manque la persuasion
d'une certaine vertu, il leur manque en un mot d'être
des hommes de Dieu. Là est le secret de leur stérilité spiri-
tuelle, de leurs insuccès ; tandis que des hommes moins ha-
biles, moins brillants, mais d'une piété vraie et solide, ont
plus d'action sur l'âme des enfants, et font en définitive le
bien, et quelquefois le grand bien. La bénédiction de Dieu
est sur eux ; ils attirent la grâce d'en haut parleurs prières :
les autres ne l'attirent pas : quelquefois ils font pire.


Pour faire du bien aux enfants, il faut surtout les aimer :
toutefois, qu'on y prenne garde, ce n'est pas d'un amour na-




CH. XI. — L:HOMME de PRIÈRE. 33j


autres ce dont il ne sent pas le besoin pour lui-même? Ah!
qu'on soit homme de discipline, homme d'étude, homme de
science, je le veux bien; mais si on ne borne pas là toute
l'Éducation, si on veut mettre autre chose dans l'âme des
enfants que l'instruction humaine, si on travaille aussi pour
leur âme immortelle et leur éternel salut, si on veut leur
donner le complément indispensable de toute vraie Éduca-
tion, la religion, la piété, qu'on soit donc en même temps un
homme de piété, un homme de prière, un homme de Dieu :
Tu autem, o homo Dei ! Sans cela l'œuvre est impossible.


IV


On dira peut-être : Mais au milieu de tant desoins inces-
sants et divers qui se partagent la journée dans une maison
d'Éducation ; dans le mouvement d'une vie sans cesse appelée
au dehors par une multitude de détails qui se succèdentsans
fin, tels que ceux dont est charge un préfet de discipline,
un économe, un supérieur, etc., dans le commerce continuel
avec les auteurs, avec les sciences profanes, auquel est con-
damné un professeur, est-ce que l'esprit intérieur, est-ce
que la vie de recueillement, est-ce que la prière assidue et
réglée sont possibles ?


Et moi, je réponds : Est-ce qu'un chrétien, surtout dévoué
à l'Éducation, est-ce qu'un prêtre peut se passer de vie inté-
rieure, de recueillement en Dieu, d'exercices réguliers de
piété, de prière? que deviendrait son cœur? que deviendrait
son âme? que deviendrait sa vie sacerdotale?


Prêtre ou laïque, est-ce qu'il peut se résigner à voir son
âme, dispersée au dehors, lui échapper sans cesse, sans être
jamais recueillie et ramenée aux pieds de Dieu ? est-ce qu'il
n'a pas besoin, après s'être dépensé dans mille occupations
fatigantes et dissipantes, de se retrouver à certains mo-
ments, auprès de Dieu, dans l'intimité de Dieu, et de vivre




352 LIV. II . — LES MAITRES.


Mais il ne suffit pas d'aimer les enfants, ce n'est pas le plus
difficile ; il faut aussi les supporter : supporter leurs défauts,
leurs légèretés, leurs inconstances, leurs indocilités, leur
humeur, leur paresse, quelquefois môme des défauts plus
pénibles. Il est certain que dans la vie avec les enfants, on
est sans cesse exposé à deux écueils, à l'impatience et au
découragement. Comme leurs défauts les emportent à des
fautes sans cesse répétées, sans cesse la patience est sur le
point d'échapper aux hommes les plus doux et les plus
maîtres d'eux-mêmes. Il faut dire aussi qu'il y a des enfants
particulièrement difficiles, auprès de qui tout paraît inutile,
tout s'essaye, et s'essaye en vain : c'est surtout avec ces pau-
vres enfants qu'il faut une vertu, undévoûmentque Dieu seul
peut donner.


Aussi sont-ce les difficultés de l'œuvre même, je ne dis pas
seulement de l'enseignement, de la discipline, mais surtout
les difficultés de l'œuvre morale, de la formation de l'âme, de
l'Éducation, qui font souven t qu'on est tenté de se désoler et de
perdre confiance. On a tout fait, tout essayé : et tout a échoué.
Les hommes, qui ne sont pas des hommes de prière, qui ne sa-
vent chercher qu'en eux-mêmes, au lieu d'aller les chercher en
Dieu, leur force et leur lumière, ceux-là sont très-exposés à
se laisser aller dans ces cas à la double tentation de l'impa-
tience et du découragement. On n'a pas, d'une part, la dou-
ceur, la patience, la vertu qu'il faudrait pour supporter toutes
les misères, petites et grandes, des enfants; la nature n'y
trouve pas son compte, et comme on suit beaucoup la nature
et bien peu la foi, on manque d'empire sur soi, on se laisse
aller à la vivacité naturelle; l'amour - propre, impatient,
délicat, prompt et irritable, trouve partout des mécomptes;
on voudrait toujours le parfait, et jamais on ne le trouve; on
n'a pas la patience de se résigner à prendre les enfants
comme ils sont, et à se donner la peine nécessaire ; on voit
bientôt le bout de ce qu'on croyait le plus grand, l'inutilité




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 3 S 3


»
(le ce qu'on croyait le plus efficace ; on se pique, on se dépite,
on change, on n'est jamais en repos. Et puis, seconde ten-
tation, à la présomption succèdent les défaillances; on se
lasse, on se dégoûte, et on arrive à se défier de tout, de soi,
des enfants, de son œuvre, de son devoir même.


Contre ces agitations, contre ces alternatives,, l'homme
pieux a un refuge dans la prière. Il aime toujours ses élèves,
nonobstant leurs défauts les plus choquants, et ne se re-
lâche jamais dans son amitié pour eux; il les endure,
et possède toujours son âme en patience, et s'ils viennent à
commettre quelque grande faute, n'ayant jamais présumé
trop ni de soi, ni des autres, il s'y attendait, il y compatit, et
ils sentent qu'ils ont en lui un cœur ouvert, comme un port
après le naufrage. Il les supporte sans les flatter, il les aver-
tit sans les fatiguer ; il attend les occasions et les ouvertures
favorables, et sait y être fidèle ; il leur dit les vérités qu'il
faut leur dire, mais doucement, sans rudesse, avec ten-
dresse et fermeté. C'est pour ce travail si délicat et si néces-
saire, qui consiste à manier les âmes, à parler aux cœurs, à
toucher des plaies vives, à calmer des irritations ou des co-
lères, à consoler des peines secrètes, à encourager, à relever,
à ranimer, que l'homme pieux, l'homme de prière, trouve
dans la piété et dans la prière, des secours merveilleux : une
source intarissable de cet amour qui ne se lasse jamais, qui
souffre tout, qui espère tout, caritas patiens est, benigna est,
omnia sperat; cet amour qui surmonte toutes les peines,
omniasuffert : qui du cœur où il a sa source, se répand sans
s'épuiser, se proportionne aux besoins des plus jeunes âmes,
se rapetisse avec les petits, s'élève avec les grands, pleure
avec ceux qui pleurent, se réjouit par condescendance avec
ceux qui se réjouissent, se fait tout à tous, non par une
apparence forcée et une sèche démonstration, mais par
l'abondance d'un cœur en qui l'amour de Dieu est une
source vive pour tous les sentiments les plus tendres, les




3 S 4 LIV. II. — LES MAITRES.


plus forts, et les plus proportionnés aux besoins des âmes.
C'est par là qu'un véritable homme de Dieu se crée sur les


enfants l'autorité la plus incontestée et la plus entière, parce
qu'elle provient de la confiance extrême qu'inspire sa cha-
rité. C'est par là qu'il n'a pas seulement action au dehors,
sur l'ordre extérieur, mais qu'il pénètre au dedans des
cœurs, jusqu'àla conscience, et provoque ces épanchements,
ces confidences, ces entretiens intimes de maître à élève, qui
permettent de faire tant de bien.


Quand ces petites conversations de piété entre les enfants
et leurs maîtres se font par épanchement de cœur et avec
une entière liberté, elles sont infiniment utiles : elles nour-
rissent l'âme de l'enfant, elles la fortifient, elles la rani-
ment , elles la rendent robuste dans le travail, dans les
peines, dans les luttes naissantes de la conscience ; elles la
soulagent dans les tentations de découragement ; elles élar-
gissent un cœur serré par le chagrin.


Mais ces entretiens cœur à cœur avec les enfants, unhomme-
en qui n'est pas l'esprit de Dieu, ou bien ne les aura pas, ou s'il
les a, il ne trouvera pas cet accent pénétrant, cette onction
de grâce, ce langage enfin que l'habitude de la prière inspire
à l'homme pieux. La prière a ses illuminations, ses clartés
révélatrices. L'homme qui vit en union intime avec Dieu,
qui toujours est occupé de ses enfants devant Dieu, qui
sans cesse demande à Notre-Scigneur et la lumière pour les
conduire, et la grâce pour les toucher, il ne se peut pas que
dans son cœur rempli de l'amour de Dieu et de ses enfants, il
ne puise point de quoi arroser et abreuver les âmes qu'il tou-
che avec son âme ; mais l'homme vide de Dieu et plein de lui-
même, le prêtre homme de lettres plus qu'homme de prière,
plus dissipé que recueilli, plus occupé que dévoué, celui-là
ne nourrissant pas son âme et se desséchant le cœur, com-
ment donnera-t-il ce qu'il n'a pas? comment fera-t-il faire
ce que lui-même il ne fait pas? comment procurera-t-il aux




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 3 o J


autres ce dont il ne sent pas le besoin pour lui-même? Ah!
qu'on soit homme de discipline, homme d'étude, homme de
science, je le veux bien; mais si on ne borne pas là toute
l'Éducation, si on veut mettre autre chose dans l'âme des
enfants que l'instruction humaine, si on travaille aussi pour
leur âme immortelle et leur éternel salut, si on veut leur
donner le complément indispensable de toute vraie Éduca-
tion, la religion, la piété, qu'on soit donc en même temps un
homme de piété, un homme de prière, un homme de Dieu :
Tu autem, o homo Dei! Sans cela l'œuvre est impossible.


IV


On dira peut-être : Mais au milieu de tant de soins inces-
sants et divers qui se partagent la journée dans une maison
d'Éducation ; dans le mouvement d'une vie sans cesse appelée
au dehors par une multitude de détails qui se succèdentsans
fin, tels que ceux dont est chargé un préfet de discipline,
un économe, un supérieur, etc., dans lé commerce continuel
avec les auteurs, avec les sciences profanes, auquel est con-
damné un professeur, est-ce que l'esprit intérieur, est-ce
que la vie de recueillement, est-ce que la prière assidue et
réglée sont possibles ?


Et moi, je réponds : Est-ce qu'un chrétien, surtout dévoué
à l'Éducation, est ce qu'un prêtre peut se passer de vie inté-
rieure, de recueillement en Dieu, d'exercices réguliers de
piété, de prière? que deviendrait son cœur? que deviendrait
son âme? que deviendrait sa vie sacerdotale ?


Prêtre ou laïque, est-ce qu'il peut se résigner à voir son
âme, dispersée au dehors, lui échapper sans cesse, sans être
jamais recueillie et ramenée aux pieds de Dieu ? est-ce qu'il
n'a pas besoin, après s'être dépensé dans mille occupations
fatigantes et dissipantes, de se retrouver à certains mo-
ments, auprès de Dieu, dans l'intimité de Dieu, et de vivre




35G LIV. II . — LES MAITRES.


un peu en lui-même et pour lui-même, après avoir vécu au
dehors et pour les autres?


C'est précisément parce qu'ils ne s'appartiennent pas
assez à eux-mêmes, parce que leurs occupations les dis-
sipent trop, que les hommes de l'Éducation ont d'autant
plus besoin de se retrouver à leurs heures de recueillement,
et de se retremper dans les fortifiants exercices d'une vie
pieuse.


Non, la multiplicité des occupations, les distractions de
l'enseignement, des études profanes, de la surveillance, de
toutes les fonctions d'un Petit Séminaire ou d'un collège,
loin d'être une raison de s'affranchir des exercices de piété
et des habitudes d'une vie de recueillement et de prière, ne
sont qu'un motif de plus, un impérieux motif de s'y attacher
fortement, inflexiblement. De telles habitudes seules peu-
vent empêcher l'âme, dans les occupations multipliées et
souvent profanes d'une maison d'Éducation, de s'évaporer
en quelque sorte, de se dissiper en pure perte, et préserver
de la sécheresse, de la langueur, du dépérissement spirituel.


Ne parlez donc pas, pour vous dispenser d'être un homme
intérieur, un homme de prière, un homme fidèle à ses exer-
cices de piété, du temps qui vous manque, et des occupations
qui vous absorbent. Vous êtes pris sans cesse, et en quelque
sorte ne vous appartenez plus à vous-même : eh bien? non,
n'allez pas ainsi toujours ; cela est mauvais : ne vous laissez
pas tellement saisir et déborder par les affaires, que vous
n'ayez pas chaque jour quelques moments au moins pour
songer à vous, pour prendre votre réfection spirituelle,
comme vous êtes bien obligé de prendre votre réfection cor-
porelle : ce n'est pas dérober à vos enfants ce que vous leur
devez," c'est vous mettre en état de vous donner à eux plus
fructueusement ; ou bien, si c'est l'étude qui vous entraîne,
si ce sont les travaux de l'esprit qui vous dérobent le temps
que réclamerait le soin de votre âme, et vous font négliger




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 357


vos exercices de piété, votre erreur est non moins grande :
croire que la science peut remplacer la piété, ou que ce qui
nourrit l'esprit peut aussi nourrir l'âme, ou que sans la
réelle vie intérieure, toutes les connaissances laborieusement
acquises ne vous laisseront pas dans le vide et l'épuisement,
c'est une illusion dont une triste expérience vous désabusera
quelque jour, mais trop tard peut-être.
. Sans l'amour de Dieu, tout s'appauvrit, tout tombe en lan-
gueur dans une vie ; et l'amour de Dieu tombe lui-même, s'il
n'est soutenu par des exercices réguliers. L'amour de Dieu,
« voilà, dit Fénelon, cette bienheureuse flamme de vie que
Dieu a allumée au fond de notre cœur ; toute autre vie n'est
que mort : il faut donc aimer. » « Nous sommes nés, dit-il
encore, pour être brûlés et nourris tout ensemble de cet
amour, comme un flambeau pour se consumer devant celui
qu'il éclaire. » Et quelque régularité apparente dont on se
flatte, quelque fier et brillant esprit qu'on soit, la vérité, la
triste vérité est qu'il y a bien des pauvretés, bien des défail-
lances dans une vie, si elle ne repose pas sur le véritable
amour de Dieu.


J'ai été supérieur, je le suis encore; eh bien ! je n'hésite
pas à redire aujourd'hui ce que je disais autrefois : il faut
tout sacrifier, toutes les occupations extérieures, à la vie in-
térieure. Il faut, pour des prêtres dévoués à l'œuvre de
l'Éducation, que leurs exercices de prêtre passent avant tout :
non-seulement parce qu'ils en ont besoin pour eux-mêmes,
pour leur âme, pour leur vie de prêtre , mais aussi parce
qu'ils en ont besoin pour leur vie de professeurs, d'hommes
de collèges ; pour soutenir le fardeau, les ennuis, les peines
de leurs emplois, pour y vivre contents et heureux, pour en
pratiquer les vertus ; j'ajoute enfin, et je l'ai démontré, parce
qu'ils en ont besoin surtout pour les enfants, pour le succès
de leur œuvre, pour que leurs travaux portent des fruits.


D'ailleurs, la raison de cela n'est pas difficile à rendre :




3">8 LIV. II. — LES MAITRES.


Rien ne donne plus de loisir et de vigueur pour les affaires
et pour tout, que la fidélité aux exercices spirituels : on croit
sacrifier du temps, on en gagne : les exercices de piété ré-
gulièrement faits, et l'oraison surtout, mettent dans l'âme
je ne sais quel poids de Dieu, Pondus divinum, qui la main-
tient, qui la règle, qui l 'ordonne, et qui maintient, règle,
et ordonne tout dans la vie : c'est le remède souverain et
unique contre toutes ces légèretés de l'esprit et de la con-
duite qui sont la ruine du temps : c'est aussi dans l'âme une
source permanente de lumière, de paix et de force : l'esprit
en devient plus lucide, l'imagination et le cœur plus
calmes, le caractère plus énergique et plus ferme; et avec
de telles qualités un homme fait plus et mieux dans une
heure, soit en affaires, soit en études, que celui chez qui
ces qualités sont absentes ne ferait en deux. « Le temps me
manque et les journées ne suffisent pas à mes affaires, di-
sait au Père de Ravignan un ecclésiastique occupé. —
Faites une heure d'oraison tous les matins , lui répondit
l'homme de Dieu, et je vous assure que vous trouverez du
temps pour tout. » Oh ! comme cela est vrai ! Et quelle
erreur de sacrifier ses exercices de piété pour avoir plus
de temps !


V


Je demande donc à tout homme, et spécialement aux prê-
tres qui se consacrent à l'Éducation religieuse de la jeunesse,
d'être des hommes de prière et de piété : et qu'est-ce autre
chose, au reste, que ce qui est demandé à tout prêtre ? Y a-t-il
un prêtre quelconque, quelle que soit sa position et sa fonc-
tion dans l'Église de Dieu, y a-t-il un chrétien sérieux qui
puisse se dispenser d'être un homme de prière, et de faire
chaque jour certains exercices de piété déterminés? Ce sont
précisément ces exercices que je dis nécessaires aux hommes




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 339


employés dans ce dissipant et laborieux ministère de l'Édu-
cation, c'est ce que Fénelon demandait à tout chrétien.


1 0 Et d'abord, YOraison, la méditation de chaque jour, es-
sentielle à toute vie chrétienne et sacerdotale : c'est là le pain
quotidien, qui, si on oublie de le manger, laisse l'âme dans
l'inanition et la langueur, et si chaque matin on s'en nourrit,
renouvelle les forces épuisées, entretient la vie spirituelle.


Fénelon, qui dit si bien toutes choses, exposait en ces ter-
mes , et pour des laïques, les avantages de l'oraison et de
l'esprit de piété qu'elle inspire : « Ce moment de provision
nourrit pour toute la journée, écrivait-il; il établit l'âme en
union étroite avec Dieu ; et la pensée, la présence de Dieu
ranime tout l'homme, calme ses agitations, porte avec soi
la lumière et le conseil dans les occasions importantes,
subjugue peu à peu l'humeur, fait qu'on possède son âme
en patience au milieu de ses fonctions. Dans ce précieux
moment, on a mis comme un baume sur son cœur, et toutes
les actions de la journée en conservent la bonne odeur.


«Le principe intérieur d'amour, cultivé par l'oraison à
certaines heures, et entretenu par la présence familière de
Dieu, dans la journée, ajoutait-il, porte la nourriture du
centre aux membres extérieurs, etfait exercer avec simplicité
en chaque occasion, chaque vertu convenable pour ce mo-
ment-là. »


C'est là, du reste, qu'on parle cœur à cœur avec Notre-
Seigneur, qu'on lui dit tout, et sur sSt, et sur ses enfants,
qu'on met à ses pieds les peines, les difficultés, les ennuis
de son état, les labeurs de tout genre, et qu'on puise avec
abondance, à leur source, la force et la lumière.


A aucun prix donc, il ne faut manquer de faire sa médi-
tation chaque jour. Cet exercice est capital ; on peut dire que
toute la journée en dépend : tout va bien, quand l'oraison a
été faite ; tout est désorganisé, quand elle a été omise ou
renvoyée. De tous les points du règlement particulier d'un




360 LIV. II . — LES MAITRES.


homme dévoué à l'Éducation, c'est celui-là qui doit être le
plus courageusement, le plus inflexiblement gardé.


Après tout, l'oraison n'est-elle pas aussi facile qu'elle est
douce? On a écrit beaucoup sur les méthodes d'oraison : le
grand maître en cette matière, et qui peut suffire à tout,
c'est le vrai amour de Dieu. Aimez véritablement, oui, aimez
Dieu, comme vous le demande le premier commandement,
et je ne m'inquiète pas de votre oraison, elle sera bonne. « Il
ne faut point demander ce que l'on fait avec Dieu, quand on
l'aime, dit Fénelon : on n'a point de peine à s'entretenir
avec son ami, on a toujours à lui ouvrir son cœur; on ne
cherche jamais ce qu'on lui dira, mais on le lui dit sans
réflexion, et sans lui rien réserver. »


Il ne s'agit donc pas de se troubler, de s'inquiéter, de se
mettre l'esprit à la torture, ou de se perdre dans une multi-
tude de vaines considérations en priant. Une oraison n'est
bonne qu'autant qu'elle est faite dans la liberté d'esprit et
la paix de l'âme, sans gêne pénible, sans vaines agitations,
doucement, paisiblement, et avec le cœur ; c'est le cœur
surtout qu'il faut nourrir. Or,' dit admirablement Fénelon^
dans une page que je citerai ici toute entière, « Peu d'ali-
ment nourrit beaucoup, quand on le digère bien. Il faut
mâcher lentement, sucer l'aliment, et se l'approprier pour


,1e convertir tout en sa propre substance. C'est-à-dire, il faut
donner à chaque venté le temps de jeter une profonde racine
dans le cœur ; car Wi'est pas seulement question de savoir,
l'essentiel est d'aimer. Rien ne cause de si grandes indiges-
tions que de manger beaucoup, et à la hâte. Digérez donc
à loisir chaque vérité, si vous voulez en tirer tout le suc pour
vous en bien nourrir. Il en est de la grâce pour l'âme, comme
des aliments pour le corps. Un homme qui voudrait nourrir
sesbras et ses jambes, en y appliquant la substance des meil-
leurs aliments, ne se donnerait jamais aucun embonpoint ;
il faut que tout commence par le centre, que tout soit digéré




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 3 6 1


d'abord dans l'estomac, qu'il devienne chyle, sang, et enfin
vraie chair. C'est du dedans le plus intime que se distribue la
nourriture de toutes les parties extérieures; l'oraison est
comme l'estomac l'instrument de toute digestion. »


2" Je ne parlerai ici de la sainte Messe que pour rappeler
à tout prêtre employé à l'Éducation, le devoir de prier à la
sainte messe pour les enfants qui lui sont confiés. Sien effet
vous les aimez, ces cbers enfants, si vous aimez leurs âmes,
si vous voulez réellement leur bien, se peut­il qu'au saint au­
tel, quand vous tenez Notre­Seigneur dans vos mains et dans
votre cœur, que vous pouvez tant demander pour eux, pour
vous, et tout obtenir, se peut­il qu'en de tels moments ils
n'occupent point votre pensée, et qu'il ne jaillisse pas de vo­
tre âme pour eux dans le cœur de Notre­Seigneurune prière V


Eh quoi ? ne sentez­vous pas alors, plus vivement, ce qui
manque à ces âmes, et ce qui vous manque à vous pour
elles? de quelles lumières vous auriez besoin, de quelle
main délicate et ferme, de quel cœur surtout, de quel
amour? Salomon disait autrefois à Dieu : « Seigneur, je ne
suis qu'un enfant, ne sachant de mes voies ni l'issue, ni l'en­
trée ; Ego sum parvulus, et ignorans egressum et introïtum
meum; et cependant, vous m'avez établi roi, à la place de
David mon père ; Et nunc, Domine Deus, tu regnare fecisti
servum tuum pro David, pâtre meo; et voilà que votre ser­
viteur se trouve au milieu d'un peuple innombrable, Et ser-
vus tuus in medio estpopuli infiniti: Donnez donc, Seigneur,
à votre serviteur un cœur capable d'apprendre, un cœur ac­
cessible à votre lumière et à votre grâce, pour qu'il puisse
savoir et discerner ce qui est bien et ce qui est mal; Dabis
ergo servo tuo cor docile, ut populum tuum judicare possit,
et discernere inter bonum et такт. »


Un supérieur, un directeur, un professeur, un confesseur,
peuvent redire à Dieu les mêmes paroles, non­seulement
parce que ce peuple d'enfants est très­nombreux, et repré­




362 LIV. II. — LES MAITRES.


sente là l'humanité toute entière; mais aussi parce que
chacun de ces enfants, chacune de ces jeunes âmes est à elle
seule un peuple tout entier, c'est-à-dire renferme une mul-
titude de passions naissantes et déjà très-vives, plusieurs
déjà soulevées, qu'il faut connaître, diriger, combattre,
dompter. Un prêtre, convaincu de ces vérités et préoccupé
de ces pensées, les portera nécessairement devant Dieu
dans ses prières, et surtout au saint autel.


3° Avec la méditation et la sainte Messe, la lecture spiri-
tuelle est un exercice bien important dans la journée d'un
bon prêtre, et par conséquent dans la journée d'un prêtre
voué à l'œuvre de l'Éducation. Ah ! sans doute, toute la jour-
néevous lisez du grec,du latin, des grammaires, des histoires
profanes, des copies d'élèves, souvent bien fastidieuses;
mais si vous ne sentez pas le besoin d'autres lectures, si
la lecture de la feuille quotidienne, ou de quelque poésie et
littérature frivole, suffit à reposer et à alimenter votre âme,
je vous plains, car un grand vide reste en vous, et la vaine
pâture que vous vous donnez ne peut suffire à le combler.
Ce qui le comblera, ce vide, écoutez, je vais vous le dire : Il
y a des livres composés par des hommes de Dieu et traitant
des choses de Dieu, des écrits faits par des saints, tels que
saint François de Sales, sainte Thérèse, ou par des maîtres
consommés dans la vie spirituelle, tels que Rodriguez, Louis
de Grenade, Pierre de Blois, livres pleins de suc et de subs-
tance, viande solide de l'âme, soutien de la vie spirituelle.
Voilà l'aliment qu'il faut vous donner. Il y a encore d'admi-
rables Vies de saints ou de grandes âmes : la Vie des saints
que je citais tout à l'heure, ou de saint Vincent de Paul, de
saint Charles Borromée, de Dom Barthélémy, des martyrs,
du bienheureux Holzhauzer, de M. de Solminihac, dç
M. Olier, de Mgr Rey, évêque d'Annecy, de sainte Chantai,
de madame Acarie, etc. Voilà des âmes en la compagnie des-
quelles il fait bon de vivre, et dont les paroles et les œuvres,




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. - 363


les vertus et les exemples relèvent, édifient, reposent, forti-
fient surtout dans les temps de fatigue morale et de décou-
ragement. Il y a encore des livres spéciaux traitant des
vertus et des devoirs de votre état, et pouvant vous donner
sur vos fonctions et la manière de les remplir les instructions
des plus utiles; par exemple, l'admirable traité de Fénelon sur
rÈducation des filles, les œuvres de madame de Maintenon
pour Saint-Cyr; les Douze vertus d'un bon maître, le Manuel
des jeunes professeurs, les Discours de M. Poullet, prêtre
admirable, trop tôt ravi à l'Église de France, dont il eût
été une des lumières ; le Directeur de Venfance, par M. l'abbé
Ody ; la Méthode de direction pour les œuvres de jeunesse,
par M. l'abbé Timon-David \ Il y a encore, si on me permet
de l'ajouter, ce que j 'ai pu écrire sur rÈducation. Voilà des
livres qui ne vous distrairont pas de votre vocation, et qui
pourront vous en inspirer l'esprit. Ces richesses existent,
vous les avez sous la main ; comment se fait-il que vous ne
songiez pas à en user? Il y a pourtant des professeurs qui
sont prêtres, qui sont chrétiens, et qui, tout entiers à leurs
occupations profanes, négligent totalement la lecture des
livres de piété, des Vies de saints, et même des écrits pédago-
giques, où la science de leur état, qu'ils ignorent, se trouve !
il y a des hommes qui vouent leur vie à l'Éducation, et qui
n'ont jamais ouvert un livre sur l'Education! Et cependant,
que de trésors on peut amasser, soit pour sa propre édifi-
cation, soit pour la conduite des enfants et la direction des
ames, sans peine, sans fatigue, et sans presque s'en aperce-
voir, parla simple fidélité aune courte lecture chaque jour!
Une demi-heure dans une journée, qu'est-ce que c'est? Et
cependant avec une lecture assidue d'une demi-heure par


1 Ce livre qui, par son titre, semblerait spécial à ce qu'on appelle tes OEuores
de jeunesse, est plein de vues et de lumières admirables qui seront très-utiles à
tous ceux qui s'occupent des enfants et des jeunes gens. Je voudrais le voir entre
les mains de tous les directeur» des Petits Séminaires. (Paris, chez Douniol.)




364 LIV. II . — LES MAITRES.


Règlement spirituel.


MÉDITATION DE CHAQUE JOUR.


4° Huit jours après la rentrée, quand tout est organisé,
MM. les maîtres réunis dans leur salle des exercices font cha-
que matin la méditation. Tous les maîtres, sans exception,
doivent s'y trouver, et y arriver à l'heure précise. Celui qui
serait chargé d'une fonction nécessaire pendant ce temps,
se rendra au lieu de la méditation, dès qu'il sera libre.


jour, que de choses on aura lues dans Tannée! et quel profit
pour son âme, surtout si on lit comme il faut lire, avec
attention et réflexion, et annotant ce qu'on lit?


4° A ces trois exercices fondamentaux, ajoutez l'Examen
de conscience, pour voir vos fautes et renouveler vos résolu-
tions; une courte visite au saint Sacrement, pour reposer
quelques instants votre âme, au milieu même des occupa-
tions appliquantes du jour, et parler à Notre-Seigneur de
vos enfants ; puis le chapelet, ce simple hommage à la très-
sainte Vierge, auquel ne manquent pas les âmes vraiment
pieuses, et qui se récite si facilement au besoin pendant les
moments de présidence ou de promenade. Vous aurez ainsi,
en fait d'exercices de piété, tout ce qui est requis d'un prêtre,
d'un chrétien fervent, et qui est tout à fait indispensable
dans une maison d'Education, comme partout.


5° Il faut y joindre enfin la retraite annuelle, ce grand
bienfait dont, par une inspiration manifeste de l'esprit de
Dieu, les èvêques de nos diocèses font jouir tous leurs cler-
gés : grâce éminente et de premier ordre, et temps de salut
par excellence, qui renouvelle et réconforte si puissamment.


C'est d'après toutes ces pensées que nous avions rédigé,
pour notre Petit Séminaire, le règlement spirituel que voici :




CH. XI. — L'HOMME DE PRIÈRE. 365


2° La méditation dure une demi-heure, non compris la
prière du matin que chacun fait auparavant.


3° Chacun a soin de préparer en particulier sa méditation ;
car on ne lit pas de sujet commun, et chacun la fait de son
côté, en s'aidant s'il le veut, d'un livre.


4° A certains jours, on pourra néanmoins lire un sujet
d'oraison pour tous.


5° Les dimanches et fêtes, MM. les maîtres feront leur mé-
ditation pendant celle de la communauté et la sainte Messe
qui la suit.


6° Le Directeur qui préside l'oraison et la messe de com-
munauté est dispensé de faire l'oraison avec ses confrères.
Il en est de même de ceux de MM. les Maîtres qui prési-
dent les mêmes exercices conjointement avec un des Direc-
teurs : ces Messieurs ne manquent pas d'y suppléer en leur
particulier, dès qu'ils sont libres.


SAINTE MESSE.


•l° Au sortir de l'oraison, ces Messieurs vont dire ou eu-
tendre la sainte Messe.


2° MM. les prêtres choisissent une heure, qui leur laisse le
temps de faire leur action de grâces, avant d'être appelés à
d'autres occupations.


3° Quand la messe de communauté n'est pas célébrée par
M. le Supérieur, elle est dite à tour de rôle par un de MM. les
prêtres.


4° Les servants de messe sont assignés par M. le Préfet de
religion, et aucun maître ne peut les changer, ni surtout
prendre pour cela des élèves à son gré.


LECTURE SPIRITUELLE.


1 ° MM. les maîtres devront consacrer au moins un quart
d'heure à une lecture spirituelle chaque jour.


2° La lecture spirituelle se fera en commun chez M. le Su-
périeur, pendant le quart d'heure qui précède la lecture
spirituelle des enfants.


3° On lit dans ces réunions des ouvrages qui traitent des
devoirs de l'état.




366 LIV. II . — LES MAITRES.


4° Chacun se fera en outre un devoir de réciter en parti-
culier son chapelet chaque jour, et de faire au moins une
visite au très-saint Sacrement et une à la sainte Vierge.


RETRAITE ANNUELLE.


1° A la fin des vacances de chaque année, M. le Supérieur
et MM. les professeurs des deux maisons font ensemble une
retraite spirituelle qui dure six jours pleins.


2° Chacun fait en particulier les exercices de cette retraite.
Néanmoins la première méditation du matin se fait en
commun à la chapelle, mais chacun médite en silence le su-
jet qui a été donné.


3 ° Il y a aussi deux conférences, l'une le matin, l'autre le
soir, auxquelles tous assistent. L'ecclésiastique que M. le Su-
périeur a chargé de diriger la retraite fait ces conférences,
et l'on convient d'avance avec lui des sujets à traiter.


M. le Supérieur peut faire de plus une conférence à trois
heures de l'après-midi : il n'y est question que des devoirs
d'état de MM. les Directeurs et Professeurs. On peut y lire
leurs divers règlements et y ajouter quelques explications.


4° On est libre de célébrer ou non la sainte Messe, et l'on
peut s'entendre sur ce sujet avec son Directeur.


5° Les repas se prennent en silence et la lecture de table
se fait tour à tour par MM. les maîtres.


6 II y a deux récréations, où l'on parle. Loin de nuire à la
retraite, les récréations servent à atteindre un de ses buts les
plus désirables, qui est d'unir les maîtres entre eux, de re-
nouer les liens de la charité entre les anciens, et de faire lier
amitié avec les nouveaux.


Hors de la récréation, le plus profond silence doit régner
en tout temps et en tout lieu.


7° Afin que nul de ces Messieurs ne manque à cette re-
traite, M. le Supérieur, à l'un des derniers conseils de l'an-
née, fait connaître le jour précis où elle commencera.


s° MM. les Directeurs et Professeurs devront arriver vingt-
quatre heures avant l'ouverture de la retraite. Un jour de
moins aux vacances ne leur fait aucun tort; un jour de moins
à la retraite, surtout au commencement, en fait un très-grave,




CH. XI. — l'homme de prière. 307


et peut ruiner les fruits de ces saints exercices ; et même, si
l'on n'arrivait pas un peu à l'avance, on courrait risque
d'entrer dans la retraite avec la dissipation des vacances.


Afin de ne pas manquer les voitures publiques, on aura
donc soin de retenir ses places quelque temps à l'avance.


Voici le détail du règlement que l'on peut suivre :


s h. 1/2, lever ; 5 li. 50 m., descente à la chapelle, prière
vocale (Veni, Creator, Pater, Ave. Credo, Ave, maris Stella);
6 h . , méditation (en commun à la chapelle) ; 6 h. 3/4, temps
libre, sainte messe ; 8 h . , déjeuner en silence (on n'est pas
tenu d'y assister, et, si l'on est empêché, on peut déjeuner
plus tard) ; 8 h. 1/4, petites heures; temps libre; 9 h. 1/2,
conférence à la salle des exercices, suivie de la visité au saint
Sacrement; temps libre ; 11 Ti. 3/4, visite au saint Sacrement,
examen particulier; 12 h. , dîner (on se présente ensuite
devant le très-saint Sacrement, puis récréation); 1 h. 3/4,
bréviaire ; 3 h., entretien par M. le Supérieur ; puis matines;
4 h. 1/2, préparation à la méditation ; 4 h. 35, méditation en
particulier ; 5 h. 1/2, temps libre ; 6 h . , seconde conférence,
suivie de la visite au saint Sacrement ; 7 h. souper; 8 h. 1/4,
prière, bénédiction du saint Sacrement ; 8 h. 1/2, préparation
de la méditation du lendemain ; 8 h. 3/4. examen ; 9 h . , cou-
cher.


On sonne tous les exercices, même ceux qui se font en par-
ticulier, afin d'en rappeler le souvenir.






L I V E E TROISIÈME


UNE DERNIÈRE FOIS DE L'ENFANT, DU FOND DE
SA NATURE, ET DES DIFFICULTÉS RADICALES


DE SON ÉDUCATION.


CHAPITRE P R É L I M I N A I R E


De la nature humaine, dans l'enfant : de ses défauts : nécessité
de les bien connaître et de l'en corriger.


I


C'est par l'enfant que nous avons commencé, c'est par
lui qu'il faut finir.


Car c'est pour lui que tous travaillent; Dieu d'abord, pre-
mier et suprême éducateur, et ceux qui coopèrent au travail
de Dieu dans l'œuvre de l'Éducation, les parents et les
maîtres.


Il faut donc une dernière fois revenir à l'enfant, et jeter un
suprême et profond regard dans son âme, et jusque dans les
derniers replis et les dernières profondeurs de sa nature :
car c'est là véritablement que se fait l'œuvre de l'Éducation;
c'est là que gît l'obstacle, comme aussi les ressources : c'est
là que tout l'effort doit porter. Hoc opus, hic labor est.


Mais il faut bien l'entendre, une âme, une nature d'enfant
c'est tout un monde ; disons le mot des saintes Écritures :




3 7 0 L1V. I I I . — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


c'est un abyme, Abyssum et cor (Eccli., XLH , 18), qu'on ne
pourra jamais assez explorer et éclairer.


Et l'Écriture ajoute de ce cœur de l'homme, qu'il est tout
à la fois inscrutable et mauvais : Corpravumet inscrutabile
(Jérém., XVII , 19); inscrutable, comme les hauteurs du
ciel, comme les profondeurs de la terre ; Sicut cœlum sur-
snm et terra, deorsmt "Prov., xxv, 3}.


Et cependant, si cm n'a pas scruté «et abîme, si OH n'a pas
pénétré ce cœur entons sens, on est impropre à la grande
œuvre de l'Éducation ; car encore une fois, ce n'est pas à la
surface, mais dans le plus intime de l'âme que se fait cette
œuvre.


Il y faut un travail et une étude de tous les jours : Et vo-
lontiers, appliquant à la connaissance des enfants les pa-
roles de saint Paul, je dirais aux maîtres : Hœc meditare,
in his esto, insta in Mis. Le cœur de l'enfant, voilà le livre
qu'il faut sans cesse méditer, approfondir : cette étude est
sans fin : toujours il y aura pour vous quelque chose à y
découvrir ; et vous ne serez propre à votre œuvre que dans
la proportion où vous serez devenu habile à lire dans ce livre
vivant et à en pénétrer tous les secrets.


L'obstacle radical, intime, sans cesse renaissant, c'est le
fond même de la nature humaine, qui est gâté ; ce sont les
défauts et les vices, dont les germes funestes sont en nous,
par suite de la perversion originelle.


Platon a dit : « L'enfant qui vient de naître n'est pas bon,
« mais il pourra le devenir, s'il est élevé. »


Certes, non, l'enfant qui vient de naître n'est pas bon. Des
germes mauvais sont en lui, qui n'attendent que l'âge pour
éclore. Eh bien ! c'est avec ces germes mauvais, et quel-
quefois avec les inclinations les plus vicieuses, en un mot,
c'est ,avec les défauts profonds de cette nature que la lutte
doit s'engager ; mais à l'aide de moyens d'Education hien
supérieurs à tous ceux que Platon connut jamais.




CHAPITRE PRÉLIMINAIRE. 371


L'âme humaine dans l'enfant, a-t-on dit, est une table rase,
où rien encore n'a été écrit : soit, quoiqu'il y eût beaucoup à
dire là-dessus; mais du moins, elle a déjà certainement
toutes ses virtualités, toutes ses puissances; et si elle est
féconde pour le bien, malheureusement elle a aussi une re-
doutable fécondité pour le mal.


Les maladies dont souffre l'âme humaine, et par suite
l'Éducation de l'enfant, sont innombrables, comme les mala-
dies dont souffrent la santé et la vie physique : l'Éducation,
médecine de l'âme, qui a pour mission de guérir ses maux,
doit, comme la médecine du corps, commencer par les bien
étudier, afin de les bien connaître.


Mais, dans cette âme, il n'y a pas seulement le mal, il y a
le bien : il n'y a pas seulement des défauts, il y a des qua-
lités : en même temps que l'Education doit corriger les dé-
fauts et guérir le mal, elle doit aussi développer les qualités
et élever le bien, et, comme dit saint Paul, vaincre le mal
far le bien. Mais pour cela, il faut non-seulement un grand
zèle, mais un grand discernement, et l'emploi des sérieux
remèdes sans lesquels on ne guérira jamais le mal de,
l'homme.


I I


PARABOLE DE L'IVRAIE.


Dans une de ces admirables paraboles, d'une simplicité
toute divine, par lesquelles Notre-Seigneur instruisait autre-
fois ses disciples, la parabole de l'ivraie et du bon grain,
il y a une image frappante de ce qui est le grand ècueil
de l'Éducation, et fait aussi le grand devoir de l'insti-
tuteur.


Cette parabole s'applique avant tout, sans doute, et dans
tous ses détails, au mélange des bons et des méchants sur la




372 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


terre; mais, en quelque chose aussi, on peut en faire une
application utile et vraie au mélange des qualités et des
défauts, du bien et du mal, qui se trouve dans les enfants
et dans toute créature humaine.


Dieu, et ceci est vrai surtout des enfants qu'élève une
maison d'Éducation chrétienne, Dieu a semé dans ces en-
fants le bon grain en abondance ; d'abord par les bonnes in-
clinations qu'il leur a données dès leur naissance, puis par
le baptême et les autres sacrements, et par toutes les pre-
mières grâces d'une bonne Éducation. Il n'y a pas de nature,
si stérile ou si disgraciée qu'elle paraisse, qui n'ait son
riche fonds de qualités précieuses, que l'Éducation doit culti-
ver et développer; mais aussi, dans toute nature d'enfant,
sans en excepter les plus heureuses, il y a, à côté des bonnes
qualités, toute cette famille pullulante de défauts sans nom-
bre, tous ces germes vicieux dont nous avons parlé, et qui
sont, selon la parabole évangélique, l'ivraie dans le bon
grain : l'ennemi est venu, pendant une nuit fatale, et au mi-
lieu de la bonne semence, il a jeté la mauvaise, et s'est re-
tiré : Superseminavit %izania, et abiit.


Puis, quand l'herbe a crû, tout à coup au milieu des bons
plants apparaît l'ivraie, se montrent des herbes mortes, des
herbes languissantes, des herbes mauvaises et contagieuses.
Qu'arrive-t-il alors? Les serviteurs du père de famille sont
tout surpris : ils ne devraient pas l'être ; car depuis la chute
originelle, ce mélange est naturel, inévitable : il fallait s'y
attendre ; mais on s'abuse si facilement '. Et à la surprise
succède bientôt l'indignation : on voudrait, et sur-le-champ,
comme dit l'Évangile, arracher ce fruit de malédiction : Vis
colligimus ea? C'est-à-dire, pour ne plus me servir d'une
figure d'ailleurs si claire, les parents, ou les directeurs d'une
maison chrétienne d'Éducation, après avoir été les ministres
et les témoins des bienfaits les plus abondants du Seigneur,
reconnaissent souvent avec effroi qu'il s'est fait, parallèle-




CHAPITRE PRÉLIMINAIRE. 373


ment à leur travail, un autre travail, et que dans des âmes où
la grâce avait été répandue avec profusion, des défauts inat-
tendus, des vices ont sourdement germé, qui compromettent
tout leur ouvrage. — Hélas ! ils ne consentent pas facilement
à s'avouer que c'est quelquefois pendant leur sommeil
que s'est fait le mal, et qu'ils n'ont peut-être pas toujours
assez veillé : Dum dormirent homines ! —Alors, il arrive de
deux choses l'une : ou l'on se fait illusion sur le mal qu'on
ne se sent pas le courage de combattre, on en prend son
parti, et on rentre dans son sommeil ; ou l'on s'emporte, et
on voudrait ravager sans délai tout le champ, pour en ar-
racher d'un coup toute cette ivraie, n'avoir plus à y penser,
et se reposer de nouveau.


Mais, dans la culture des âmes il n'en va pas ainsi, et
ce zèle emporté n'est pas le vrai zèle. Comme les serviteurs
de l'Évangile, il faut recourir à la sagesse du Maître de la
moisson, et se souvenir de la réponse faite par le père de fa-
mille aux ouvriers, qui ne savent réparer les longs torts de
leur sommeil que par la fougue d'un zèle passager et des-
tructeur : Vis imus et colligimus ea? disent-ils. — Non,
leur répond-on : Ne forte colligentes zizania, eradicetis simul
cum eis et triticum. Cette réponse est d'une profondeur
divine.


Assurément, il n'est pas question de laisser subsister dans
les âmes les défauts qui y germent. La nécessité d'extirper
le mauvais grain se déduit manifestement de ces terribles
paroles du père de famille : Au temps de la moisson, je dirai
aux moissonneurs : Recueillez d'abord l'herbe mauvaise et
liez-la en gerbes pour la jeter au feu. Le salut des âmes, dans
lesquelles ce germe impur s'est développé, est manifeste-
ment attaché à l'extirpation de leurs défauts ; mais il faut ici
user d'une grande prudence et de précautions bien atten-
tives, pour ne pas arracher le froment en même temps que
l'ivraie.




374 LIV. 111. — DE L'ENFANT ET DE S E S DÉFAUTS.


Si les germes mauvais n'ont pas été détruits à temps,
lorsque viendra la dernière moisson, tout sera perdu. Mais
dans cette première moisson des âmes qu'on cultive par
l'Éducation, il faut bien prendre garde de ne pas extir-
per le bien en même temps que le mal , les bonnes qualités
en même temps que les mauvaises : elles se touchent quelque-
fois de bien près, et si on n'est pas profondément attentif,
il y a grand péril de prendre les unes pour les autres : pour
cette œuvre de discernement et d'extirpation éclairée, il
faut bien connaître le fond de la nature humaine, c'est-à-
dire les défauts qui poussent au fond d'un cœur, et peuvent
y étouffer la grâce que Dieu y a répandue : il faut les con-
naître, et connaître en même temps leurs remèdes. Et il faut
aussi avoir bien étudié les qualités heureuses d'une nature,
et le parti qu'on peut en tirer.


En un mot, il faut avoir reconnu la nature certaine du
bien et du mal, des bons et mauvais germes, leurs diverses
sortes, leurs diverses racines, leurs nombreuses ramifi-
cations.


Et c'est à quoi le zèle impétueux, le faux zèle, se décide
rarement. Ce zèle est presque toujours aussi paresseux que
passionné. Il ne sait que se reposer dans un déplorable som-
meil, ou se réveiller brusquement pour tout arracher, tout
bouleverser, tout détruire dans une âme.


Le v,rai zèle a un autre esprit, une autre conduite. — C'est
à lui que s'adressent les enseignements qu'on va lire.




CH. II. — DEUX OBSERVATIONS IMPORTANTES. 3 7 &


CHAPITRE II
Deux observations importantes sur le même sujet.


1


LA JEUHES3E EST LE TEMPS PKOPICE POVS LA COBHICTIOH DES DETADTS


' Quels que soient les germes mauvais cachés dans une
âme d'enfant, grâce à Dieu, ils ne rendent jamais impossible
son Éducation. Il est écrit que Dieu a fait les hommes gué-
rissables : Sanabiles fecit. L'Éducation, une Éducation chré-
tienne, est singulièrement puissante, et a fait souvent des
merveilles : c'est même la gloire, le triomphe de l'Éducation,
d'être aux prises avec une nature difficile, de la vaincre, de
la corriger, de la transformer. «•


Mais à cette œuvre capitale il faut mettre la main de
bonne heure : autrement elle est bientôt compromise, pour
ne pas dire impossible.


Dans l'enfance, dans la jeunesse, les défauts n'ont pas en-
core jeté de racines profondes, ni pris de grands accroisse-
ments. Tout est tendre et faible encore. Plus tard, l'habitude
sera venue, et l'habitude devient bientôt une seconde nature,
dont les résistances sont terribles.


L'histoire de ce solitaire de la Thébaïde et de son palmier
est connue, mais il n'est pas inutile de la remettre sous les
yeux des parents et des maîtres. —Voulant faire comprendre
à un jeune homme l'importance de eemmencer de bonne




376 LTV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


> Livre i " , ch.fi«, De l'Apostolat dans l'Education.


heure à se corriger de ses défauts, il lui montra un palmier
vigoureux, qui, depuis de longues années, étendait son om-
bre au large, et il lui ordonna d'arracher ce vieil habitant
du désert ; mais lorsque le jeune homme, après des efforts
inouïs, n'eut pas même réussi à l'ébranler, le solitaire lui
montra un autre arbre, nouvellement planté, et lui dit d'es-
sayer ses forces contre celui-ci. Alors quelques efforts suf-
firent pour renverser à terre le jeune palmier.


C'est ainsi que, dans la jeunesse, les défauts cèdent facile-
ment aux efforts de la bonne volonté, tandis que plus tard,
fortifiés, endurcis par l'âge, ils deviennent comme une au-
tre nature, et souvent ne peuvent plus être arrachés qu'avec
de terribles difficultés : et voilà pourquoi un homme véné-
rable par sa grande expérience, par sa sagesse et ses vertus,
en même temps que par son grand âge, disait en parlant
de l'Éducation des Petits Séminaires, que presque toujours
elle décide tout pour la vie entière, en bien ou en mal. C'est
vrai.


J 'ai, du reste, déjà traité à fond ce point spécial dans le
deuxième volume de cet ouvrage '. Je n'ajouterai ici qu'un
seul mot : Ce n'est pas jusques à la grande époque de
l'Éducation publique qu'il faut attendre, pour corriger les
enfants de leurs défauts : c'est dans la famille même, et dès
que les défauts commencent à se montrer, qu'on doit les
reconnaître, les*combattre et les extirper, s'il se peut. Il y a
des défauts qui n'apparaissent que tard, il est vrai, et quand
certaines circonstances en provoquent l'apparition; mais
presque tous se manifestent dès les plus tendres années,
dans la spontanéité de ce premier épanouissement de l'en-
fance. Eh bien ! c'est dès lors qu'il faut avoir les yeux bien
ouverts et toujours attentifs sur tout ce qui est un indice, sur
tout ce qui révèle un défaut caché.




CH. II. — DEUX OBSERVATIONS IMPORTANTES. 377


Mais est-ce là l'ordinaire préoccupation des parents? Les
défauts de leurs enfants! loin de chercher à les découvrir,
les parents consentent-ils même à les reconnaître, quand on
les leur signale? Oh ! pour toutes les amabilités de ces chers
enfants, ils sont d'une perspicacité extrême ; ils savent très-
bien voir en eux celles qu'ils ont et celles même qu'ils n'ont
pas ; mais quant aux défauts, c'est autre chose ; on s'aveu-
gle : la tendresse paternelle et maternelle met un voile sur
les yeux. Cet aveuglement plus ou moins volontaire des
parents est une des grandes misères de la première Édu-
cation ; et ce qui n'est pas moins funeste, c'est leur faiblesse
à corriger ces défauts, quand enfin ils éclatent; c'est leur
impuissance à s'armer d'une salutaire rigueur, pour re-
dresser ces natures que la flatterie ou de molles complai-
sances ont plus ou moins gâtées.


N'est-ce pas là ce qui arrive trop souvent, dans la mol-
lesse et l'énervement des mœurs de notre temps? L'antique
sévérité des pères et des mères de famille est bien rare
aujourd'hui : on commence par aduler l'enfant, par ne voir
en lui qu'une petite perfection ; puis, quand cette prétendue
perfection apparaît enfin ce qu'elle est, absolument insup-
portable, on s'en débarrasse.


Après avoir accepté l'enfant comme une gracieuse idole et
s'en être amusé pendant les premières années, où le fardeau
de la paternité est moins lourd, où les jouissances sont
plus vives ; quand le fardeau s'alourdit, quand les caprices
de l'idole sont un peu moins faciles à satisfaire, on envoie
l'idole en pension. Orfse réserve delà revoir à certains jours
marqués, de l'amuser, de s'en amuser, sauf à ne pas la gar-
der longtemps, et à mettre, avant que les difficultés aient eu
le temps de renaître, les grilles et le collège entre elle et s o i 1 .


1 M. de Chauipagny, auquel j'emprunte ces pénétrantes observations, ajouté :
« Dans les premières années, on dépense aux pieds de ce petit tyran toutes les


sollicitudes, tous les soins, toutes les caresses, tout le fonds de tendresse dont on




378 L IV. m. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


I I


IL NE SUFFIT PAS DE BIEN CONNAITRE LES DÉFAUTS DES ENFANTS, IL FAUT
LES LEUR FAIRE CONNAITRE.


Ainsi donc, c'est une œuvre de correction profonde et
d'extirpation qu'il s'agit de faire : œuvre délicate, coura-
geuse, persévérante, et indispensable. Sans cette œuvre, on
pourra donner un vernis de politesse à la surface, dorer les
dehors : mais ce sera n'avoir rien fait ; l'œuvre au dedans,
l'œuvre jusqu'au fond, jusqu'à la racine, voilà l'œuvre né-
cessaire. C'est là qu'il faut, selon la forte parole des Livres
saints, arracher et planter, détruire et^èdifier : oui, à l'ins-
tituteur de la jeunesse, à lui aussi, il est dit comme au
prophète : Ego posui te ut evellaset destruas, et œdifices et


est pourvu. Mais le fonds s'épuise, la tendresse se lasse, la paresse survient ; à l'épo-
que oii l'Éducation sérieuse devrait commencer, on n'a plus le cœur à l'œuvre ;
l'en Sant trop adulé est ingouvernable, et on se hâte de remettre aux soin* des ins-
tituteurs publics l'entreprise de son Education commencée avec tant d'amour,
mais si mal commencée ! {De l'Education de la famUle.) »


Certes, à ce moment le mal est déjà grand, et l'Éducation
de l'enfant bien compromise; toutefois rien n'est encore dé-
sespéré. A dix ans, à douze ans, un enfant peut avoir déjà
de déplorables habitudes, mais elles ne sont pas invétérées.
La vie d'une bonne maison d'Éducation peut venir tout à
coup les interrompre, et ouvrir comme une ère nouvelle ; la
règle, l'étude, la piété, peuvent prendre heureusement la
place de la fantaisie, du caprice, du travail indolent; mais
c'est le moment, sans plus tarder, de saisir vigoureusement
l'enfant, et de reprendre avec énergie et en sous-œuvre
l'Éducation si déplorablement commencée. Je le répète, ici
se rencontre le grand devoir de l'instituteur, sa plus noble
et plus laborieuse mission : Hoc opus, hic labor est.




CH. II. — DEUX OBSERVATIONS IMPORTANTES. 379


plantes. Tout instituteur de la jeunesse, qui ne le comprend
pas ainsi, ne comprend rien à sa vraie mission.


Virgile disait autrefois, dans son gracieux langage, au
cultivateur des jeunes plantes :


« Quand vient la saison printanière, et que le fruit qui
va naître couvre l'arbre de fleurs abondantes, et courbe ses
rameaux odorants ; oh 1 alors, alors, observez-le !


Contemylator item, cura se nux plurima sylvis 1
Induet in florem, et ramos curvabit olentes. »


Car toutes ces fleurs ne donneront pas un jour des
fruits : il y en a qui sont des espérances perfides, et qui
tromperont le cultivateur.


Je le dirai de même à ceux qui cultivent la jeunesse : cet
âge est bien la saison du printemps, tout s'ouvre et s'épa-
nouit dans ces jeunes plantes, dans ces jeunes âmes ; mais
regardez bien, contemplator r considérez attentivement ce
qu'il y a au fond, dans le calice de ces fleurs, et voyez si ce
sont de bons ou de mauvais fruits qu'elles annoncent. Re-
gardez de près, et cela tout à la fois pour vous instruire vous-
même, afin que votre action mieux éclairée soit plus sé-
rieuse , et aussi, quand vous aurez découvert la vérité, pour
instruire l'enfant, afin qu'il puisse unir contre lui-même son
action à la vôtre.


Car, on ne doit pas l'oublier, dans la correction des dé-
fauts, le maître ne peut rien tout seul; il faut que l'enfant
travaille avec lui : l'enfant ne peut demeurer passif dans une
telle œuvre, il doit y coopérer par un libre concours : mais
pour cela, il a besoin d'être éclairé sur lui-même. Il faut
qu'il connaisse ses défauts pour travailler à leur correction,
et qu'il les connaisse par le maître : de lui-même et par lui
seul il ne pourrait arriver à cette connaissance. Les hommes
souvent ne le peuvent pas : comment un enfant le pourrait-il?




380 LIV. HI. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


On le sait, il est aussi difficile que nécessaire de connaître
ses défauts : par là même rien n'est plus rare.


On connaît facilement ses fautes, et sans doute c'est quel-
que chose ; mais on ne connaît pas les défauts qui en sont le
principe, ce qui serait pourtant beaucoup plus nécessaire.


On sait le nom des vices grossiers en général, et l'on
jette quelquefois un coup d'ceil rapide sur soi-même pour
voir si l'on n'en serait pas souillé; mais parce que les
défauts, dans le jeune âge surtout, ne sont pas encore par-
venus à ce degré de malignité qui en fait des vices, on se
trouve pur de ces grandes souillures, et l'on se croit en
sûreté ; et cependant les défauts, quelquefois les plus redou-
tables, croissent alors et se fortifient dans le secret de l'âme.


Dans une maison d'Éducation chrétienne, par exemple,
il est difficile que les jeunes gens ne connaissent pas leurs
fautes. Les devoirs prescrits sont chaque jour rappelés en
mille circonstances; et par suite, les transgressions sont
quelque chose de trop évident pour n'être point aperçues :
ce sont des faits, sur lesquels il est presque impossible de
fermer les yeux. On s'avoue donc ses fautes et l'on prend à
ce sujet des résolutions ; mais ces résolutions sont pres-
que toujours inefficaces, parce qu'on ne va pas jusqu'au
principe même des fautes que l'on commet ; parce qu'on ne
connaît réellement pas ses défauts, parce qu'on ne veut pas
s'avouer ses vrais défauts, parce qu'on ne s'examine presque
jamais sur ses défauts cachés.


Et j'ajoute, qu'if n'est pas moins rare de trouver quel-
qu'un qui nous aide à nous connaître nous-même : quelqu'un
qui nous fasse connaître nos défauts. On trouve encore assez
facilement un ami qui consente à nous avertir de nos
fautes, mais l'on trouve très-difficilement quelqu'un qui con-
sente à nous éclairer sur nos défauts.


En effet, c'est tout autre chose d'avertir quelqu'un de ses
fautes, ou de l'éclairer sur ses défauts. L'un est simple, assez




CH. II . — DEUX OBSERVATIONS IMPORTANTES. 381


facile même : l'autre suppose non-seulement un grand zèle,
mais de la réflexion, le discernement des esprits, et une
sincérité courageuse.


Entre hommes faits, l'amitié, la vraie amitié, peut être ici
d'un grand secours ; et cependant combien il est rare qu'on
aime assez véritablement un ami pour l'éclairer sur ses dé-
fauts ! Mais surtout entre jeunes gens, entre enfants, que
peuvent être le plus souvent ces monitions amicales, sinon,
et à peine, des avertissements sur les fautes bien plus que
sur les défauts ? Et cela se conçoit. Les jeunes gens man-
quent de l'expérience et des qualités requises pour discerner
les défauts; et souvent lors même qu'ils les ont aperçus, ils
n'ont ni l'autorité nécessaire pour les faire connaître, bon
gré mal gré, à ceux de leurs condisciples qui n'ont pas songé
à leur demander un tel service, ni le courage difficile de les
déclarer à ceux-là même qui les interrogent à cet égard. Qui
donc pourra rendre aux jeunes gens ce service important,
sinon ceux à qui leur charge en fait un devoir, les Direc-
teurs, les Professeurs, les maîtres, et aussi les parents ? Et
voilà ce que les enfants sentent parfaitement, selon le mot
plein de bon sens et de naïveté de l'un d'eux, qui écrivait
à son Supérieur pour lui dire : Vous seul pourrez être mon
grand moniteur.


Mais, je dois l'ajouter ici : en parlant des défauts des en-
fants, je songe encore à d'autres que les enfants ; et en
invitant les maîtres à étudier attentivement leurs élèves,
afin de les bien connaître et de les aider à se corriger,
j'invite aussi les maîtres à faire les premiers, et pour leur
propre compte, le même travail sur eux-mêmes, et je me
donne à moi aussi ce grave avertissement. Nul ne peut parler
des défauts de la nature humaine sans être, comme l'Église
le dit quelque part, memor conditionis suœ, sans songer
à soi et à ses faiblesses. Nul, en;effet, n'est ici de meil-
leure condition que ses frères ; nul n'a droit de jeter au




382 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


prochain la première pierre ; et quand on a le devoir d'offrir
de si graves enseignements, et si je puis m'exprimer ainsi,
de faire la leçon aux autres, il faut auparavant se l'être bien
faite à soi-même.


Après tout, chacun est ici le premier intéressé ; chacun,
avecsoi-même, a sérieusement et beaucoup à faire. « Il n'y a
« pas de faute commise par un homme, disait saint Augus-
« tin, dont un autre homme ne soit capable, si la grâce de
« Dieu ne l'en préservait. » Nous sommes tous pétris du
même limon; tous nous participons, comme le disait autre-
fois saint Paul, à la même masse de corruption originelle ;
et comme, après tout, chacun est l'ouvrier le plus immédia-
tement chargé du soin de son propre salut, se bien con-
naître soi-même, bien connaître ses propres défauts, pour
travailler à s'en corriger, voilà incontestablement par où
chacun doit commencer.


Au surplus, la connaissance de soi-même est encore le
meilleur moyen de bien connaître les autres ; et à tous les
points de vue, le plus grand service qu'un instituteur puisse
recevoir, lui aussi, ce serait donc, et sans contredit, d'être
éclairé sur ses défauts personnels par une voix vraiment
amie et sincère.


Qui ne sait qu'une des maximes le plus sages qui ait été
proclamée par l'antiquité, est celle-ci : Nosce teipsum; et que
la prière la plus fréquente de saint Augustin au Seigneur
était : Noverim te, noverim me !


Une année, lorsque j'étais Supérieur du Petit Séminaire
de Paris, je parlai à tous, maîtres et élèves, pendant six
semaines, une demi-heure chaque soir, sur cet important
sujet. Non - seulement tous eurent le courage d'entendre
les choses dures, pénibles, que j 'eus à dire ; mais encore, à
mon insu, ils prenaient des notes, et c'est la sténographie
des choses que je dis alors qui est le fond du présent livre.


Quoi qu'il en soit, je ne crus, au Petit Séminaire de Paris,




C.U. III. — DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE. BÉFAUTS. 383


avoir bien lancé la maison, que quand j 'eus tourné du côté
de l'élude et de la correction des défauts tous les efforts ;
quand j 'eus inspiré aux enfants le désir vrai de bien con-
naître tous leurs défauts; et aux maîtres le zèle de les avertir,
de les éclairer, et, pour mieux remplir ce devoir, de s'avertir
et de s'éclairer eux-mêmes les premiers.


CHAPITRE I I I


Des différentes espèces de défauts.


Il s'agit donc, pour tous et pour chacun, de connaître ses
défauts ; et même ceux des autres, si on a mission de les cor-
riger : il s'agit de les discerner dans les fautes qui les mani-
festent, dans les replis secrets du cœur qui les cachent, et
souvent même à côté de qualités excellentes auxquelles ils
se trouvent mêlés, et dont ils ne sont quelquefois que l'excès
ou la mauvaise application. Mais toute cette étude, tout ce
discernement est difficile.


Oui, difficile, car : 4° II y a des défauts qu'on ne connaît
pas; 2° il y a aussi des défauts qu'on ne veut pas con-
naître ; 3° il y a enfin des défauts qu'on connaît, mais qu'on
ne veut pas corriger.


Ily a des défauts qu'on ne connaît pas ; r ien n'est plus dan-
gereux : ils germent, s'enracinent, s'emparent de l'âme en
silence, et lorsqu'ils ont porté les fruits les plus amers, il
est presque toujours trop tard pour les déraciner; cela de-




384 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


vient du moins très-difficile : l'âme est semblable alors à
un vieux tronc rude et noueux qui a jeté en terre des racines
vives, entrelacées, profondes ; ce tronc oppose au bras qui
veut l'ébranler une résistance opiniâtre ; et si l'on réussit à
grand' peine à l'arracher, le sol où il avait enfoncé ses ra-
cfnes en est complètement bouleversé.


Je vais donner un exemple, très-commun dans les mai-
sons d'Éducation, de ces défauts cachés, inaperçus, qu'on
laisse imprudemment grandir, faute de les connaître : Voici
un enfant sage, docile, laborieux, intelligent; plein d'ar-
deur et d'émulation. Il a de bonnes notes, de bonnes places ;
on a toujours été très-content de lui. Mais peu à peu, avec
la joie, légitime, sans doute, mais peu surveillée, des succès
et des éloges, l'amour-propre, la vanité, l'orgueil, se glissent
dans cet enfant, s'étendent, grandissent insensiblement.
Cependant on ne s'aperçoit de rien, tant que tout con-
tinue à bien aller ; mais voici qu'un échec arrive, ou un
nuage dans la conduite ; l'enfant mérite une mauvaise place,
il reçoit une mauvaise note : tout à coup le dépit se montre,
la vanité se blesse, l'orgueil s'irrite, et un éclat soudain,
inattendu, révèle dans cet enfant qu'on croyait si bon, si
docile, un défaut terrible, dont on ne se doutait pas, mais
qui était là, qui croissait tous les jours, qui est déjà vieux
et enraciné, et qu'on nourrissait comme à plaisir sans le
savoir !


Ainsi en est-il de l'envie, de l'humeur, de la sensualité, de
la colère, et de|bien d'autres défauts encore : parce qu'on les
ignore, on s'en croit exempt; parce qu'ils n'ont pas encore
éclaté, on croit qu'ils n'existent pas, et on ne travaille point
à les guérir : que dis-je ? comme dans cet enfant, on les en-
tretient peut-être, et par des imprudences déplorables on
nourrit le feu qui couve sous la cendre.


Et le malheur est d'autant plus grand, que le temps est
impuissant tout seul à donner la lumière, et qu'au cou-




CH. III. — DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE DÉFAUTS. 385


traire, plus cette ignorance dure, plus ordinairement, elle
devient profonde. On passe ainsi de longues années avec des
défauts que tout le monde aperçoit, dont tout le monde
souffre, qui ont produit en mille occasions des fruits d'amer-
tume, et l'on ne s'en doute même pas. C'est de la sorte qu'on
trouve des personnes parvenues à l'âge de quarante, cin-
quante ans, et au delà, sans jamais avoir eu le moindre
soupçon d'un défaut qui a fait le malheur de leur vie. Un ami
courageux ose-t-il enfin, un jour, dans une circonstance fa-
vorable, leur révéler le mal : —Vous croyez? lui disent-elles
tout étonnées. — Oui. Examinez-vous à ce point de vue, et
vous verrez qu'il y a là de quoi expliquer telle imprudence,
tel malheur, peut-être tous vos chagrins et toutes vos fautes.
— Alors, ou bien elles reconnaissent leurs défauts, et il
leur faut un courage surhumain pour entreprendre de s'en
corriger et ne pas tomber dans le désespoir ; ou bien elles
ferment les yeux et persévèrent dans leur aveuglement, ce
qui rend le malheur irréparable.


2° Il y a donc des défauts que l'on ne connaît pas ; mais ce
qui est bien pire, c'est qu'il y a des défauts que Von ne veut
pas connaître : à quel degré cela va, même chez les enfants,
c'est vraiment extraordinaire.! Par exemple, il y a des enfants
naturellement faux, dissimulés, sans sincérité, sans fran-
chise, mentant, mentant par goût, par vice de nature :
s'avoueront-ils'à eux-mêmes ce honteux défaut ? Non ; ils
manqueront de sincérité à leur égard comme à l'égard des
autres ; ils se mentiront à eux-mêmes comme ils mentent à
tout le monde.


La vérité est que si la plupart du temps on ne voit pas ses
défauts, il est aussi vrai et plus triste encore d'ajouter qu'on
ne veut presque jamais les voir. 11 y a dans le fond du
cœur une secrète disposition d'amour-propre qui fait qu'on
ne veut pas se connaître soi-même pour n'avoir pas à se
condamner; ou quelquefois encore c'est une lâcheté secrète


Ï . , m. 2'>




3 8 6 LIV. I I I . — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


qui ne permet pas d'essayer les efforts nécessaires pour se
corriger. Voilà les deux principes inavoués de cette igno-
rance volontaire, l'amour-propre et la lâcheté : Noluit intel-
ligere ut bene ageret, dit l'Écriture.


Ou bien, si on consent à jeter les yeux sur ses défauts ex-
térieurs, on ne consent jamais à les ouvrir sur ses défauts
intimes, sur les défauts du fond de sa nature, parce que
cela touche de trop près au moi, c'est-à-dire à ce qu'on a de
plus cher et de plus délicat au monde. On prend donc le parti
sur tout cela de se flatter soi-même ; et quant aux autres, on
se défend contre eux à outrance; on ne veut pas souffrir
qu'aucun touche à ce qu'on appelle son for intérieur, son
caractère : sur ce point, la moindre contradiction irrite ; la
moindre observation froisse ; toute réprimande exaspère. <11
est curieux, mais profondément triste, de voir ces pauvres
gens attentifs, sur leurs gardes, et armés pour ainsi dire de
pied en cap, contre quiconque voudrait essayer de leur faire
un peu de bien en les éclairant !


On consent encore à être averti sur une faute ; c'est un fait
extérieur, saisissable : il est là sous les yeux, il faut bien en
convenir ; et d'ailleurs il peut n'être qu'accidentel, et ne pas
impliquer un vice de nature : mais quant au défaut, c'est
autre chose ; il est en nous, il est nous-mêmes, on sent toute
la portée de l'avertissement à cet endroit, et on proteste im-
médiatement par une sorte de répulsion instinctive, ins-
tantanée : c'est pourquoi passer, dans l'avertissement, de la
faute au défaut est toujours chose délicate et qu'on souffre
difficilement.


C'est là une très-commune, mais très-dangereuse disposi-
tion, même chez les enfants : il n'y a qu'un père, qu'une mère,
(ju'un Supérieur clairvoyant, qu'un Directeur attentif et zélé,
qu'un professeur dévoué de cœur à ses élèves, qui puisse les
avertir prudemment, utilement, efficacement ; mais.la con-
dition essentielle du succès pour de tels avertissements, c'est




CH. U l . — DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE DÉFAUTS. 3 8 7


qu'ils soient donnés avec grande amitié et grande bonté : ils
ne seront reçus avec docilité, que si on est bien convaincu de
l'affection de celui qui les donne, et si on la sent toujours,
même dans les paroles les plus vives.


3° Enfin, il y a des défauts qu'on connaît et qu'on ne veut
pas corriger ; et, dans ce cas, c'est une infidélité positive
au devoir, à la vertu ; une infidélité aussi coupable que fu-
neste; et il faut ajouter, hélas! que c'est encore un cas très-
fréquent.


De tout ce- qui précède, il faut donc déjà conclure, qu'il
est de la plus haute importance de connaître ses défauts et le
plus tôt possible; qu'il faut désirer les connaître, et par con-
séquent en chercher les moyens ; enfin, qu'on ne saurait ja-
mais être excusable de ne pas vouloir corriger un défaut,
quand on le connaît.


A plus forte raison ajouterons-nous qu'il ne faut jamais
flatter un défaut; nous pouvons dire aussi qu'il ne faut ja-
mais en négliger aucun, quel qu'il soit, grave ou léger. Un
défaut flatté, ou même simplement négligé, grandit insen-
siblement et finit par dominer. Alors, si c'est un défaut grave
et do certaine nature, les suites peuvent être incalculables :
il n'y aura plus d'arrêt dans le mal ; on a en ce genre des
exemples vraiment terribles.


Je nommerai, dès ce moment, deux de ces défauts, qui
peuvent très-facilement devenir dominants, quand on les né-
glige ; mais je ne ferai que signaler ici aux yeux des jeunes
gens et des maîtres, ces deux tyrans domestiques, qui sont
les deux plus redoutables fléaux de cet âge : je veux dire la
mollesse et l'orgueil. Les ravages en sont vraiment affreux :
ils tyrannisent despotiquement les âmes : c'est quelquefois la
plus complète, comme la plus avilissante servitude. J'en re-
parlerai bientôt avec détail.


Et la raison de ceci, de cette domination étonnante de cer-
tains défauts sur l 'âme, je vais la donner ; il faut la bien




388 LIV. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


CHAPITRE IY


Une classification des défauts.


Nous n'entendons pas écrire ici un traité de psycho-
logie ou de morale, et notre intention n'est nullement de
donner une classification philosophique et complète. Nous
écrivons pour des hommes pratiques,- pour des maîtres ; ou
pour de jeunes esprits, qui ont moins besoin d'une analyse
savante de l'âme humaine, que d'indications précises et
faciles à retenir. C'est pourquoi sans nous préoccuper de sa-
voir si la division suivante est rigoureuse au point de vue
de la science, nous dirons simplement que les défauts, soit
positifs, soit négatifs, peuvent se classer quant à leur na-
ture, en défauts corporels, défauts intellectuels, et défauts
moraux.


comprendre; elle tient aux principes mêmes les plus profonds
de notre nature : c'est que depuis le péché originel il n'y a
pas un mauvais germe en nous, si petit et si chétif qu'il soit,
qui ne tende à croître, si on ne le combat, qui ne tende à s'em-
parer de tout, à tout dominer, à tout corrompre; tandis qu'au
contraire, il n'y a pas une bonne qualité qui ne tende à dé-
faillir, si on ne l'entretient, et si on ne s'applique à la fortifier.


Et voilà pourquoi aussi il ne faut jamais négliger une
qualité, une vertu, une grâce, quelque petite qu'elle soit
en apparence : négligée, elle périra. De là tant de vocations
qui se perdent, tant d'avenirs qui échouent, parce que la pre-
mière grâce a été négligée : sujet immense et qui fournirait à
lui seul la matière des plus graves enseignements. Entrons
maintenant dans le détail.




CH. IV. — UNE CLASSIFICATION DES DÉFAUTS. 389


1" Les défauts corporels, physiques, extérieurs : Nous
croyons indispensable de les signaler ici, parce qu'ils ne
sont pas sans une certaine importance ; ils en ont plus
même qu'on ne le pense généralement : que dis-je? Ils peu-
vent avoir dans la vie une influence des plus graves sur le
succès de l'œuvre qu'on sera appelé à accomplir. Et, d'un
autre côté, l'Éducation n'est pas sans prise sur de tels dé-
fauts : elle peut beaucoup au contraire pour les faire dispa-
raître, ou du moins pour les atténuer notablement. On doit
même dire de quelques-uns qu'on ne les traîne souvent avec
soi toute la vie, que parce qu'on n'en a jamais été averti
avec une charité éclairée et courageuse.


Par exemple, la pesanteur apathique, des manières gros-
sières ou maladroites, une mauvaise prononciation : com-
bien! d'autres défauts de même genre peuvent être un obsta-
cle à la confiance, à la considération, au respect dont on
aurait besoin auprès d'un grand nombre de gens, qui ne
peuvent vous connaître que par des relations tout extérieu-
res ! Et ce sont là des défauts dont on ne peut parvenir à
se défaire, quand on n'y a pas travaillé de bonne heure.


Par exemple encore, qu'on me permette ces détails, cer-
taines infirmités désagréables qu'on ignore soi-même, une
mauvaise haleine, la mauvaise odeur des pieds, une certaine
malpropreté, et d'autres choses semblables, peuvent inspirer
un dégoût invincible aux personnes les mieux intentionnées,
et les plus sensées. Il y a donc là des précautions à prendre,
qu'on ne prendra pas à moins d'avoir été bien averti qu'on a
ces défauts, et qu'on peut y apporter tels remèdes.


Et toutefois j 'ai vu des personnes, des hommes considéra-
bles, obligés de tenir conseil, ne sachant comment s'y pren-
dre, pour faire agréer un avertissement à un ami sur quel-
qu'un de ces points délicats, importants, et pourtant si
simples !


C'est ainsi encore qu'une voix désordonnée, des gestes




390 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


ridicules, un Ion commun ou criard, peuvent annuler tout
l'effet de la prédication la plus éloquemment écrite, et la plus
sagement pensée.


Voilà, je le répète, des défauts qu'il est certainement utile
de connaître ; car alors, s'il en est temps encore, on peut
s'en corriger : cependant, qu'il est rare qu'on reçoive avec
reconnaissance des avis même sur ces défauts-là, tout in-
nocents qu'ils sont ! et qu'on trouve peu d'amis, de direc-
teurs, même sages, tendres et dévoués, qui osent en avertir
ou songent à le faire ! C'est un grand, ce serait quelquefois
un immense service à rendre !


%" Que s'il est nécessaire de connaître même ses défauts
physiques, combien ne l'est-il pas davantage de connaître
les défauts de son esprit, ses défauts intellectuels !


Mais, il le faut dire, c'est ici surtout qu'on s'ignore com-
plètement soi-même, et qu'on veut s'ignorer. Et d'autre
part, qu'il est difficile encore de trouver pour de tels défauts
un moniteur courageux, et sincère !


Ces défauts sont de diverses espèces, et plus ou moins
graves :


Il y a, par exemple, le défaut de goût, avec lequel un
écrivain, un prédicateur produira rarement quelque chose
qui soit brillant et solide à la fois, donnera souvent dans
l'affectation, l'enflure, l'intempérance, l'étrangetè; en un
mot, pourra être entraîné dans les plus fâcheux et les plus
ridicules écarts.


Il y a le défaut de jugement, surtout le défaut de jugement
pratique, dont les erreurs peuvent être capitales dans la vie,
jeter dans les plus fausses démarches, précipiter même dans
des bévues énormes, souvent irréparables, enfin égarer à
chaque pas et faire égarer les autres, si on est chargé de les
diriger. Et cependant qui est-ce qui permet qu'on l'aver-
tisse sur un tel défaut, dont la connaissance, la défiance
de soi-même serait pourtant le seul remède ?




CH. IV. — UNE CLASSIFICATION DES DÉFAUTS. 3 9 1


Il y a le défaut de ce qu'on appelle l'esprit; ou bien encore
le défaut d'imagination. Sans doute il n'est pas nécessaire
d'avoir un certain esprit, d'avoir une certaine imagination ;
mais il est indispensable de ne pas croire qu'on les a, quand
on ne les a pas ; il est indispensable, pour la sage conduite
de la vie, de savoir où on en est sur ce point : autrement
on s'appliquera à des choses dont on est incapable, et en s'y
appliquant, on ne fera que perdre son temps et peut-être
accumuler des sottises.


Il y a le défaut plus sérieux de pénétration, d'élévation,
d'étendue d'esprit. Ce défaut est grave, et il est commun.
Avec un tel défaut, on ne pourra être chargé de certains
travaux, de certaines fonctions importantes, de certaines
affaires délicates, sans être exposé à prendre de fausses
mesures, sans rétrécir, abaisser, et peut-être étouffer les
plus'belles œuvres. Il faut au moins se défier de soi sous
ces rapports, et par conséquent se connaître, et pour cela
se laisser avertir.


Il y a, — même dans l'esprit, — un certain défaut de sen-
sibilité, dont je dirai un mot, parce que ce défaut est très-
grave, et empêchera en telles occasions d'accomplir les
œuvres les plus utiles, parce qu'on ne connaîtra pas le che-
min des cœurs, parce qu'on ne saura point s'accommoder à
la joie ou à la douleur des autres, et donner en temps oppor-
tun des encouragements ou des consolations efficaces.


Eh bien ! ces défauts, et bien d'autres tout aussi graves,
qu'il est si important de connaître, nul, comme nous l'avons
déjà dit, n ' a ie courage de nous en avertir, parce que avertir
quelqu'un d'un défaut d'esprit, c'est presquetoujours le bles-
ser au vif. Il n'y a guère que le défaut de mémoire, dont on
souffre le reproche, et dont on fasse assez volontiers l'aveu. c
Pour tous les autres, on ne les connaît pas, on ne veut pas
les connaître ; soit par présomption : on se croit capable de
tout; soit par lâcheté : on ne veut faire aucun effort; soit




302 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


enfin par légèreté : on ne peut entendre rien de sérieux.
Il n'est pourtant, je le répète, presque aucun de ces dé-


fauts, quelque profonds qu'ils soient et qu'ils paraissent,
dont on ne puisse se corriger, au moins en partie, ou dont
les suites désastreuses ne pussent être prévenues, si l'on
avait le bonheur d'en être averti, le bon sens de se laisser
avertir, la bonne volonté pour essayer ce dont on est capa-
ble, afin de s'améliorer, et enfin la modestie de s'en tenir aux
oeuvres qu'on peut véritablement mener à bien.


Mais, me dira-t-on, y a-t-il donc réellement des remèdes
efficaces a ces graves défauts? Grâce à Dieu, il y en a, et des
remèdes presque infaillibles, à savoir : Vhumilité et l'appli-
cation. Il n'est presque personne, quelque médiocre que
soit son esprit, à qui l'on ne puisse dire : soyez humble et
appliqué, et vous ferez de grandes choses. L'humilité n'est
pas seulement la suprême justice, c'est aussi la suprême
sagesse. Mais persuader cela aux esprits vains et légers,
n'est pas chose facile : on le peut cependant dans l'œuvre de
l'Éducation, et j ' a i vu souvent y réussir. Et je connais au-
jourd'hui des hommes, des prêtres, devenus très-utiles, dis-
tingués même, quelques-uns occupant les premiers rangs,
qui étaient pourtant et fussent restés des natures ordinaires,
sans le bienfait de leur Education et la docilité de leur jeu-
nesse. Mais grâce à ce double bonheur, natures ordinaires,
ils ont donné des fruits plus qu'ordinaires ; ils ont comblé
leurs lacunes, développé leurs qualités, tiré d'eux-mêmes
tout ce que Dieu y avait mis, et de cette façon, se sont élevés
au-dessus même de leur nature, et aujourd'hui ils servent
glorieusement l'Église et la société.


Les défauts moraux dont nous avons à parler maintenant,
sont évidemment les plus graves ; car, s'ils ne sont point des
péchés formels par eux-mêmes, ils sont au moins des prin-
cipes de péché. Parmi ces défauts, j'appellerai les uns natu-
rels, parce qu'ils tiennent au caractère, à la nature, à la




CH. IV. — UNE CLASSIFICATION DES DÉFAUTS. 3 9 3


constitution spirituelle et quelquefois même physique de
l'individu : je me permettrai d'appeler les autres surnatu-
rels, parce qu'ils sont surtout opposés aux vertus de la
grâce, et sont dans l'homme un effet plus marqué de la
perte de la justice originelle '.


Les défauts naturels du genre moral ont bien souvent pour
fondement une qualité, laquelle peut devenir précieuse, si
l'on fait disparaître le défaut qui en est l'exagération ou qui
en fait une difformité. Par exemple, un caractère froid,
discret, réservé, paraît quelquefois concentré et presque sau-
vage ; cependant l'expérience m'a appris que ces caractères-
là cachent souvent sous cette froideur apparente une sensi-
bilité profonde, et sont capables des affections les plus vraies
et les plus dévouées. Ce qu'il faudrait donc, c'est, en les éle-
vant, d'ouvrir et de dilater leur cœur, de leur inspirer une
sensibilité plus expansive, une affabilité douce et affec-
tueuse : on ne trouverait plus alors dans ces natures qu'une
délicatesse réservée qui se laisse deviner et n'en a que plus
de charme ; de la gravité, de la dignité, du sang-froid, et un
précieux empire de l'âme sur elle-même.


Un caractère ferme est enclin à la dureté; un caractère vif
à la brusquerie. Si ces défauts sont soigneusement corrigés,
il ne restera plus que de la fermeté, de l'activité, du zèle.


Il y a des enfants qui ont ce qu'on peut nommer une na-
ture mélancolique, — un cœur très-tendre, et un esprit très-
réfléchi.


Cela est fort dangereux, — à moins que l'enfant ait un bon
jugement, un caractère ferme et une piété solide.


L'esprit trop réfléchi fatigue le cœur tendre, l'attriste;


1 On voit dans quel sens et à quel point de vue j'emploie ici le mot surnaturel :
car je n'ignore pas, et n'entends nullement contredire la parole du concile de
Trente, qui déclare l'homme, par le péché d'Adam, non-seulement dépouillé des
d o n 9 de la grâce, mais blessé même dans ceux de la nature : Fvlnerala in nain-
ratibtts.




394 U V . III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


puis viennent les mécomptes inévitables de la vie, les frois-
sements : une telle nature n'y résiste pas.


Quels soins ne demande pas l'Education de tels enfants !
J'ai dit qu'à côté de ces défauts se rencontre presque


toujours une qualité dont ils sont l'exagération et l'altération ;
néanmoins, il y a de ces défauts naturels qui ne déguisent
aucune qualité, et qui dès lors ne sont que plus dangereux.
Un caractère léger, vain, capricieux, mobile, n'est fécond
qu'en conséquences désagréables, souvent même très-mal-
heureuses. La dissipation, Yinclination au bavardage, Yin-
discrétion sont dans toute position, fâcheuses et quelquefois
très-périlleuses : mais on se représente facilement à quel
point ces défauts, surtout à un certain âge, et dans certaines
positions, peuvent devenir la source des inconvénients les
plus graves. La dissipation peut précipiter un prêtre dans
l'oubli des devoirs les plus sacrés ; le bavardage, l'indiscré-
tion, sont dans mille occasions des causes de discorde, et
enfantent quelquefois des malheurs terribles.


On ne fera jamais assez comprendre aux enfants, que les
fautes qui leur échappent tous les jours, légères en elles-
mêmes peut-être, ne le sont pas, si on en considère les prin-
cipes, et les suites que ces mauvais principes peuvent avoir;
qu'il faut moins regarder ces fautes que le défaut d'où
elles procèdent; que ce défaut, qui ne leur fait com-
mettre maintenant, dans la petite vie qu'ils ont, que des
fautes sans conséquence, leur en fera certainement com-
mettre plus tard de capitales, s'il persiste; et il persistera,
s'ils ne l'attaquent courageusement et ne le déracinent.


C'est par de telles considérations qu'il faut justifier à leurs
yeux la sévérité vigilante de leurs maîtres, et les décider
eux-mêmes à s'armer contre leurs défauts d'une généreuse
volonté.


Quant à la correction des défauts moraux; je dirai d'eux
•ce que j 'ai dit des défauts intellectuels : bien qu'ils tiennent,




CH. IV. — UNE CLASSIFICATION DES DÉFAUTS. 395


comme ceux-ci, à la nature même de l'individu, ils peuvent
aussi, comme eux, être corriges ou diminues par l'applica-
tion constante aux vertus qui leur sont opposées : la véritable
humilité sait les reconnaître, et la persévérance chrétienne
dans le devoir peut les déraciner ou au moins les atténuer.


Non, avec l'humilité et la fidélité au devoir, il n'est pas
d'homme qui ne puisse s'améliorer et fournir une carrière
utile;pas de caractère faible qui ne puisse se fortifier; pas
de caractère dur qui ne puisse se rendre supportable : pas de
caractère irascible qui ne puisse s'adoucir. Mais pour arriver
à ces résultats si désirables et si rares, combien ne faut-il
pas de zèle et de lumière dans ceux qui sont chargés d'aver-
tir, de diriger, d'améliorer les âmes! combien ne faut-il pas
de docilité dans ceux qui doivent accepter des avis, quelque-
fois si pénibles à entendre, quoique si importants à suivre !


Tout ce que nous venons de dire sur le zèle des maîtres
et sur la docilité nécessaire des enfants, s'applique avec
une vérité particulière dans certains cas, et à certaines na-
tures, chez lesquelles se rencontrent des défauts d'harmonie
et d'équilibre singuliers, et les plus étranges contradictions.


Cela va quelquefois à un degré prodigieux. On rencontrera
par exemple dans un jeune homme un inexplicable mélange
de frivolité et de sérieux, de vanité et de raison, de douceur
et de dureté, de lumière et d'aveuglement sur lui-même, de
noblesse d'âme et de misère morale : la fermeté de l'esprit
et la faiblesse du caractère ; la rectitude du jugement, la
droiture et la bonté du cœur, avec la mollesse de la vo-
lonté et l'insensibilité de la conscience : natures, dont les
contrastes stupéfient l'observateur attentif, tant elles sont
extraordinairement fortes et extraordinairement faibles;
profondes et légères ; tendres, et toup à coup sèches et dures ;
d'une franchise quelquefois admirable, et capables néan-
moins d'une telle dissimulation, qu'elle semble avoir la
simplicité et le sang-froid de la candeur ; d'une intelligence




396 LIV. III . — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


vive et claire, et d'une conscience si obscure qu'elle semble
éteinte; d'une reconnaissance dont la sensibilité et le bel
esprit se partagent l'expression, et qui peut tout à coup faire
place à l'apparence la plus ingrate; ou bien encore, pas de
caractère plus ferme, qui affecte plus de prétentions au cou-
rage, et qui ait plus renoncé en même temps à la force
morale.


Oui, j 'ai vu cela souvent dans ma vie : le défaut d'har-
monie, et j'allais dire, le divorce entre les diverses puis-
sances de l'âme, l'intelligence, le cœur, la volonté, la cons-
cience ; et cela dans des âmes, dans des natures d'élite. Oui,
j 'ai vu des âmes avec l'intelligence la plus rare, la plus pé-
nétrante, la plus spontanée, avec un cœur même sensible et
noble, et capables des plus tristes défaillances et des plus
douloureux égarements : la raison n'éclairant ni le cœur, ni
la conscience; le sens moral faisant totalement défaut : une
grande droiture, une simplicité vive faite pour la vérité, une
candeur faite pour la lumière, et tout cela tournant tout à
coup au mensonge : un cœur d'une tendresse profonde,
mais ce cœur, sans lumière et sans force, fléchissant dans
les ténèbres, et cette profondeur de sensibilité devenant un
abîme de misère.


Ces natures sont effrayantes : il pourrait se rencontrer là,
et pour la vie entière, malgré la supériorité de l'esprit et les
qualités du cœur, une déplorable lacune morale, et, à la
suite, les plus grands malheurs.


De quelle importancen'est-ilpas d'étudier de telles natures,
et de tout faire pour venir à leur secours ! Mais le plus sou-
vent, même dans la meilleure Education, il n'en va pas de la
sorte. Ces natures à contrastes fatiguent et impatientent les
maîtres : ils ne savent comment les pénétrer, les définir, les
gouverner : peu sont capables de l'étude intelligente et suivie
qu'il faudrait pour cela ; peu ont l'œil assez pénétrant, la main
assez souple et assez forte. Aussi, que de fois on y renonce !




CH. IV. — UNE CLASSIFICATION DES DÉFAUTS. 397


que de fois j 'ai entendu dire de ces enfants, de ces jeunes
gens, avec un accent découragé : « Ils sont indéfinis-
sables! »


Oui, mais c'est à vous à les définir, et à tout faire pour en
venir à bout; c'est à vous à les suivre, aies regarder de près,
à vous défier des illusions, des préventions, des décourage-
ments surtout : tout ce défaut d'équilibre, c'est à vous à y re-
médier ; tous ces contrastes, c'est à vous à les harmoniser.
Voyez bien les lacunes, saisissez les côtés faibles, opposez
les forces aux faiblesses, les ressources aux défauts : sur-
tout, éclairez bien sur elles-mêmes ces natures ; montrez-
leur le danger ; déterminez enfin chez elles une direction
victorieuse, et la prépondérance définitive des qualités sur
les défauts.


Mais pour une telle œuvre, pour une cure si difficile, je le
dirai, la piété est l'auxiliaire indispensable ; c'est par la
piété seule qu'on sauvera des âmes en si grand péril ; la
piété seule peut mettre l'harmonie dans ces natures, leur
servir de lest et de contrepoids ; faire que l'intelligence et
la conscience, fortifiées invinciblement, défendent à jamais
le cœur.


Évidemment, c'est là un des points les plus délicats, les
plus difficiles en Éducation. Pour moi, rien ne m'a coûté plus
de soins et plus de peines que la culture de ces âmes. Qu'on
me permette de placer ici, dans leur vivacité et leur rude
franchise même, les paroles que j'adressais un jour à l'une
d'elles avec une sévérité tendre et une implacable véracité.
Ces paroles n'ayant pas été inutiles à cette âme, elles pour-
ront ne l'être pas aussi pour d'autres.


« Dans votre âme, disais-je, votre intelligence seule est
restée debout. Mais, chose étrange ! la plus singulière rup-
ture semble s'être faite entre elle et votre conscience et votre
cœur. De cette intelligence si claire, si vive, quelquefois si
lumineuse, ne descend presque jamais une lumière dans la




39b' L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


conscience, pour lui faire dire, avec un jugement ferme et
définitif: Ceci est bien, ceci est mal.


« Encore moins jamais une lumière dans ce pauvre cœur
pour lui faire aimer, aimer sincèrement, ce qui est bon, ce
qui est aimable ; pour lui faire haïr, sérieusement haïr, ce
qui est mal, ce qui offense Dieu.


« Cette évidente rupture d'une telle intelligence avec la
conscience et avec le cœur est quelque chose de prodigieux
à voir de près, comme j 'ai été obligé de le faire.


« Et dans ce qui reste encore de cette intelligence, dans
cette vivacité, dans cette droiture qui reconnaît encore si vite
ce qui est vrai, il faudrait se crever les yeux pour ne pas voir
qu'il y a eu là même des altérations profondes, un abaisse-
ment singulier de l'élévation naturelle, comme de quelqu'un
qui s'est précipité ; une diminution quelquefois choquante,
grossière même de la dignité primitive, et cela souvent jus-
qu'à la vulgarité la plus bizarre.


« La légèreté morale de cette pauvre intelligence est encore
un mystère pourmoi, et ne suffitpas à m'expliquer les aveu-
glements et l'impénétrable mystère de votre conscience.


« J'ai renoncé à l'approfondir, vous le savez; j 'ai reculé de-
vant ce que saint Paul nomme le mystère d'iniquité, myste-
rium iniquilatis.U&îîv<i\i\ serpent, le Menteur, avait passé
par là. Disons tout, il y avait même séjourné. Les notions du
bien et du mal, les principes mêmes de la foi, tout avait été
troublé, la vertu, l'innocence, la religion : il est difficile de
dire ce à quoi croyait fermement cette pauvre conscience.


« Mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que, si le mys-
tère d'iniquité en votre conscience n'a été à son comble que
dans ces derniers temps, la faiblesse, les défaillances, l'obs-
curcissement de cette conscience n'ont cessé de croître de-
puis votre neuvième ou dixième année, si je me souviens bien
de ce que vous m'avez dit de ces premiers temps.


« En un mot, sous peine de vous exposer à tous les plus




CH. Y. — LA TRIPLE CONCUPISCENCE. ."Í9ÍJ


CHAPITRE V


Cause profonde de nos défauts : Le péché originel
La triple concupiscence.


Les défauts moraux que nous avons nommés surnaturels,
en expliquant ce mot, ont plus particulièrement, avons-nous
dit, leur source dans le péché originel, et sont surtout op-
posés aux vertus plus spéciales de la grâce : ils forment en
nous, on peut le dire, comme une seconde nature, tant ils s'y


affreux périls, et de voir un jour ou l'autre éclater dans votre
vie les scandales les plus inattendus, et irrémédiables, vous
ue devez jamais oublier le vide moral affreux, la lacune dé-
sastreuse, qu'en ce point capital nous avons trouvé en votre
àme. Je le répète, dans ma longue carrière, je n'ai jamais
rien vu qui m'étonnât davantage, et rien qui me laisse plus
d'inquiétude pour votre avenir.


« Ce qui me donne espoir, c'est votre docilité, votre con-
fiance, votre résolution ferme, et très-fidèle jusqu'à ce jour
d'observer votre règlement, et de dire à ceux qui vous di-
rigent non-seulement vos fautes, mais vos défauts, vos bi-
zarreries, vos contrastes, vos lacunes, tels que cette grande
et triste circonstance vous les ont fait connaître. »


Mais laissons un moment les détails : allons plus encore
au fond des choses; pénétrons jusqu'à la cause, jusqu'à la
racine même des défauts.




400 LIV. IH. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


trouvent profondément enracinés. Nul n'est entièrement
exempt de leurs atteintes, et c'est le mal le plus intime de
notre être moral,depuis que l'homme a été corrompu dans
son fond.


Assurément, les lumières qui nous éclairent le plus com-
plètement à cet égard, doivent venir de Celui qui connaît
mieux que nous le fond même de la triste humanité en nous,
et toute notre corruption. Aussi n'est-ce pas un des caractères
les moins frappants de la divinité de nos saintes Écritures
que l'énergie, la clarté, la profondeur avec lesquelles la Bible
nous révèle ceux de nos vices qui sont la source de tous les
autres. On admire là l'œil de Dieu, sondant d'un regard per-
çant la nature humaine, et découvrant à l'homme tout ce
qu'il y a de plus intime et de plus caché en lui-même.


Or, voici ce que dit à ce sujet saint Jean l'évangéliste :
Omne quod est in mundo, concupiscentia carnis est, et con-
cupiscentia oculorum, et superbia vitœ.


Ces trois mots sont l'explication la plus complète du fond
des choses humaines. La philosophie antique, dans ce
qu'elle a dit de plus sage, n'a rien prononcé qui égale en
profondeur, sur la question présente, ce simple verset de
saini Jean. Sans la lumière de ces paroles, le monde moral,
l'humanité tout entière, n'est qu'une énigme.


Tous les maux de la nature humaine proviennent de ces
trois principes : il y en a un des trois néanmoins, qu'on
peut regarder comme le plus fécond et qui résume tout :
C'est l'orgueil, superbia vitœ. En effet, outre les nombreux
et hideux enfants qui lui sont tout à fait propres, il est aussi,
si l'on y regarde de près, le père des deux autres principes
mauvais signalés ici. L'Écriture, dans un autre passage,
enseigne elle-même cette triste et mystérieuse unité des
principes vicieux qui sont en nous : Initium omnis peccati
superbia.


Cependant, comme pour rapporter ainsi tout mal à l'or-




CH. V. — L.\ TRIPLE CONCUPISCENCE.


gueil il faut une réflexion très-attentive et une recherche
quelquefois fort difficile, la désignation explicite donnée
par saint Jean de trois principes qui engendrent tout mal
en nous, orgueil, sensualité, cupidité, cette désignation, dis-
je, est plus propre à faire comprendre à tous comment nais-
sent les défauts et les vices qui sont les plaies de l'humanité.


Mais, chose bien remarquable, ces trois paroles profondes
où l'évangéliste a résumé tout, le mal du cœur humain, c'est
aux jeunes gens, c'est aux enfants mêmes qu'il les adresse,
non moins qu'aux hommes faits, parce que celte concu-
piscence est dans les enfants et les jeunes gens aussi bien
que dans les hommes; parce que les enfants et les jeunes
gens sont les hommes de l'avenir; parce que toute la vie est
en germe dans l'enfance et la jeunesse, et que là, dans
ces jeunes cœurs, sont les semences de tout ce qui doit se
lever et éclater plus tard. C'est donc dans ce premier âge
qu'il faut combattre la triple concupiscence, sous peine de
la voir plus lard pousser des jets vigoureux et terribles.


Mais c'est aussi toute la vie qu'il faut lutter contre elle.
C'est pourquoi saint Jean appelle à cette œuvre tous les âges,
les pères comme les fils, les maîtres en même temps que
leurs disciples, les vieillards comme les jeunes gens, les
adolescents, et les enfants eux-mêmes. C'est à tous, sans
exception, qu'il s'adresse : aux pères, scribo vobis, patres :
aux jeunes gens, aux adolescents, aux enfants, vobis, juvenes,
adolescentes, infantes. Et saint Jean donne lui-même la rai-
son de cet appel spécial à la jeunesse : parce que c'est l'âge
des généreuses ardeurs, des vaillants combats. Scribo vobis
adolescentes, quia vicistis malignum; je vous écris, jeunes
gens, parce que vous avez vaincu le malin et le mal : Scribo
vobis juvenes, quoniam fortes estis; je vous écris, jeunes
gens, parce que vous êtes forts.


Oui, malgré la faiblesse de l'âge, la jeunesse chrétienne
est forte; elle a en elle une source divine de force et de


F . . , lit. 2(>




402 LIV. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


vertu : laquelle? l'Apôtre le dit : Et VerbumDei mamet in
vobis : et le Verbe de Dieu demeure en vous : voilà pourquoi
la jeunesse chrétienne est forte, elle a en elle le Verbe de
Dieu,les clartés révélatrices et inspiratrices de la foi, et par
ces vertus divines elle triomphe du malin, et vicistis mali-
ijnum.


Vous, donc, qui élevez les jeunes générations. et qui
avez aussi en veus le Verbe de Dieu, la force surnaturelle
de la foi et de la grâce, appelez la jeunesse cfarétàenae, et
guidez-la aux saints combats, à la lutte contre le malin,
contre le mal, contre la triple concupiscence : car, tout le
succès de son éducation dépend de là.


Je l'ai dit déjà, et je le répète : Quiconque ne sait pas que,
dans la grande œuvre de l'Éducation, c'est contre la triple
concupiscence qu'il lutte, ne sait rien, ne fait rien !


Et au fond, ici, les principes de l'Éducation se rencontrent
avec la plus haute morale chrétienne, qui signale toujours
cette triple concupiscence comme l'éternel ennemi de l'âme et
du salut, et enseigne qu'il la faut sans cesse mortifier, la
crucifier, l'attacher aux trois branches de la croix. Il se
trouve ainsi que la grande doctrine de la mortification
chrétienne, qui fait le fond de la morale médicinale de l'É-
vangile, est aussi le nerf de toute vraie Éducation; et ici en-
core se vérifie admirablement la parole de saint Paul :
Pietas ad omniet, utilis est, la piété est utile à tout.


C'est pour cela que dans une maison d'Éducation chré-
tienne on attache tant d'importance à la piété.


Mais, entrons dans tout le détail de ce triste et important
sujet.




CH VI. — L'ORGUEIL. 403


CHAPITRE VI


L'orgueil, — superbia vitae, — premier principe de nos défauts.


1


L 'ORGBEI t : SA NATPBE.


L'orgueil, le premier et le plus fécond des pochés capitaux,
occupe une triste et grande place dans la vie Immaine. Nul
vice n'étend plus loin son empire. Il se rencontre chez tous
les hommes, à tous les âges, dans toutes les conditions de Ja
vie. Il se mêle à tout, il envahit tout : c'est le mal universel.
« C'est ce vice, dit admirablement Bossuet, qui s'est coulé
« dans le fond de nos entrailles, à la parole du serpent, qui
« nous disait, en la personne d'Eve : Vous serez comme des
« Dieux, eritis sicutdii. Nous avons avalé ce poison mortel.
« Il a pénétré jusqu'à la moelle de nos os, et toute notre âme
« en est infectée '. »


C'est encore la tentation de toute créature. S'exalter,
s'enivrer de sa propre excellence, monter, monter toujours
dans sa pensée, dans son cœur, dans sa vie, c'est le rêve de
l'orgueil en toute âme.


L'orgueil est donc tout à la fois la maladie la plus an-
cienne de notre nature, cl la blessure la plus dangereuse
que l'antique ennemi du genre humain nous ait faite; et il
nous l'a faite au cœur, à tous, et d'une profondeur effrayante.


1 Traili de Ut eoncwpisecnee, ch»p. 10.




404 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


Ce vice est d'ailleurs celui qui éclate le plus vite en nous.
11 y a des vices -qui sommeillent plus ou moins longtemps
chez les enfants : l'orgueil, au contraire, s'y développe de
bonne heure, et quelquefois dans des proportions étranges.
11 y a des enfants qui sont déjà, littéralement, des prodiges
d'orgueil à dix ans, et même plus tôt.


Chose triste à dire, là vertu même n'est pas à l'abri de ses
atteintes : comme un ver rongeur, l'orgueil se glisse secrè-
tement dans les cœurs les plus purs, et gâte, corrompt à leur
racine les meilleures actions, les plus belles vertus. On
trouve quelquefois des âmes qui seraient nobles, qui seraient
grandes, qui ont des élans et des ardeurs vers le bien, vers
le beau : mais l'orgueil, qui est au fond de ces âmes, répand
sur elles je ne sais quel souffle malfaisant qui flétrit tous
leurs charmes.


« Le plus grand mal de l'homme, dit quelque part Platon,
« est un défaut qu'on apporte en naissant ; que tout le monde
« se pardonne, et dont par conséquent personne ne travaille
« à se défaire : c'est ce qu'on appelle l'amour-propre. »


Ce mal, Platon a bien pu le signaler; mais indiquer le re-
mède à un mal si profond, et surtout en faire accepter le trai-
tement radical, c'est ce que Platon ni personne n'eût jamais
pu faire. Hoc Plato nescivit, dit saint Jérôme. Jésus-Christ
l'a fait, et c'est en quoi il s'est montré Dieu : « Apprenez de
moi à être doux et humbles de cœur. » Admirable parole ! On
voit bien là le médecin divin, mettant du premier coup la
main et le remède sur la plus vive plaie de notre nature et
à l'endroit précis du mal.


Nous dirons bientôt tout ce que l'orgueil enfante de vices
hideux dans l'âme. Et néanmoins rien n'est plus difficile à
observer et à bien définir que l'orgueil ; parce que, si sa fé-
condité est prodigieuse, ses déguisements et ses artifices
sont innombrables. Grossier de son fond, il a ses sub-
tilités et ses ruses, et quelquefois des raffinements inouïs;




CH. VI. — L'ORGUEIL. 40o


il se cache, il se transforme; il est tout à la fois le plus fé-
cond et le plus imposteur des défauts : il se drape presque
toujours dans des apparences qui sont autant de tromperies.


C'est ainsi que l'orgueil paraît ferme et haut, et il est le
plus souvent faible, bas, léger, mobile.


Il paraît noble et grand, et au fond, c'est l'indignité, la
grossièreté même. Superbia non est magnitudo, sed lumor,
dit saint Augustin.


Oui, avec ses immodérées prétentions, il a des petitesses
incroyables ; avec sa fausse et vaine grandeur, il tombe dans
d'insignes bassesses.


Chose étrange! Avec tous ses artifices, il aboutit surtout
à s'illusionner et se duper lui-môme : il veut en imposer aux
autres, et le plus souvent il ne trompe que lui. Par un juste
châtiment, il trouve la honte là où il voulait indûment trou-
ver la gloire.


C'est qu'en effet l'orgueil, quand on l'examine au fond,
quand on scrute bien sa nature, est fondé sur un mensonge :
c'est l'injustice, c'est le mensonge même. In veritate non
stetit, dit l'Écriture, en parlant du premier des orgueilleux
et du prince même de l'orgueil.


Mais qu'est-ce donc que l'orgueil ?
L-'orgueil, dit le catéchisme T dont on ne saurait mieux


faire que d'emprunter les profondes définitions, est une
estime et un amour déréglés de soi, qui fait qu'on se pré-
fère aux autres, et qu'on ne rapporte tout qu'à soi, et rien
à Dieu.


Cela est évidemment la suprême injustice dans un être qui
n'est rien et n'a rien par soi ; ou plutôt qui n'a par soi que
des misères trop réelles, à côté d'avantages qu'il a reçus
de Dieu, et qu'il s'arroge comme s'ils venaient de lui.


C'est un arrogant et indécent oubli du fond de son être,
lequel est tout d'emprunt, et demeure en tout et toujours
dépendant de Dieu.




406 L1V. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


A Dieu seul appartient toute gloire; il se la doit, il se la
donne. Il la demande, elle lui est due : et la vouloir pour soi,
c'est vouloir ce qui n'est pas à soi ; c'est ravir à Dieu ce que
lui seul mérite ; c'est faire un larcin, un véritable sacrilège.


Il faut, en effet, que l'orgueil soit bien injuste et bien dé-
placé dans un être créé et dépendant, puisque, selon la re-
marque si ingénieuse et si solide de Fénelon, l'orgueil est
obligé de se cacher, et ne peut éviter la dérision publique
qu'autant qu'il fait semblant de s'oublier.


Être glorieux, en effet, c'est être vain. La gloire n'est ap-
prouvée qu'autant qu'on la cache, et celui qui la montre est
odieux et méprisé. Que l'homme du monde le plus admirable
d'ailleurs demande ouvertement d'être admiré, qu'il montre
ingénument sa gloire, il devient le jouet de ceux dont il eût
fait l'admiration, s'il ne l'eût point demandé.


Quelle est donc cette chose si disproportionnée à la condi-
tion de l'homme, qu'on ne lui pardonne point d'y prétendre
ouvertement?—Une telle prétention sent elle-même le besoin
de se dissimuler : le faux, qui est si odieux et si méprisable
en toute.autre chose, est le seul moyen de faire supporter
l'orgueil ; et l'ingénuité, qui est partout ailleurs, aimable,
devient ici odieuse et ridicule.


C'est que l'orgueil n'est pas à sa place dans la créature ;
c'est que tout le monde sent instinctivement qu'il est là
déplacé et injuste.


Et c'est pourquoi encore il est et paraît indécent. Oui, il y
a une décence, parce qu'il y a une justice dans la modestie,
dans l'humilité : et il y a une indécence dans l'orgueil, parce
qu'il y a une injustice et une usurpation. La modestie, c'est
la pudeur de l'âme ; l'orgueil, c'en est l'incontinence. Une âme
orgueilleuse est une âme qui ne se contient plus elle-même.


De là les affinités de la concupiscence de l'esprit, de l'or-
gueil, avec la concupiscence honteuse.


La modestie, la pureté de l'âme et du corps, consiste à se




CH. V I . — L'ORGUEIL. Ш


contenir, à se respecter soi­même. L'orgueil, la vanité, l'a­
mour­propre, comme l'immodestie, consiste à ne pas se con­
tenir, à ne pas se respecter, à se flatter, à s'idolâtrer miséra­
blement soi­même.


L'orgueil est donc l'ostentation, l'immodestie, l'impu­
dence , l'incontinence de l'esprit ; comme l'impureté est
l'impudence, l'immodestie, l'incontinence, et en quelque
sorte l'orgueil 4 a corps.


Et voilà pourquoi l'orgueil est aussi wn vice honteux : il
faut en rougir comme deTawtre : oa peut éprouver les ten­
tations de l'un et de l'autre malgré soi, mais il faut en
rougir.


E* voilà pourquoi c'est un vice si haï et si odieux.
Le moi est haïssable, a dit Pascal : le moi, c'est­à­dire


l'orgueil, qui ne voit que soi, qui ne pense qu'à soi, qui n'est
occupé que de soi, qui ne rapporte tout qu'à soi.


Dieu et les hommes l'ont en horreur.
Et les châtiments que Bien lui réserve prouvent à quel


degïé i l est coupable : ils sosrt quelquefois effrayants.
Ou raconte que la foudre un jour ayant frappé secrètement


dans une église une coltmae, y alluma un feu caché, qui
devint avec le temps un incendie terrible, et finit par amener
un écroulement épouvantable : ainsi en est­il des châtiments
de l'orgueil. Ce sont souvent deseonaps de fondre.


Au reste, l'orgaeil est à lui­même son plus terrible châti­
ment, et Гаже orgueilleuse est assez punie par les maux que
V«rguei4 enfante, par les vices éont il est le père ! C'est de
quoi nous allons dire maintenant quelques mots.




408 L1V. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


II


TBISTE FECONDITE DE L'OBCDEIL.


«11 y a vraiment de quoi être effrayé quand on considère la
longue suite de défauts, de vices, et de crimes que l'orgueil
engendre. Cependant il est bon et nécessaire d'étudier et de
faire étudier de près ce triste spectacle.


C'est le meilleur moyen d'inspirer aux jeunes gens la haine
d'un vice qui ne s'allie que trop avec la légèreté et la pré-
somption de leur âge ; et de leur donner l'énergie et la
volonté courageuse, indispensables pour le combattre et en
triompher.


Quiconque se croirait pur de tout orgueil se ferait à lui-
même une grande illusion. Du reste, pour reconnaître ce vice
en soi, ou dans les autres, il y a un procédé bien simple et bien
sûr : qu'on regarde à la conduite, aux actes; qu'on examine
si on ne découvre pas quelque fruit de cet orgueil : c'est
facile à voir: mais alors très-certainement la racine est là, et
d'autant plus profonde et plus vivaceque les fruits sont plus
abondants et plus mauvais.


Et d'abord, la désobéissance, c'est-à-dire le défaut de sou-
mission aux ordres des supérieurs légitimes, la révolte
contré la direction et les conseils de ceux qui sont chargés
de nous conduire, d'oùprocède-t-elle, sinon de l'orgueil? On
ne veut avoir pour règle que sa propre volonté; on se croit
supérieur à tout, et parfaitement capable de se gouverner
soi-même, et dès lors on compte pour rien les autorités les
plus sages et les plus légitimement établies.


Dans une maison d'Éducation, c'est le renversement de
toute règle, de toute discipline, de tout respect. L'Éducation
suppose essentiellement la docilité. Il est évident qu'un en-




CH. VI . — L'ORGUEIL. 409


tant, qu'un jeune homme ont besoin d'être guidés. Nul homme
n'a toute lumière à lui seul, toute expérience, toute raison ;
mais surtout un jeune homme, quelle lumière, quelle expé-
rience, quelle science peut-il avoir? Non, quiconque dans
le jeune âge se croit capable de se diriger lui-même, répugne
à la soumission, et se révolte contre l'obéissance, celui-là
est manifestement atteint d'un intolérable orgueil, dont il
sera, hélas ! la première victime.


Instituteurs de la jeunesse, dites-le bien à vos élèves :
c'est toute la vie qu'il faut se défier de soi, accepter les con-
seils, respecter l'autorité. Jamais de la bouche d'un homme
sage n'est sortie la parole suivante : « Je sais ce que j 'ai à faire,
et n'ai besoin des conseils de personne; » mais quand c'est
un jeune homme, un enfant, qui tient ce langage, c'est
grande pitié et grande misère.


Sans doute, dans une maison d'Éducation, l'indocilité,
la désobéissance peuvent venir de la légèreté : on doit être
alors plus indulgent dans la répression ; mais lorsqu'elles
procèdent, comme il arrive le plus souvent, de l'orgueil, oh !
alors il faut être d'une inflexible fermeté, et surtout attaquer
cette désobéissance dans son principe, c'est-à-dire dans l'or-
gueil. Qu'on ne l'oublie pas : c'est toujours l'orgueil qu'il faut
combattre dans les enfants désobéissants.


L'orgueil a bien encore d'autres suites : Les passions vio-
lentes, les haines, les vengeances féroces quelquefois, n'ont
guère ordinairement d'autre source que l'orgueil.


A un degré inférieur, l'orgueil engendre Yenvie, c'est-à-
dire cette indigne tristesse qu'on ressent du bien de son pro-
chain ; la jalousie, qui pousse au désir de le déposséder de ce
bien, pour en jouir à sa place, et se tourmente par le regret
d'en rester privé. L'orgueil inspire aussi la joie du malheur
d'autrui,une secrète application à lui nuire, les médisances
et les calomnies : ce sont là autant de mouvements haineux
du cœur contre toute supériorité qui nous blesse et nous




4 M L IV. III . — DE l'ENFANT E.'I DE SES DÉFAITS.


h«milie ; c'est au moins une M a l i g n e complaisance dans ce
qui procure rabaissement d'autrui «t semble par là noas re-
lever. Toutes les fois qu ' on découvre «tison cœur, ou dans le
cœur des autres, quelqu'un de ces «sava is rejetons, on peut
être s û r que l'orgueil est là ; amène racine de fr iMis amers i
R-adix amaritudinis.


Quand cet orgueil a pour auxiliaire une autre passion
blessée, telle que l 'âpre a m w da gain, del 'argeat, ce qu'il
peut inspirer d'oubli de soi, d'insolence, tf ingrœ^aée, de
crimes, est incroyable.


On a fait bien des fois le portrait de l'envie, de la jalousie.


Là glt la sombre Envie, à Vceil timide et louche, clc;


jamais on ne les a peintes aussi basses, aussi odieuses
qu 'elles sont en réalité, surtout dans la jeunesse ; car chez
les jeunes gens, où elles ont encore beaucoup mains de
raison d'être q«e chez les b©mmes, «Ites deviennent particu-
lièrement misérables. Elles toent les sincères et pures ami-
tiés, elles dénaturent, empoisonnent les nobles et fécondes
émulations, elles susbtituent aux sentiments généreux de cet
âge un fiel amer, d'âpres rancunes ; elles rétrécissent des
cœurs qui auraient besoin de s'épanouir; elles dépriment
des âmes qui ne demanderaient qu'à s'élancer.


il est d'ailleurs difficile d'attaquer directement cette mal-
heureuse passion, parce qu'elle se dissimule tant qu'elle
peut : comme rien n'est plus vil dans te cœur, rienn'est plus
pénible à montrer .Comment éooc la combattre ? Le voici. Aux
âmes qu'un triste orgueil abaisse de la sorte, il faut faire voir
toute la noblesse d'une courageuse émulation, la douceur
d'une loyale amitié, et le devoir de la grande chjftrité chré-
tienne. 11 leur faut inspirer aussi la bonté de cœur : car l'or-
gueil est le grand ennemi de la bouté du ccear. L'orgueil est
positivement méchant. 11 est dur, tyraanique, violent, cruel.




CH. VI. — L'ORGUEIL. 411


11 lui faut une victime, qu'il tourmente pour son plaisir. Il
aime les railleries piquantes, les moqueries, les sarcasmes ; il
se plaît aux larmes; qu'il grandisse, il aimera le sang.


£a i dit quelque part que les enfants sont naturellement mé-
chants : c'est surtout des enfants orgueilleux qu'il faut le dire.


Les enfants en qui l'orgueil domine ne répondent pas à
l'affection ; ils rapportent tout à eux-mêmes; ils n'admirent
rien, ils n'aiment pas : s'ils paraissent aimer quelquefois un
maître, c'est que ce maître les flatte. Ils semblent aimer
leurs parents, mais seulement tant qu'ils en reçoivent des
douceurs. Dans le vrai, ils sont profondément ingrats. — Il
faut leur parler souvent de la grande et belle vertu de re-
connaissance, leur en faire sentir le devoir sacré, la no-
blesse; flétrir devant eux l'ingratitude, leur en montrer la
bassesse, la honte, et quelquefois les noirceurs.


Sur tout cela, il faut leur parler nettement, sans ménage-
ment; je ledirais même ; il faut n'y pas mettre de délicatesse.
L'expérience m'a appris que de tels enfants n'ont pas de déli-
catesse, et, grossièrement aveuglés sur eux-mêmes, ils ne com-
prendraient point, — Continuons cette triste énumération.


Les désirs, les rêves ardents de grandeur, de gloire, de re-
nommée, plus précoces et plus fréquents qu'on ne le pense
chez les enfants, en un mot, la folle ambition, révèle aussi
un cœur livré à l'orgueil.


Celui dont la pensée savoure avec complaisance les noms
dasavant,de grand orateur, de grand homme; qui rêve, dans
son avenir, les titres pompeux, l'image des honneurs, des
dignités brillantes, celui-là peut, sans crainte d'erreur, être
averti qu'il doit se défier de l'orgueil.


Le danger de tels rêves est grand de toute façon. Ces dé -
sirs bientôt déçus laissent dans le cœur un fond de tristesse
chagrine, ou de haine sourde, qui, à tout le moins, empoisonne
la vie, et souvent éclate au dehors d'une manière terrible.


Dans les tristes temps où nous vivons, cette disposition




4 1 2 L1V. III. — DE L'ENFANT E T DE S E S DÉFAUTS.


d'esprit chez un jeune homme ardent est particulièrement
très-dangereuse. L'entraînement qui a précipité tant de
jeunes tètes dans les utopies anti-sociales a eu fort souvent
pour point de départ et pour principe les mécomptes d'une
précoce et ardente ambition trompée.— Des maîtres perspica-
ces, ceux qui n'arrêtent pas leur prévoyance au présent, mais
songent à l'avenir, doivent y regarder très-attentivement.


11 faut bien nommer encore la colère, mouvement impé-
tueux de l'âme, qui porte à repousser avec violence tout ce
qui déplaît. Les injures, les imprécations, filles de la colère,
sont les éclats d'un orgueil qui ne sait plus rien ménager,
qui s'exaspère contre ce qui le blesse, et cherche à tout prix
une brutale supériorité.


De même, tous ces défauts, qui déparent si tristement quel-
quefois les meilleures qualités, et mettent soudain, sur le vi-
sage de l'enfant qui s'y livre, comme un voile qui l'enlaidit,
les bouderies, les murmures, l'impolitesse, la grossièreté, les
réponses insolentes, qu'est-ce autre chose encore que les
orgueilleuses révoltes d'un esprit qui se croit au-dessus des
convenances, et ne veut point avouer ses torts ou ses fai-
blesses? et quoi de plus ordinaire dans une maison d'Éduca-
tion ? que d'enfants perdent par là le fruit d'excellentes dispo-
sitions, et s'attirent des chagrins amers, des réprimandes
méritées, et ce qui est bien pire, se préparent ' dans la vie
réelle un avenir déplorable !


La vanité, qui est un désir déréglé de l'estime et des
louanges ; l'ostentation, qui affecte de faire voir le bien et
les talents que l'on possède ; la présomption, qui nous donne
une idée trop avantageuse de nous-mêmes, et nous fait dire
plus qu'il ne nous sied, entreprendre plus que nous ne pou-
vons; la hauteur, l'arrogance, l'humeur même, sont des
filles bien connues de l'orgueil : un maître clairvoyant signa-
lera immédiatement à celui qui tombe dans ces divers dé-
fauts, le vice dont il est atteint.




CH. VI. — L 'ORGUEIL. 413


Mais ce que les jeunes gens ne savent pas assez, et ont
grand besoin de savoir, ce sont les suites funestes de tous
ces défauts, issus de l'orgueil. La vanité par exemple et l'os-
tentation, que de choses à tout le moins ridicules, dange-
reuses, et souvent coupables, ne font-elles pas faire et dire
aux jeunes gens, et même aux hommes! D'où vient chez
les jeunes gens, pour ne parler que de cela, la vaine re-
cherche de la parure, et l'imprudente indiscrétion du lan-
gage? direz-vous que le soin exagéré de sa toilette et de sa
personne n'est que de la légèreté, et ne tire pas à grande con-
séquence chez un jeune homme? Ce serait une grave erreur.
II y a là autre chose que l'indice d'une tête vide et d'un
pauvre esprit. La vertu même dans ce qu'elle a de plus es-
sentiel, — tous ceux qui ont l'expérience des jeunes gens le
savent, — est compromise par ces misérables futilités, qui
développent chez un jeune homme des goûts, des habi-
tudes d'esprit et de caractère, incompatibles avec l'énergie
généreuse, la solide raison, et la pudique retenue, sans les-


, quelles la vertu ne se soutient pas. C'est pourquoi Fénelon,
qui avait vu de près ce péril de la jeunesse, ne manque pas,
pour le prévenir, d'attaquer cette espèce de vanité et de sot
orgueil. « Il est vrai, dit-il, qu'on peut chercher la propreté,
« la proportion et la bienséance, dans les habits nécessaires
« pour couvrir nos corps ; mais, après tout, ces étoffes qui
« nous couvrent, ne peuvent jamais devenir une parure
« vaine et affectée. Un jeune homme qui aime à se parer
« vainement comme une femme, est indigne de la sagesse
« et de la gloire. »


Les fautes que la vaine ostentation, et le frivole désir de se
faire valoir, font commettre dans la vie sont innombrables.


Aveuglé tout à la fois et enivré, on perd alors le discerne-
ment des choses, on ne comprend plus la portée des paroles,
on ne soupçonne pas les pièges, on se compromet, on se
livre, on se perd. Fénelon, ce grand maître qui a sondé si




i l 4 U V . III. — DE L'ENFANT ET DE Si£S DÉFAUTS.


profondément tous les replis du cœur, a bien vu la gravité
de ce péril pour les jeunes gens, et on sent, à la manière
dont il en parle, combien il en avait été frappé. Il y a de lui
une page admirable que j 'ai souvent mise sous les yeux de
mes élèves, et où. ce péril est signalé avec une étonnante
perspicacité.


Séduit par d'adroites louanges, le fils d'Ulysse s'est laissé
aller à faire un long récit de ses aventures, et dans ce récit,
il a tout dit, il n'a su rien taire : par la , il s'est jeté dans un
effroyable danger, que son maître a bien vu, mais dont il n'a
pas eu, lui, la première idée. Aussi, dès qu'ils sont seuls, le
sage Mentor se hâte de le lui faire remarquer : « Le plaisir de
raconter vos histoires, lui dit-il, vous a entraîné ; vous avez
charmé la déesse en lui expliquant les dangers dont votre
courage et votre industrie vous ont tiré : mais par là vous
n'avez fait que vous préparer une plus dangereuse captivité.
1/amour d'une vaine gloire vous a fait parler sans prudence.
Elle s'était engagée à vous raconter des histoires, et à vous
apprendre quelle a été la destinée d'Ulysse ; elle a trouvé .
moyen de parler longtemps sans rien dire ; et elle vous a
engagé à lui expliquer tout ce qu'elle désire savoir : tel est
l'art des femmes flatteuses et passionnées... Quand est-ce, o
Télémaque, que vous serez assez sage pour ne parler jamais
par vanité; et que vous saurez taire tout ce qui vous est
avantageux, quand il n'est pas utile à dire ? Apprenez
une autre fois à parler plus sobrement de tout ce qui peut
vous attirer quelque louange...»


Je n'ai rien dit encore de la susceptibilité, qui ne cherche
pas la louange, comme la vanité ou l'ostentation, mais qui
s'offense du plus léger reproche, du moindre soupçon : c'est
une mauvaise tendresse sur soi-même qui ne dénote guère
moins d'orgueil.


Il y a des enfants, des natures, qui sont de vraies sensi-
tives : on ne peut leur donner un avis, leur adresser un re-




Cil. VI. — LOItGLËIL. . il'-i


proche, un conseil, le plus doux, sans qu'ils s'attristent, se
choquent, ou s'irritent.


Au moindre mot d'un condisciple ou d'un maître, vous les
voyez rougir ou pâlir. On sent qu'il y a là une corde sur la-
quelle il ne faut pas mettre la main, un endroit sensible où
il ne faut pas toucher, même du bout du doigt. Une telle
disposition est très-redoutable pour l'Éducation de ces en-
tants, et rend extrêmement difficile la correction deleursdé-
fauts : on ne parvient à corriger déjeunes natures si suscep-
tibles, qu'en les poussant prudemment et doucement à bout.


Il y a encore un genre d'esprits chez qui les susceptibi-
lités de l'orgueil ont quelque chose de singulier. Ce sont des
hommes qui semblent n'être au monde que pour sauver les
apparences. Ils ne considèrent que les enseignes. Légers au
fond, sérieux seulement dans la forme, ils ne savent que juger
gravement les surfaces : gens dont le caractère baisse à vue
d'œil par la faiblesse et le fanatisme du décorum. C'est là
encore une triste espèce d'orgueilleux.


Le mensonge, qui déguise une vérité pénible ; la cupidité,
qui n'est jamais rassasiée de ce qu'elle a ; et surtout la
dureté, pour les petits, pour les pauvres, pour les servi-
teurs, pour toutes les personnes avec qui on traite, .et qui
sont au-dessous de nous , et mille autres défauts de ce
genre, aussi funestes qu'odieux, se rapportent tous à l'or-
gueil. Partout c'est l'amour de soi, l'égoïsme; c'est le moi
qui domine, le moi auquel on sacrifie tout, le moi qu'on
adore.


L'hypocrisie, qui veut cacher sous un manteau d'honneur
les honteuses passions qui la dévorent, est aussi une fille
de l'orgueil. L'orgueil hypocrite est le plus redoutable de
tous.


Il faut dire encore que l'orgueil est le père de l'incrédulité,
de l'apostasie, de l'impiété; cela est, hélas ! trop connu. Si l'on
ne croit plus à la religion, ou si l'on feint de n'y plus croire,




416 LIV. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


c'est de deux choses l'une : ou parce qu'on élève sa faible
raison au-dessus de tout, on la divinise; ou plus souvent,
dans la jeunesse surtout, parce qu'on cède à la petite vanité,
plus méprisable encore, de vouloir se distinguer de la foule,
et paraître un esprit fort. Quomodo potestis crédite, dit
Notre-Seigneur, vos qui gloriam ab invicem accipitis? Pro-
fonde et terrible parole de Celui qui scrute les reins et les
cœurs des hommes !


Dans une maison d'Éducation chrétienne, l'orgueil et la
vanité sont assez souvent cause des doutes contre la foi, ou
des lâchetés du respect humain.


Soyez-en sûr, dès qu'un jeune homme est orgueilleux,
sa foi périclite : hâtez-vous d'apporter remède â l'orgueil, si
vous voulez sauver la foi.


Cette incrédulité par orgueil, pitoyable même chez un
homme fait, est vraiment une misère sans nom dans un
pauvre jeune homme, qui ne sait rien et ne peut rien
savoir, et qui s'imagine contenir dans sa petite tête plus
de sagesse que les plus grands esprits du monde, qui
ont cru avec bonheur. C'est bien surtout cette jeune et
vaine incrédulité que frappe, la terrible ironie de Bossuet :
« Qu'ont-ils vu ces rares génies... ? »


Il faut dire enfin que Yimpureté, quoiqu'elle soit immédia-
tement le fruit de la mollesse, est très-souvent aussi le fruit
de l'orgueil, par châtiment. Dieu punit l'orgueil en le livrant
aux passions d'ignominie : Tradidit illos in passiones igno-
minies, dit saint Paul. L'expérience en offre des preuves aussi
irrécusables que douloureuses. Un directeur des âmes, un
prêtre chargé d'élever la jeunesse, ne peuvent ignorer ce
grand danger de l'orgueil. Quand on voit l'orgueil grandir-
dans un enfant, dans un jeune homme, pieux et régulier
d'ailleurs, qu'on tremble pour cette vertu menacée et qu'on y
avise : de terribles chutes nesontpas loin, si l'orgueil persiste.


Telle est en partie, — car nous n'avons pas tout dit, nous




CH. V!. — J.'ORGUEII.. 41 "


ne pouvions tout dire, — la funeste et honteuse généra-
tion des défauts qu'enfante l'orgueil. Il est capital de bien
savoir tout cela ; car c'est la clef de la science des mœurs.
L'orgueil est la maladie la plus profonde, la plus ancienne,
la plus universelle, la plus tristement féconde de notre na-
ture déchue : c'est le principe générateur du mal en nous.
L'ignorer, ou ne le savoir qu'imparfaitement, aurait néces-
sairement les plus funestes conséquences. Mais le savoir
d'une manière abstraite, ne suffit pas : ne pas reconnaître en
soi ce vice et ses ramifications si multiples, et les innom-
brables fautes de détail dont il est à tout moment dans la vie
le malheureux principe, ce serait un déplorable aveuglement.


L'orgueil est si fertile en poisons pour notre pauvre esprit
et notre triste cœur, qu'on peut dire avec vérité que l'humi-
lité, son antidote, suffirait seule pour rendre au genre hu-
main le bon sens et la vertu.


L'énumération que nous venons de faire, quelque longue
qu'elle soit déjà, est néanmoins bien incomplète, et il ne
faudrait pas moins qu'un traité de morale entier, embrassant
les plus hautes questions de psychologie, de société, de fa-
mille, de religion, de politique même, pour la compléter.
Cependant, avant de quitter ce sujet, nous voulons parler
encore de quatre genres d'esprit dont l'orgueil est la source,
et qui souvent entachent, l'un ou l'autre, les caractères les
mieux faits, les vertus les plus pures, et, dans une maison
d'Éducation chrétienne, les plus pieux enfants.


27




4 1 8 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS


CHAPITRE YII


Se quatre genres d'esprit mauvais dont l'orgueil est le père.


I


Le premier de ces mauvais esprits est Vesprit d'indocilité.
L'indocilité n'est pas la désobéissance, c'est plus et moins.


On peut être très-indocile en obéissant. L'indocilité (dans le
sens du mot latin indocilis, qui ne se laisse pas enseigner),
fait qu'on est plein de confiance en ses propres lumières,
et qu'on n'a aucune confiance dans les lumières d'autrui.
On ne croit personne. On ne respecte l'esprit, l'autorité de
personne. L'indocilité est moins encore dans l'acte exté-
rieur que dans la disposition intime, dans l'esprit et dans
le cœur; voilà pourquoi l'Écriture dit: Cor malum incre-
dulitatis.


L'inconvénient immédiat de cet esprit d'indocilité, c'est de
priver le jeune homme indocile des lumières de ceux que
leur science, leur sagesse, leur expérience, leur dévoûment
appellent à être ses guides ; de le laisser marcher seul et
sans appui, exposé à toutes les chutes dont sa présomption
et son inexpérience ne manqueront pas de rencontrer les
occasions ; et toujours de lui faire user dans des essais in-
fructueux et des épreuves ruineuses un temps ou des facul-
tés, dont les fruits auraient été peut-être sans cela précoces
et assurés.


Et de là, quels malheurs plus tard dans la vie, quelle source
de fautes sans nombre, et comme il importe de prévenir
ces malheurs par la docilité dans la jeunesse! combien de




CH. VII. — L'ORGUEIL.


talents restés stériles, combien 'même devenus funestes !
que de ^natures-heureuses qui languissent, et combien tom-
bent dans le mal, par suite de ce secret orgueil qui rend
indocile ;aux leçons de l'autorité, de l'expérience, de la
supériorité, du dévoûment, et d'avance ferme toute voie
aux sages conseils ! car, qui osera s'exposer à donner un
conseil dont on prévoit l'inutilité?


Eh bien! je dois le dire, cette terrible indocilité est le
grand mal de là jeunesse'Chrétienne. La jeunesse du siècle
est grossièrement désobéissante : la jeunesse pieuse>est quel-
quefois profondément indocile. L'orgueil, inné chez tous.les
hommes, se retrouve là sous la forme d'une estime de soi,
déguisée 'peut-être, mais profonde, et qui enfante un éton-
nant esprit de résistance.


Cela est capital à en tendre en Éducation : il ne faut pas
s'occuperd'Éducation, si on ne comprend pas cela.


Le second genre d'esprit que nous voulons signaler,
comme suite de l'orgueil, C'est l'esprit d'indépendance.


Celui-ci 'ri'est pas comme le précédent l'attachement à
ses propres lumières, c'est l'attachement à sa propre vo-
lonté: défaut très-subtil, habile à se déguiser, même
sous des dehors de vertu. Il y a quelque chose de flatteur
pour l'àme à pouvoir se dire : Je veux fortement ce que je
veux. Cela est beau, sans doute, mais peut servir à ca-
cher l'entêtement le plus déraisonnable, et un orgueil effré-
né. On n'est point ferme, parce qu'on ne sait pas céder à la
volonté, même raisonnable et légitime, des autres, et qu'on
veut faire triompher partout son propre vouloir : on n'est
qu'entier et impérieux.


Cette prétendue fermeté cache d'ailleurs souvent une fai-
blesse réelle : il faut plus de force évidemment pour se com-
mander à soi-même, et se plier spontanément à un conseil
raisonnable, malgré les résistances vaincues de l'orgueil,
que pour se roidir dans une sotte et vaine hauteur.




420 LIV. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


C'est un grand malheur dans toute société lorsque cet
esprit d'indépendance prévaut, lorsque nul ne sait renoncer
à sa propre volonté, pour se ranger à celle des autres. Rien
surtout n'est plus dangereux que de porter un tel esprit dans
l'Église. C'est toutefois le mal du temps ; et, chose triste à
dire, et qui doit éveiller toute la plus sérieuse attention de
MM. les Directeurs de séminaires, les ecclésiatiques eux-
mêmes n'en sont pas exempts : c'est l'air qu'on respire et
où l'on vit; on est aujourd'hui plus naturellement indépen-
dant à vingt ans qu'on ne l'était sous Louis XIII à cinquante.


Quiconque ignore encore cette disposition de la jeunesse
de nos jours est incapable de lui être utile.


Mais c'est à la forte Éducation chrétienne à réagir èner-
giquement contre ce détestable esprit, qui souffle aujour-
d'hui de toutes parts, et inspire plus ou moins toute jeunesse:
c'est à l'Education à le combattre, et à le remplacer par la
noble et généreuse docilité, qui sied si bien surtout aux
jeunes gens formés à l'école de la religion.


L'esprit de contradiction est le troisième genre de mau-
vais esprit qu'engendre l'orgueil.


C'est un travers, une manie des plus désagréables : l'es-
prit de contradiction rend un homme insupportable à tout
le monde. Il y a des esprits ainsi faits : rien ne se dit devant
eux qu'ils n'en soutiennent la contre-partie ; ils se croiraient
sans caractère, s'ils se rangeaient aux opinions d'autrui.
C'est quelquefois je ne sais quel amour malentendu de la
vérité, quelle franchise à contre-temps, quelle puérile naïveté
qui ne voit jamais d'inconvénient à dire sa pensée ; c'est
plus souvent encore un secret orgueil et une vaine suffisance.
De tels esprits se croient obligés à contredire tout d'abord ce
qui ne cadre pas avec leur manière de voir ; ils s'entêtent
dans leur sentiment, et on les voit sans cesse s'obstiner avec
une opiniâtreté ridicule dans d'interminables et stériles
discussions.




CH. VI I . — L'ORGUEIL. 421


Et cependant à quels écarts ne sont-ils pas souvent entraî-
nés, pour avoir embrassé, sans trop savoir pourquoi, et
uniquement pour contredire, une opinion singulière qu'ils
n'ont plus ensuite le courage d'abandonner. Cette manie
de contradiction est le plus souvent le fait d'un petit esprit,
boursouflé d'orgueil. Un homme supérieur, avec un cœur
véritablement noble, n'hésite pas à embrasser hautement
une opinion dont il n'avait pas vu tout d'abord la justesse,
dès qu'il s'aperçoit de son erreur ; dût-il par là perdre l'oc-
casion de déployer-ses ressources dans la discussion, et se
condamner au silence. En tout cas, il ne discutera jamais
pour discuter, et il aura la politesse, comme le bon sens,
de laisser passer beaucoup de choses qu'il y aurait plus
d'inconvénients à relever qu'à négliger.


Pour trouver un nom au quatrième genre d'esprit que
produit l'orgueil, nous sommes obligé de dire, — qu'on
nous permette l'expression, — Vesprit de justification. C'est
la manie de toujours se justifier, de s'excuser à tout propos,
à tort ou à raison, de ne vouloir jamais convenir d'une faute :
Volens justificare seipsum, comme le pharisien de l'Évan-
gile.


Il y a tels jeunes gens qu'on ne saurait faire convenir de
leurs fautes les plus évidentes : on dirait qu'ils se croient
impeccables, et s'ils tombent dans quelques fautes maté-
rielles, flagrantes, impossibles à nier, ils sont toujours par-
faitement innocents dans l'intention. Leur première pensée,
dès qu'on leur fait une observation, un reproche, c'est de
chercher une excuse quelconque, et ensuite de s'y entê-
ter. D'avance, ils ont raison'; ils n'examinent même pas si
ce qu'on leur dit est fondé; ils le combattent tout d'abord.
Rien ne décèle plus un secret orgueil qu'une telle disposi-
tion et, je le dirai même, rien n'est plus propre à fausser
l'esprit et à rétrécir le cœur. Un esprit juste, aidé d'un
cœur bon, simple, loyal, chercherait tout d'abord le côté




422 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE? SES DÉFAUTS.


CïïAPITiRE VIII


Un- dernier mot sur- la manière de traiter les- orgueilleux.


Certes, nous ne. croyons pas avoir ménagé l'orgueil, et
après ce que nous en avons dit, bien que nous n'ayons pas
tout dit, si l'orgueil ne paraissait pas à un jeune homme de
bonne foi souverainement -dangereux et haïssable, il faudrait
que ce, vice exerçât encore, sur son cœur une bien puissante
fascination..


Toutefois, i lnefaut pas oublier qu'en Education les obs-


vrai d'un reproche^ ce qu-Hy a de fondé dans une obser-
vation : par là: il acquerrait de précieuses lumières sur
luirmême, en: même temps que par cette simplicité, il se
montrerait'supérieur à-aa faute même. L'espritiorgueilleux
et vaniteux dont je. parle, ferme: au contraire les-, yeux à
ceqju'ily a de plus certain et dép lus évident dans sesfau-
tes^eî; sUngènie à imaginer des. raisons pour se disculper :
c'est,là.sa première: préoccupationi,, son premier mouve-
ment*:. Lndicecer,taiud?un Retitesprit et dJumpauvre cœur..


11 est très-important de bien faire comprendre* aux jeunes
gens^atteints-decette fâcheuse maladie, ,que ce triste espritde
justification est tout ce qu'il'y, a d e plus- misérable, et com-
bien,, au contraire,, le simple et noble aveu d'une faute est
honorable et glorieux.


La, première chose qu'un jeune homme droit et sincère
doit reconnaître, c'est, qu'à nul âge on n'est plus exposé que
dans la jeunesse à faillir de. mille manières, et^ par consé-
quent, qu?à. nul âge. aussi l'on, n e doit être plus-disposé à se
laisser, reprendre et avertir.




CH. V l l l . — L 'ORGUEIL. 423


tacles peuvent devenir des moyens, et que c'est le talent et
le devoir de l'homme d'Education de tourner en moyens les
obstacles. L'amour-propre, tout périlleux qu'il est, peut de-
venir lui-même un précieux auxiliaire. C'est une force dé-
viée, mais c'est.une force : ce qu'il faut, c'est moins de la
briser, que de lui donner une direction. L'amour-propre
tend toujours à flatter, à exalter ceux qu'il possède; n É s
quelquefois ses excès eux-mêmes attestent une nature géné-
reuse, capable de monter très-haut, si l'orgueil ne la faisait
pas souvent descendre si bas. Ce qu'il faut donc, ce n'est
pas d'étouffer cette générosité de nature, cette fierté d'âme,
mais de s'en emparer et de la régler. Elle se trompe, non
dans son élan, mais dans son objet. 11 faut deux choses :
la détourner des misères où elle va se prendre et se perdre,
et la tourner vers un objet digne d'elle, vers son véritable
objet; lui donner son aliment, lui montrer son but : s'en
emparer enfin pour les bonnes et grandes choses.


11 y a donc deux façons de traiter l'amour-propre : il faut
le contenir d'abord, et puis le lancer ; il faut en réprimer les
écarts, et en diriger l'énergie.


Ce travail est souvent très-délicat : et il n'est pas, il ne
peut être le même pour tous les enfants. Ici, comme tou-
jours, la nature complexe et variée des enfants a besoin
d'être observée de près, et les moyens de répression ou
d'encouragement doivent être bien adaptés aux caractères.


Il y a un amour :propre qu'il faut savoir ménager, épier,
attendre, ne saisir que dans l'occasion favorable, et n'atta-
quer qu'avec de grandes précautions; et il y a un amour-
propre qu'il faut combattre de front et sans ménagement,
frapper dès qu'il se montre, et humilier jusque dans la
poussière.


Le premier se rencontre chez des caractères faibles, sen-
sibles, délicats, sans grande vigueur ni ressort. Une humi-
liation directe, dure, impitoyable, les abattrait et les brise-




424 LIV. III. — CE L'ESFAKT ET DE SES DÉFAUTS.


rait; une réprimande paternelle, un conseil ami, ferme
et doux, une leçon pleine de lumière, les humiliera mais leur
permettra de se relever.


L'autre espèce d'amour-propre se rencontre chez les ca-
ractères énergiques et forts, et se produit avec insolence : la
soudaineté, la dureté du châtiment leur l'ait courber la tête,
sans leur enlever cependant leur ressort et leur courage.
Toutefois, là même, et dans la juste sévérité de la répri-
mande la plus rigoureuse, il faut laisser voir que c'est à
l'orgueil qu'on en veut et non à la personne ; autrement, ils
n'écouteront rien ; ils se roidiront. Ces fortes natures sont
souvent très-accessibles à la tendresse : dures, violentes,
sans égard et sans respect, tant qu'elles obéissent à l'orgueil,
elles retrouvent, quand l'orgueil est dompté, et qu'une parole
affectueuse sollicite, la bonté qui est au fond d'elles-mêmes.
Du reste il y a encore ici, comme toujours, le moment favo-
rable àsaisir : l'à-propos est nécessaire en fait de correction
plus qu'en toute autre chose.


L'amour-propre, qui est si désolant dans l'Education, si
délicat à manier, si difficile à corriger, présente d'ailleurs,
je l'ai dit, des ressources dont il est facile de tirer grand
parti. Cette fière nature ne peut pas accepter le reproche, et
se cabre en quelque sorte lorsque vous voulez la réprimer?
eh bien ! sans faiblir jamais, sans mollir, cherchez et trouvez
l'occasion de l'animer discrètement par la louange. La puis-
sance d'un éloge donné à propos, avec mesure et délica-
tesse, est quelquefois étonnante. J'ai connu un enfant si
vaniteux, si rempli de lui-même, si impatient de la correction
et de l'obéissance, qu'à la moindre observation ou injonc-
tion de son précepteur, il était rare qu'il ne répondît pas
d'abord par une insolence. Le précepteur, qui avait la main
ferme, le châtiait sur-le-champ par un mot, terrible d'impas-
sibilité et de vérité, par une mesure calme, mais inflexible :
toutefois, il gagnait beaucoup plus, il le maniait bien plus




CH. VIII. — L'ORGUEIL. 42">


facilement, quand l'éloge avait pu prévenir la réprimande;
lorsque, dès le matin, il avait pu trouver une occasion quel-
conque, quelquefois à propos d'un rien, pour lui faire avec
modération un compliment mérité.


Fénelon reconnaît non-seulement les avantages, mais la
nécessité de traiter ainsi les enfants, et il recommande
de leur donner à propos les encouragements convenables.


« On courrait risque, dit-il, de décourager les enfants, si on
ne les louait jamaislorsqu'ils font bien. Quoique les louanges
soient à craindre à cause de la vanité, il faut tâcher de s'en
servir pour animer les enfants sans les enivrer. Nous voyons
que saint Paul les emploie souvent pour encourager les fai-
bles et pour faire passer plus doucement la correction. Les
Pères en ont fait le môme usage. Il est vrai que pourles ren-
dre utiles, il faut les assaisonner de manière qu'on en ôte
l'exagération, la flatterie, et qu'en même temps on rapporte
tout le bien à Dieu comme à sa source. »


L'orgueil est donc une passion qu'on peut gouverner avec
adresse, non en lui cédant, mais la trompant en quelque
sorte par une caresse calculée et habile, comme on flatte de
la main, pour l'arrêter et le calmer, un cheval fougueux.


L'orgueil est encore une passion qu'il est possible de tour-
ner en noble émulation, en généreuse ardeur. Il faut lancer
la jeunesse dans les bonnes et grandes choses; la remplir
d'enthousiasme, d'admiration, et pour cela, il importe de
connaître ce qui' plaît à ces jeunes et ardentes âmes, et les
prendre par ce qu'elles aiment.


En général, les enfants ne sentent guère, et admirent peu
les qualités froides et solides.


Mais les choses extraordinaires, héroïques, vaillantes, voilà
ce qui leur plaît; les combats, les missions, les martyrs, les
grandes conversions des âmes, voilà ce qu'ils admirent;
et cet enthousiasme est bon ; c'est pourquoi il importe de
le souffler en eux : la flamme de leur cœur ne se prendra




126 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


plus à des misères, quand elle aura trouvé ce noble aliment.
La force, l'agilité du corps, l'habileté dans les jeux, la vic-


toire à la course, les séduit aussi. Toutes ces choses sont
bonnes, sans périls," et par conséquent peuvent être em-
ployées et devenir des dérivatifs excellents.


Bref, il y a un art de traiter l'amour-propre, de le contenir,
et d'en tirer même parti pour le bien. Au lieu de s'irriter, de
perdre patience, quand on se trouve en face d'une nature
orgueilleuse, sans docilité et sans respect, qu'on étudie
avec calme, avec suite, avec zèle, toutes les formes de cet
orgueil, toutes ses nuances, toutes ses saillies, tous ses
•caprices, tous ses ombrages; qu'on épie avec attention
tous les moments, qu'on applique avec fermeté et pru-
dence tous les remèdes : de telles natures sont rarement
stériles pour le bien ; elles peuvent donner dans des excès
terribles, mais elles sont aussi capables de grandes choses.
Il y a dans ces âmes une semence de générosité, et c'est là
une profonde ressource : cette semence est gâtée, altérée, et
de l'abondance de sa séve poussent des jets insolents et su-
perbes ; mais la séve est là, le germe est là : il faut le purifier,
l'ennoblir; alors des fruits merveilleux peuvent naître ; c'est
le devoir de l'Éducation de tout faire pour les produire.


Qu'on me permette, pour terminer tout ce long chapitre,
de placer ici , dans sa vivacité et sa crudité première, une
note par moi donnée autrefois à un tout jeune professeur, que
l'orgueil entraînait et perdait à son insu, et qui, un jour,
effrayé du péril où il était, me demanda sincèrement de lui
dire toute la vérité sur son orgueil, et de ne le ménager en
rien. Je lui remis les lignes suivantes, qu'il eut le courage
d'accepter et de méditer, et qui firent grand bien à son
•âme.




CH. vm. — L'ORGUEIL. 427


« II y a, lui dis-jc; une plaie dans votre cœur, une plaie
« profonde, quiis'ëlargifc sans cesse:


« Vous l'oubliez quelquefois, mais elle est là, et elleme-
« nace de tout envahir dans votre âme : toutes vos pensées,
« tous vos sentiments, toutes vos affections.


« II y a en vous une tendresse sur vous-même d'unevio-
« lence sans- mesure : — c'est quelque chose d-effréné qui
« vous domine et vous entraîne souvent--à votre insu.


« Le plus souvent néanmoins, il vous suffirait de le vou-
« loir, pour vous connaître; mais vous préférezr l'Illusion.


« Vous avez horreur d'êtrerepriB, ou par vos confrères,, ou
« par votre Supérieur ; le moindre1 avertissement vous irrite,
« vous soulève à un point; extraordinaire : c'est effrayant
« à, voir.


« J'en ai eu le cœur quelquefois profondément triste : au-
« jourd'hui je bénis Dieu, vous cherchez sa lumière; mais
« ordinairement vous n'êtes pas de bonne' foi, vous ne vou-
« lez pas être éclairé. Vous vous faites- illusion sur des dé-
« fauts que vous trouvez intolérables dans les autres..


« Vous ne tenez au devoir rigoureux que par un lien
« presque forcé. Votre amour pour vous-même vous inspire
« une haine secrète de l'autorité des autres, et vous fait
« exercer la vôtre avec une dureté inflexible.


« Vous avez une ambition secrète et évidente. Vous aimez
« les distinctions, les honneurs : les moindres vous flattent
« ridiculement.


« D'autre part vous vous croyez appelé à la perfection : et
« il n'y a pas une congrégation religieuse qui voulût de vous
a après trois mois de noviciat.


« On vous a.longtemps flatté :. on- ne vous Halte plus ici ;
« c'est ce que vous ne pouvez-.sauffrir.


« Prenez garde, je le répète : il y a en tout ceci un grand
« danger.


« Quelquefois vous voudriez mieux faire, éviter certain
« mal, faire certain bien ; mais il y a en vous un principe,
« qui étouffe tout, qui gagne sans cesse ; quand il aura tout
« gagné, tout envahi, vous serez perdu !


« Et déjà, sous dès apparences très^-austères, très-ecclé-
« siastiques-, il n'y a presque plus rien de sacerdotal en
« votre amer




428 LIV. 11!. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


« Vous n'avez presque plus de charité ni de vrai zèle. La
« charité, le zèle, s'éteignent visiblement dans votre cœur;
« vous n'avez presque jamais une idée pour l'avancement
« spirituel des enfants.


« Encore une fois, prenez garde... Vastitas et sterilitas,
« voilà ce dont l'Écriture menace les orgueilleux.


« Vous êtes dévasté par l'orgueil, et serez nécessairement
« stérile : Sicut lignum aridum in deserto ! dit encore l'Écri-
« ture.


« Voulez-vous que je vous donne un trait caractéristique
« qui vous aide à vous connaître?... Vous n'admirez rien,
« vous ne louez jamais personne..., c'est décisif.


« Vous finirez mal, je le crains... Ou plutôt, non ; votre
« cœur et la grâce de Dieu vous sauveront, et vous finirez
« bien ! »


Effectivement, il a bien fini, il est devenu un prêtre géné-
reux et dévoué. — On est heureux quand on rencontre des
âmes sincères et courageuses, que la vérité sur elles-mêmes
ne révolte pas, et qui une fois éclairées mettent généreuse-
ment la main à l'œuvre.


CHAPITRE IX


Second principe des défauts dans l'homme et dans l'enfant:
La sensualité.


Il est, avec l'orgueil, une autre plaie profonde du cœur hu-
main, un autre principe générateur de défauts et de vices
sans nombre dans l'homme et dans l'enfant : c'est la sensua-
lité, c'est-à-dire l'inclination déréglée aux plaisirs des sens.
Saint Jean l'appelle : Concupiscentia tamis; saint Paul, la
mollesse : Neqite molles, dit-il ; et en effet, elle n'est pas




CH. IX. — LA SENSUALITÉ. 429


autre chose qu'une indigne et lâche mollesse de l'esprit, du
cœur et des sens.


Mous devons en faire ici, au point de vue de l'Éducation,
une étude particulière, parce qu'elle est pour l'Éducation un
péril redoutable et la source des plus pénibles difficultés.


Nous dirons d'abord quelle en est l'origine et le désordre.;
puis, quel funeste empire elle exerce sur la vie humaine,
en particulier sur les enfants et les jeunes gens; et nous
chercherons enfin de quelles ressources dispose l'Éducation
pour la combattre, et quels remèdes il est possible de lui
opposer.


I


Si nous voulons bien entendre quelle est cette désastreuse
plaie de la nature humaine, et les dangers particuliers
qu'elle crée à l'Éducation, c'est jusqu'à la source pre-
mière de tout mal qu'il faut remonter, jusqu'à la chute ori-
ginelle.


Dieu avait fait l'homme droit, dit le Sage ; « et cette droi-
ture, explique Bossuet, consistait en ce que l'esprit étant
parfaitement soumis à Dieu, le corps aussi était parfaite-
ment soumis à l'esprit. » Mais la révolte de l'esprit contre
Dieu amena la révolte de la chair contre l'esprit ; et « depuis
le péché originel, dit encore Bossuet, les passions de la chair,
par une juste punition de Dieu, sont devenues tyranniques ;
l'homme a été plongé dans le plaisir des sens ; et, selon la
parole de saint Augustin, au lieu que, par son immortalité
primitive et la parfaite soumission du corps à l'esprit, « il
devait être spirituel, même dans la chair, il est devenu char-
nel, même dans l'esprit. » Par le péché originel, l'équilibre
primitif s'est trouvé rompu, et une prédominance effrayante
du corps sur l'âme a été la triste conséquence de cette rup-
ture. De là en nous une inclination violente au plaisir sen-




430 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


sible, et un dérèglement, dont le désordre a quelque chose
de plus humiliant et de plus vil que l'orgueil même.


L'orgueil est une usurpation, une ifolie criminelle, .mais
où brille encore un reste, un souvenir de dignité; c'est
l 'esprildé l'hommes'honorant lui­même et s'exaltantaux dé­
pens de la ­vérité et de la justice. Mais la sensualité n'a rien
que dehas : c'est laiplus misérable des captivités de l'âme :
c'est L'esprit s'assujettissant à la ichair. L!homme sensuel
semble n'avoir plus d'autre fin, d'autre Dieu que son corps;
QuorurruDeusmnter est, dit ônergiquement saint Paul.


Qui ne sent qu'il y a là une déplorable déchéance, une af­
freuse dégradation ; et, dans cette insulte faite à la nature et
à la dignité de l'homme, le renversement de toute noblesse
dans la vie humaine ?


L'homme est le roi de la création. Mais comment?Par ses
sens ? par son corps? Non, certes : sous ce rapport, il y a des
animaux qui rivalisent avec lui. Il y en a même qui l'em­
portent1 sur lui à (certains­égards­; qui sont plus agiles etplus
forts que lui. Il y en a qui font ce qu'il ne pourra jamais
faire ; qui se promènent au sein des eaux, qui planent dans
les espaces immenses de l'air.


L'homma est le roi de la création par son esprit, par son
intelligence, par son âme. C'est par l'âme qu'il est raison­
nable, par l'âme qu'il est libre, par l'âme qu'il est immortel,
par l'âme qu'il a l'empire sur toute la nature. Ce qui doit
régner dans l'homme, ее qui doit gouverner sa vie, c'est
donc son âme.


Le corps n'est qu'un esclave et ne doit qu'obéir.


Or, que fait la sensualité? Elle renverse cet ordre divin :
elle fait dominer le corps sur l'âme ; elle asservit l'âme aux
sens.


>Le corps a ses instincts, ses appétits : grossiers, terres­




CH. IX. — LA SENSUALITÉ. 431


très, charnels, impétueux, aveugles, ne se souciant ni de la
raison, ni de la foi, ni de l'honneur.


L'âme a ses goûts et ses besoins, ses aspirations et ses ten-
dances : nobles, élevées, pures, sages, raisonnables, accep-
tant la règle et le frein.


Mais les inclinations sensuelles oppriment les aspirations
de l'âme. C'est pourquoi il y a lutte, une lutte nécessaire,
éternelle entre ces deux puissances si contraires. Il faut
choisir. Ou bien les sens seront réprimés, gouvernés, asser-
vis à la raison, à la foi, à l'honneur, et l'âme étant maîtresse,
la vie sera maintenue dans sa dignité; ou bien les sens domi-
neront, asserviront l'âme, et la vie sera abaissée, dégradée.


Hélas ! je parle de luttes, et combien d'hommes qui ne lut-
tent plus, qui ont abdiqué, qui se livrent de gaîté de cœur à
cet abaissement de leur vie, à ce honteux asservissement de
l'âme !


Certes, le mal est profond : il gît dans les entrailles mêmes
de la nature humaine. Il est universel : la sensualité, par un
côté ou par un autre, fait sentir à tous ses aiguillons. C'est là
ce joug dégradant, comme parle l'Écriture, qui pèse sur tous
les enfants d'Adam, depuis le jour où ils sont sortis du sein
de leur mère, jusqu'au jour où ils rentrent par la sépulture
dans le sein de la mère commune qui est la terre. C'est
la conséquence la plus terrible et le signe le plus manifeste
de cette déchéance originelle, par laquelle la créature hu-
maine, qui avait voulu s'élever à la hauteur de Dieu, tomba
au-dessous même de sa propre nature, et paya de ses plus
tristes abaissements la folie de son orgueil.


Je sais bien que l'enfance n'est pas l'âge où ce penchant
éclate dans toute sa force ; le mal est néanmoins profond
dans l'enfant lui-même, et il se trouve là souvent avec une
domination redoutable. Tout à cet âge favorise la sensualité:
je ne parle pas seulement de ces tristes semences héréditaires
dans l'âme de tous les enfants d'Adam, je parle de la prédo-




¿32 I.IV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


minance de la vie physique sur la vie intellectuelle et mo-
rale, je parle du développement des sens qui devance ce-
lui de la raison, et enfin, s'il faut tout dire, de la manière
insensée dont la plupart des parents élèvent sous ce rapport
les tout jeunes enfants.


Je dois insister sur ce point, qui a pour l'Éducation ulté-
rieure des conséquences que la plupart des parents, dans
leur tendresse aveugle, semblent ne pas même soupçonner,
mais qui n'en sont pas moins funestes. Je dois signaler ce
péril trop méconnu et trop commun.


Comprend-on, paraît-on comprendre les tristes, mais trop
certaines vérités que nous venons de rappeler? songe-t-on
à la présence, dans l'àmc des enfants, de ce redoutable en-
nemi qui s'appelle la sensualité, et au péril extrême qu'il y
a à développer cette malheureuse inclination dans l'enfance
et à lui fournir des aiguillons ? Il y a lieu vraiment d'en
douter, quand on voit le soin que prennent la plupart des
parents pour la cultiver, et la flatter de toutes manières dans
leurs enfants.


En effet, à quoi pensent les pères et surtout les mères, je
ne dis pas pour l'enfant qui vient de naître, mais pour l'en-
fant qui déjà commence à comprendre les choses, et dont
l'intelligence naissante est capable de culture et de progrès,
pour l'enfant, par exemple, de quatre ou cinq ans? qu'est-ce
qu'on soigne avant tout dans cet enfant, qu'est-ce qu'on
nourri t , qu 'est-ce qu'on développe en lui? es t -ce la
créature raisonnable? est-ce l'esprit, le cœur, l'âme? Non,
c'est la créature matérielle, c'est le corps, la vie animale.
Oui, il y a des milliers de pauvres petits enfants qu'on élève
de la sorte : on les accable de soins physiques; on les
sature de friandises, on idolâtre leur petit visage, leur
petite personne : toutes les inutilités les plus vaines, et
quelquefois les plus ridicules, sont recherchées, pour leur
vêtement : on les pare, comme pour une publique exhi-




CH. IX. — LA SENSUALITÉ. 433


bition ; puis, on les adule, on les encense, on les adore.
Cela fait pitié et mal à voir! Qu'on ne me parle pas ici
de nécessité, ni de santé : la nécessité a une mesure, la
manie insensée que je dénonce n'en connaît pas ; et la santé
elle-même souffre de ces soins pitoyables. Mais ce qui en
souffre surtout, c'est l'âme de ces malheureux enfants :
non-seulement le développement physique étouffe celui de
l'esprit; mais la vanité, ainsi excitée, germe, et s'em-
pare totalement de ces pauvres petites têtes enivrées ; la mol-
lesse surtout établit en eux son empire, les énerve, les en-
gourdit, les paralyse; leur inspire je ne sais quelle lâcheté,
quelle horreur de l'effort et du travail, qui ruine en eux
toute énergie, toute activité, et prépare à leur Éducation
future les plus graves difficultés.


Je me borne à en signaler ici deux principales : la paresse,
et la perte des mœurs.


II


Je disque la sensualité, surtout quand une molle Éduca-
tion la favorise, engendre inévitablement chez les enfants
une déplorable paresse.


On nie dira : Mais tous les enfants ne sont-ils pas pares-
seux? Sans doute, et qui ne le sait? Mais il faut savoir aussi
qu'il y a deux sortes de paresse.


Il y a la paresse qui prend sa source dans la légèreté de
l'âge : celle-là n'est pas la plus dangereuse, et on vient à
bout de la guérir. Sans pactiser avec elle, il faut attendre
que le caractère, l'esprit, la raison, le corps lui-même, a r -
rivent à un certain développement.


L'amour du travail, surtout du travail d'esprit, ne peut pas
venir de suite.


L'enfance, naturellement vive, volage, ardente, ne sait
E., m . 2S




i 3 i F.1V. III. — DE L'ENFANT ET RE S E S DÉFAUTS.


garder en repos,, ni son corps, ni sa langue ; elle parle, rit
et saute continuellement : sans réflexion ni méthode, elle
préfère le jeu aux choses sérieuses. Cela passera. Ce qu'il
faut avec de tels enfants, c'est beaucoup de patience, et aussi
beaucoup d'encouragements : quelque chose qui les excite
et qui les relève : beaucoup de suite, avec une fermeté tou-
jours bienveillante, et quelquefois indulgente : en un mot,
ne permettre jamais à l'enfant de s'endormir, ou de s'empor-
ter ; mais aussi ne le pas briser, ne le pas abattre.


Je ne me souviens guère d'avoir jamais désespéré d'un
enfant paresseux par légèreté et étoùrderie, ni d'avoir ren-
voyé de tels enfants. Quand on sait s'y prendre, on en vient
à bout tôt ou tard, et très-tôt quelquefois.


Mais il y a une autre paresse.
Il y a la paresse qui vient do la mollesse des sens, d'une


nature faible, sans énergie, sans ressort; cette paresse-là est
presque incurable, à moins qu'on ne s'applique à la guérir
de très-bonne heure, et par des moyens bien suivis, égale-
ment doux et fermes. Mais une première Éducation, comme
celle que je dépeignais tout àl'heure, est un des plus grands
obstacles que puisse rencontrer une telle guérison. Ce qu'il
faudra plus tard de soins, d'efforts, de persévérance, pour
sauver un enfant ainsi élevé, pour en faire un travailleur,
pour en faire un homme, est incroyable. Et que de fois on y
échoue ! Que les parents donc y prennent garde^ et ne créent
pas d'avance à l'Education de leurs enfants de terribles, et
presque insurmontables difficultés.


On y échoue d'autant plus, que cette mollesse physique
et intellectuelle est ordinairement accompagnée de la mol-
lesse du cœur, d'une sorte d'apathie morale, et d'insensi-
bilité. Or, Fênelon l'a dit avec raison : « De toutes les peines de
l'Éducation, aucune n'est comparable à celle d'élever des
enfants qui manquent de sensibilité. Les naturels vifs et
sensibles sont capables de terribles égarements ; les pas-




Cil . IX. — LA SENSUALITÉ. 435


AÏona et la présomption les entraînent ; mais aussi ils ont de
grandes ressources, et reviennent souvent de loin; l'instruc-
tion est en eux un germe caché qui pousse, et qui fructifie
quelquefois, quand l'expérience vient au secours de la rai-
son et que les passions s'attiédissent ; au moins, on sait par
où on peut les rendre attentifs et réveiller leur curiosité. On
a en eux de quoi les intéresser à ce qu'on leur enseigne, et
les piquer d'honneur, au lieu qu'o?i n'a aucune prise sur les
naturels indolents. Toutes les pensées de ceux-ci sont des
distractions; ils ne sont jamais où ils doivent être; on ne
peut même les toucher jusqu'au vif par les corrections ; ils
écoutent tout, et ne sentent rien. Cette indolence rend l'en-
fant négligent, et dégoûté de tout ce qu'il fait; c'est alors
que la meilleure Éducation court risque d'échouer, si on ne
se hâte d'aller au-devant du mal dès les premières années de
l'enfance. »


Est-ce là ce qu'on fait par cette molle Éducation des jeunes
enfants, si malheureusement générale aujourd'hui? Plût à
Dieu qu'on ne préparât point par là un autre danger, plus re-
doutable encore : je veux parler du danger des mœurs.


I I I


.l'aborde ici un sujet particulièrement délicat et pénible:
je touche à une des plus grandes plaies de l'homme et de
l'enfant, et aussi à l'un des plus terribles écueils de l'Éduca-
tion. J'aurai des choses sévères à dire : j'étonnerai sans doute
plus d'une mère, ignorante des périls de son cher enfant, et
trop confiante peut-être sur une innocence qui depuis long-
leinps n'est plus; mais, puisque je suis amené à traiter ici
un tel sujet, il faut que j'aie le courage de dire les vérités
nécessaires, et de les dire à tous ceux qui ont besoin de les
entendre, aux enfants, aux maîtres, aux parents eux-mêmes.


Ali I s'il y a quelque chose de beau, d'aimable, de céleste




436 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


sur la terre, c'est l'innocence dans un jeune homme, dans
un enfant! Un cœur, une âme dont le mal ne s'est pas en-
core approché, qui l'ignore, ou a été préservé de ses atteintes;
une âme ingénue, candide, virginale , qui a conservé toute
sa fraîcheur, toute sa fleur, tout son parfum ; qui pourrait en
dire la grâce et le charme, la noblesse, la dignité, l'hon-
neur ! Il est doux de rencontrer une telle âme sur la terre,
de la contempler, de l'aimer. On la sent, on la reconnaît sans
peine à je ne sais quel signe heureux, quel reflet d'elle-
même sur une douce et pure physionomie. En voyant toute
la limpidité première de ce regard, toute la candeur inno-
cente de ce front et de cette aimable figure, on est charmé.
Cette âme n'a pas seulement toute sa grâce, elle a encore
toute sa séve première, sou ardeur, sa vigueur, sa force :
comme rien ne l'a déflorée, rien non plus ne l'a épuisée ; la
vie coule en elle dans sa primitive abondance; ses facultés
intactes gardent tous leurs trésors et toute leur riche éner-
gie. Avec sa grâce et sa force, elle a aussi toute sa tendresse :
ce qui l'aurait souillée eût refroidi ou éteint sa flamme;
mais le vice n'ayant pas soufflé sur elle, celte flamme pure,
la flamme des bonnes et saintes affections, que Dieu lui-
même y a allumée, s'y conserve comme dans un sanctuaire.


On sait que dans un moment de sincérité et de franchise,
un homme trop célèbre par son incrédulité et ses scandales,
a dit cette parole si vraie : « Je le soutiens, un jeune homme
qui a conservé jusqu'à vingt ans son innocence, est à cet
âge le plus généreux, le meilleur, et le plus aimable des
hommes. » Telle est l'innocence, dans un enfant, dans un
jeune homme : plus charmante, plus touchante peut-être dans
cet âge heureux qui ignore tout, et où les luttes ne viennent
pas même encore la troubler; plus digne de respect, et en
quelque sorte plus sacrée dans un cœur qui se la sent déjà
disputer, mais qui la garde, et où elle devient alors la
vertu !




CH. IX. — LA. SENSUALITÉ. 437


Mais quel dépôt saint et redoutable pour un père, pour une
mère, pour des maîtres! Garder cette âme, ce cœur, dès l'en-
fance et à travers la jeunesse, jusqu'à l'âge mûr ; l'amener à
l'âge d'homme à travers tous les périls de l'ignorance et de
la séduction, sans laisser flétrir cette pureté, cette beauté,
ce charme, sans laisser tomber cette couronne, quelle œuvre !
quel bonheur incomparable! et aussi quel inappréciable
service !


Il faut le dire en gémissant : cela est rare, et c'est bien
ici qu'on peut s'écrier à la vue d'un si universel naufrage :
Apparent rari Nous vivons dans un siècle mauvais,
où l'on cherche vainement l'innocence : on ne rencontre plus
guère parmi nous ces fronts pleins de candeur où brillent les
doux attraits de l'aimable vertu. Innocence ! innocence ! l'en-
fance elle-même ne vous connaît plus : elle rougit de vous.
Cet âge a perdu son charme naïf, depuis que l'affreuse cor-
ruption semble veiller à son berceau, pour épier son réveil.
L'enfant de nos jours paraît mûri par le vice avant le
temps : fruit précoce et gâté, le libertinage le cueille dès le
matin, et le détache sans peine de la vertu : bientôt en proie
à tous les ravages du vice, il disparaît dans la fleur de l'âge,
laissant après lui une odeur de mort. Voilà trop souvent,
parmi nous, ce que devient la jeunesse et l'enfance même.


Mais hâtons-nous de le dire aussi, et que cela suffise pour
consoler et encourager ceux qui ont le devoir sacré d'élever
et de préserver les enfants de Dieu, tous ne périssent pas
dans ce naufrage. Non, quelles que soient les faiblesses de
cet âge, et les misères des temps corrompus où nous vivons,
on ne sera jamais autorisé à croire que l'enfance est jetée
fatalement comme en pâture au vice ; et tant d'exemples
heureux de jeunes gens qui arrivent, avec leur chaste in-
nocence, jusqu'à l'Éducation sacerdotale, ou même dans
le monde jusqu'à l'heure d'une alliance bénie, sont là
pour attester qu'il y a aux mains des parents, aux mains des




•138 LiV. It l . — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


instituteurs religieux de la jeunesse, des moyens efficaces
pour sauver cet âge si tendre et si exposé. Je connais, certes,
aujourd'hui encore des enfants que le ciel garde admi-
rablement ; que la religion, que leurs saintes mères, que
leurs pères vénérables protègent et préservent ! Oui, il y a
encore parmi nous, grâce au ciel, de ces familles honnêtes,
chrétiennes, profondément bénies de Dieu, où fleurissent la
piété et les bonnes mœurs. Les nobles traditions, les grands
exemples, les simples et fortes vertus, forment \k comme
une atmosphère d'honneur et de pureté, où l'enfant respire
dès sa naissance, où il grandit heureusement, qui lui fait une
sorte de tempérament sain et pur, et lui donne, avec l'hor-
reur instinctive du mal, les saintes habitudes de l'honnêteté,
de la décence, du respect. 11 y a des maisons d'Éducation,
où une garde si sévère est faite autour delà jeunessedont elles
abritent l'innocence, que le mal en est écarté, et que, sous
le regard de Dieu et les ailes de la religion, la vertu s'y con-
serve et s'y fortifie pour les luttes de l'avenir.


J'ai eu la consolation de vivre dans une maison, dont un
religieux, des plus saints et des plus clairvoyants, c'était le
père de Ravignan, pût me dire après une retraite : « Je ne
sais pas s'il y a au monde une maison où il y ait plus
d'innocence que dans la vôtre. »


Je me souviens avec attendrissement d'un jour, c'était le
lundi de Pâques, où un homme de grand esprit, de grande
expérience, lauréat célèbre de l'Université, chrétien très-
vertueux d'ailleurs, dînant avec nous a Gentilly, sous nos
arbres déjà verdoyants et en fleurs, et voyant la joie pure
de ces enfants, la candeur de leurs fronts, l'innocence de
leurs ébats et de leurs cris, me dit tout à coup, se tournant
vers moi : « Quelle joie de penser qu'il n'y a peut-être pas
un de ces enfants qui ne soit pur et en grâce avec Dieu 1 ! »


' C'était (lu reste un homme tics-original et très-amusant; lits-fort en vu-;




CH. IX. — LA SENSUALITÉ. 430


Oui, l'enfance peut être sauvée, et si elle se perd, c'est
trop souvent parce qu'on n'a pas assez veillé sur elle, soit
au collège, soit môme quelquefois, il faut bien le dire, au
foyer domestique. Il y a là une terrible responsabilité, et
un bien grave sujet de méditation pour les parents, et pour
ceux qui en tiennent la place ; car le ravage du mal j$Bt
souvent affreux!


IV


O'est à faire frémir !
Oui, quand le vice a atteint un pauvre enfant, un pauvre


jeune homme, ce qu'il en fait, oùil le pousse, ne se peut dire.
Quand ce mal est devenu contagieux, et s'est répandu de


proche en proche, comme la peste, dans une maison d'Édu-
cation, ou toute autre, les victimes qu'il frappe, les ruines
qu'il entasse, c'est effrayant !


Mères ! mères de famille 1 veillez, veillez sur vos enfants,
dans votre maison, à vos côtés ! car là, là même, près de vous,
et, pour ainsi dire, sous l'ombre de vos ailes, le mal peut les
saisir et les dévorer. Près de vous, autour de vous, chez vous,
il y a des périls !


Professeurs, Directeurs, Supérieurs, ouvrez les yeux ,
soyez vigilants! car voilà l'ennemi, l'ennemi redoutable : s'il
pénètre, s'il entre, il dévastera votre maison; il y perdra
tout; il jettera victimes sur victimes, morts sur morts !


Du reste, quand le mal a atteint un jeune cœur, on s'en
aperçoit vite, à de tristes et lugubres symptômes.


Quel changement soudain s'est opéré dans cet enfant? 11
était gai, ouvert, aimant : tout à coup le voilà triste, inquiet,
sombre, défiant, dissimulé. Ce n'est plus ce candide sourire,


latins. Quelques moments après, comme les mfaiitschaiiUiem une Twmiie «le leur
façon en l'honneur de la sainte Vierge, il s'écria tout a coup ; « Ah ! vsi!à un péché
mortel!» C'était un vers faux.




440 L1V. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


ce front épanoui, ce cœur qui se montrait, cette âme qui se
dilatait : quelque chose a passé sur cette physionomie et y
a jeté comme un voile ; quelque chose est là, dans ce cœur,
qui le resserre ; quelque chose qu'il ne veut pas laisser voir ;
comme un honteux secret qu'il cache.


Le pauvre enfant! où va le conduire un premier pas? Il a
taBltè d'abord, il a rougi, il a tremblé ; et puis bientôt il
n'hésite plus, il ne rougit plus, il ne tremble plus. Une chute
amène une autre chute ; un abîme appelle un autre abîme :
la faiblesse s'accroît, l'habitude se forme : terrible habitude,
qui triomphe de la volonté, de la raison, de l'honneur, de la
foi, de la conscience, de tout! 11 n'entend plus rien, il ne
voit plus rien; c'est une fureur. L'insensibilité, l'impudence
l'emportent. Il s'inflige outrage sur outrage, ignominie sur
ignominie. Qui l'arrêtera dans ses désordres? qui relèvera
une telle faiblesse ? qui rompra de telles habitudes ? qui
brisera de telles chaînes? Hélas, qui ne le sait? rien, rien
au monde n'est difficile à corriger dans un enfant comme les
habitudes secrètes de l'impureté.


Et où le conduiront - elles ? que va-t-il devenir? que de-
viendra son Éducation, son avenir, sa vie ?


Le vice aura bientôt tout flétri, tout tué en lui. Son corps
d'abord : sa santé reçoit une atteinte mortelle. Pauvre enfant,
chez qui la vie commence à peine, il en épuise et dessèche
en lui les sources. Ce frêle organisme, qui n'a pas encore
son développement, sa consistance, sa force, il en abuse en
toute manière, il le mine, il le corrompt, il le détruit. On
n'outrage pas impunément la nature : la nature outragée se
venge, et ses vengeances sont terribles. Lentes quelquefois,
elles arrivent toujours. Le frais coloris de ce jeune visage a
déjà disparu, et fait place à une pâleur accusatrice ; ses yeux
s'éteignent, des plis précoces sillonnent déjà son front, tout
son tempérament s'use et dépérit... la vie s'en va, la mort
arrive... Vieillard de vingt ans, le voilà qui penche vers son




CH. IX. — LA SENSUALITÉ. 4 4 1


tombeau, où ses vices,comme dit l'Écriture, descendront
avec lui, et déshonoreront sa cendre.


Voilà les fruits du vice pour tant de malheureux enfants
et jeunes gens; une mort prématurée, ou du moins une vie
débilitée, une santé à jamais altérée.


Les ruines de l'esprit et du cœur ne sont pas moins
grandes.


L'esprit, dans ces honteuses habitudes, perd son ressort et
sa vigueur, sa délicatesse et sa grâce : énervé par de viles,
jouissances, plongé dans la boue des sens, il s'émousse, il
s'engourdit, il croupit dans la paresse et la torpeur. L'ima-
gination, obsédée d'une idée fixe qui la poursuit, tourmentée
par d'impurs fantômes, ne sait plus s'en détourner; il n'y a
plus ni vigueur intellectuelle, ni force morale; nul élan ni
pour la science, ni pour la vertu : l'exercice seul de la pensée
fatigue ; l'amour du bien trouve là un cœur affadi, quand il
ne le trouve pas endurci : l'enfant sensuel ne travaille plus,
n'étudie plus, n'aime plus.


11 n'aime plus ! le vice grossier altère profondément le ca-
ractère et tue le cœur dans ceux qui s'y livrent. Cet enfant
était né bon, doux et aimable, simple et sincère : il avait une
candeur d'âme et une douce sérénité d'humeur qui venait de
la paix d'une conscience pure; mais depuis que les funestes
habitudes du vice l'ont envahi, cette égalité qui prenait sa
source dans le calme de l'âme n'est plus qu'une humeur
chagrine, capricieuse et bizarre; cette candeur qui montrait
son âme tout entière ne laisse plus voir que des pensées
noires et cachées. Il a perdu avec l'innocence ce qui faisait
son plus grand charme.


De même dans ce cœur gâté a été tarie la source des
bonnes et pures affections. On a remarqué que les enfants
corrompus sont incapables de reconnaissance, et n'ont au-
cune sensibilité généreuse et élevée. L'habitude des jouis-
sances égoïstes leur interdit les joies désintéressées, et le




442 LIV. III. — DE L'BSFAST ET DE SES DÉFAITS.


reproche le plus flétrissant leur a été infligé comme un châti-
ment par l'écrivain que je montrais tout à l'heure rendant
un hommage non suspect à la vertu : « J'ai toujours vu, dit
Rousseau, que les enfants corrompus de bonne heure étaient
devenus méchants et cruels. Us ne connaissent ni pitié, ni
miséricorde. Ils sacrifieraient père, mère, et l'univers entier
au moindre de leurs plaisirs. » Jouir, c'est tout pour eux, le
reste n'est rien.


Cependant les enfants sensuels ont quelquefois l'air d'avoir
bon cœur; mais il ne faut pas s'y tromper : c'est une vaine
apparence.


L'apparence de la sensibilité chez les enfants doit être
étudiée avec grand soin par les maîtres : il importe au plus
haut degré de bien voir quelle en est la source, et si elle
vient du cœur on des sens : si elle vient du cœur, elle est
bonne, précieuse, et c'est une ressource admirable pour
l'Éducation de l'enfant ; mais si elle vient des sens et de la
mauvaise tendresse d'un cœur amolli, elle est fausse et
très-dangereuse.


Il ne faut avoir sur ce point aucun doute. Rien n'est plus
égoïste et plus dur qu'un enfant corrompu, quelles que
soient les apparences.


Cette tendresse caressante qu'il témoigne quelquefois, et
qui ressemble à la fleur de l'affection, a de tristes racines,
une mauvaise nature : si on y regarde de près, on ne tarde
pas à voir que cette fleur, c'est de la boue.


11 fautetre bon pour de tels enfants, mais rarement tendre,
si ce n'est avec une grande gravité : il ne faut leur permettre
qu'avec une extrême réserve les manifestations sensibles
de leur molle tendresse ; ne jamais, par exemple, se laisser
embrasser par eux ou les embrasser. Il faut avec eux de la
compassion ; mais qu'elle soit ferme et haute.


Ces enfants ressemblent à des fruits gâtés ; regardez une
pomme : tant qu'on n'a pas vu qu'il y a un ver au cœur, c'est




CH. X. — LA S E N S U A L I T É .


un aspect gracieux et aimable ; et qu'on l'ouvre, on n'y trouve
que pourriture.


Mais c'est assez sur ces tristes choses.
C'est assez pour faire comprendre, à quiconque est chargé


d'élever l'enfance, les alarmes et toute la vigilance qu'il faut
avoir ici.


Voyons maintenant comment on peut prévenir et combattre
un si grand mal.


CHAPITRE X


Que faire pour sauver les enfants des périls de la sensualité?


1


Ici, c'est aux parents tout d'abord que je m'adresse ; car
c'est eux, avant tous, que le soin de préserver leurs enfants
regarde.


Parmi les devoirs de l'autorité paternelle et maternelle il
n'en est pas de plus grave, de plus délicat, de plus sacré.
L'insouciance, la légèreté même à cet endroit, ne seraient
pas seulement impardonnables : elles ne se concevraient
point dans des parents, je ne dis pas chrétiens, mais ayant
simplement pour leurs enfants la plus vulgaire tendresse.


Si à tout honneur confié par Dieu à ses créatures corres-
pond un devoir, d'autant plus sérieux que l'honneur est
plus grand, quelle sollicitude n'est pas imposée ici à ceux
qui ont reçu de Dieu le dépôt incomparable d'une âme d'en-
fant, le dépôt d'une telle faiblesse et d'une telle innocence:


Pour exprimer ma pensée, j 'emprunterai aux Ecritures
une simple et forte expression, je dirai que les parents doi-




444 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


vent veiller sur l'innocence de leurs enfants, comme sur la
prunelle de leurs yeux.


Mais sait-on toujours assez, dans la pratique, tout ce qui
est compris dans celte haute et sainte obligation, et jusqu'à
quel point il faut pousser ici la prudence et la sollicitude? ne
peut-il pas y avoir, et n'y a-t-il pas trop souvent sur ce sujet
des ignorances trop coupables et de déplorables illusions?


Et d'abord, je le dirai, c'est de très-bonne heure, c'est
dès les premières années, et, pour ainsi dire, dès le berceau
qu'il faut songer à prémunir l'âme et le corps contre la
mollesse et ses affreuses suites, et, par une sévère Éducation
et la plus extrême vigilance, préparer, dans les enfants, de
bonnes mœurs.


Mais quels moyens prendre et à quelles précautions avoir
recours ?


Des détails sont ici nécessaires : qu'on me pardonne, à
cause de la gravité et de la sainteté du sujet, ceux où je vais
entrer : je dirai simplement ma pensée sur chaque chose.


En tout, il est d'une souveraine importance d'accoutumer
les enfants à la modestie, à la décence, au respect d'eux-
mêmes ; de leur inspirer une grande pudeur.


C'est pour cela qu'il faut bien veiller à leur coucher, à
leur sommeil, à leur lever : avoir soin de les bien couvrir;
surtout ne les faire jamais coucher ensemble, ni avec d'au-
tres personnes.


S'abstenir de toute familiarité à leur égard, sans affecta-
tion du reste ; veiller sur leurs jeux, leur faire éviter toute
inconvenance entre eux.


Ne leur permettre jamais de libertés, de grossièretés,
d'indécence d'aucune sorte, comme on le leur permet quel-
quefois sous prétexte de gentillesse.


Il faut, sur toutes ces choses, donner de bonne heure aux
enfants des préjugés élevés et purs.


Surtout il est rigoureusement nécessaire de ne se rien




CH. X. — LA S E N S U A L I T É . 443


permettre à soi-même de tant soit peu libre devant eux.
Dans toute famille, surtout dans toute famille chrétienne,
la maxime antique doit toujours être sous les yeux :


Muxima debetur puero reverentia : si quid


Turpe paras, ne tu pueri contempserisannos.


Malheur aux parents dont Tacite a dit : Ce sont quelque-
fois les parents eux-mêmes qui accoutument les enfants, non
pas à l'honneur et à la vertu, mais à la licence et au vice !
« Quandoque etiam ipsi parentes nec probitati neque modes-
« tiœparvulos assuefaciunt, sed lasciviœ et libertati. » (Dial.
De oralor. 29.) Et Quintilien (liv. i, ch.2). « Nos docuimus, ex
« nobis audierunt, etc., etc. C'est nous-mêmes qui les avons
« instruits au mal ; c'est de nous qu'ils l'ont appris ! »


Que l'on n'oublie donc pas, au foyer domestique, de veil-
ler avec une attention sévère sur toutes les paroles qu'on
prononce : les enfants écoutent toujours, et comprennent
plus qu'on ne croit ; et un seul mot peut quelquefois leur
faire une blessure mortelle.


Ecarter soigneusement de leurs yeux tout objet dange-
reux, les mauvais livres, les mauvaises brochures, les mau-
vais journaux illustrés ou non, les mauvais tableaux, c'est
du plus grave, du plus rigoureux devoir! Que dire de la né-
gligence de certains parents à cet endroit, et de tout ce qui
se voit exposé sur les tables de certains salons ?


Je ne puis m'empêcher de citer ici un exemple incroyable
de laisser-aller et d'imprudence dont je fus un jour moi-
même témoin. Un jeune homme de quinze ans avait reçu
pour ses étrennes, magnifiquement reliée, la collection
complète des oeuvres d'un écrivain contemporain, poète et
romancier célèbre, que je m'abstiendrai de nommer : tout le
monde sait qu'il a trop écrit, et trop librement quelquefois,
pour que ses œuvres complètes puissent être mises impuné-




U f i L1V. III. — DE L ' BXFANT ET DE S E ? D É F A U T S .


ment aux mains d'un jeune homme. J'entrais un jour chez
les parents de cet enfant, en compagnie d'un respectable
magistrat. L'enfant était là avec ses livres. — « Quels sont
ces beaux volumes, demanda le magistrat? » La mère nomma
l'auteur avec quelque embarras. Le magistrat ne put s'em-
pêcher de témoigner quelque surprise. « Mais au moins,
reprit-il, j 'espère que ce jeune homme ne lira ni les ***, ni
les ***? — C'est déjà lu , répondit l'enfant. » Je sortis à
l'instant même pour délivrer la mère de la gêne visible
où ma présence la mettait.


Imprudente mère ! comment avait-elle compris son de-
voir? Et c'était un proche parent qui avait envoyé les vo-
lumes!


Un point qui demande encore des parents la plus grande
vigilance, ce sont les domestiques, les bonnes, les valets de
chambre, les cochers, les palefreniers : j 'irai plus loin, et
remontant plus haut, au risque d'étonner certaines per-
sonnes, je dirai : les nourrices mêmes!


Combien de fois n'a-t-on pas dit que les parents ne savent
pas assez tout le mal que peut faire aux enfants leur triste
négligence ou leur trop aveugle confiance sur ce point ! Un
jour une mère, au désespoir de ce que son fils était ren-
voyé d'une maison d'Éducation pour une faute honteuse,
s'emporta, et dit au Supérieur : « Si mon fils sait le mal,
« Monsieur, c'est chez vous qu'il l'a appris : je vous l'avais
« confié pur ! » — Mais le Supérieur, malheureusement, était
fondé à lui répondre : « Non, Madame, ce n'est pas ici que
« votre fils a appris le mal. Vous avez encore chez vous, à
« l'heure qu'il est, un domestique qui a toute votre con-
« fiance, c'est lui qui a perdu votre fils. Interrogez vous-
« même votre enfant. »


Ces gens-là, quand même ils ne seraient point, comme cela
s'est vu trop souvent, des corrupteurs déclarés, sont sou-




C H . X. — LA S E N S U A L I T É . 417


vent si grossiers dans leur éducation, dans leurs manières,
dans leur langage, que les enfants avec eux peuvent facile-
ment apprendre bien des choses mauvaises, si l'on n'y prend
garde et de très-près.


Il faut veiller avec non moins de soin sur les fréquen-
tations des camarades : c'est par là, ordinairement, que se
gâtent les enfants ; ils s'apprennent le mal les uns aux au-
tres.


Dans les temps malheureux où nous vivons, il faut que
toute mère le sache bien : tout petit camarade peut être un
péril pour son enfant; et c'est de là qu'il faut partir pour
régler sa surveillance.


La plupart des enfants ont, dès le plus bas âge, dans les
villes surtout, perdu à divers degrés leur innocence.


Pas un qui n'ait bu plus ou moins le poison ! pas un qui
ne sache, sinon tout le mal, au moins quelque chose du mal !
pas un en qui le fils d'Adam n'ait des instincts, des goûts de
grossièreté, extrêmement redoutables à la pureté des mœurs !
pas un qui, s'il n'est rigoureusement surveillé, ne soit capa-
ble de ces libertés, de ces familiarités inconvenantes, les-
quelles peuvent si promptement mener à tout mal !


Des enfants qui se fréquentent librement sont donc tou-
jours les uns aux autres un danger.


Je dois tout dire, et ne reculer devant aucun détail utile :
j'écris pour instruire tout le monde, les parents comme les
maîtres ; je le dirai donc : Ayez l'œil ouvert, avec crainte et
vigilance, non-seulement sur les petits camarades qui fré-
quentent vos enfants, mais aussi sur les cousins et cousines,
avec qui les familiarités, pour être plus faciles, n'en sont
souvent que plus dangereuses; je dis plus, et non sans cause :
Veillez même sur les frères et sœurs.


Oui, quand il y a dans une famille plusieurs enfants, qui
prennent ou quittent leurs vêtements dans la même cham-
bre, sous les yeux les uns des autres, et qui peuvent se trou-




448 L1V. 111. — DE l /ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


ver souvent seuls ensemble, ils sont les uns pour les autres
un danger qui appelle toute la vigilance des parents.


Pourquoi faut-il être forcé de dire ces choses, et les parents
me croiront-ils? j 'aurai du moins acquitté ma conscience en
le leur disant : c'est souvent sous leur toit, et presque sous
leurs yeux qu'une malheureuse et fausse sécurité tient fer-
més, c'est là souvent que le mal se fait dans leurs enfants :
et comment l'empêcheraient - ils ? ils ne le soupçonnent
même pas !


Tout cela est triste à dire, mais c'est la vérité. Oui,
malgré l'innocence présumée de leur âge, il faut se défier
des enfants, quels qu'ils soient, et avoir toujours l'œil ouvert
sur tout.


Je le demanderai nettement : aveugles, faibles comme ils
sont à l'endroit des défauts les plus évidents, des fautes les
moins pardonnables de leurs fils et de leurs filles, les pa-
rents veulent-ils sincèrement, franchement, la conservation
de leur innocence, ou du moins attachent-ils à ce grand et
suprême intérêt toute l'importance qu'il mérite? Il y a lieu,
certes, d'en douter.


On excuse tout dans les enfants, on colore tout, on trouve
des raisons à tout. Un enfant montre un vif penchant au
plaisir, — oh ! il n'y a pas lieu de s'inquiéter, ce n'est pas ce
que l'on croit : c'est tout simplement une nature ouverte et
sans fard, vous dit la mère. — Mais il s'est trahi par une
parole obscène, — pure saillie d'humeur enjouée, il n'y a pas
vu de mal. Et on a ainsi réponse à tout, excuse à tout. Je
le déclare, j 'ai souvent trouvé les enfants moins insuppor-
tables par leurs vices que les parents par leurs travers.


Je n'ai qu'une question à poser ici à ces malheureux pa-
rents : Voulez-vous, oui ou non, l'innocence de vos enfants ?
eh bien ! prenez donc les moyens, tous les moyens néces-
saires.: rien ici n'est superflu.


Mais non, je le crains, vous ne la voulez pas !




CH. X. — LA SENSUALITÉ. 440


Il y a cependant une chose, au moins, que vous voulez :
vous voulez leur santé, leur renommée, leur fortune, leur
affection pour vous, leur vie longue.


Vous voulez au moinslout cela! Eh bien, aveugles quevous
êtes! sachez que la vertu est la condition de ces choses.-Si
vous voulez ces choses, veuillez ce qui les donne : ne soyez
pas inconséquents.


Mais non, vous ne voulez pas même sérieusement cela,
vous livrez tout au hasard.


Si vous vouliez cela sérieusement, les jetteriez-vous, ces
pauvres enfauts, — car, comment oublierais-je ici ce péril ?
— les jetteriez-vous dans ces écoles publiques qu'on connaît,
je devrais dire dans ces gouffres ?


Je n'en attaque, je n'en nomme aucune; mais enfin, on le
sait, des voix graves l'ont dit assez haut et de toutes parts :
il y a telles maisons où certainement un enfant est perdu, s'il
y entre : et vous l'y mettez ! Eh bien ' je prétends, moi,
qu'un père, qu'une mère, ne peuvent pas, pour aucune rai-
son, à aucun prix, mettre en conscience leur enfant dans de
telles maisons. Mais alors, dites-vous, comment faire? Tout,
excepté ce que vous faites. Car vous aurez beau dire et beau
alléguer, Dieu ne vous excusera pas. Vous n'aurez pas fait
pour votre enfant ce que vous deviez, ce que vous pouviez
faire.


Ou bien, vous ne le mettez pas dans une de ces maisons
de perdition, vous le gardez chez vous, vous lui donnez un
précepteur. — Mais ce précepteur, le choisissez-vous entre
mille? Remarquez ce que je dis : entre mille.


Enfin, je suppose le précepteur excellent. Croyez-vous pour
cela que tout soit fait, et que votre enfant n'ait plus besoin
d'autres secours? Et, pour me borner ici à une des plus im-
portantes nécessités, croyez-vous que sa piété se soutiendra
de façon à préserver son cœur de toutes les dangereuses im-
pressions du dedans et du dehors, de tous les pièges qui


K . , m . 20




\50 LIV. 11!. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS,


entourent, même dans les maisons les mieux gardées, l'in-
nocence d'un pauvre enfant, 'si vous ne donnez pas à cette
piété naissante et faible le nécessaire appui d'une solide
instruction chrétienne et des sacrements?


V.oici que bientôt, à des indices, hélas ! trop certains, vous
concevez des inquiétudes. Vous venez nous trouver, nous
confier ces inquiétudes, vos chagrins, vos larmes, nous de-
mander des conseils : mais ces conseils, les suivrez-vous?
On ne peut jamais l'obtenir. On vous propose nécessairement
en pareil cas le secours indispensable de la confession régu-
lière, fréquente: — Oh ! mais cela ne se peut : il y aurait tel
maître à déranger, telle leçon à perdre. — Vous ne le voulez
pas ! et vous voulez cependant que votre fils se sauve : vous
voulez l'impossible.


Je le dirai donc ici aux mères qui ont besoin de l'entendre :
Vous croyez plus de puissance à notre parole qu'elle n'en a :
vous nous envoyez vos enfants, une fois, deux fois, à de rares
et longs intervalles; que voulez-vous que nous fassions? De
telles habitudes, même chez les personnes d'un âge mûr, et à
plus forte raison chez des enfants, ne peuvent se guérir que
par la confession très-fréquente? Et cependant on se rassure,
on s'applaudit : — Oh ! mon fils se confesse à Monsieur un
tel, qui est un saint. — Eh bien ! moi, je vous dis qu'avec
vos manières de diriger vos enfants,, un saint même n'y
fera rien. Si vous voulez que ce saint fasse quelque chose,
mettez delà régularité a lui envoyer souvent votre enfant, et
engagez ce dernier à faire avec docilité tout ce que son con-
fesseur lui dira.


Qu'on me pardonne cette vivacité de langage; j 'y suis
entraîné par des souvenirs anciens, mais toujours présents,
de ce que j 'ai vu, en fait d'aveuglement et d'inconséquence,
chez certains parents sur ce point si grave. Non, je ne sau-
rais dire à mon gré assez fortement combien la sollicitude
continue, attentive, ferme, sévère des parents est néecs-




CH. X. — LA SENSUALITÉ.


saire entout pour préserver les jeunes enfants du mal qui les
environne et les attaque de toutes parts.


Je me résume. C'est donc dès l'âge le plus tendre quïl'faut
se préoccuper vivement, et veiller sur un jeune enfant; et
c'est jusqu'aux 'derniers détails que les précautions doivent
aller : manière de le vêtir; soins pour écarter de' lui toutee
qui n'est pas rigoureusement conforme à la plus sévère mo-
destie ; vigilance pour lui inspirer des habitudes de pudeur
et de respect : en même temps éloigner de ses yeux, de ses
oreilles tout ce qui pourrait être un péril ; bannir absolu-
ment du foyer domestique toute parole libre, tout livre, tout
objet de scandale ; surveiller enfin tout ce qui l'entoure et
tout ce qui l'approche, domestiques, camarades, parents,
frères et sœurs même : toutes ces sollicitudes sont néces-
saires pour sauver les enfants et les présenter purs et inno-
cents aux maîtres qui seront chargés de continuer l'œuvre
de la famille. Enfin, quand il faut le confier au collège ou à
unmaître, être sévère, très-sévère sur le choix^-et>ne jamais
se relâcher dans la vigilance.


I l


Lorsque des maîtres, des prêtres surtout, reçoivent des
mains d'un père et d'une mère un enfant, c'est sur eux que
pèse désormais la responsabilité paternelle et maternelle,;
et parmi itous les devoirs de cette responsabilité, il n'en est
pas de iplus sacré que de conserver et de rendre intacte
aux parents l'innocence de leur enfant. Telle doit être la
préoccupation la plus constante et la plus haute de tous
ceux qui sont employés dans l'œuvre de l'Éducation à un
titre quelconque.-C'est ce qu'ils doivent à Dieu, qui ' leur
fera Tendre compte d'un si -précieux dépôt : aux'parents,
qui ont eu en'eux une telle confiance ; à l'enfant, qui n'a pas




4b2 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


de plus cher trésor au monde que l'innocence de son cœur ;
à la société enfin, et à l'Église, qui demandent aux hommes
chargés d'élever la jeunesse des générations honnêtes : ils le
doivent aussi à eux-mêmes, à leur propre honneur, qui s'y
trouve intéressé au plus haut degré.


Mais, si au sein même du foyer domestique tant de vigi-
lance est requise pour la préservation des enfants, combien
n'en faudra-t-il pas dans une maison d'Éducation !


Quelle que soit la sévérité qu'on apporte dans les admis-
sions, il est absolument impossible d'être sûr de tous les en-
fants que l'on reçoit.


Et, cependant, il faut à tout prix que, dans une maison
d'Éducation, les mœurs soient pures.


Il est inutile de démontrer que c'est là un point capital.
Les instituteurs les moins sévères, ceux qui croient impos-


sible à tous les efforts d'obtenir de la jeunesse des mœurs
parfaitement pures, sont ici d'accord en théorie avecjes
instituteurs les plus religieux et les plus parfaits.


Pour moi, je crois que les mœurs dans une maison d'Édu-
cation doivent et peuvent être tellement pures, que non-
seulement toute action, mais la moindre parole, le moindre
geste, je dirai même le moindre regard, contre les mœurs,
y soient chose sinon absolument inconnue, du moins extrê-
mement rare, et jamais impunie et tolérée.


Je ne nie pas que ce ne soit difficile : je nie que ce soit im-
possible.


Je dis plus : je dis que cela est si rigoureusement requis,
que si on ne pouvait en arriver là, mieux vaudrait renoncer
à l'œuvre et fermer la maison. Oui, une maison où le respect
des mœurs n'en est pas à ce point, où on ferme les yeux
sur des désordres de ce genre, où on tolère à quelque de-
gré que ce soit l'immoralité contagieuse, est une maison in-
digne de la confiance des parents, et qui devrait être fermée.


Mais pour en arriver à cette parfaite pureté de mœurs, à




CH. X. — LA SENSUALITÉ. 453


cette proscription absolue du désordre, je le reconnais, il
faut beaucoup faire, et ne rien négliger; il faut des mesures
sévères, une vigilance universelle, infatigable. Je voudrais
m'expliquer sur ces mesures et cette vigilance : elles sont
de deux sortes, répressives ou préventives : je commence
par les premières.


I I I


Ici, je dirai tout en un seul mot : Il faut une répression
immédiate, impitoyable; et cette répression, c'est l'exclu-
sion. Toute faute extérieure, quelle qu'elle soit, contre les
mœurs, doit être un cas rigoureusement exclusif, et sur
l'heure.


Et si quelqu'un me trouvait ici trop sévère, je n'aurais
qu'une chose à dire : Veut-on, dans cette maison, oui ou non,
préserver les enfants? ou bien y prend-on son parti sur les
mauvaises mœurs ?


Qu'on choisisse. Dans ce dernier cas, je n'ai rien à dire.
Mais si on met au-dessus de tout l'innocence des enfants,
j'afiirme que cette rigueur est nécessaire.


On n'est pas ici en face d'un coupable qu'on puisse mé-
nager ; on est en face d'innocents qu'il faut préserver.


Un enfant corrompu est une peste : un jour, une heure de
plus qu'il restera dans la maison peut être la ruine irrépa-
rable d'une innocence.


La rapidité avec laquelle ce mal affreux peut se propager
est effrayante. C'est ce mal plus que tout autre dont il est
dit : Serpit ut cancer.


C'est pourquoi il faut le traiter comme un cancer. Extir-
per , et de suite; sinon l'horrible plaie s'étend et ravage
tout.


Plus que jamais, c'est le cas d'aller à la racine, au fond
même de la plaie, et de tout retrancher : Principiis obsta.




4Í54 U V . HI. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


Pouravoir ménagé un seul enfant gâté et perdu, on serait
peut-être bientôt forcé d'en sacrifier dix autres.


Qu'il demeure donc absolument établi dans une maison
qu'on- n'y reste pas après des fautes d'une certaine nature;
qu-'onsoit impitoyable sur ce.point, que tous le sachent, qu'il
y ait là-dessus comme une terreur ; oui, une terreur, et dès
la rentrée, comme dans le cours de l'année tout entière.


Qu'on répète donc souvent aux enfants, et qu'ils aient à
bien entendre une chose : à savoir, que, quelle que soit la ré-
pugnance du. Supérieur pour la sévérité, il y a un point qui
le rendra inflexible, implacable : c'est l'obligation de défendre
les bons contre les méchants, les innocents contre ceux qui
ne le sont pas; de découvrir dans la maison ceux qui' sont
coupables, non pas uniquement dans leur conscience et de-
vant Dieu, mais de manière à répandre autour d'eux le
souffle empesté, et à propager les vices cachés de leur cœur.
Que s'il y en a parmi les enfants quelques-uns de cette
sorte, quels qu'ils soient, que tous se le tiennent pour dit :
autant le Supérieur sera le père, le protecteur, l'ami, non-
seulement des bons, mais de ceux qui, n'ayant pas encore le
bonheur de l'être, veulent le devenir, autant il sera l'irré-
conciliable ennemi des lâches, des menteurs, des impudi-
ques, des hypocrites, qui se cachent dans l'ombre.


Mais ce n'est pas seulement l'impureté, c'est la grossièreté
que je ne crois pas tolerable dans une maison d'Éducation
chrétienne, non plus que l'impiété ctl'improbitè à un degré
quelconque.


En un mot, dans une maison d'Éducation, il faut respecter
Dieu, se respecter soi-même, et aussi respecter les autres.


On doit briser, renvoyer sans pitié tout ce qui rendrait
l'œuvre de l'Education impossible. Autrement, je le répète,
mieux vaudrait fermer la maison.


Il m'est arrivé une fois; dans ma vie de conseiller au chef
d'un établissement que le mal avait envahi, de renvoyer




GH. X. — LA S E N S U A L I T É . 455


soixante-neuf enfants : il le fit, et sauva sa maison; et elle
est aujourd'hui une des maisons d'Éducation les plus nom-
breuses et les plus prospères de France.


IV


Il n'y a donc pas à balancer, et quand la répression est-né-
cessaire, il faut avoir le courage de ne pas reculer devant
ce pénible devoir. Mais réprimer n'est pas tout en Éduca-
tion : le grand art, c'est de prévenir.


Le principal moyen préventif ici, c'est la surveillance : la
surveillance par tous, et sur tout. C'est par là qu'on prévient
le mal, qu'on échappe à la dure nécessité des renvois, et
qu'en définitive on conserve les enfants.


C'est ici surtout qu'on peut apprécier les avantages du
système des fonctions simultanées, que nous avons tant re-
commandé.


Pas un maître, dans une maison d'Éducation, dont la res-
ponsabilité ne soit ici engagée ; c'est ce qu'il faut leur rap-
peler souvent : le concours de tous est nécessaire, et le
Supérieur ne doit pas cesser de le leur redire, de stimuler
ènergiquement leur zèle, et de montrer à ses collabora-
teurs, E T PAR D E S D É T A I L S , à quel point leur conscience est
obligée à cet égard, soit en récréation, soit en classe, soit au
tribunal de la pénitence et dans les prédications, en un mot,
partout.


Et ce sont tous les enfants qui doivent être surveillés, de
cette surveillance active, inquiète, maternelle, religieuse ;
tous, les petits comme les grands.


Les jeunes maîtres surtout, qui sont ordinairement char-
gés des petits enfants, ont besoin d'être ici particulière-
ment avertis.


On se trompe quelquefois sur les plus jeunes enfants, en
se fiant à l'innocence qu'ils devraient avoir, et par là, on




4 5 6 LIV. III. — DE l / E N F A X T ET DE SES DÉFAUTS.


laisse quelquefois un mal affreux se propager dans une se-
conde et une troisième division.


Il faut bien comprendre la nature de ces petits enfants :
ils sont à surveiller, je n'hésite pas à le dire, plus rigou-
reusement encore que les grands.


Les grands, ordinairement, savent plus le mal; mais ils
o a | u n e conscience plus éclairée, et au moins une réserve
prudente.


Les petits, au contraire, avant la première communion,
sont généralement sans conscience, sans réserve et sans pru-
dence. On comprend tout ce qui se peut dire et faire entre
eux, s'ils ne sont pas surveillés.


Quant aux grands, dans un Petit Séminaire et ailleurs, il
faut toujours craindre qu'il n'y ait des monstres parmi eux,
— parmi les boursiers surtout, parce qu'ils sont sans liberté.
et que, s'ils sont mauvais, l'hypocrisie est leur ressource.


Et parmi les autres, il y a toujours des enfants légers,
très-légers, même quand ils ne sont pas corrompus : ils sont
libres, beaucoup trop libres quelquefois.


Lorsque vous voyez des enfants boursiers qui ne sont pas
fervents à quatorze ans, tremblez. C'est l'âge difficile, dan-
gereux ; il a besoin du secours spécial d'une piété plus
forte: si cette piété n'y est pas, quand même les apparences
seraient régulières, craignez tout, et suivez-les de près.


Bref, en évitant la défiance et les nrécautions-odieuses qui
blessent et qui flétrissent, il faut la vigilance et les précau-
tions légitimes les plus actives, la discipline la plus exacte,
la surveillance la plus prévoyante et la plus constante.


V


Ce qu'il faut surveiller surtout, ce sont les rapports des
élèves entre eux, leurs fréquentations, leurs amitiés par-
ticulières.




CH. X. — L \ SENSUALITÉ


Il y a ici un très-grand principe.


NUNQUAM DUO, — RARO LKUS, - SEMPER TRES.


NUNQUAM DUO . — Que le nunquam duo devienne un axiome,
une sentence qui retentisse perpétuellement aux oreilles, et
quelquefois avec cet accent pénétrant qui saisit les âmes,
et qui, lorsqu'il le faut, avertit les coupables qu'on sait et
qu'ils doivent savoir ce qu'on veut leur dire.


Ainsi : il doit être entendu qu'on ne joue jamais deux à
deux ; ni à la balle, ni au cerceau, ni à vise, ni aux billes,
ni dans la cour, ni en promenade.


J'avoue que quand je rencontre des enfants ou des jeunes
gens qui s'en vont deux à deux, bras dessus bras dessous, en
promenade, et qui restent ainsi en tête-à-tête tout une après-
midi, je ne puis guère m'cmpêchcr de dire : Ici, on a pris
son parti sur les mœurs.


Jamais donc de conversations à deux, sous aucun prétexte,
excepté entre frères.


Jamais deux à deux à la culture des petits jardins, qu'on
permet dans certaines maisons aux élèves : cette permission
du reste n'est guère longtemps sans danger.


R A R O I N U S . — Ce qui signifie : Toujours avec la commu-
nauté : jamais en dehors.


C'est un principe fondamental, constitutif d'une maison
d'Éducation, d'une communauté quelconque, et essentiel à
maintenir au point de vue des mœurs.


D'abord, c'est le principe conservateur de la communauté
même.


La communauté, c'est la vie en commun, c'est la vie en-
semble : en sortir, c'est la ruiner, et, avec elle, ruiner tous
les biens qu'elle apporte.


Quand vous vous séparez, quand vous sortez de la corn-




45$ L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


munauté, elle n'est plus pour vous ; vous n'êtes plus avec
elle, ni pour elle.


Or, il y a chez tous une tendance à sortir de la commu-
nauté , et cela se conçoit : si la communauté protège, sou-
tient, dirige, il faut dire aussi qu'elle contient, elle oblige,
elle gêne.


Mais je le répète, c'est un principe fondamental: vous
êtes de la communauté, pourquoi quittez-vous la commu-
nauté? pourquoi n'êtes-vous pas là où est la communauté ?
— C'est votre premier devoir. — Un enfant, qui aurait passé
toute une année sans quitter la communauté, aurait certaine-
ment passé une excellente année, une année de régularité,
de respect pour l'ordre, de bon travail.


Ce principe n'est pas seulement la garantie d'un bon
esprit, il est aussi la garantie des bonnes mœurs.


Et on le comprend : la surveillance en dehors de la com-
munauté n'existe pas, ou du moins elle est beaucoup plus
difficile à faire.


D'ailleurs, le goût de l'isolement dans un enfant suppose
la tristesse, une humeur chagrine, la concentration en soi :
toutes choses dangereuses, à cet âge surtout, pour la vertu.


Saint Paul ne veut pas que les chrétiens soient tristes.
Semper cjaudete, leur dit-il: la joie n'est-elle pas naturelle,
quand on a la paix d'une bonne conscience ?


Ne soyez pas sans inquiétude sur un enfant taciturne,
mélancolique, qui fuirait la compagnie de ses camarades.
— Égayez-le, faites-le jouer.


J'ajoute que le maintien de ce principe est tout ce qu'il y
a de mieux fait pour désoler et empêcher ce qu'on appelle
les amitiés particulières, triste chose, qui n'est pas long-
temps innocente, et qui devient facilement la plaie des
mœurs. Il faut attaquer directement ces amitiés en public
et en particulier, par la surveillance, par le ridicule, et au
besoin par la sévérité.




CH. X. — LA S E N S U A L I T É . 45»


Ainsi,, à tonssles points de vue, il faut poser en pratique
immuable les règles suivantes :


Jamaisun enfant en dehors de la communauté, sansque son
éloignement soit motivé, régularisé, surveillé, —sans qu'on
aille le chercher là où il est et qu'on l'y ramène : un enfant
ne doit jamais aller seul dans la maison, il doit toujours être
accompagné. — Ne jamais mettre un enfant hors,la salle
d'étude et hors la classe, sans le faire conduire par quel-
qu'un et à quelqu'un. — Jamais un Président d'étude ou un
Professeur, ou le Président d'un exercice quelconque, ne
doit permettre qu'un enfant soit absent de sa classe ou de
son étude sans savoir où il est; et s'il l'ignore, sans avertir
immédiatement M. le Supérieur, ou M. le Préfet de disci-
pline. — Il faut, dans une maison bien réglée, qu'on tienne
inviolablement la main à tous ces points.


Pour cela, doit être affiché dans les études, et inscrit dans le
carnet de chaque maître, le tableau des répétitions, des cours
supplémentaires, des cérémonies, des congrégations, en un
mot, de tout ce qui est un dérangement de l'ordre commun,
et ce tableau est remis en état à chaque conseil. La prévoyance
et la surveillance sur tout cela ne doivent jamais se ralentir.


S E M P E R T R È S . — C'est-à-dire que les enfants soient tou-
jours ensemble, toujours trois au moins, toujours en com-
munauté, et leurs maîtres avec eux.


Que tous les enfants jouent à de grands jeux, bruyants et
communs.


La question des jeux est capitale.dans une maison d'Édu-
cation : capitale pour le travail, pour le bon esprit et poul-
ies bonnes mœurs. On trouvera de nombreux et excellents
détails là-dessus dans un ouvrage que j 'ai déjà cité : la; Mé-
thode de direction des Œuvres de Jeunesse, par M. l'abbé
Timon-David.


C 'est ordinairement un très-mauvais indice quandum en-
fant ne joue pas ou ne jonc plus.




460 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


Il faut donc encourager les jeux, de toutes manières.
Une maison où on ne joue pas n'est pas seulement une


maison où l'on s'ennuie, c'est une maison où l'on ne travaille
pas, et où il y a d'autres désordres encore : l'énergie des
âmes et des corps s'y perd, et cède la place à la mollesse.


Le jeu, vif, innocent, constant, peut être un excellent
remède au mal, soit pour un enfant, soit pour une division
tout entière : il faut seulement en modérer l'excès, ou en pré-
venir l'abus.


Et pour moi, je dois dire que, pourvu que les jeux com-
mencent et finissent au son de la cloche, je n'y ai jamais vu
d'abus, ni excès.


C'est pourquoi à ce point de vue encore, comme au point
de vue de la surveillance, il est nécessaire que les cours
soient très-bien tenues ; je dirai même, autant que possible,
bien situées, avec de belles vues et de beaux horizons.


Il faut donner à voir aux enfants les choses pures et belles,
la nature, la campagne, les grands arbres, tout ce qui peut
épanouir innocemment le cœur, et donner à l'âme un vif
élan.


De même, que tout ce qui les entoure soit propre, net, pur ;
que leurs salles d'études, que leurs classes soient toujours
balayées : la malpropreté n'inspire pas la pureté.


Mais une condition indispensable pour faire jouer les
enfants, c'est que les maîtres se mêlent à leurs jeux, et les
animent par leur présence.


Oui : que tous les maîtres aillent en récréation et jouent
avec les élèves : voilà qui est encore fondamental, et consti-
tutif d'une maison d'Éducation chrétienne.


C'est, qu'on ne s'y trompe pas, ce qui fait une maison ou
une autre, un esprit ou un autre, une Éducation ou une
autre.


Rien n'améliore davantage les enfants.
Oui, aller avec les enfants, se mêler à leurs jeux, voilà




Cil. X. — LA SENSUALITÉ.


par-dessus tout ce qui les purifie, les ennoblit, les élève.
Cette amitié de leurs maîtres pour eux, quand elle est


sans faiblesse et sans mollesse, les pénètre à leur insu, ou-
vre leurs cœurs, éloigne d'eux les idées du mal.


Ils ne peuvent pas vous approcher familièrement, sans
devenir plus purs, plus vrais, plus aimables.


Le grand avantage de la présence des maîtres au milieu
des enfants, c'est donc de les améliorer, de les purifier;
c'est de prévenir non-seulement toute mauvaise conversa-
tion, mais toute mauvaise pensée.


Un bon maître, un maître vertueux, un saint prêtre, ré-
pand autour de lui en récréation, comme une atmosphère de
pureté, de vertu, de convenance.


Voilà donc, pour résumer tout ceci, quelques-uns des
remèdes au mal dans une maison d'Éducation : une sévé-
rité impitoyable, une exclusion immédiate ; sur ce point ca-
pital, la terreur.


Puis, le grand remède préventif, la surveillance : la sur-
veillance des petits et la surveillance des grands ;


La grande maxime : Nunquam duo, rare- unus, sempertres;
Des cours bien établies, des jeux vifs et soutenus; la pré-


sence de tous les maîtres en récréation.
Il y a d'autres moyens encore, et certaines surveillances


spécialement importantes, que nous allons parcourir suc-
cessivement.


VI


11 se trouve, dans une maison d'Éducation, certains lieux,
certains services, qui réclament, au point de vue des mœurs
particulièrement, une surveillance spéciale : il est capital
qu'on le comprenne, et qu'on agisse en conséquence.


Ainsi, il est incontestable que les récréations du soir, s'il




Ï 6 2 LIV". III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


y en a , appellent une vigilance exceptionnelle, -surtout ii
certains moments de l'année, au printemps, par exemple, et
quand l'épanouissement qui se fait alors chez les enfants
les expose àp lusde liberté et d'oubli d'eux-mêmes ; ou dans
l'hiver, quand la nuit vient de bonne heure.


C'est pendant l'hiver que les salles doivent être très-éclai-
rées, et jamais les enfants ne doivent y demeurer en groupes
immobiles.


Les cabinets W aisances, on ;Ie comprend, doivent être aussi
parfaitement éclairés le soir, et parfaitement surveillés : ce
service, peu agréable, mais fort important, doit être très-
précisément réglé, et le Supérieur doit y avoir l'œil d'une
manière spéciale. Jamais les enfants ne doivent y aller deux
seulement ensemble,— mais un seul, ou un grand nombre à
la fois. — Toujours en silence absolu, même pendant la
récréation : on ne parle jamais en un tel lieu.


Les dortoirs surtout doivent être éclairés toute la nuit,
avec une lumière très-éclatante, des lampes à réflecteurs, et
les rideaux entièrement repliés derrière le chevet des lits,
de sorte que la file des lits soit et demeure tout ouverte aux
regards des surveillants pendant la nuit. Les rideaux, dans
ce système qui est le nôtre, ne servent que pour couvrir les
enfants, quand ils quittent ou prennent leurs vêtements :
lorsqu'ils sont couchés, on les retire.


Le placement des enfants dans les dortoirs, ainsi que dans
les salles d'études, doit être fait avec la plus grande atten-
tion. 11 faut placer les nouveaux et les suspects sous les
yeux des maîtres et des surveillants. —11 faut que toutes les
portes et les clôtures soient toujours fermées.


En tout temps, mais surtout pendantles grandes chaleurs'


' Il est tres-imnortant q u ê t e dortoirs ne.soient .pasrtellemenfcaous, le» combles,
«que la chaleur en été y soit excessive et rende le sommeil impossible ou très-dif-
ficile : cela serait aussi ruineux pour les mœurs que pour la santé des enfants.




CH. X. — LA SENSUALITÉ. 46*


où les enfants ne peuvent dormir, la question des dortoirs
est de la dernière importance. Peu de lectures spirituelles
sans un mot sévère à cet égard, très-fort, bien médité,
dit en passant; tombant comme un éclair, un coup de
foudre.


Du moins toujours un mot net et convenable qui tienne les
consciences en éveil et en respect.


Les jours de fêtes littéraires, je dirai même de fêtes reli-
gieuses, les sollicitudes, les précautions doivent aussi r e -
doubler sous ce rapport.


Toute fête met plus ou moins les enfants hors d'eux-
mêmes : surtout les fêtes littéraires, et en particulier cer-
taines soirées de réjouissances, telles que celles où l'on joue
des pièces de théâtre : c'est là un des nombreux périls de
cette coutume.


Mais entre tous les moments les plus dangereux pour les-
mœurs, je'signale les promenades.


Je n'ai pas besoin de dire que les enfants ne peuvent être
conduits partout ; qu'il y a des lieux, qu'il y a des chemins,
qu'il y a des spectacles, des musées, des jardins publics
qu'il faut de toute rigueur éviter.


En promenade, qu'ils ne soient jamais par rangs de deux,
mais trois à trois, et pas toujours les mêmes ensemble acha-
que promenade. Et tant que les enfants sont dehors, que la
surveillance ne se ralentisse pas un seul instant.


Les présidents de dortoirs doivent aussi être très-attentifs
à se trouver à leur poste, au retour des promenades : et alors,
grande vigilance, grande exactitude. C'est dans ces inter-
valles-là, d'ordinaire, que le mal se commet. Il se glisse, si
je puis ainsi parler, dans les interstices de la surveillance,
à la faveur des solutions de continuité dans les exercices.


Les présidents de dortoirs, le soir, montent les premiers et
reçoivent les enfants : il ne faut pas que la vigilance, au dor-
toir surtout, soit un seul instant en défaut.




404 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


Les rentrées des jours de sortie sont encore des moments
bien dangereux. J'en ai déjà parlé à l'article du Président de
discipline : je n'y reviendrai pas.


Après tout ce que nous venons de dire, il est inutile d'ajou-
ter que, quand un maître quelconque est chargé d'une
présidence, il doit bien comprendre que ce n'est pas là
une chose légère, mais très-grave, et de conscience, dont la
redoutable responsabilité pèse sur lui devant Dieu et devant
les hommes.


V i l


Voilà donc les principaux moments et les principaux ser-
vices où la surveillance doit redoubler : Mais pour achever
définitivement cette importante matière, il est encore cer-
tains détails dans lesquels nous devons entrer ici, certaines
mesures que nous devons conseiller.


4 ° Parler souvent sur ce grave sujet des mœurs soit à la
chapelle, soit à la salle des exercices.


Bien prendre les occasions, — ne pas s'appesantir : — que
ce soit le plus souvent par des allusions délicates, mais
fortes et profondes, — un trait rapide et énergique, après le-
quel on passe à autre chose.


2° Au tribunal de la pénitence, grande prudence, mais
aussi grande vigilance : une grande bonté jointe à une
grande fermeté.


3° Dans les récréations, bien veiller à certains jeux de
mains, à certains rapprochements, à certaines postures : em-
pêcher tout cela doucement, prudemment, avec aisance, et
sans avoir l'air d'y attacher trop d'importance, afin de ne
pas éveiller l'idée du mal.


4° Pour le moindre geste, la moindre parole, je ne dis pas
coupable, mais grossière, reprendre sévèrement, et avertir
M. le Supérieur. Ce sont des choses qu'il ne doit pas ignorer




CH. X. — LA SENSUALITÉ. 465


et qu'il appréciera d'ailleurs mieux que personne, lui qui
doit savoir tout sur chaque enfant. Telle chose qui ne vous
paraît à vous qu'un indice douteux, paraîtra peut-être à
M. le Supérieur un indice certain, parce qu'il la rapprochera
de ce qu'il sait déjà sur cet enfant.


5° Si quelque grossièreté dite ou commise par plusieurs
en commun, semble mériter indulgence, réunir au moins
les complices devant tous ces Messieurs : les faire rougir les
uns des autres : leur défendre de se reparler pendant quel-
ques mois. — Mais ici quelques développements sont indis-
pensables.


Ce séquestre est très-grave, quelquefois très-délicat, et
cependant nécessaire, sous peine de voir s'introduire dans
la maison un mauvais esprit, ou de mauvaises mœurs; et de
se trouver condamné à renvoyer des enfants, qu'on aurait
pu garder, si on eût su employer à temps cette mesure d'une
juste prudence et d'une miséricordieuse sévérité.
" I l importe qu'une telle mesure soit redoutée, et néan-
moins acceptée par les enfants : des avis à ce sujet sont né-
cessaires, afin que cette sévérité mate les coupables sans les
révolter, et imprime une salutaire terreur aux autres, sans
trop éveiller leurs idées et leurs soupçons. Je n'offre pas
l'avis suivant comme un modèle, mais enfin, voici à peu
près dans quels termes je le donnais chaque année aux ap-
proches de la retraite :


« J'ai une chose que je tenais depuis quelque temps à vous
dire, mes chers enfants; et dès le commencement de cette
année, cela s'est déjà rencontré.


« C'est qu'il y en a quelques-uns parmi vous que l'on sé-
pare en récréation les uns des autres, auxquels on défend
d'aller les uns avec les autres.


« Cette défense est faite quelquefois publiquement, au
vu et au su de tout le monde ; quelquefois elle est faite
en particulier : dans un cas comme dans l'autre, elle doit


É., m. 30




466 L1V. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


être rigoureusement gardée par ceux qu'elle concerne.
« Il y en a peut-être quelques-uns parmi vous qui ont


été étonnés de cette mesure.
« Et cependant cela est très-simple, et vous allez le com-


prendre. Il y en a un parmi vous qui m'a dit (c'est un nou-
veau) : — « Mais vous avez donc ici des élèves qui ne sont
« pas dignes de ma confiance, puisqu'ils n'ont pas la vô-
« tre?... Alors, pourquoi les gardez-vous?.... »


« Mes chers enfants, il faut entendre les choses. Je ne
prétends pas que vous soyez tous des saints.


« Cela viendra peut-être, mais cela n'est pas encore.
« Si j 'en connaissais un seul d'entre vous, capable de vous


nuire sérieusement, capable de nuire à vos mœurs , à votre
religion, à la droiture et à la probité de votre caractère, ou
par ses exemples, ou par ses discours secrets, il ne resterait
pas ici cinq minutes.


« J'espère qu'il n'y en a pas un seul, et s'il y en avait un,
sans que je le connusse, j 'espère qu'il disparaîtrait bientôt
ou en se convertissant, par la miséricorde de Dieu, ou d'une,
autre manière.


« Mais enfin, sauf ce que je viens de dire, et qui est à part,
on défend quelquefois à trois ou quatre d'entre vous d'aller
ensemble ; non pas qu'on les croie de mauvais sujets, mais
parce qu'ils ne peuvent pas être bons les uns aux autres.


« Par exemple, vous êtes le dernier de votre classe : si vous
allez toujours ou très-souvent avec un enfant qui est tou-
jours l'avant-dernier, évidemment, vous êtes l'un pour l'au-
tre une mauvaise compagnie : vous ne pouvez que vous dé-
courager l'un l'autre.


« Par exemple encore, vous êtes de la basse Normandie :
vous regrettez votre pays, et je le conçois, car c'est un pays
très-agréable; mais cela vous empêche de travailler, de faire
vos devoirs, de prier Dieu, et même de vous amuser en ré-
création. Eh bien, s'il y en a ici un autre qui ait la même




CH. X. — LA SENSUALITÉ. 467


maladie que vous, soit Normand, soit Gascon, il n'est pas
non que vous alliez ensemble, cela est évident. Vous vous
dégoûteriez l'un l'autre du travail et de la maison.


« Maintenant il peut y avoir des raisons plus graves...
« Quel que soit le motif.., dès que l'ordre de ne point aller


ensemble vous est donné, si vous y manquiez, vous devriez
être renvoyés de la maison : et si nous agissions autrement,
nous trahirions la confiance de vos parents, et notre cons-
cience.


« Du reste, c'est un ordre qui n'est pas bien difficile à ob-
server : quand on a trois cents camarades, et qu'il en reste
encore deux cent quatre-vingt-quinze, ou deux cent quatre-
vingt-dix-sept, avec lesquels on peut aller, il n'y a pas d'em-
barras, et on ne saurait se plaindre. Ces plaintes seraient
injustes, et impliqueraient même un mépris pour les autres.


« Et du reste, on ne vous oblige à aller avec personne...
« Je vous défie d'ailleurs de trouver une maison où il y ait


plus de jeunes gens de cœur et d'un esprit distingué...
« Si cela ne vous suffit pas, je ne sais ce qu'il vous faut, ni


ce que vous êtes...
« De bonne foi, que cherchez-vous les uns avec les autres?


A mettre en commun vos misères, qui sont quelquefois de
tristes misères, ou le moins que je puis dire, de pitoyables
vanités; ou votre mauvais esprit, qui pourrait devenir par là
un esprit détestable !


« Car dans une maison comme celle-ci, où vingt-cinq prê-
tres, tons plus dévoués les uns que les autres, consacrent leur
vie à vous élever, à vous sauver, si vous n'avez pas un esprit
excellent, vous avez un esprit détestable, avec lequel, mes
enfants, entendez bien cela, on tombe quelquefois dans des
ingratitudes, dans des bassesses d'une honte ineffaçable,
telles que si on n'avait pas plus de charité pour vous, on ne
pourrait jamais vous les pardonner... »




468 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


Je ne sais si cet avis, tel qu'il est, répondait bien à ma
pensée ; mais mon intention, en le donnant, était de parler
aux enfants tout à la fois le langage de la raison et de l'af-
fection, de la douceur et de la force, de l'indulgence et d'une
prudente sévérité.


VII


Tous ces moyens préventifs que nous venons de parcourir
sont nécessaires, et excellents; cependant nous n'avons pas
encore parlé du plus efficace de tous, du grand et surnaturel
moyen de la religion, de tous les secours qu'offre la piété,
et notamment de la confession et de la communion. Oui,
et c'est la gloire de la divine religion de Jésus-Christ, il y a
dans la piété chrétienne une efficacité merveilleuse pour
garder pure la jeunesse, ou, ce qui n'est guère moins diffi-
cile, pour lui faire retrouver la pureté. La communion, la
confession, sont ici tout à la fois les plus puissants préser-
vatifs, et de divins remèdes. Il y a, par la grâce de Noire-
Seigneur Jésus-Christ, un homme à qui l'enfant, à qui le
jeune homme ose faire d'humbles confidences qu'il ne ferait
à personne, découvrir des plaies qu'il cacherait à tous les
yeux ; un homme qui regarde, qui voit tout, dans un jeune
cœur ; et cet homme a sans cesse accès auprès de la pauvre
âme malade ou blessée : sa mission est de la soutenir, de
l'empêcher de tomber, ou de la relever après la chute.
Quelle puissance n'a pas cette action intime ? que ne peut
pas cette parole, qui a droit de tout dire, cette main qui peut
toucher à toutes les plaies et y appliquer les remèdes de
Dieu? 11 est vrai que l'ennemi est redoutable, les périls
croissants avec l'âge, certaines blessures bien difficiles à
guérir; mais cette tâche s'accomplit avec bonheur, quand on
y apporte du zèle, une sollicitude vigilante, un tendre amour,
une persévérance infatigable. Sous les auspices d'un bon




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ. 469


CHAPITRE XI


La curiosité — la légèreté. — Troisième principe des défauts
dans l'homme et dans l'enfant.


L'orgueil, la mollesse sont des vices terribles, qu'il faut
attaquer de front et dompter de force. Quand une âme est
capable de cette lutte, quelque profondément enracinés que
soient ces vices, rien n'est désespéré, et les efforts de l'ins-
tituteur trouvant une heureuse correspondance dans l'âme
de côlui qu'il élève, l'œuvre de l'Éducation est encore pos-
sible. Mais ce qui la compromet étrangement, ce qui lui ap-
porte un des obstacles je dirai presque les plus désespé-
rants, ce qui rend trop souvent inutiles les plus habiles
maîtres et les soins les plus dévoués, c'est un troisième et
malheureux défaut, qui fait que tout glisse sur l'enfant, que
rien ne pénètre dans son âme : je parle de la légèreté, fille
de ce vice capital que l'apôtre appelle la concupiscence des
yeux, concupiscentia oculorum.


La concupiscence des yeux se rencontre chez l'enfant,
chez le jeune homme, comme chez l'homme même, mais
sous une forme particulière. Chez l'enfant, elle est particu-
lièrement la légèreté, la dissipation, la curiosité étourdie.
Or, l'âme légère, dissipée, curieuse, ouverte de tous côtés,


prêtre, la confession, la direction fréquente, et la bonté de
Notre-Seigneur dans la communion, voilà le sûr asile de la
jeunesse chrétienne, et la plus grande puissance de l'Édu-
cation sacerdotale.




470 LiV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


laisse tout perdre et ne garde rien : nulle œuvre sérieuse
n'est possible avec elle, ni en elle.


J'ai eu tout particulièrement à lutter contre ce défaut : je
sais tout ce qu'il apporte de difficultés à l'Éducation;j'ai
dû le combattre tout à la fois dans les enfants et dans les
maîtres.


J'avais une année, dans un des séminaires que j 'ai diri-
gés, parmi des maîtres excellents, plusieurs jeunes profes-
seurs, bons, mais trop jeunes d'âge et de caractère, légers
pour leur compte et aussi pour le compte des enfants, légers
d'esprit et de cœur, qui n'avaient pas assez compris la gra-
vité de leur mission, ni toute l'importance de leurs devoirs.


J'avais aussi des enfants de la même trempe, qui ne pre-
naient plus rien au sérieux dans leur Éducation ni dans
leur vie. Je pus craindre un moment que l'esprit de légè-
reté ne s'introduisît dans la maison, el alors c'en était l'ail
de tout le reste.


Je dus donc insister sur ce défaut capital, et faire sur
cette matière, à l'adresse de tous ceux qui avaient besoin
de m'entendre, plusieurs entretiens, où je m'appliquai àfaire
comprendre les misères et les dangers de la légèreté.


11 importe souverainement, en effet, que les enfants le
sachent bien : ce défaut, le plus commun à leur âge, et aussi
trop souvent le plus excusé, n'en est pas moins un défaut
fatal, et peut, s'il persiste, si on ne le combat, ruiner non-
seulement l'enfance, mais toute la vie.


Il faut de plus que, de leur côté, les hommes chargés de
l'œuvre si grave de l'Éducation comprennent tout ce qu'elle
a d'incompatible avec la légèreté de l'esprit et du caractère,
tout ce qu'elle demande de gravité et de sérieux.


Je l'ajouterai enfin, il faut que les parents aussi sentent
bien tout ce que cette dignité de père et de mère réclame
de maturité dans ceux qui la portent, et qu'elle ne peut re-
poser avec sécurité sur des têtes légères.




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ.


1


Je dis donc qu'il y a chez l'enfant une sorte de curiosité
avide et inquiète, ouvrant à tout son œil et ses désirs, et que
caractérise exactement le nom de concupiscentia oculorum.


C'est l'ouverture des yeux et de l'âme à tout ce qui du de-
hors attire et séduit ; c'est toute légèreté, toute propension
indiscrète et sans retenue à tout voir, à tout connaître, à
tout posséder, à jouir de tout : c'est une curiosité sans frein,
pour le mal comme pour le bien, une cupidité passionnée ;
et c'est par la que ce vice rentre dans l'amour du plaisir : aussi
les moralistes disent-ils avec raison que la concupiscence des
yeux touche de près à la concupiscence de la chair.


Qui ne l'a observé? même chez les enfants les plus inno-
cents, l'amour de la dissipation et du plaisir est ordinaire-
ment très-vif : ils veulent tout regarder, tout entendre, tout
savourer, tout sentir.


Cet amour du plaisir, de la. jouissance, se trahit d'abord
par l'amour du jeu, par la passion de l'amusement, qui est
quelquefois chez eux une fureur. C'est un premier et vrai
danger, et il faut y prendre garde. Mais ce qui est plus re-
doutable, c'est le plaisir des yeux, et l'envie de tout voir ;
le plaisir des oreilles, et l'envie de tout entendre ; le plaisir
du goût, et l'envie de goûter de tout. Il est très-dangereux
pour un enfant, pour un jeune homme, de laisser ainsi sou
âme, non-seulement accessible à toutes les séductions, mais
comme tendue passionnément vers elles. A un certain âge
surtout, lorsque l'homme commence à s'initier aux secrets
de la vie, l'amour des choses visibles peut, si le jeune
homme n'y veille avec une attention sévère, faire pénétrer
en lui mille tyrans aussi vils qu'impérieux.


Dès lors il aura perdu tout empire sur lui-même, il sera




472 L1V. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


dépossédé de son âme, et entraîné dans un tourbillon d'illu-
sions, dont il ne cessera d'être le jouet, que pour tomber
dans un vide affreux, après les plus tristes mécomptes,
après que vertu, devoir, travail, carrière, tout aura été sa-
crifié !


Cette cupidité passionnée, cetteavidité de tout voir, ce goût,
cette habitude de vivre et de se jeter toujours au dehors,
engendre d'ordinaire une mobilité sans bornes, une dissipa-
tion éternelle, qui emporte les moments, les heures, les
jours, toute la vie d'un jeune homme. Cet amour du plaisir,
— quand il n'est pas seulement le besoin du mouvement,
comme chez lesjeunes enfants,—s'il n'estpas la source même
des vices, en est au moins très-souvent comme la porte et
l'entrée. « 11 ouvre l'âme, dit Fènelon, comme une place
« démantelée, à toutes les attaques de l'ennemi. »


Lorsque ce défaut n'a pas pour contre-poids un certain fond
de raison sérieuse, quand ce n'est pas seulement une fai-
blesse de l'âge, qui s'en ira avec les années, mais un vice
inhérent à la nature, au caractère, il est extraordinairement
redoutable.


Ce n'est pas là , je le sa is , l'idée qu'on s'en fait toujours :
on se trompe quelquefois, et bien tristement, à cet endroit.


Comme ce défaut paraît être plutôt celui de l'âge que de
l'enfant, et qu'il accompagne assez souvent des qualités
aimables ou brillantes, on espère qu'il passera, et en atten-
dant on l'excuse, et on se fait illusion sur ses graves con-
séquences.


Certes, Fénelon ne pensait pas delà sorte, quand il disait
que la légèreté éteint toute piété, rend incapable de toute
application sérieuse, et dissipe toute vertu.


Pour moi, je connais peu de vices plus dangereux et qui
aient besoin d'être plus sérieusement combattus : quand la
légèreté devient persistante, c'est un des plus terribles obs-
tacles à l'Éducation et quelquefois la ruine de toute une vie.




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ. 473


La vérité est qu'il n'y a rien à faire pour les êtres légers,
ni par les êtres légers.


11 demeure bien convenu que je distingue les petites légè-
retés du jeune âge, de ce défaut essentiel et fondamental qui
s'appelle la légèreté. La légèreté ainsi entendue est chose si
grave à mes yeux, que s'il était permis de prononcer qu'il y
a des enfants incapables d'être élevés, je dirais sans hésiter
que ce;sont les enfants légers. Et comment voulez-vous
élever de pareilles natures? Tout le travail de l'Éducation,
tous les soins les plus habiles, sont ruinés d'avance par ce
malheureux défaut, qui fait, comme je l'ai dit, que tout glisse
à la surface et que rien ne pénètre au fond. Que dis-je, au
fond? il n'y en a pas, de fond. Une âme légère, c'est une
âme ouverte de tous les côtés et fermée nulle part : le fond
manque. Vous avez beau y déposer les meilleures choses :
c'est un crible : tout y passe et rien n'y reste. Un enfant
léger ne garde rien, ne peut rien, n'entend rien : que vou-
lez-vous qu'on fasse avec un tel enfant?


Il n'en est pas ainsi des autres défauts. On peut les atta-
quer de front et les dompter de haute lutte. L'orgueil, on
l'humilie, on le transforme, on en fait même quelquefois une
force pour le bien. Il y a prise aussi sur la mollesse ; elle
peut être combattue ; mais une âme légère, mobile, fugitive,
n'est-elle pas pour ainsi dire insaisissable?


Voilà pourquoi la légèreté est si redoutable, et compromet
terriblement, si on la néglige, si on la laisse subsister,
l'œuvre de l'Éducation. Avec elle, en effet, toute correspon-
dance de l'enfant à vos meilleurs soins est impossible, et
tous vos efforts demeurent frappés de stérilité.


L'inattention, l'irréflexion, l'inconstance, l'étourderie en
toutes choses, sont les suites lamentables de ce défaut.


Qui n'a remarqué à quel point les disparates de la con-
duite sont prodigieuses dans l'enfant léger? On le voit
donner à chaque instant le spectacle des plus étonnantes




4 7 4 U V . 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


variabilités, des changements les plus brusques, les plus
inattendus.


Aujourd'hui bon, demain mauvais; aujourd'hui sage, de-
main repris par la dissipation; aujourd'hui fervent, demain
tiède et lâche ; aujourd'hui dans le ciel, demain peut-être
dans l'enfer.


Il y a certaines époques de l'année où l'atmosphère est in-
constante et le temps variable : le vent change vingt fois par
jour; à la pluie tout à coup succède le soleil, puis bientôt
reviennent les nuages ; on ne sait que dire de ce temps :
l'expérience la plus consommée est en défaut. Ainsi en est-il
d'un enfant, d'un homme léger; on ne peut jamais savoir
l'instant d'avant ce qu'il sera, ce qu'il fera le moment
d'après. Tout à l'heure, il était d'une gaîté folle ; maintenant
le voilà triste et sombre à l'excès : qu'est-il arrivé ? Je ne
sais quelle pensée a traversé sa tête, et voilà un nuage sur
son front ; bientôt le tonnerre éclatera, avec un torrent de
pluie ; mais cette émotion passera vite ; rien n'est profond
dans une âme légère ; l'instant d'après, vous le verrez se
jeter dans une joie étourdie.


Une pauvre âme, livrée à la curiosité, à la légèreté, est
vraiment comme les flots de la mer, livrée à tous les vents.
On comprend sans peine que rien de fixe, rien de sérieux
n'est possible en une telle âme. Pas un germe de vertu, pas
un principe n'y peut prendre ; ce n'est pas seulement une
terre molle, un sable mouvant; c'est la mobilité de l'onde.


Plantez un arbre dans la mer : il n'y prendra pas racine
assurément, et ne vous donnera pas de fruits.


Fatale à l'étude, fatale à la vertu, fatale à l'avenir, voilà
donc cette légèreté de l'enfance qui ne vous cause aucune in-
quiétude, parents ou maîtres imprudents, et que peut-être
même vous trouvez aimable et digne de toute indulgence.


Vous prétendez faire étudier un enfant léger ! mais quels
progrès voulez - vous qu'il fasse ? Il n'écoute pas, iie réflé-




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ. 475


chit pas, ne saisit et ne retient rien : toutes vos explications,
toutes vos leçons pour lui tombent à terre.


Et quels progrès fera-t-il dans la vertu?La vertu, c'est la
force, c'est la constance : une telle nature est incapable d'ef-
forts, et surtout d'efforts persévérants. Sa vertu, s'il en a, ne
va que par saillies et saccades. Il peut avoir des élans vers le
bien, mais bientôt il retombe dans la mobilité et la vulgarité
de sa conduite habituelle. Ses bonnes résolutions ne se sou-
tiennent pas : elles s'évanouissent à la première occasion. La
vertu réside dans l'âme, dans les profondeurs de la volonté ;
mais, selon la parole de l'Évangile, tout est à la surface, rien
n'est enraciné dans un enfant léger : Non habet radicem, sed
est temporaneus : il n'a aucune racine, et tout en lui est éphé-
mère.


Et en même temps, la puissance de déperdition dans les
âmes légères est effrayante : ce qu'elles peuvent dilapider des
dons de Dieu, des grâces, des facultés reçues, des moyens
naturels et surnaturels, ne se peut dire.


C'est bien à ces tristes natures qu'il faut appliquer la parole
de saint Bernard : « Vases pleins de fissures, qui laissent tout
échapper : » Pleni rimarum,, undequaque diffluimus.


Quel avenir sérieux peut se préparer dans ces conditions,
et qu'il est douloureux devoir ces pauvres enfants s'en aller,
avec le sourire sur les lèvres et je ne sais quelle gaîté insou-
ciante dans le cœur, à la perte de leur vie, et de leur avenir
éternel peut-être !


Ah ! vous riez, vous plaisantez sans cesse, infortuné jeune
homme, qui abusez aiDsi des dispositions les plus heu-
reuses, perdant tous les jours le temps le plus précieux
de votre vie à des frivolités, à des bagatelles, quand ce
n'est pas à des fautes! Et cependant votre Éducation ne se
fait pas, vos défauts se fortifient; vos vertus se perdent, votre
piété s'éteint, les grâces tarissent, le temps s'écoule, le
royaume de Dieu vous échappe : où allez-vous?




476 LIV. III- — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


Et Dieu cependant avait des desseins sur vous ! peut-être il
vous avait donné une haute vocation : qu'est-elle devenue ?
Ah! vous iriez, et moi je pleure ; je pleure sur l'abus des
dons de Dieu, sur la dissipation des grâces, sur l'amoindris-
sement douloureux de votre âme et de votre vie! je pleure
sur un homme perdu. Oui, vous eussiez pu devenir un
homme, un ouvrier de Dieu dans la société ou dans l'Église,
et vous ne serez jamais qu'un être vain, vulgaire, qu'une
médiocrité inféconde et stérile : ah! vous ferez banque-
route à Dieu et à vous-même ! y a-t-il un plus grand malheur
au monde ?


Il


Le grand mal des jeunes gens, c'est de ne pas se mettre
assez en présence de l'âge mûr, de ne pas songer assez
qu'un jour ils doivent être des hommes, et que l'homme
aura, et longtemps, toujours peut-être, a souffrir des fautes
de l'enfant ; et le grand tort des parents et des maîtres, c'est
de ne pas assez montrer aux jeunes gens l'avenir, la vie,
avec son sérieux, ses labeurs, ses devoirs, ses périls.


Vainement dit-on : La légèreté n'a qu'un temps ; elle passe,
ce n'est qu'une affaire de patience, attendons. C'est là une
grande erreur. Sans doute, la légèreté est surtout un défaut
de l'enfance : en y mettant de la suite, on peut la corriger,
et l'âge y aidera beaucoup ; mais l'âge ne la corrigera pas
tout seul. La légèreté, quand on n'y met pas la main sérieu-
sement, se fortifie par l'habitude, se change en seconde
nature, et alors on l'emporte à travers la vie, et on ne s'en
délivre plus. Un enfant léger, s'il ne se corrige pas dans
l'enfance, deviendra un homme léger , plus incorrigible
encore ; et rien ne sera plus désastreux.


Car, qu'est-ce qu'un homme léger? est-ce un homme élevé?
est-ce même un homme? mérite-t-il qu'on lui donne ce nom?




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ. 477


C'est un magistrat peut-être, c'est un prêtre, c'est un père de
famille; mais s'il est le jouet d'une inconstance et d'une mo-
bilité perpétuelle, s'il ne se pose en rien, et change sans
cesse; s'il ne se ressemble jamais à lui-même, s'il n'est ja-
mais le lendemain ce qu'il a été la veille : que dis-je? s'il va-
rie d'heure en heure, de moment en moment : qui peut, en
quelque chose, compter un instant sur lui ?


Eh bien ! il y a des hommes qui sont ainsi toute leur vie,
parce qu'ils sont restés ainsi dans l'enfance ; inattentifs, ir-
réfléchis , capricieux, mobiles, sans fixité ni consistance :
semblables à la feuille que le vent balaye, ou au flot que
pousse le flot, ou à l'oiseau que le caprice de l'aile em-
porte.


Je le demande : sont-ce là des hommes? et la légèreté qui,
après avoir ruiné l'Éducation et l'enfance, peut ruiner ainsi
toute la vie, est-ce une chose à négliger ? ou plutôt n'est-ce
pas pour la vie entière un des dangers les plus menaçants ?


Car enfin, qu'est-ce qu'une telle vie? qui la gouverne? est-
ce l'homme léger qui gouverne sa vie? Non, elle est gouvernée
du dehors, par les choses, par les mille incidents de chaque
heure: ou plutôt, elle n'est pas gouvernée, elle est poussée,
ballottée à l'aventure ; un tel homme, encore une fois, est un
jouet, jouet inconsistant et fragile de tout et de tous; on
l'a comparé, et non sans raison, à un pantin qui s'agite au
gré de je ne sais quel fil mû par une main étrangère.


Quelle dignité, quel honneur peut-il rester là? où est la
gravité, le sérieux, la contenance, la fermeté, où sont
les ancres ? où est le gouvernail ? quel fond faire sur un
tel homme? Compter sur lui, fonder quelque chose par lui,
c'est compter sur le vent, c'est bâtir sur l'eau ou le sable ; le
compter lui-même pour quelqu'un, lui demander la ré-
flexion, la prévoyance, la suite, la forte volonté, une persé-
vérance quelconque, ce serait le prendre pour un homme,
et il n'est, hélas ! qu'un enfant.




4 7 8 M V . III. — DE L 'ENFANT ET DE S E S D É F A U T S .


L'Écriture sainte parle quelque part d'un enfant de cent
ans : Puer centum annorum. Eh bien ! oui, il y a des hommes
qui, même dans la maturité de l'âge, même avec des cheveux
blancs, ne sont pas encore sortis de l'enfance, sont toujours
des enfants par la légèreté, l'irréflexion, la mobilité, le ca-
price, la faiblesse et l'inconsistance du caractère : Puer cen-
tum annovum. L'Écriture ajoute un mot terrible : Puer cen-
tum annorum PERIBIT : l'enfant de cent ans PÉRIRA !


Oui, il périra : les périls auxquels expose la légèreté du ca-
ractère sont effrayants et sans nombre ! périls pour l'honneur
et la dignité de la vie, périls pour l'âme ; périls pour soi, pé-
rils aussi pour les autres, si on a à conseiller ou à conduire
les autres. Un homme léger n'apprécie rien à sa valeur;
il traite légèrement les choses les plus graves, même les
plus saintes ; il badine, il rit follement de tout.


Voyez-le! il a raillé un tel homme, une telle action, une
telle vertu. Savait-il bien ce qu'il faisait, ce qu'il disait? Non ;
mais néanmoins, il l'a dit et il l'a fait. Tl a jeté en l'air cette
parole satirique, cette raillerie, ce sarcasme : a-t-il prévu
quelle en serait la portée? sait-il bien que cette parole va
peut-être, comme un dard acéré, percer un cœur qu'il aime,
discréditer une personne qu'il estime, compromettre une
œuvre à laquelle il s'intéresse; que sais-je? scandaliser
peut-être et perdre une âme ?... Non, il n'y a pas pensé, mais
néanmoins la parole a été dite, et elle fait son ravage.


Que d'accidents et de malheurs dans le monde, qui sont la
suite de l'irréflexion, de la légèreté ! On dit après : « Je n'y
avais pas songé !» Eh ! c'est précisément là votre mal ! Est-ce
qu'il ne faut pas songer aux choses ? qu'est-ce qu'un homme
qui ne songe à rien? et pourquoi l'intelligence, la raison,
la réflexion, vous ont-elles été données?


Il n'est pas nécessaire que la légèreté soit au service de la
méchanceté pour être désastreuse : elle se peut rencontrer
dans des âmes bien douées d'ailleurs; maiselley entrave, elle




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ. 479


y paralyse, elle y ruine quelquefois les meilleurs dons ; et
quand elle vient à la traverse des grandes choses, ou des
choses tendres et pures, des bonnes affections, rien n'est
plus déplorable et plus triste à voir. De la légèreté, souvent
sans malice intime, naît je ne sais quel esprit badin et mo-
queur, qui empêche l'attention sérieuse et la pénétration
profonde de l'âme à l'endroit des choses qui ont le plus be-
soin d'être senties et goûtées profondément. Je dis sans ma-
lice, je me trompe ; car cette légèreté accuse nécessairement
un certain vice de l'âme, un certain défaut du cœur. Un meil-
leur cœur, une âme plus ferme, plus élevée, n'aurait j>as une
telle légèreté.


On ne peut jamais, non, jamais être rassuré sur le compte
d'un homme léger: on doit trembler à chaque instant de lui
voir faire quelque solennelle sottise. Pour un tel homme,
rien n'est si vite fait qu'une sottise. L'irréflexion, la précipi-
tation , un moment d'humeur, un caprice, un emportement,
le poussent sans cesse à des démarches indiscrètes, impru-
dentes, dont il n'a pas calculé les suites; et puis bientôt il
s'aperçoit qu'il est témérairement engagé, qu'il a fait fausse
route, qu'il s'est mis dans un mauvais pas; il le voit, mais
il y est, le mal est fait. Il passait pour bon prêtre, et un mo-
ment d'oubli a suffi pour lui faire perdre sa réputation, les
fruits de son ministère, la confiance publique. Il fallait ré-
fléchir, calculer, prévoir : où ira cette parole? où me con-
duira cette démarche, cette liaison, cette camaraderie, cette
habitude? Mais la maxime de la sagesse antique : In omni-
bus réspice finem, semble n'exister pas pour les âmes légè-
res : incapables de réflexion comme de prévoyance, comme
de résistance, elles vont à l'aventnre ; elles suivent une im-
pulsion; elles se livrent à une fantaisie, à un entraînement,
à une ivresse; et les voilà, accumulant imprudences sur
imprudences, témérités sur témérités, folies sur folies! On
dirait d'un insensé qui va en reculant et en dansant sur le




480 L1V. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.]


bord d'un précipice, ou qui se balance sur une escarpolette
suspendue par ûn fil au-dessus d'un abîme. Un élan semble
l'élever au ciel, soudain il retombe de tout son poids vers
l'abîme : ce jeu terrible ne saurait durer longtemps. La tête
tourne, il tombe, et dans quel gouffre ! c'est l'histoire d'une
infinité de jeunes gens, et d'hommes.


Confiez-vous une affaire sérieuse à un homme léger,
craignez tout ! Il la compromettra par mille inadvertances,
et la fera manquer infailliblement. Un homme léger ne sait
pas ce que sont les responsabilités ; il ne voit pas ce que
réclame un grave intérêt dont il est chargé, ce qu'il lui doit ;
et, au lieu de sacrifier à la chose sérieuse qu'il a à faire,
d'autres choses qui importent moins, il sacrifiera tout ce qu'il
y a de plus sérieux à des inutilités. Ah ! l'homme grave,
l'homme qui comprend la portée des choses, et les traite se-
lon leur portée ; qui sait ce que c'est que d'avoir un mandat,
une mission, d'être investi d'une confiance, et quelle discré-
tion, quelle attention, quelle diligence, souvent même quels
sacrifices réclament les grandes affaires de la vie, voilà
l'homme sur qui on peut compter; mais qu'on ne compte
jamais sur une âme légère, qui n'attache pas aux choses l'im-
portance qu'elles méritent, et qui ne sait les traiter ni avec
la discrétion et la délicatesse, ni avec l'application, la promp-
titude, la suite et le dévoûraent nécessaires.


Et si l'homme léger se mêle de conduire les autres, quel
péril ! Or, il arrive malheureusement que les hommes de ce
caractère, par suite même de leur légèreté, et de cette habi-
tude où ils sont de ne pas regarder le sérieux des choses, de
ne point peser la gravité des devoirs, incapables de se con-
duire eux-mêmes, ont néanmoins la manie de s'ingérer dans
la conduite des autres, conseillent intrépidement, décident
d'un ton tranchant, avec autant d'aplomb que d'ignorance,
et prennent en main le gouvernail, sans se défier en rien
d'eux-mêmes, sans se douter même des difficultés. Quels




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ. 1 8 1


guides! Malheur, dit l'Écriture, à la ville dont le prince est
un enfant : Vœ civitati cujus rex puer est !


C'est un pilote insensé, qui, au lieu de la boussole, con-
sulte la girouette du vaisseau ; qui, au lieu de se diriger
d'après le cours régulier des astres, regarde les feux follets
du rivage, se règle sur des météores brillants, mais irrégu-
liers, éphémères, et ne peut éviter de faire un triste nau-
frage.


Et si cette légèreté se rencontre dans un homme chargé de
conduire les âmes, quel plus grand malheur encore ! Ah ! que
la jeunesse sacerdotale surtout le sache bien, que ceux qui
sont chargés de son Éducation ne le lui laissent pas ignorer,
les légèretés du jeune âge suivent l'homme dans toute la
vie, et on les porte partout avec soi. Le prêtre, s'il est né
avec cette faiblesse morale, et si une forte Éducation cléri-
cale ne l'en a pas délivré, la portera dans les fonctions de
son sacerdoce, dans ses rapports les plus délicats avec les
hommes, et dans ce redoutable ministère même dont il est
dit : Ars artium regimen animarum. Quel pasteur, hélas !
et quel directeur des âmes il sera!


Voilà où peut conduire la légèreté de caractère !
Et ce qu'il y a de terrible pour les hommes de cette trempe,


c'est que le tort qu'ils se font à eux-mêmes, et le tort qu'ils
font aux autres, ils l'ignorent ; les fautes qu'ils accumulent,
les malheurs qu'ils causent, ils ne s'en doutent même pas.
Par la déplorable habitude qu'ils se sont faite de traiter tout
légèrement, même leur âme, leur conscience, leurs affaires
et leurs devoirs, et dé ne jamais se regarder, s'interroger
sérieusement eux-mêmes, ils peuvent se trouver dans le plus
triste état devant Dieu, et chargés des plus redoutables res-
ponsabilités sans le savoir !


Comme aussi, dans la vie, ils peuvent se laisser pousser,
entraîner très-loin, là où ils n'auraient jamais voulu aller,
si à l'origine ils avaient prévu les conséquences. La légèreté


i... m. 31




482 L1V. III. — DE L'EKFANT ET DE SES DÉFAUTS.


est ordinairement la dupe et l'esclave de la malice d'autruL
qui s'en sert pour ses fins ; c'est l'instrument, mais l'instru-
ment coupable, plutôt que la cause première des crimes.
On croit quelquefois que les malheureux qui ont donné de
grands scandales, sont toujours des âmes perverses, des
scélérats ; eh bien ! non. Souvent, ce ne sont que des âmes
légères et faibles, qui se sont trouvées dans des occasions
délicates avec de grandes passions immortifiées, ou qui
ont été entraînées par d'autres. Dans notre grande révolu-
tion, bien des forfaits célèbres ont eu pour auteurs des têtes
légères, dirigées par des monstres. Le pire des caractères,
c'est de n'en point avoir.


On fait d'un homme léger tout ce qu'on veut, excepté un
homme sage.


En général, il est juste de dire que l'homme est encore
plus faible que corrompu ; il a presque toujours plus de
légèreté que de malice. Croyez-vous que, sans sa terrible
légèreté, ce jeune homme eût commis cette faute énorme ?
Non, il a le cœur trop bon, l'esprit trop droit ; mais il n'a pas
réfléchi, et n'a pu résister. Croyez-vous de même que ce père-
cette mère de famille, cet homme honorable, ce magistrat,
ce prêtre, sans l'irréflexion, sans la légèreté, fût tombé
dans ce déplorable oubli de lui-même et de ses devoirs?
Non, mille fois non, jamais! Funeste légèreté donc, qui
conduit les hommes là où ils ne voudraient pas aller ! qui
fait le malheur des familles, la honte de la vie, le déshonneur
de la religion ! funeste légèreté, qui perd plus d'hommes
que la méchanceté même !


Car, il faut le dire, quelque légère et superficielle que soit
une âme, il y a quelque chose de tristement profond en
elle, c'est la racine indestructible des trois grandes concu-
piscences. La légèreté peut les couvrir, mais elles sont là, et
d'un moment à l'autre peuvent éclater ; c'est ainsi qu'on voit
les terres molles et légères couvrir et receler, sous des fleuri.




CH. XI. — LA LÉGÈRETÉ.


éphémères, des cloaques infects et des volcans embrasés.
Ce redoutable péril doit être conjuré, et à tout prix, par


l'Éducation ; signalé et combattu de toutes manières par ceux
qui ont la tâche d'élever des hommes pour la société et
pour l'Église. C'est à quoi du reste la règle d'une maison
d'Éducation, je suis bien aise de le faire remarquer, est mer-
veilleusement propre ; car c'est la règle qui retient et qui
maintient; c'est la règle qui fixe ces mobiles natures, qui
les accoutume à l'effort, qui les oblige à s'observer, à se
vaincre ; qui leur donne de l'ordre, de la suite, de la cons-
tance, de l'aplomb, du sérieux. Mais plus encore que la rè-
gle, la piété, la ferveur chrétienne est souverainement effi-
cace ici. En effet, la piété solide donne aux âmes légères des
habitudes capables de contre-balancer et de neutraliser, au
moins en partie, ce terrible défaut : à savoir, des habitudes
de réflexion et des habitudes de mortification. Par là, par
les idées sérieuses qu'une pratique sincère de la piété
inspire, et par les efforts qu'elle provoque et qu'elle sou-
tient, sont comblées les deux grandes lacunes qui donnent
place dans une âme à la légèreté. Et c'est ainsi que, la
piété, 'sans cesse nous avons à le constater, est en toutes
choses la plus grande ressource de l'Éducation : Pietas ad
omnia utilis est.


Mais, pour employer et soutenir ces deux grands et puis-
sants moyens, pour aider à l'observation constante de la
règle et entretenir la piété fervente, ce qu'il faut encore
ici et par-dessus tout, ce sont les soins attentifs, assidus,
paternels des maîtres. Car, si on ne les suit attentivement,
livrées à elles-mêmes, ces pauvres natures d'enfants ne pro-
fiteront de rien.


Et d'un autre côté, s'il m'est permis de le dire, un motif
tout particulier réclame pour les enfants légers ces soins
spéciaux. Ils sont dangereusement malades, mais leur ma-
ladie a quelque chose de moins repoussant que celle de l'or-




484 L1V. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


CHAPITRE XII
Du mauvais esprit dans une bonne maison d'Éducation.


Le mauvais esprit est l'ennemi le plus redoutable de l'Édu-
cation. Nous l'avons déjà rencontré et combattu, sous
d'autres noms, dans tout le cours de cet ouvrage, parce
qu'en effet il se rencontre partout. Bien qu'il ait un nom
propre et qu'on puisse le définir, il est multiple, et, comme
ce démon dont parle l'Évangile, il s'appelle légion : il ras-
semble et résume en lui tous les plus graves défauts des en-
fants, tous les obstacles les plus sérieux à l'œuvre de l'Édu-
cation. Il faut donc, dans un livre où nous avons essayé
d'aller au fond des difficultés radicales de cette grande œu-
vre, ne pas finir sans combattre le mauvais esprit de front
et sous son nom propre, et le signaler à toute la vigilance
des instituteurs de la jeunesse.


gueil hautain ou de la honteuse sensualité. Classe de ma-
lades la plus intéressante et la plus aimable, plus à plaindre
encore qu'à blâmer, je ne sais quel intérêt plus tendre s'at-
tache à ces âmes qui s'en vont légèrement et en folâtrant
à leur perte. Que les soins les plus affectueux et les plus
constants leur soient donc toujours prodigués, et ces soins,
on aura la consolation de le voir souvent, ne seront pas
inutiles.




CH. X l l . — DU MAUVAIS ESPRIT. 485


I


On pourra s'étonner d'abord du titre de ce chapitre, et
demander pourquoi je traite du mauvais esprit, non dans
une mauvaise, mais dans une bonne maison d'Éducation.
Est-ce donc là qu'on le rencontre et qu'il a sa place ?


Ma réponse est facile : il ne peut être ici question d'une
mauvaise maison d'Éducation. Qu'un mauvais esprit se
trouve dans une mauvaise maison, c'est chose toute simple ;
c'est même là précisément ce qui fait qu'une maison ne
vaut rien. Il n'y a pas là d'ailleurs un autre esprit qui fasse
ressortir le mauvais, et permette qu'on en soit particuliè-
rement frappé. Dans une bonne maison au contraire le mau-
vais esprit se remarque, parce qu'il y a là un bon esprit avec
lequel le mauvais tranche et fait contraste.


Mais est-il donc possible, dira-t-on, que le mauvais esprit
existe dans une bonne maison ? Il est non-seulement pos-
sible, mais à peu près inévitable que le mauvais esprit se
glisse et se montre de temps à autre^en quelque enfant et
de quelque manière, dans les meilleures maisons d'Édu-
cation, parce qu'il tient à la nature même des enfants, et au
fond corrompu du pauvre cœur humain. Seulement, tandis
que, dans une mauvaise maison, il est général, habituel et
dominant, dans une bonne maison, il est individuel, acci-
dentel, et dominé par le bon esprit général : voilà la diffé-
rence.


Or, nommer le mauvais esprit, pour quiconque a l'expé-
rience des maisons d'Éducation, c'est exprimer d'un mot
tout ce qui se peut concevoir de plus désastreux et de plus
redoutable ; comme aussi nommer le bon esprit, c'est faire
entendre tout ce qu'il y a dans une maison de plus précieux.


Qu'est-ce en effet que ce qu'on appelle le bon ou le mau-




486 L1V. III. — DE L'ENTANT ET DE SES DÉFAUTS.


vais esprit d'une maison ? C'est l'esprit qui règne dans les
habitudes, dans les sentiments, dans la manière d'accepter
les règles, de faire les choses, et qui domine, inspire tout ce
qui se dit, tout ce qui se fait : c'est le moteur, c'est l'inspira-
teur de toute la conduite. Et voilà pourquoi, s'il est bon,
c'est l'inspirateur de tout bien, et s'il est mauvais, l'inspira-
teur de tout mal.


Quand l'esprit d'une maison est bon, tout va sans peine et
comme de soi. Un bon esprit, c'est comme un bon air : dans
un pays où l'air est excellent, les santés sont florissantes;
les tempéraments faibles eux-mêmes se fortifient : un bon
esprit, c'est la santé, c'est la vie d'une maison. Un mauvais
esprit, c'est exactement le contraire; aussi, décrire avec
quelque détail le bon esprit, ce sera avoir déjà défini le mau-
vais par son contraste.


Or, le bon esprit se trouve merveilleusement défini parles
traits dont saint Paul peint la charité évangélique et chré-
tienne ; car il a sa vraie source dans la bonté et dans la bien-
veillance du cœur. Nous dirons donc de lui comme de la cha-
rité, qu'il est bon, doux et affectueux : Il aime le bien, il veut
le bien : Benigna est.^l ne pense pas, il ne cherche pas le mal ;
Non cogitât tnalum. Il ne s'en réjouit pas, il ne s'en empare
pas contre ses frères ou contre ses maîtres ; Non gaudet
super iniquitate. Il se réjouit du bien au contraire: tout ce
quiestvraimentbon, pur, aimable, il l'aime et y applaudit :
Congaudet autem veritati. Il regarde toutes choses du bon
côté, disposé à donner à tout une interprétation favorable. Il
accepte toute direction, toute mesure, sans critiquer, sans
murmurer, avec une simplicité docile : Omnia suffert. Il croit
à la parole d'un Supérieur, aux bonnes intentions, au bon
vouloir, à l'affection, au dévoûnient : Omnia crédit, omnia
sperat. 11 a de candides espoirs, de touchantes confiances,
de sincères ouvertures, de naïfs épanchements. Point de dé-
pit concentré ou de vive colère : Non irritatur; -point d'âpres




CH. XII. — DU MAUVAIS ESPRIT. 487


rancunes, d'âpres envies, d'âpres égoïsmes: Non quœrit quœ
mia sunt. Point de rivalités jalouses : Non œmulatur; point
de voies tortueuses, d'hypocrites bassesses, de sourdes
menées : Non agit perperam ; point de suffisance, de préten-
tions, d'orgueil misérable: Non inflatur. Et ses fruits,comme
ceux de la charité, sont la paix, la douceur, l'union, la bonne
harmonie.


Aussi, l'esprit d'une maison, le bon esprit dans une niai-
son, est-ce tout ce qu'il y a pour elle de plus précieux, et
tout ce qu'un Supérieur doit travailler le plus à conserver.
C'est pour une maison le résumé de son passé, et c'est aussi
la garantie de son avenir ; c'est le résultat des plus pures
inspirations et des constants efforts du fondateur et de ses
successeurs, de ceux qui ont créé et perpétué l'œuvre ; car
nulle maison ne se fonde et ne dure que par son esprit, et
par un bon esprit; et comme c'est la cause de la prospérité
passée, c'est aussi le gage de la prospérité à venir. Une
maison fleurit, quand le bon esprit qui l'a fondée s'y perpé-
tue ; elle décline quand cet esprit s'altère ; elle est perdue
quand cet esprit se ruine.


Il faut toutefois le remarquer ici : comme il n'y a pas qu'une
seule et unique manière de faire le bien, il n'y a pas non
plus qu'une seule manière d'être, pour une bonne maison,
et qu'un seul bon esprit possible. Il y a des esprits divers,
et diversement excellents. Mais quelles que puissent être les
différentes nuances du bon esprit dans une maison d'Éduca-
tion, toujours, pour que cet esprit soit bon, il y faut : l'esprit
de foi, de piété sincère, de religion : c'est l'esprit le plus dé-
sirable: — l'esprit de travail, l'esprit d'émulation, l'esprit des
études sérieuses, qui ne vaut pas l'esprit religieux, mais qui
en est l'accompagnement et le soutien indispensable : — l'es-
prit de raison, de bonne Éducation, avec lequel on fait les
choses non par contrainte, mais par conscience et par hon-
neur. C'est encore un très-bon esprit, et qui s'allie admira-




4 S 8 M V . III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


blenient avec l'esprit de foi, lequel est le plus haut degré de
la raison élevée par la grâce. — Il y faut enfin l'esprit de
simplicité, de docilité, de confiance, de respect affectueux :
esprit admirable, et qui donne, pour l'Éducation de l'âme et
du cœur, un avantage et une supériorité immense aux mai-
sons où cet esprit règne, parce qu'il en fait de vraies famil-
les ! On doit veiller sur la conservation de cet esprit comme
sur la prunelle de ses yeux.


Le bon esprit avec toutes ces qualités, et sauf ses nuances,
peut être dominant dans une maison, à l'origine : mais avec
le temps, hélas ! si on n'y veille, peu à peu cet esprit s'altère.


II


Comment s'altère l'esprit d'une maison ? comment le mau-
vais esprit parvient-il à s'y introduire et s'y implanter? Cela
a lieu de plus d'une manière, et bien des portes peuvent
donner entrée au mal.


Le mauvais esprit vient souvent du dehors, par l'admission
d'enfants plus âgés, ou qui sortent d'une autre maison : il
vient aussi du dedans et peut y naître de lui-même, et d'ha-
bitudes qu'on laisse prendre insensiblement.


Une maison a son esprit, ses traditions, ses courants
d'idées, ses manières de voir, d'accepter les choses : es-
pèce d'atmosphère, où sont plongés sans peine et dont s'im-
prègnent de suite les jeunes enfants qui arrivent neufs, pour
ainsi dire , de leurs familles : mais ceux qui sont venus plus
âgés, et dont l'éducation a été commencée ailleurs, acceptent
quelquefois plus difficilement l'esprit de la maison. Il arrive
parfois aussi qu'on est obligé de recevoir avec indulgence,
par égard [pour des parents honorables, certains enfants
douteux : il est si pénible de refuser à un père, à une mère,
dignes de tout respect, l'entrée de la maison pour leur fils,
contre lequel on n'a d'ailleurs aucun grief positif à articuler,




CH. XII. — DU MAUVAIS ESPRIT. 4 8 9


et de paraître désespérer d'un sujet avant même que d'en
avoir essayé! Mais ces enfants, ainsi reçus, sont bien souvent
loin de partager toute la reconnaissance de leurs parents, et
de sentir la grâce qu'on leur fait en les acceptant. Plusieurs
viennent contraints, forcés, dépités; ils se sentent obligés
par l'esprit de la nouvelle maison à des choses auxquelles ils
n'étaient pas accoutumés, au silence, au travail, à la règle,
au respect ; cela leur est insupportable : et de là, une mau-
vaise humeur concentrée, qui tôt ou tard éclate et dégénère
facilement en mauvais esprit. J'ai connu un enfant que ses
parents avaient dû retirer d'une maison où il faisait un peu
toutes ses volontés, et je n'avais pas eu de raison suffisante
pour refuser de l'admettre dans mon Petit Séminaire. Il y
entra donc, et force lui fut de se mettre au train de tout le
monde, et d'accepter le joug de la règle. On eût pu croire, à
son apparente docilité, qu'il était réellement et au fond con-
verti à la sagesse ; mais voilà qu'au bout de trois semaines,
recevant une visite de sa mère, il lui fit nettement, dans
l'explosion d'un dépit qu'il avait eu bien de la peine jus-
que-là à contenir, la déclaration suivante : « On ne peut pas
rester ici, c'est, — je dis le mot dans sa crudité énergique, —
c'est trop embêtant : on ne peut pas parler à l'étude ! »


Telles sont trop souvent les dispositions de ces enfants :
c'est un germe de mauvais esprit qu'ils apportent avec eux,
qu'ils couvent, et qui est toujours un grand danger pour
une maison.


Il arrive encore que les enfants d'un même pays, d'une
même province, d'une même classe, vont souvent ensemble ;
c'est assez naturel, et difficilement on réussirait à l'empêcher.
Est-ce un mal ? Non sans doute, dans une certaine mesure.
Il est même bon que les enfants d'une même classe, d'une
philosophie, d'une rhétorique, par exemple, aient un certain
esprit de corps, d'où peut naître un louable sentiment d'hon-
neur et d'émulation ; mais le danger est que ces enfants, en




490 LIV. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


se groupant et faisant bande à par t , ne finissent, cela
s'est vu, par prendre une influence excessive sur leurs ca-
marades. 11 y aura telle année, où c'est telle province, telle
classe qui-imposera son esprit à la maison. Si l'esprit est
bon, ce sera très-bien; mais s'il est mauvais, les consé-
quences peuvent être désastreuses. Chaque pays a ses qua-
lités, mais il a aussi ses défauts, lesquels, mis en commun,
auraient des inconvénients très-graves II faut donc qu'un
Supérieur ait l'œil à tout cela, et empêche que ces enfants,
sans cesser de se voir un peu de préférence, ne fassent un
parti et ne dominent.


Le mauvais esprit peut donc être implanté du dehors dans
une maison ; il peut aussi s'y former insensiblement, peu à
peu, et de plusieurs manières : par le défaut de surveillance,
par la liberté laissée aux esprits chagrins, murmurateurs,
par la transgression tolérée de certaines règles, par la fai-
blesse dans les répressions, par des maladresses répétées,
par la négligence à entretenir, à raviver les traditions et
l'antique esprit de la maison.


Quoi qu'il en soit de son origine, qu'est-ce donc enfin pré-
cisément que le mauvais esprit, et comment le définir?
comment le distinguer de tout ce qui n'est pas lui? quelle en
est l'idée vraie et essentielle ? quels éléments multiples le
composent? et quels en sont les ravages possibles?


III


Un mauvais esprit dans un enfant, ce n'est pas un esprit
bouché ; tant s'en faut, car il peut se rencontrer avec de l'es-
prit, et beaucoup d'esprit ;


Ce n'est pas même un esprit faux et de travers : il est cela
quelquefois, mais il n'est pas toujours cela; il peut se ren-
contrer avec un esprit très-juste, très-pénètrant, mais per-
verti ;




CH. XII. — DU MAUVAIS ESPRIT. 191


Ce n'est pas même ce qu'on appelle un esprit, malin : un
esprit malin a de la causticité, la raillerie mordante, le trait
piquant et acéré; mais il y a là plus encore le désir de mon-
trer de l'esprit que le goût du mal : une telle malice peut se
rencontrer dans le mauvais esprit, mais ne le constitue pas;


Un mauvais caractère n'est pas non plus ce qu'on entend
par un mauvais esprit : un mauvais caractère engendre la
brusquerie, la susceptibilité, l'humeur, la rudesse, mais
n'est pas cette perversion radicale, cette malice foncière
qui constitue le mauvais esprit ;


Ce n'est pas même seulement un mauvais cœur : un mau-
vais cœur rend ingrat, bas, méchant; mais le mauvais esprit
n'est là que quand le mauvais cœur arrive, par la dépra-
vation même de l'esprit, à la haine du bien, au prosélytisme
du mal :


Voilà ce qui fait proprement le mauvais esprit. C'est là
son trait caractéristique. Le mauvais esprit, c'est la perver-
sion du cœur, et, par le cœur, perversion de l'esprit et dn
caractère. C'est le cœur, en effet, qui est le siège véritable et
la source première de ce qu'on appelle le mauvais esprit.


Le mauvais esprit suppose la perversité, la dépravation
antérieure, et souvent complète, sinon irrémédiable , du
cœur : et le mauvais esprit existe, quand un cœur perverti
a perverti aussi l'esprit et l'a décidé à faire cause commune
avec lui. La dépravation du cœur est devenue alors la dé-
pravation de l'esprit, et par une réaction inévitable, la dé-
pravation de l'esprit augmente, consacre, systématise la dé-
pravation du cœur, lui donne comme une action régulière,
permanente, en fait un principe de conduite, un système.


C'est non-seulement la pensée, mais le goût de nuire : le
goût précède et inspire la pensée ; puis, la pensée entre-
tient, fortifie le goût, et en devient le guide, l'habileté, l'arme
redoutable.


Aussi quand le mauvais esprit se rencontre avec ce qu'on




492 L I V . I I I . — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


appelle ordinairement de l'esprit; quand c'est un esprit juste
et pénétrant, mais corrompu par un mauvais cœur et au ser-
vice d'un mauvais cœur, c'est alors tout ce qu'il y a de pire :
c'est tout l'art et la malignité possible, c'est une méchan-
ceté puissante pour le mal, et qui porte des coups terribles.
Il n'y a pas de maison qui résiste à un mauvais esprit de
cette trempe.


En traitant de l'orgueil, nous signalions quatre esprits dé-
testables, auxquels l'orgueil donne naissance : l'esprit d'in-
docilité, l'esprit d'Indépendance, l'esprit de contradiction, et
ce que nous appelions la manie de toujours se justifier. Nous
avons montré l'horrible fécondité de tous ces fils de l'or-
gueil. Eh bien ! tout cela entre dans le mauvais esprit : en
voilà les éléments, l'origine, la vraie racine : le mauvais
esprit se compose de tout cela, c'est-à-dire de ce qu'il y a de
plus funeste dans l'âme humaine.


Sans doute, il y a dans le mauvais esprit lui-même, comme
dans tout vice et toute vertu, des degrés : mais au fond et
toujours il est plus ou moins ce que nous venons de dire, le
goût du mal. Et c'est ainsi qu'il se montre constamment, non
pas seulement dans les enfants, et dans la petite sphère où
ils vivent, mais dans les hommes même qui en sont atteints,
et dans la sphère plus vaste du monde et de la société. Je
n'hésite pas à dire que c'est de lui que viennent les plus
grands maux, et les grandes catastrophes sociales.


Et la raison en est, que, quelque part qu'il soit, au collège,
dans la famille, dans la société, il est l'ennemi naturel de
tout respect; partout, il se montre avec le caractère du mé-
pris pour toute autorité divine, humaine, paternelle, magis-
trale, ecclésiastique, civile.


On a dit que le mauvais esprit renferme une sorte d'im-
piété : rien n'est plus vrai. Car la religion, qu'est-elle ? Je l'ai
dit, en traitant de ce grand et fondamental devoir : la reli-
gion, c'est le respect envers Dieu : c'est le respect de Dieu




CH. XII. — DU MAUVAIS ESPRIT. 493


et de tout ce qui tient pour nous ici-bas la place de Dieu :
tout ce qui est une émanation directe de l'autorité divine a
un caractère sacré, et mérite un respect religieux. Et voilà
aussi pourquoi le plus haut respect qui soit sur la terre après
le respect du Créateur, c'est le respect des parents, et il
s'appelle la piété filiale, parce qu'un père, une mère, sont
l'image de Dieu. A ce titre, le respect dû aux maîtres, qui
tiennent la place des parents, est aussi un religieux respect.
Or, le mauvais esprit se joue de tous ces respects : cette
grande et sainte loi de la vie humaine semble n'être pas
faite pour lui : c'est pourquoi, s'il s'attaque directement à
Dieu, c'est l'impiété pure ; et s'il s'attaque à Dieu dans la
personne de ceux qui le représentent ici-bas, c'est encore
une impiété.


Comme il est sans respect, il est aussi sans amour.
Le mauvais esprit se forme des passions basses et


égoïstes : il vit de haine et de venin. Et cela se conçoit ; car
il naît de la triste et noire envie, des jaloux dépits, des sou-
lèvements de la médiocrité impuissante; il naît dans les
cœurs dont saint Paul disait autrefois qu'ils sont sans affec-
tion, sine affectione : cœurs qui semblent ne savoir que haïr,
non pas d'une haine ardente et fière, mais d'une haine hon-
teuse et lâche pour le bien, pour le beau, pour le grand,
pour la vertu, pour les talents, pour tout ce qui est noble
et pur : tout cela les blesse, les irrite, et ils le poursuivent
d'une haine profonde dans leurs frères, dans leurs plus
aimables condisciples. Ce jeune homme est bon, ils le haïs-
sent ; il est sage et laborieux, ils le haïssent ; il est pieux et
pur, il le haïssent. La vue du bien les dépite, quelquefois les
désespère. On dirait d'un oiseau de nuit à qui la lumière fait
mal, et que le grand jour d'une haute et belle Éducation
offusque.


Voilà le mauvais esprit dans sa nature et ses nuances di-
verses. Voyons-le dans ses manifestations et ses effets.




494 L I V . III. — D E L'ENFANT E T DE S E S DÉFAUTS.


IV


Le mauvais esprit est observateur: dans son goût du mal
et sa haine du bien, il regarde, il épie, il est sans cesse en
éveil et aux aguets, comme le serpent, dont il a la nature
et les instincts.


Deux esprits sont observateurs, mais dans des buts bien
différents, le spiritus nequam et le spiritus bonus, le. bon
esprit et le mauvais.


Le bon esprit observe le bien, et semblable à l'abeille, il
recueille de toutes les fleurs embaumées un suc dont il fait
son miel : le mauvais esprit observe le mal, et, semblable au
serpent, ;c'est le venin qu'il cherche à recueillir de toutes
les plantes qui le recèlent. Puis, il a comme un dard dont
il perce, et dans la plaie il instille son poison; quelquefois
il le verse goutte à goutte, et quelquefois le répand à
flots. Toute plaie qu'il touche s'envenime, toute blessure
devient mortelle.


Un enfant a un chagrin, une tristesse, une peine, soit d'un
maître, soit d'un condisciple. Ce n'est rien, ou peu de chose ;
si vous touchez avec précaution et affection ce cœur ma-
lade, vous le guérirez. Mais le mauvais esprit s'approche,
il voit la plaie, il en devine la nature, et de suite cherche à
l'aigrir, àj 'enflammer. Ge n'est pas l'huile et le baume d'une
parole amie, consolatrice, qu'il mettra sur ce cœur blessé,
mais une goutte de son fiel, de son venin. Aussi, la plaie
s'irrite et s'empoisonne. L'enfant n'était que triste, le voilà
exaspéré ; et, sous la pernicieuse influence qu'il subit, ca-
pable de se porter à des excès pour le mal qu'on n'eût jamais
redoutés de son caractère.


Le spiritus nequam va donc toujours distillant un venin
inaperçu, qui répand un froid mortel. Touchez par hasard




CH. XII. — DU MAUVAIS ESPRIT.


un serpent, vous sentez une froideur soudaine qui vous
saisit et vous glace. De même aussi quelquefois, dans une
conversation qui paraît innocente, vous sentez tout à coup
comme un froid qui vous arrive au cœur. Qui a fait cela?
Un mauvais esprit a passé près de vous, et d'un mot jeté
en passant, d'un souffle sorti de sa bouche, il vous a glacé;
le serpent a laissé tomber sur vous une goutte de son venin,
et voilà pourquoi vous avez senti ce froid de mort.


Milton, le grand poète de la chute originelle, dans une
fiction qui est la réalité même, représente au paradis ter-
restre le premier homme endormi, et Satan qui est là, dans
l'ombre, à ses côtés, qui approche du visage d'Adam sa
face hideuse, qui lui souffle, de ses lèvres impures, la
pensée du mal et lui en instille le venin. Cela est vrai à la
lettre. Le démon, l'antique serpent, comme dit l'Écriture,
serpens antiquus, le malin, l'esprit mauvais, comme elle
dit encore, malignus, spiritus nequam, la bête féroce
qui assiège l'homme, circuit leo , quœrens quem devoret,
rôde, se glisse, s'insinue au fond des cœurs : et de là les ins-
pirations mauvaises, les pensées qui font rougir l'innocence,
les sentiments de haine, de jalousie basse ou d'impiété, dont
on a horreur, mais qui sont là, dans le cœur, Cum diabolus
jam misisset in cor.


Aussi, qui ne le sait, qui n'en a fait l'expérience? C'est
assez d'un mauvais esprit pour mettre le trouble et le
malaise partout. Il suffit dans une famille d'un mauvais es-
prit pour troubler toute la famille. Il aura l'air de ne vou-
loir faire qu'une plaisanterie fine mais innocente, et il en-
foncera dans l'âme du prochain un dard acéré qui fera une
blessure profonde. Il se permettra un rapport qu'il préten-
dra sans conséquence, une médisance légère en apparence,
et il sèmera la zizanie, il troublera la paix d'une maison,
d'une paroisse, d'une ville, que sais-je? d'un empire.


Et pour m'en tenir au sujet plus spécial que je traite, dan^




496 L1V. 111. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


une maison d'Éducation, dans un corps professoral, par
exemple, il suffit d'un esprit de ce genre pour mettre à la
gêne, et quelquefois en désarroi tout le monde. On dirait
que, comme un souffle malfaisant, il infecte l'air : on est mal
à l'aise, on respire mal , on ne peut vivre là où se trouve un
tel esprit : on a besoin d'aller ailleurs, dans une atmosphère
plus pure. On ne respire, on n'est délivré, que quand il a
enfin disparu. J'ai vu cela de bien près une fois dans ma
vie, et je ne puis l'oublier.


Dans une maison d'Éducation, le mauvais esprit est en-
nemi né de tout bien, propagateur de tout mal, meneur,
instigateur des ligues, des complots. On connaît dans les
collèges ces ententes entre écoliers, ces mots d'ordre, ces
plans séditieux, ces révoltes organisées : c'est un devoir qui
déplaît, et on s'entend pour ne le pas finir; c'est du bruit
qu'on veut faire en masse à l'étude; c'est telle insulte qu'on
lancera à tel professeur ; ou bien ce sera encore ces cons-
pirations du silence, pour dérouter la vigilance des maîtres,
pour assurer au désordre l'impunité ; ou bien ces menaces,
ces violences, ces persécutions infligées à l'élève courageux
et loyal qui a refusé d'entrer dans la ligue et veut obéir à
sa conscience : tout cela fait fermenter les petites têtes, et
produit des ébullitions souvent redoutables ; et quand même
il suffirait pour les arrêter de quelques poignées de sable,
comme pour les abeilles tumultueuses dont parle Virgile,
rien n'est plus pernicieux au bon esprit, à la docilité, au res-
pect, à la règle : il en reste toujours des traces ; un enfant
qui a trempé dans un complot n'est presque jamais le même
après qu'avant; il y a perdu au moins cette fleur de délica-
tesse, cette virginité de conscience qu'il avait eue jusque-là.
Mais qu'est-ce qui fait cela dans les maisons d'Éducation?
qui soulève ces petites et funestes tempêtes? Un souffle de
mauvais esprit; un seul élève quelquefois a tout inspiré,
tout organisé, tout mené.




CH. XII. — DU MAUVAIS ESPRIT. 497


Quand il n'ose pas aller jusqu'à la révolte, le mauvais es-
prit est au moins critique, murmurateur ; c'est le susurre-,
le seminms discordiam, dont parle l'Écriture en le maudis-
sant : Odibilis qui seminat discordias.


Rien n'est à son gré, rien n'est bien, tout est mal à son
sens : son sens à lui, c'est le sens du mal, et tout à l'inverse
de la charité chrétienne et du bon esprit qui en est l'émana-
tion et comme la fleur, il pense et dit le mal : cogitât ma-
lum; et non-seulement il le pense et le dit, mais il le suppose
et l'invente; il empoisonne au moins les intentions, s'il ne
peut empoisonner les actes; il calomnie les pensées les plus
pures, les dévoûments les plus généreux.


Il est chagrin, ennuyé, mécontent; il abuse de tout, il
critique tout : les règles, les usages, le travail, la nourriture,
l'enseignement, la discipline, les exercices de piété, les
maîtres, les condisciples, tout subit sa censure, ses dénigre-
ments ; il faut l'entendre : « C'est une injustice ! c'est une
« absurdité! c'est insupportable!—On s'ennuie, on s'embête
« ici; — on est nourri comme des chiens. — Votre professeur
« fait stupidement sa classe ; — il a tel défaut et tel ridicule ;
« il vous en veut. — Un tel est un flatteur, un hypocrite : il
« ne vaut pas mieux que les autres, etc. » Quels ravages
peuvent faire de tels discours, persévéramment, perfide-
ment semés, avec un langage grossier, quelquefois avec
un art terrible, une justesse assommante ; de ces mots qui
emportent la pièce, de ces sobriquets qui restent, et ridicu-
lisent un homme : car le mauvais esprit a souvent une ef-
frayante perspicacité, et découvre à merveille, comme on
dit, les défauts de la cuirasse, les; endroits faibles. Gardez-
vous bien de vous laisser prendre à ce qu'il peut y avoir de
spirituel dans ses méchantes plaisanteries, et surtout gardez-
vous de vous en amuser : rien ne serait plus fatal qu'une
telle connivence.


Mais une des malices les plus diaboliques du mauvais es-
i., m. 32




4 9 8 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


prit, e'est l'espèce d'antipathie et de répulsion qu'il éprouve
pour la piété. La piété lui déplaît ; les enfants pieux, il ne
peut les supporter. Si l'un d'eux a une faiblesse, une im-
perfection, il l'exploite perfidement et impitoyablement; il les
raille, il les insulte, il les tourne en plaisanterie, et cherche
surtout à les décrier aux yeux des nouveaux, et à les rendre
odieux, ridicules.


Certes, un tel esprit est détestable. Mais où il prend un ca-
ractère révoltant, c'est quand il s'y joint une spéciale ingra-
titude ; quand il se trouve chez des enfants qui doivent tout à
une maison : soit qu'on les y élève gratuitement : ce sont
ceux-là souvent qui murmurent le plus, et font plus amère-
rement le procès à ceux qui les nourrissent ; soit qu'on les y
ait comblés de bontés, de trop de bontés, ce qui est toujours
une faute : il ne faut point que les maîtres, pas plus que les
parents, gâtent les enfants.


Cependant, quelque chose est pire encore que le mauvais
esprit ingrat, c'est le mauvais esprit hypoerite, spiritus men-
dacii; or, voilà ce qu'est le plus souvent le mauvais esprit: il
est faux et lâche ; il se cache, il dissimule, il affecte même le
respect, la docilité, la confiance : c'est alors, et sous ces de-
hors trompeurs, qu'il est le plus dangereux, et que son venin
atteint plus sûrement les âmes.


La fausseté dans un enfant, dans un jeune homme, la faus-
seté à cet âge de la sincérité et de la franchise, rien n'est
pire et plus vil. Que parfois la droiture ou la vérité man-
quent aux paroles d'un enfant, cela peut être excusable;
c'est souvent timidité ou faiblesse, plus que tromperie. Mais
quand un enfant se sert de la candeur même naturelle à
son âge pour tromper, quand le fond de l'âme devient faux,
quand la conduite, quand les intentions sont fausses, c'est
une des choses les plus tristes qui se puissent rencontrer.


Jusqu'ici nous n'avons parlé que du mauvais esprit parmi




CH. XII. — DU MAUVAIS ESPRIT. 499


les élèves : mais que sera-ce si cette humeur chagrine et
dénigrante, cet esprit de critique et de murmure se ren-
contre même chez un maître ? si un maître se met à juger, à
parler sans gêne, à dire tout haut, non-seulement devant ses
confrères, mais devant ses élèves mêmes, le mal qu'il pense
tout bas ; à railler, à dénigrer? que devient alors l'esprit
d'une maison, le respect, l'obéissance, l'union, la concorde ?


J'irai plus loin, et je demanderai encore : Que sera-ce, si
ce sont les parents eux-mêmes qui, sans se rendre compte
du m'ai qu'ils font, soufflent aux enfants le mauvais esprit,
l'esprit de critique et de raillerie, l'esprit de méconten-
tement et de murmures ! Or, je dois le dire ici, cela arrive
trop souvent. Il y a des parents, quelquefois bien injustes
dans leurs préventions, bien déraisonnables dans leurs
idées, bien excessifs dans leurs exigences, ou du moins bien
imprudents dans leurs paroles, qui blâment tout dans une
maison; et cela, même devant les enfants : ou bien qui, par
légèreté et inconséquence, aiguisent eux-mêmes l'esprit
railleur et critique de leur fils, le questionnent sans conve-
nance et sans motif, sur la maison, sur les maîtres, sur les
condisciples, et se plaisent à ses malins propos, à ses plai-
santeries, à ses épigrammes. C'est porter une triste légèreté
dans une chose bien grave. On ne joue pas sans péril à un
tel jeu ; on ne démolit pas impunément le respect dans l'âine
d'un enfant.


Je m'arrête, et je conclus tout ce chapitre.
J'ai signalé, dans son origine, dans sa nature, dans ses


manifestations diverses le plus terrible ennemi de l'Éduca-
tion. Je n'ajouterai plus qu'un seul mot à l'adresse des maî-
tres : Veillez, et agissez ; mais agissez promptement. Il n'y a
jamais à fermer les yeux ni a s'endormir devant une appa-
rition quelconque du mauvais esprit. Il faut qu'il disparaisse




500 LIV. III. — DE L'ENFANT ET DE SES DÉFAUTS.


à l'instant : car c'est un mal contagieux. Or, il n'y a ici qu'un
remède. Dès que vous apercevez la moindre trace de mau-
vais esprit, extirpez ; autrement le mal fera de prompts et
affreux ravages. Tl n'y a pas de transaction possible sur ce
point, pas plus que sur les mœurs. Dans un cas, comme dans
l'autre, quand le mauvais esprit est constaté, et qu'il persiste,
le remède, c'est le renvoi. Je l'ai dit : le mauvais esprit est
pire même que la mauvaise volonté; car, non-seulement il
ne veut pas se corriger, il veut corrompre : il érige le mal
en principe : il en fait le maître de la maison, le persécuteur
de la vertu, le tyran de tous.


Mais c'est assez sur ce triste et trop important sujet. Pas-
sons à une étude plus consolante, plus encourageante aussi
pour ceux qui ont fait de l'Éducation de l'enfance l'œuvre et
le dèvoûment de leur vie.




{ J V R E QUATRIÈME


DE Q U E L Q U E S G R A N D S M O Y E N S D'ACTION.


J'aborde ici un sujet plus doux, et je sens mon cœur bien
plus à l'aise : il est si pénible, quand on aime les enfants,
d'arrêter son regard sur les misères qui déparent tristement
les qualités de cet âge aimable, et apportent de si redou-
tables obstacles à l'œuvre de son Éducation. Mais il faut
sonder les plaies quand on veut les guérir. Il faut connaître
quelles sont les difficultés d'une œuvre, quand on veut s'y
dévouer. Toutefois, il n'est pas moins nécessaire de con-
naître ses ressources, de savoir ce qu'on peut, et comment on
le peut. Quelles sont donc les ressources de l'Éducation? J'en
ai traité bien souvent déjà dans le cours de cet ouvrage ;
mais il importe, en terminant, d'y revenir et de considérer
très - attentivement quelques-uns des principaux moyens
d'action que les instituteurs de la jeunesse ont en leur pou-
voir pour venir à bout de leur tâche. C'est ce que je vais
essayer de faire ici.


Je parlerai successivement des notes, de la lecture spiri-
tuelle, de la prédication, des catéchismes, des avis, des re-
traites, des jeux. Je terminerai en montrant comment tous
ees moyens se peuvent simplifier. Mais d'abord il convient
de dire quelques mots de l'instrument universel qui met en
œuvre tout le reste : LA. PAROLE.




502 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


CHAPITRE PREMIER


La parole.


Nous avons dit que le Supérieur devait être homme d'ac-
tion, homme de conseil, homme dérègle, homme de prière ;
nous ajoutons donc maintenant avec l'Écriture : homme de
parole, de puissante parole : potens verbo, en même temps
que potens opère.


En effet, l'Éducation n'est pas une œuvre matérielle, qui
se puisse faire par la seule force de la contrainte : c'est une
œuvre morale qui s'accomplit dans les âmes, et avec le libre
concours des âmes ; une œuvre d'intelligence et de lumière,
une œuvre de persuasion et d'amour. ïl y faut donc la parole,
le grand instrument spirituel et moral, le noble organe de
l'esprit et du cœur, qui s'adresse à l'âme, la pénètre, l'éclairé,
la conduit, l'entraîne, la maîtrise noblement.


La parole est, en Éducation, l'auxiliaire indispensable de
l'action : c'est comme le levier à l'aide duquel on soulève
tout, l'aiguillon avec lequel on excite, et qui fait tout mar-
cher; et pour mon compte, je ne concevrais pas un Supé-
rieur qui ne fût un homme de parole en même temps qu'un
homme d'action.


En effet, on parle et on doit parler sans cesse dans*une
maison d'Éducation : en public, en particulier, aux notes,
à la lecture spirituelle, en récréation, à la chapelle, au caté-
chisme, dans les avis, les homélies, les sermons, les exhor-
tations.


Mais il importe de le bien faire, et voilà pourquoi je de-
mande un Supérieur qui sache parler.




CH. I. — LA PAROLE. 503


Qu'on ne s'effraye point toutefois, et qu'on ne dise pas :
Mais à moins d'être un grand prédicateur, on ne peut donc
être un bon Supérieur de maison d'Éducation ? Non, je ne
l'entends pas de la sorte, et peut-être même qu'un grand
prédicateur n'aurait pas l'éloquence, la parole que je de-
mande et qui convient ici. Cette parole, en effet, n'est pas la
parole oratoire, solennelle, académique; c'est une parole
que tout homme peut avoir, pourvu qu'il ne soit pas impe-
ditioris linguœ, pourvu qu'il ait un cœur, une âme, et qu'il
sache ce qu'il fait, qu'il connaisse ses devoirs, et qu'il aime
son œuvre.


Et ce que j'ajoute, c'est que la parole simple, vive, fami-
lière, partout si puissante, n'a nulle part plus d'efficacité et
de puissance que dans une maison d'Éducation, par la rai-
son que nulle part on ne connaît mieux ceux à qui l'on parle,
nulle part on ne les a plus sous la main ; nulle part on ne
frappe plus à coup sûr, et avec moins de phrases plus de
coups. C'est surtout de la parole dans une maison d'Édu-
cation, quand elle est ce qu'elle doit être, qu'on peut dire
avec l'Écriture : « Comme la pluie tombe du ciel, et n'y re-
monte plus, mais enivre la terre et la fait germer, ainsi en
est-il de la parole ; elle ne revient pas vide et vaine à celui
qui l'a envoyée, mais elle fait tout ce qu'elle veut dans les
âmes, et prospère en toutes les choses pour lesquelles on l'en-
voie. »


Ce ne sont donc point des préceptes d'éloquence que je
viens donner ici ; je voudrais seulement, par quelques obser-
vations simples, pratiques, importantes, prises dans le vif des
choses, faire entendre ce que doit être le rôle de la parole dans
l'Éducation, quel genre d'éloquence, et, au besoin même,
quelle grande mais facile éloquence convient h ce ministère.


J'ai dit et je répète que cette parole n'est pas, ne doit pas
être la parole artistique ou académique, mais la parole
vive, nette, accentuée, saisissante ; la parole paternelle et




504 U V . IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


pastorale, qui tombe avec autorité, intéresse par la vérité,
touche par la bonté, et qui, dans sa fermeté naturelle et sa
familiarité digne, va toujours au fond des âmes.


Il suit de là que cette parole du Supérieur ne doit jamais
être en l'air, ni vague, ni vaine, mais précise, directe; tou-
jours, ad rem, ad hominem : pour cela, avant toute parole
à adresser aux enfants dans une maison d'Éducation, un
Supérieur, un prédicateur, doit faire une étude attentive de
leurs dispositions présentes, savoir où ils en sont tous, où
en est chacun d'eux, afin de leur parler toujours avec vérité
et à propos, et dire juste ce qu'il faut et pas autre chose.


De là il suit encore que cette parole, toute simple et fami-
lière qu'elle soit, ne doit cependant jamais être inculte, incor-
recte, négligée ; un Supérieur, dans la familiarité la plus
vive de son discours, ne doit jamais oublier la netteté et la
perfection naturelle de la parole cultivée : donc il faut qu'il
soit toujours parfaitement préparé, et, s'il se peut, qu'il
offre dans ce qu'il dit, un modèle de style simple et vrai,
c'est-à-dire proportionné à toutes les pensées et à tous les
sentiments qu'il exprime, et par cela même très-èloquent au
besoin. Tout ce qui déconsidérerait la parole aux yeux des
jeunes gens en diminuerait l'autorité.


Mais je n'hésite pas à affirmer que si le Supérieur parle
toujours, comme je ne me lasse pas de le dire, ad rem, ad
hominem, sa parole, même dans sa plus grande familiarité,
non-seulement sera éloquente, mais aura une forme irrépro-
chable, parce qu'elle trouvera dans sa vérité même l'inspi-
ration, l'accent, la lumière, qui font la perfection de toute
parole.


Il y a deux choses qu'un Supérieur ne doit jamais oublier
quand il parle : l'une, que le grand but de l'éloquence est
d'éclairer, de persuader, de convaincre; l'autre, que l'au-
ditoire, dans une maison d'Éducation, ce sont des enfants.


Or, il importe de savoir que pour éclairer,*persuader et




CH. 1. — LA PAROLE. 505


convaincre les hommes, et surtout les enfants, il ne suffit
pas de leur parler une seule fois, et de leur dire sous une
seule forme ce que l'on a à leur dire. Il le leur faut dire, ré-
péter, inculquer sous toutes les formes.


Il faut aussi, autant que possible, parler, dire la chose à
leur imagination, à leur intelligence et à leur cœur tout à la
fois; la faire comprendre, sentir, imaginer, en un mot la
faire saisir par toutes les puissancesde l'âme; ce n'est pas
trop, et il ne faut rien moins que tout cela pour aboutir.


Non-seulement leur parler par les idées, les images, les
sentiments, mais faire parler les histoires, les expériences,
les comparaisons les plus familières, tirées des choses qu'ils
savent, qu'ils voient, et qu'ils font tous les jours ; comme le
pratiquait Notre-Seigneur. Autrement ils ne comprennent
pas, ils n'écoutent même pas.


Il faut aussi toujours avoir un but direct et précis quand
on parle, et, autant que possible, sortir de l'abstrait et per-
sonnifier les choses : s'adresser à tel ou tel nommément.


Avec des auditeurs grossiers ou légers, pour les faire
écouter et réveiller leur attention, il faut même quelque-
fois leur donner une distraction, et dire , par exemple :
Qu'est-ce que c'est que cet enfant qui entre là, et vient nous
déranger ?


Mais l'important, le capital, je ne puis me lasser de le
redire, c'est de ne jamais parler en l'air, mais toujours à son
auditoire, pour son auditoire, et non pas simplement devant
son auditoire.


Il y en a qui ne parlent et ne répondent jamais qu'à leur
propre esprit ; qui ne regardent pas seulement l'esprit de
ceux qui les écoutent. Cette expression étonnera peut-être ;
je la maintiens néanmoins, et je répète qu'on ne doit jamais
cesser de regarder les âmes de ses auditeurs : ce ne sera ja-
mais impunément qu'on détournera d'eux, même un ins-
tant, son esprit, ni son cœur.




5 0 6 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION


On ne doit même regarder la vérité qu'on leur prêche que
par rapport à eux, et en les regardant eux-mêmes. Dire la
vérité en l'air, c'est semer en l'air sans regarder où tombe la
semence : c'est-à-dire que, dans le vrai, c'est une espèce de
folie.


Les paroles et les diverses comparaisons de Notre-Sei-
gneur sont ici encore pleines de lumière : que dit-il de
nous? que nous sommes « pêcheurs d'hommes, piscatores
hominum. » Mais on ne pêche pas en l'air: on ne jette pas
son filet et sa ligne en l'air, sans savoir où ils tombent et où
ils vont.


Parler sans chercher à entrer dans les âmes, sans parler
aux âmes, c'est ne vouloir pas de réponse. On s'attriste quel-
quefois, on s'étonne : ils ne répondent point, dit-on, il sem-
ble que c'est en vain qu'on leur parle. — Mais leur avez-vous
parlé? Non, vous avez parlé en l'air, vous n'avez pas de-
mandé sérieusement à ces enfants, à ces jeunes gens de vous
répondre. Vous ne leur avez pas dit clairement, sérieu-
sement ce que vous leur demandiez. Ils ont écouté sans
entendre, et n'ont pas répondu. De quoi vous étonnez-vous?


Ma conviction est que, pour parler avec fruit, il faut aller
chercher ce qu'on veut dire dans Vâme même de ceux à qui
Von parle. Il faut aller voir là les besoins précis et pressants,
et s'y adresser.


Mais pour tout cela, l'action extérieure elle-même est bien
importante.


Avant tout, quand on parle aux âmes, il faut prendre garde
à ne pas sortir du vrai, à ne pas exprimer des sentiments
faux, ou douteux, ou vains, soit dans le fond, soit dans la
forme de leur expression.


En général, avec les jeunes gens les cris sans raison, les
attendrissements fréquents ou affectés, les sensibilités de
voix, les larmoiements on les tonnerres de parole ne réus-
sissent pas. Ces cris les distraient et quelquefois les font rire ;




CH. I. — LA PAROLE. 507


ces attendrissements coulent sur leur âme, comme de l'eau
tiède et fade.


Il faut éviter encore avec eux tout remûment, tout geste,
toute parole qui aurait quelque chose de puéril, de capri-
cieux, de faux, d'impérieux sans raison.


En tout, le point capital, c'est de prendre son auditoire où
il en est, et de se mettre en rapport avec les âmes de ceux
qui le composent, sans véhémence intempestive, et surtout
sans violence.


Autrement on paraît à leurs yeux comme un homme de
mauvaise humeur. Il faut être toujours grave avec eux, plein
d'autorité et de dignité. Sans doute, un homme grave peut
se mettre de mauvaise humeur en reprenant des enfants
dissipés ou rebelles ; mais on sent toujours que ses reproches
sont sérieux et viennent de haut.


Il faut aussi bien se défier de la manie de faire des
phrases en parlant aux enfants : c'est là un ccueil périlleux
pour les jeunes professeurs; combien à qui on peut dire ce
que je disais un jour à un jeune prêtre trop enclin à ce dé-
faut :


« Vous ne poursuivez pas assez l'esprit de vos enfants
pour le convaincre, mais votre phrase pour la finir. On sent
trop en vous le petit écrivain, le jeune professeur.


« Vous ne poursuivez pas assez le cœur pour le toucher :
vous êtes trop occupé de vous et de votre discours ; chez
vous, la forme domine le fond, l'étouffé quelquefois. Le
fond devrait inspirer la forme : cela n'arrive presque
jamais.


« N'oubliez pas que parler et écrire, prêcher et composer,
sont deux talents tout à fait distincts.


« Le prédicateur qui écrit et compose d'une certaine ma-
nière, n'est trop souvent qu'un écrivain et pas un prédi-
cateur.


« Quand on l'écoute, on sent que pour composer il s'est




508 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


mis dans son cabinet au lieu de se mettre dans son audi-
toire.


« La pensée doit toujours paraître la première, et se
revêtir elle-même de la parole, et non pas la parole pa-
raître d'abord, et laisser entrevoir la pensée à travers la
phrase.


« Quelquefois aussi, parce que vous parlez à des en-
fants, vous croyez pouvoir le faire sans préparation, légè-
rement, à l'aventure. Il n'y a rien de sérieux dans une telle
parole, rien de digne et d'élevé. On le peut dire, vous êtes
quelquefois sans respect pour ces jeunes âmes, et pour le
Dieu qui vous envoie à elles.


« C'est déshonorer la vérité divine que de la présenter aux
enfants de Dieu avec un vêtement indigne d'elle, sans sa
lumière vive et naturelle, qui est sa vraie et nécessaire pa-
rure.


« Ne l'oubliez jamais : on ne peut parler d'abondance,que
quand l'esprit et le cœur sont pleins de ce qu'il faut dire :
Ex abundantia cordis os loquitur. Autrement c'est une pau-
vreté, une platitude, souvent déplorables.


« Vous vous fiez à ce que vous croyez être de la facilité ;
mais veuillez bien entendre qu'une certaine facilité est sou-
vent plus funeste qu'utile, quand elle inspire à un jeune
professeur cette présomption qui fait qu'on néglige le tra-
vail, qu'on se hâte, qu'on délaye, qu'on répand au lieu de con-
centrer, qu'on ne mûrit rien, et qu'on ne produit en fin de
compte que des fruits verts au lieu de fruits nourrissants.


« Ce n'est pas, quand je parle ainsi, que je n'estime le tra-
vail spontané, le premier jet. Le premier jet, le premier
travail de l'esprit, c'est souvent l'idée dans sa lumière, avec-
son premier et vif éclat.


« Voilà pourquoi il faut l'estimer beaucoup ; mais le pre-
mier jet ne suffit pas.


« Le deuxième jet, le deuxième travail de l'esprit est lent,




CH. 1. — LA PAROLE. 509


il est long, quelquefois lourd; c'est l'esprit à la recherche du
mieux, de la lumière plus parfaite qui lui manque encore.


« Le troisième jet, c'est le travail triomphant de toutes les
difficultés vaincues : c'est l'idée saisie, possédée, approfon-
die, élevée, étendue, illuminée par toutes les puissances
de l'âme : c'est la perfection, c'est l'idée parfaitement lumi-
neuse.


« Voilà pourquoi il faut estimer surtout le premier travail
de l'esprit, et le troisième, qui seul donne à la vérité sa clarté
parfaite.


« Il faut que tout ce labeur soit fait, accompli, récemment
ou de longue date,, pour en espérer le grand jet lumineux :
autrement on n'a rien de bon ; on n'a que spinas et tribulos,
et on ne mérite pas autre chose.


« En un mot, il faut le travail, la sueur du visage, in su-
dorevultus;\\ faut la semence, le labourage, la rosée du ciel,
l'accroissement de Dieu ; et enfin la prière par laquelle on
obtient la moisson. »


Je ne veux pas achever ces conseils sur ce que doit être la
parole dans une maison d'Éducation, sans dire qu'une des
conditions les plus essentielles pour que la parole de Dieu
donne son fruit, c'est le recueillement et le silence dans l'au-
ditoire. Ceci est capital, et l'exigence à cet égard ne peut ja-
mais être poussée trop loin. Le catéchisme le mieux fait, les
plus solides instructions, les plus belles homélies, toutes les
cérémonies les plus augustes, les chants les plus beaux, la
prière même et les sacrements, tout cela, sans le recueille-
ment, est à peu près perdu.


Pour moi, je suis profondément convaincu qu'un recueille-
ment parfait et un grand silence sont tellementici des condi-
tions essentielles, que sans elles la grâce de Dieu ne descend
pas dans les âmes : Non in commotione Dominus. C'est uni-
quement dans ce recueillement profond, et dans ce religieux
silence que la parole divine triomphe des dernières rèsis-




5 1 0 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


tances : c'est quand tout se tait devant Dieu, c'est alors que
Dieu fait entendre sa voix jusque dans les intimes profon-
deurs de l'âme, et que les plus grandes conquêtes de la grâce
se décident.


On dit proverbialement : un silence à entendre voler une
mouche; c'est nécessaire, et à la lettre; mais cela pourtant
n'est pas tout, ne suffit pas ; ce n'est là qu'un silence maté-
riel, et je demande plus : il faut un silence spirituel, ce reli-
gieux et attentif silence du fond de l'âme.


Quiconque n'obtient pas, en ce genre, la perfection, soit
dans une grande cathédrale, soit dans une petite chapelle,
n'obtiendra jamais ce recueillement intérieur sans lequel
la grâce de Dieu ne pénètre pas au fond des âmes.


C'est uniquement dans ce recueillement parfait, dans ce
profond silence, que la parole de Dieu peut être victorieuse
des derniers combats de la conscience; que toutes les âmes
d'un immense auditoire sont saisies à la fois et semblent ne
plus faire qu'une seule âme sous la main, de Dieu.


C'est alors, dans ce silence profond, mystérieux, indéfi-
nissable, que les âmes entendent de près la voix divine,
presque sans le secours des sens, et qu'il n'y a plus rien
entre elles et Dieu ! Je le repète : C'est le moment des gran-
des conquêtes de la grâce, le moment où les esprits et les
cœurs sont tellement saisis et enlevés, que les sens demeu-
rent comme liés et suspendus. Il n'y a plus là que les âmes...
et Dieu.. . et sa parole ! C'est le silence du ciel ! Factum est
silentiumper dimidium horœ in média aula.




CH. II . — LES NOTES. 5H


CHAPITRE II


Les notes.


Une des formes les plus simples et en même temps les
plus importantes de la parole dans une maison d'Éduca-
tion, ce sont les notes : c'est à ce point de vue que nous
voulons en parler ici. C'est par les notes, en effet, que la
parole des maîtres, de tous les maîtres, s'adresse à tous les
enfants, avec le plus d'autorité et de solennité, et leur dit
le plus de choses dans les plus brèves et les plus énergiques
formules.


Aussi, les notes, dans une maison d'Éducation, sont-elles
un moyen d'action admirable, et un des ressorts les plus
puissants de tout le gouvernement.


Ce qui en fait la force merveilleuse, c'est le principe sur
lequel une telle institution repose. Ce principe, quel est-il?
Le plus élevé, le plus généreux, le plus fécond, du moins
dans l'ordre des sentiments naturels, l'honneur.


Montesquieu disait que les monarchies reposent sur l'hon-
neur, parce que, dans cette forme de gouvernement, c'est
l'honneur qui est le mobile de tout.


Eh bien ! je voudrais qu'on pût dire quelque chose de
semblable d'une maison d'Éducation : je voudrais que l'Édu-
cation de la jeunesse empruntât un de ses plus puissants
aiguillons à ce grand et noble principe de l'honneur, ins-
piré, dirigé, ennobli encore par la religion.


L'honneur, que ne peut-il pas pour les plus grandes




512 L\V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOVENS D'ACTION.


clioses, à tous les âges, sur tous les hommes, et, je l'ajoute,
particulièrement sur les enfants !


Leur généreuse nature y est merveilleusement accessible,
et quand vous avez su éveiller l'honneur en eux, quand vous
voyez à la vive expression de leur physionomie, à la flamme
de leur regard, à l'ardeur de toute leur âme, que cet aiguil-
lon les presse, vous pouvez attendre d'eux tous les plus cou-
rageux efforts.


Ce que peut l'honneur, la noble émulation, le légitime
amour de la louange et la juste fierté du succès, joint à l'in-
time et glorieux témoignage de la conscience, le poète l'a
dit il y a longtemps dans des vers immortels :


Exultantiaque haurit


Corda pavor puisant


Tanlus amor laudum, lantœ est Victoria curœ!
(VIRGILE. )


Qu'on ne s'étonne pas, du reste, que nous voulions faire
de l'honneur un des grands principes de l'Éducation chré-
tienne. Rien ne va mieux avec la piété, dont toutes les ten-
dances sont si généreuses, que ce grand et noble sentiment.
Saint Paul lui-même s'en servait pour animer les premiers
fidèles, et faire naître en eux la sainte émulation du bien
et de toutes les vertus. Mmulamini in bono semper, leur
disait-il; œmulamini charismata meliora. Et il ajoutait :
« Au reste, mes frères, tout ce qui est honnête, tout ce qui
est vrai, juste et pur, tout ce qui est vertueux et digne de
louanges, voilà ce qui doit être chez vous l'objet d'une
sainte émulation. Quœcumque vera, quœcumque sancta,
quœcumque pudica... si qua virtus, si qua LAUS disciplinœ,
hœc cogitate. »


Cet amour inné de l'honneur, de la louange, et cette
crainte naturelle de la honte, de la flétrissure, ces mobiles si
puissants sur l'âme du jeune homme, il faut que l'Éducation




CH. H. — LES NOTES. 5 1 3


* , n i . 33


s'en empare, les épure, les dégage de toute envie, de tout
orgueil, de tout égoïsme, et les tourne vers le bien.


C'est ce que font admirablement les notes, et je les
définirais volontiers : une institution qui a pour but de
gouverner les jeunes gens par l'honneur. C'est donc à tout ce
qu'il y a de plus sain et de plus élevé dans le cœur de l'en-
fant que ce moyen d'action s'adresse.


Aussi, ce qu'on peut à l'aide de cette institution, comprise
et pratiquée comme il convient, est étonnant.


C'est elle qui permet de remplacer les moyens coercitifs,
le système des punitions, par les moyens moraux, par le
système des encouragements et des récompenses, par les
bons et nobles sentiments, par les vives et hautes inspi-
rations du cœur.


C'est elle qui fait le charme et la force de tout le gouver-
nement intellectuel, religieux, disciplinaire d'une maison.


Là, comme aussi dans la lecture spirituelle, réside princi»
paiement l'énergie, l'élévation, la délicatesse, l'efficacité de
l'Éducation.


En un mot, rien n'est plus puissant pour maintenir le bon
esprit d'une maison, y inspirer le respect et l'amour de
l'autorité, y exciter le travail, y élever toutes les pensées
et tout le langage public à la hauteur, à la dignité conve-
nables.


C'est ce que je voudrais essayer de bien faire comprendre
en exposant ici, dans un détail suffisant, ce que sont les
notes, quelle en est l'influence pratique, et comment on les
doit donner et proclamer.




514 L1V. IV. - DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


1


CE QUE S O N T LES N O T L S .


Les noies ne sont pas autre chose que l'exacte et rigou-
reuse appréciation et la proclamation publique, chaque se-
maine, de tout ce que l'enfant a fait de bien ou de mal en
toutes choses : de sa conduite et de son travail, de son succès
ou de ses échecs, de ses efforts pour le bien ou de ses fautes.


Aussi les notes ne se donnent-elles pas en bloc, mais dans
le plus grand détail : rien n'y échappe ; il y a des notes :
pour les leçons, pour les devoirs, pour l'explication, pour la
conduite ; puis, afin de corroborer les notes et de les éclai-
rer, il y a les observations spéciales des maîtres. On y joint
pour chaque classe les notes d'études, travail et conduite.
Il y a enfin les notes de discipline générale, soit tous les
samedis, soit tous les mois.


C'est ainsi que les notes suivent l'enfant partout et à cha-
que moment du jour, dans les phases diverses de son éduca-
tion : de telle sorte que nul effort louable fait par lui n'est
ignoré, comme aussi aucune faute ne passe inaperçue : tout
est remarqué, noté, et avec des nuances qui permettent d'ar-
river à l'appréciation la plus exacte, nonobstant môme les va-
riations habituelles et les alternatives de haut et de bas qui se
rencontrent dans les enfants les plus mobiles. En effet, au
moyen d'une échelle habilement calculée, des chiffres, de-
puis 1 jusqu'à 5 , indiquent les très-bien, les bien, les mé-
diocre, les mal, les très-mal; et même, au moyen d'un point
ajouté à ces chiffres, on arrive à nuancer les degrés inter-
médiaires : tout est donc parfaitement constaté et proclamé :
les enfants le savent et y comptent.


La proclamation de ces notes se fait, en même temps que




CH. II. — LES NOTES. 515


celle des places de la composition, avec la plus grande gra-
vité, par M. le Préfet des études, en présence de M. le Supé-
rieur, de tous les Directeurs, de tous les maîtres sans ex-
ception, et de toute la communauté rassemblée. Chaque
enfant est là présent, et par conséquent entend lire et pro-
clamer sa place et ses notes dans cette solennité, en même
temps que celles de ses condisciples.


Il y a donc chaque semaine un moment où chacun des
élèves d'une maison comparaît seul, à son tour, avec toute
sa responsabilité, devant tous ses maîtres et tous ses condis-
ciples, devant ses parents même, invisibles, mais présents,
puisque cette place et ces notes iront sous leurs yeux : quel
moment! Quand on a su éveiller la conscience et l'honneur
dans'les enfants, et les rendre noblement sensibles aux
idées de bien et de mal, à la louange ou au blâme publics!
redouté ou désiré, ce moment est l'objet d'une attente inex-
primable.


Le jour venu, en effet, voyez là tous ces enfants, en silence,
inquiets, palpitants : tout à coup paraissent au milieu d'eux,
M. le Supérieur, MM. les Directeurs, tous les maîtres : les
cahiers de notes sont là; encore un moment, et chacun, à
l'appel de son nom, tous les regards fixés sur lui, entendra
proclamer sa place, bonne ou mauvaise, dans le concours
hebdomadaire, recevant ainsi l'honneur ou la honte : après
cela, tout ce qu'il a essayé de bien, tout ce qu'il a témoigné
de bonne volonté, comme aussi tous ses oublis, toutes ses
négligences, toutes ses fautes, en un mot le résumé exact de
toute sa semaine sera placé sous les yeux de tous ; et puis,
à mesure que chaque nom passe, le souverain appréciateur,
qui est là, M. le Supérieur, ajoute, s'il le veut, une observa-
tion aux notes du professeur, un mot suprême de blâme ou
d'encouragement.


Telles sont les notes chaque semaine. L'impression qu'elles
font sur les enfants ne peut se décrire.




Sir» [,1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS l)'ACTION".


Il


A V A N T A G E S M O R A U X D E S K O T Ï S .


Qui ne sent, quand ces notes sont bien faites, bien lues
par le Préfet des études, et bien commentées par le Supé-
rieur, quelle influence elles doivent avoir? L'effet réel et
pratique est toujours considérable, prodigieux quelquefois :
on pourrait presque dire qu'elles suffisent pour sanctionner
tout le gouvernement moral d'une maison.


Pour moi, je n'ai guère vu de caractère d'enfant qui y
résistât.


Avec ces notes, je l'ai dit, tous les châtiments sont inu-
tiles, excepté pour les très-jeunes enfants ; et encore, j 'ai vu
des enfants de huit ans être tellement saisis et gouvernés
par la pensée de ces notes, par la crainte ou l'espérance
des notes bonnes ou mauvaises à la lin de la semaine, que,
sans aucune punition, la semaine toute entière était bonne,
laborieuse, sage, constamment appliquée.


L'honneur et la conscience sont là tellement éveillés, exci-
tés, que les enfants sans cœur, et ce que nous appelions les
enfants désespérés y résistent seuls. Et non-seulement l'hon-
neur et la conscience sont mis en éveil par les notes, mais
aussi l'amour des parents, la piété filiale, le noble désir
d'avoir à montrer à son père, à sa mère, dans de bonnes
notes, tous les efforts que l'on fait chaque jour par affection
pour eux.


J'ai vu des rhétoiïciens tout faire, écrire des lettres, sup-
plier , afin d'obtenir qu'on ne proclamât pas le I . (très-
bien POINTÉ) de leur conduite, c'est-à-dire qu'on ne fit pas
mention du petit nuage qui avait passé sur le fond d'une
conduite d'ailleurs irréprochable.




OH. I I . — LES NOTES. SI 7


Un jour, un professeur ouvrant le livre d'un enfant très-
sage, très-gai, très-aimé de tous, vit sur la marge ces mots :
\Q mai, jour malheureux, jour néfaste! Surpris, il appelle
l'enfant : « Léon, que veut dire cela ? » Et l'enfant, avec un
sourire un peu confus : « Ah ! Monsieur, vous savez bien ;
c'est ce jour-là que j 'ai eu un 4. » Un 4 était la note bien.
L'enfant était désolé, parce que jusqu'à ce jour, et pour tout,
il n'avait eu qu« des parfaitement bien. Et encore il avait eu
ce 4 pour bien peu de chose : simplement pour avoir ouvert
son pupitre et permis à son voisin d'y prendre un cahier :
le professeur, auquel on avait dit de se défier de son admi-
ration pour son élève, cherchait depuis longtemps l'occa-
sion d'être sévère envers lui, et il le fut. Or, l'enfant fut tel-
lement désolé de ce 4, que pendant neuf ans qu'il resta dans
la maison, ce malheur ne lui arriva plus. Noble nature
sans doute, nature exceptionnelle, si l'on veut : mais enfin
voilà l'impression que font les notes ; eUes remuent à des
profondeurs, et avec des délicatesses quelquefois incroya-
bles, ce qu'il y a de plus généreux et de plus élevé dans
l'âme des enfants !


Que de mobiles donc mis en jeu par les notes ! que de
nobles efforts provoqués ! quel stimulant même pour les
plus apathiques ! Non, nul enfant n'y est indifférent, parce
qu'elles s'adressent à tous, et par un des côtés les plus sen-
sibles de la nature.


Cependant, pour que les notes soient en honneur et con-
servent sur les enfants l'influence qu'elles doivent avoir,
detix conditions sont nécessaires; lès voici :


I I I


D'abord, il faut que les notes soient bien données.
Les notes proprement dites, les chiffres, doivent avoir une


valeur absolue, exprimer la vérité et la rigoureuse justice.




518 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


Ce que vous marquez bien ou mal pour l'un, il faut le mar-
quer bien ou mal pour l'autre. Ce que vous notez d'une façon
aujourd'hui, il faut le noter de la même façon demain. Mais
pour être sûr de cette vérité et de cette justice rigoureuse,
il faut que chaque professeur note chaque jour, à chaque
classe et sur-le-champ, les leçons, les devoirs, les explica-
tions, et la conduite de chaque enfant.


Cette exactitude à noter sur l'heure est^essentielle, et à
deux points de vue : pour éviter les erreurs de mémoire, et
pour faire impression sur les enfants. Quand la puissance des
notes sur eux n'est pas affaiblie, on les voit, après chaque
leçon, chaque explication, chaque devoir, fixer un œil in-
quiet ou joyeux sur le redoutable crayon que le professeur
tient à la main : lorsqu'ils ont la conscience d'avoir bien
répondu, bien fait, ils sont tristes, si la note n'est pas mar-
quée de suite ; si on méprise cette tristesse, c'est un tort, et
les notes perdent de leur influence sur eux.


Les notes du salnedi ne font que résumer exactement tou-
tes celles de chaque jour.


Les notes doivent avoir une valeur absolue : le seul tem-
pérament d'indulgence possible ici, c'est d'expliquer et"
quelquefois de remplacer le chiffre par une observation
écrite. Les observations n'ont rien d'absolu : elles sont
toutes relatives et à la nature de l'enfant, et à l'indulgence
ou à la sévérité particulière qu'il mérite, et qui lui sera plus
utile.


Et ici, qu'il me soit permis de le dire, les maîtres ne sau-
raient apporter à la rédaction de ces notes une trop scru-
puleuse, je dirai même une trop respectueuse attention. A
tous les points de vue, rien n'est plus grave que ce qui se
fait ici. Qu'est-ce en effet autre chose, que de décerner pu-
bliquement et avec autorité le blâme ou la louange ? Or, qui
ne voit que cela est toujours infiniment délicat, que rien ne
doit être fait moins à la légère et avec plus de discernement




CH. II. — LES NOTES. 519


U n blâme public touche à l'honneur d'un enfant : mais
c'est toujours chose sacrée que l'honneur. L'enfant a un
droit rigoureux à ce que vous ne vous fassiez pas un jeu du
sien. La mesure de sa faute ne doit en rien être dépassée.
Le chagrin, le dépit, l'humeur, surtout le plaisir secret d'une


- petite vengeance, ne doivent avoir absolument aucune in-
fluence sur vous, lorsque vous rédigez vos notes.


Et la louange elle-même n'est pas moins délicate que le
blâme. Un éloge indiscrètement décerné pourrait devenir fu-
neste. 11 est manifeste que l'éloge ne doit jamais être une flat-
terie. Les louanges méritées doivent être tournées en leçon,
en encouragement, en récompense.


Si on n'y prenait garde, pour certains enfants,qui ont des
succès brillants, on ferait des louanges un poison, on les
tournerait en orgueil, en vanité, en folie : tandis que pour
les enfants qui ont peu de moyens, les observations, si elles
étaient trop dures, les écraseraient, les décourageraient
entièrement.


Quelle justice, quelle gravité, quelle dignité, quelle me-
sure de langage, quel discernement il faut donc apporter à


' tout cela !
Aussi un enfant demandait-il un jour si on ne décidait


pas les notes en conseil ; tant les notes apparaissaient à sa
conscience comme une chose grave et délicate !


Ce ne sont que des enfants, direz-vous : il est vrai; mais
cela ajoute encore à la gravité et à la délicatesse de vos notes.


Ce n'est pas tout : que tout maître y pense bien, ces notes ""
qu'il donne, le Supérieur sera obligé de les accepter publi-
quement !


Voilà un jeune professeur sans expérience, sans autorité
personnelle, qui élève la voix au milieu de toute une commu-
nauté attentive, devant un Supérieur etdes Directeurs, devant
toute une maison, pour décerner la louange ou le blâme,
l'honneur ou la honte. Eh bien! son jugement, ses paroles,




520 IJV, IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


ses observations sur un enfant, le Supérieur est obligé de
les commenter dans le sens du professeur !


Et ces notes demeurent écrites dans les archives de la
maison, où elles pourront être consultées toujours, et ren-
dre à jamais témoignage pour ou contre un enfant.


Mais quelles sont les conséquences immédiates des notes?
Certes, un tel moyen d'action ne peut être employé sans de
grandes conséquences : admirables, si les notes répon-
dent à leur but et sont données avec conscience et sagesse ;
déplorables, si elles sont données maladroitement et à faux.


En effet, elles s'appuient, nous l'avons vu, sur le vif senti-
ment de l'honneur, sur le grand principe des responsabilités
morales. Et c'est cela dont vous croiriez pouvoir ne pas tenir
compte,que vous blesseriez en décernant vos notes au hasard,
sans juste appréciation, sans prudente mesure, sans exacte
équité!Lepouvez-vous penser, le pourriez-vous faire impu-
nément?


Quoi! ces notes, vous ne voulez pas que l'enfant les mé-
prise et qu'il s'en joue ; vous voulez qu'il les estime, qu'il en
fasse cas, qu'il y attache une suprême importance; et vous-
mêmes, vous les traiteriez sous ses yeux à la légère et sans
respect! Il s'aperçoit vite, soyez-en bien sûrs, de votre fa-
çon de faire, et contrôle inévitablement vos notes et votre
légèreté dans sa conscience.


Je n'hésite pas à dire qu'à l'heure des notes, tout enfant
devient une nature délicate, élevée, généreuse; extrême-
ment sensible; c'est le moins qu'on en puisse dire. Eh bien!
vos notes vont le frapper au cœur, lui inspirer la tristesse
ou la joie, une juste ardeur ou le découragement; bien plus,
elles vont retentir jusqu'au cœur de ses parents eux-mêmes.
Mais si l'enfant s'aperçoit qu'elles tombent à faux, qu'elles
méconnaissent ses vrais efforts ou négligent ses vraies
fautes, qu'elles lui refusent la juste satisfaction sur laquelle
il comptait, le légitime orgueil de les présenter à un père,




ili. 11. — LES NOTES 521


li une mère; ou nien qu'elles le laissent impunément se li-
vrer à telle négligence, à telle dissipation, je ne vous dirai
pas seulement : Quelle action voulez-vous que vos notes
exercent sur lui? je vous dirai : Vous brisez vous-mêmes
l'admirable instrument que vous aviez entre les mains; vous
vous ruinez vous-mêmes à jamais dans l'estime de vos élèves.


Non, de telles notes ne peuvent pas être décidées ni don-
nées à la légère ! elles doivent être profondément conscien-
cieuses et méditées devant Dieu ; car enfin, toute une maison,
toute une année, toute une jeunesse, quelquefois tout un
avenir dépend de là !


Ces notes, je ne puis assez exprimer l'idée que j 'en ai, le
respect qu'elles méritent, la délicatesse, la vérité, la justice,
avec lesquelles on doit les décerner.


Avant tout, il faut qu'elles soient vraies, qu'elles soient
justes, même dans l'indulgence; à plus forte raison dans la
sévérité.


Une des plus grandes aberrations dans lesquelles pourrait
tomber un professeur relativement aux notes, et cela se voit
trop souvent, c'est, quand une classe va mal, de lui donner
néanmoins de bonnes notes pour échapper à la responsabi-
lité publique de sa classe, et éviter les reproches de M. le
Supérieur. Cela est à tous les points de vue le plus triste cal-
cul ; car la vérité ne tarde pas à être connue ; mille autres in-
dices la révèlent; et le mépris de toute une maison, maîtres et
élèves, est lajuste punition d'une si misérable supercherie.


En tout, même dans les plus simples notes, c'est toujours
une chose très-fàcheuse, lorsque les notes ne sont pas l'ex-
pression de la vérité ; par exemple, quand le tarif n'est pas
suivi ; quand on le change arbitrairement. Un professeur
ferme sera obligé de fléchir parce que son confrère aura
fléchi, et que, s'il s'en tenait, lui, au tarif, sa classe paraî-
trait moins bonne, bien qu'elle soit meilleure. En tout les
conséquences du faux sont déplorables.




522 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


I V


PBOCLAMATION DES NOTES : TEMPS ET MEC.


La solennité avec laquelle ces notes sont proclamées
ajoute encore à leur autorité.


On le comprend, à cette proclamation solennelle le temps
et le lieu sont loin d'être indifférents.


Où faut-il proclamer les notes? Je réponds : à la salle des
exercices; comme pour la lecture spirituelle, et pour de
plus graves raisons encore.


Donc, l'a vérité, la justice dans les notes; et, dans les
observations qui y sont jointes, une dignité, une gravité bien-
veillante ; quelque chose de doux, de ferme, de noble ; sur-
tout quelque chose d'encourageant; quelquefois de compa-
tissant : presque jamais de plaisanteries, ou si l'on croit
pouvoir quelquefois s'en permettre, qu'elles soient d'un goût
exquis, d'un ton élevé, et de la meilleure compagnie,


Voilà pour les notes en elles-mêmes : je dis en second lieu
qu'elles doivent être bien commentées.


Ce commentaire y peut ajouter, soit pour l'éloge, soit pour
le blâme, une valeur considérable. Il peut, selon les cir-
constances, ou enfoncer le trait dans la plaie, saturer d'une
humiliation nécessaire un orgueil insolent, courber un ca-
ractère inflexible ; ou bien, au contraire, adoucir, s'il en est
besoin, une blessure trop vive, y mettre l'huile et le
baume : il peut humilier, dompter, écraser; ou bien con-
soler, relever, enflammer ; et cela sans qu'il soit besoin de
longues phrases; un mot, souvent, quelquefois même un
geste, un regard, c'est assez. Le Supérieur est là investi
d'une autorité toute-puissante, et exerce une action morale
d'une souveraine efficacité.




CH. II. — LES NOTES. 523


La salle d'études y convient beaucoup moins. Je les ai vu
proclamer au réfectoire : c'est n'y rien comprendre, et ne
rien sentir,


Quant au moment convenable, bien des choses sont à
considérer. — D'abord, il ne doit pas y avoir de récréation
après la proclamation des notes ; ceci est essentiel. Tous les
fruits de ce grand exercice s'évanouiraient dans la dissipa-
tion du jeu. Les sages réflexions, les tristesses salutaires,
les résolutions sérieuses, rien ne tiendrait dans ces jeunes
esprits, dans ces jeunes cœurs : en récréation, les joies légi-
times deviendraient bientôt vaines, les succès s'exalteraient,
la rencontre des vaincus et des vainqueurs ne se ferait pas
heureusement, malgré la générosité naturelle des enfants.
--Non, il faut qu'en sortant des notes ils aillent à l'étude, et
en silence.


Le jour et le moment qui, à mon sens, conviennent le mieux
à cet exercice, c'est le samedi, le samedi soir, après la der-
r i è r e classe, qu'on peut abréger à cet effet.


Voici les avantages de ce moment et de ce jour.
D'abord les enfants ont, après la lecture des notes, cette


belle et grande étude du samedi soir, qui est l'étude prépa-
ratoire aux confessions. Us ne sortent de l'étude que pour
aller trouver leur confesseur, lui confier leurs joies et leurs
peines, lui demander ses bons conseils, prendre de bonnes
résolutions.


Puis, le lendemain dimanche est une heureuse journée,
une journée à part. Les devoirs de classe occupent peu : il
n'y a guère que les devoirs de religion à remplir, avec de
grandes et belles récréations. On communie, on chante des
cantiques, on entend la parole de Dieu, on a à la chapelle
de beaux et touchants exercices : dans les récréations, on
joue avec ardeur; à l'étude, on écrit à ses parents; le ré-
fectoire lui-même a ses encouragements ; enfln le lunai o n
retrouve avec joie son professeur, sa classe, ses condis-




5 2 4 M V . IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


ciples, ses heures de travail ; on répare le passé, s'il le faut,
et on marche avec joie vers l'avenir.


Il y aurait des inconvénients à placer la proclamation des
notes le dimanche : ce serait après la confession, peut-être
après l'absolution et la communion : comment réprimander
et punir, pour une mauvaise note, un enfant qui sort de la
sainte table?—Ceci, on le comprend, s'applique plutôt à la
4 " et à la 2 m e division d'une maison qu'à la 3 m e , composée
en grande partie d'enfants qui n'ont pas fait leur première
communion.


V


QUELQUES OBSERVATIONS IMPORTANTES SDR LES NOTES.


Voilà donc ce que sont les notes hebdomadaires ; toute la
vie et l'émulation qu'elles mettent dans une maison, tous
les généreux sentiments, tous les nobles efforts qu'elles pro-
voquent, toutes les ressources qu'elles donnent pour agir
efficacement sur les enfants.


Je n'ajouterai plus que quelques observations pratiques.
i° Si un enfant a eu de mauvaises notes, et ne va pas trou-


ver son confesseur pendant l'étude qui suit les notes, c'est
au confesseur à le faire venir, non pour le confesser, mais
pour le consoler et l'encourager.


2° Un usage excellent, qui peut piquer vivement l'amour-
propre et avoir de très-heureux résultats pour soutenir l'at-
tention et le travail, c'est de faire promulguer solennellement
aux notes les fautes honteuses d'orthographe française, et les
barbarismes ; mais seulement dans la grande division, et
surtout pour les classes les plus élevées, sans aucune pitié,
surtout pour les rhètoriciens.


Ces fautes d'orthographe et ces barbarismes sont inscrits




CH. H . — LES NOTES. 325


pour chaque classe, dans un cahier noir ad hoc : il y a là
une humiliation très-salutaire pour la paresse.


3° On commence la lecture des notes par la philosophie,
et les autres classes plus élevées. La raison en est simple :
comme les notes de ces classes sont généralement excel-
lentes, sinon toujours pour le succès, au moins pour le tra-
vail et la conduite, elles mettent tout en bon train.


Que si ces notes étaient mauvaises ou médiocres, ce serait
un grand malheur, un vrai scandale ; et le Supérieur aurait
alors besoin d'une grande habileté, d'une grande prudence en
même temps que d'une grande énergie, dans ses réflexions
et commentaires.


Les notes des classes élevées ne peuvent pas être médio-
cres, sans que toute la maison en souffre.


Il ne doit pas y avoir en philosophie, en rhétorique, en
seconde, de notes faibles pour le travail et la conduite. Une
seule fois ne prouverait pas, qu'une maison va mal, mais
plusieurs fois le prouveraient certainement.


La tête d'une maison doit être parfaite, ou bien tout lan-
guit et périt.


11 faut, à tout prix, établir ces traditions, cet esprit dans
toute maison.


Dans les maisons d'éducation chrétienne, ce doit être le
contraire des mauvais collèges : c'est la grande division qui
doit être le modèle de la piété, du travail, du respect.


Il n'y a de difficultés réelles que dans la deuxième et
troisième division, avec les jeunes enfants, et cela est simple ;
il faut s'y attendre : leur âge, leur nouveauté dans la mai-
son, demandent qu'on tolère chez eux les imperfections, en
y remédiant.


4° Il faut que les notes, les observations soient très-précises,
et tombent d'aplomb. Rien ne va moins ici que la divagation
et le bavardage.


5° 11 faut que les professeurs prennent bien garde aux en-




526 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


farits qui avaient des succès et de bonnes notes l'année pré-
cédente, avec un autre professeur, et qui n'en ont plus avec
leur professeur nouveau. C'est à celui-ci qu'ils s'en pren-
nent : il faut y avoir grande attention, car cela seul peut
décider quelquefois d'nne bonne ou mauvaise année pour
un enfant.


6 ° Il y a des maîtres qui, dès le commencement de l'an-
née, prodiguent les bonnes notes, se précipitent dans les
parfaitement bien. Il faut se défier de cet entraînement-là.


7° Il y en a d'autres qui prodiguent à certains enfants les
mal, les très-mal : qu'arrive-t-il? on finit par les découra-
ger, les blesser. Si un enfant va très-mal sur plusieurs points,
cherchez, faites tous vos efforts pour trouver un point où il
n'y ait pas demauvaises notes à lui donner, où il puisse mé-
riter un éloge qui le relève à ses propres yeux, et l'empêche
de s'accoutumer aux notes infimes : n'épargnez aucun en-
couragement pour ramener là k J'ai connu un enfant qui a
été sauvé ainsi. Habitué aux mauvaises notes, il s'y était
endurci, et restait dans son ornière. Un professeur intelli-
gent obtint enfin de lui, à force de soins, quelques bonnes
notes à travers ses très-mal : le Supérieur commenta ces
bonnes notes avec grand éloge, fit comprendre à l'enfant
qu'il ne lui serait pas impossible d'en avoir d'aussi bonnes
pour tout : l'enfant, qui avait fini par ne plus se croire ca-
pable de rien, mais dont la nature était généreuse au fond,
une fois dégagé de l'étreinte des mauvaises notes, se déploya
et donna ses fruits.


8° Les notes, avant et après les retraites, avant et après la
première communion, doivent être particulièrement encou-
rageantes. 11 convient alors, on le comprend, d'avoir cer-
tains ménagements pour les âmes en qui Dieu a fait ou va
faire de grandes choses : il est bon aussi de laisser voir aux
enfants qu'on suppose qu'ils ont profité ou profiteront des
grâces de Dieu.




CH. II. — LES NOTES. 827


Après les sorties, les notes doivent être bienveillantes,
indulgentes : on en comprend les motifs.


9° Les notes de chaque classe se terminent par une obser-
vation générale du professeur sur la marche de sa classe pen-
dant la semaine. Là encore il ne faut pas d'histoire : il faut
êtrecourtetprécis,etquetout,commej'aidit, tombe d'aplomb.


•10° C'est le commentaire du Supérieur surtout qui doit
être court et vif : ce doit être un mot, une syllabe sur chaque
enfant, quelquefois une phrase, bien rarement une grande
observation, si ce n'est à la fin des notes de chaque classe.


VI


NOTES DES COURS SUPPLÉMENTAIRES ET DE DISCIPLINE GÉNÉRALE.


Les notes ne doivent absolument rien omettre de ce qui
mérite l'éloge ou le blâme; c'est pourquoi il faut donner
aussi des notes pour les cours supplémentaires, et pour la
discipline générale.


Ces notes se donnent tous les mois : chaque semaine serait
trop fréquent: chaque mois suffit; les classes étant ici plus
rares, les compositions n'ayant lieu que mensuellement, et
la note de discipline générale ayant besoin d'une observa-
tion longtemps continuée.


La note de discipline générale signale la conduite des en-
fants partout, en tous lieux, en tout exercice, sauf l'étude et
la classe. Ainsi, tous les mouvements, tous les passages,
toutes les récréations, le réfectoire, les dortoirs, la chapelle
môme. — Le chiffre est souvent accompagné d'une courte
observation.


Les notes des cours supplémentaires signalent, le travail
et la conduite, et autant qu'il se peut, les leçons, les devoirs
et les explications*




528 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


Toutefois, chaque semaine, le samedi soir, tous les pro-
fesseurs des cours supplémentaires doivent remettre à M. le
Supérieur le cahier des notes qu'ils ont dû prendre à chaque
classe sur chaque élève, afin que, si une classe ou un élève
a un besoin pressant d'avertissements, M. le Supérieur
puisse les donner à la lecture des notes hebdomadaires.


Ce sont MM. les préfets de discipline qui donnent les notes
de discipline générale, d'après les observations recueillies
chaque jour dans leur carnet particulier.


Telles sont les notes hebdomadaires et mensuelles : il est
incontestable que, données et proclamées comme nous ve-
nons de le dire, c'est un grand et admirable moyen d'action
qui se fait sentir à tous, et toujours, et à chaque instant : c'est
la punition et la récompense au plus haut degré, dans l'ordre
le plus élevé, et sous la forme la plus noble et la plus effi-
cace. Mais, je l'ajouterai, je ne crois possibles de telles notes,
une telle institution, que dans une maison d'Éducation vrai-
ment chrétienne. Aussi ne l'ai-je vue nulle part ailleurs
instituée, pas même pour les simples chiffres, beaucoup
moins encore pour les observations personnelles, et pour les
commentaires du Supérieur.


Ailleurs, les élèves riraient, les maîtres abuseraient. Il n'y
a que l'esprit religieux, que la charité chrétienne qui puisse
inspirer, ennoblir, conserver de tels procédés d'Éducation.


Mais je l'ajouterai aussi en terminant : Comment se fait-il
que toutes les maisons qui pourraient avoir ce grand moyen
d'émulation, c'est-à-dire toutes les maisons d'Éducation
chrétienne ne l'aient pas? J'exprime le vœu le plus ardent
pour que les notes hebdomadaires soient établies dans toutes
les maisons dirigées par des ecclésiastiques.




CH. III. — LA LECTURE SPIRITUELLE. 629


CHAPITRE I I I
La lecture spirituelle.


I


La lecture spirituelle, comme les notes et plus encore que
les notes, est un des grands exercices d'une maison d'Édu-
cation, un des moyens d'action les plus énergiques et les
plus doux à la fois, et sans contredit le plus ferme ressort
de tout le gouvernement.


Qu'est-ce donc que la lecture spirituelle?
C'est assez difficile à dire, à définir; car ce mot, conservé


dans nos règlements, bien que l'exercice qu'il désigne ait été
modifié, n'exprime plus ce qu'il signifie; et la lecture spiri-
tuelle, telle que je l'entends, est chez nous un exercice où on
ne lit presque jamais.


Mais si ce n'est pas une lecture, qu'est-ce donc? Le voici
à peu près : c'est chaque soir un entretien du Supérieur
avec les enfants, un entretien paternel, où se fait la commu-
nication de toutes choses, comme en famille; où on se dit
ses joies et ses peines, ses espérances et ses craintes, ses
satisfactions ou ses mécontentements.


C'est l'exercice où une maison d'Éducation devient vérita-
blement une famille : de même qu'au foyer domestique,
après le travail du jour, le père rassemble autour de lui tous
ses enfants et cause avec eux de tout ce qui les intéresse *
de même, à la lecture spirituelle, le Supérieur dit aux élèves


É., m . 34




5 3 0 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


rassemblés le soir devant lui, dans la paix et le silence de
toutes les études, de tous les travaux du jour achevés, la
journée faite en un mot, tout ce qu'il a sur le cœur et dans
le cœur, pour ou contre eux : toutes ses" observations sur
leur conduite pendant le jour, toutes les observations de
leurs maîtres.


C'est là où il les loue, où il les blâme, où il les plaint, où
il les encourage ; là, où il les amuse quelquefois et les fait
rire, et là où il les fait quelquefois aussi pleurer ; mais là où
il les intéresse toujours ; car c'est là qu'il leur raconte tout
ce qui se gasse d'important, d'heureux ou de malheureux
dans la maison; là où toutes les phases de leur vie littéraire,
religieuse, disciplinaire, se représentent à eux, avec un
charme, avec un attrait de curiosité singulière ; là où tout
devient un événement, une attente, une surprise, une conso-
lation ou un chagrin salutaire, et toujours un enseignement :
en un mot, c'est là qu'il est père, là qu'il paraît avec l'au-
torité, la majesté, la bonté, la tendresse, les insinuations,
les menaces, les bénédictions, et, quand il le faut, les ma-
lédictions d'un père.


C'est laque, selon le mot de saint Paul, il se fait tout à tous,
se proportionne, s'égaye même quelquefois comme un en-
fant, ïanquam parvulus in medio vestri, ou, selon cet autre
mot de l'Apôtre, qu'il s'attendrit comme une mère : Tan-
quam si nutrix foveat filios suos; mais c'est là aussi qu'il
tonne quelquefois, et rugit comme un lion.


C'est là, en effet, qu'il prononce les terribles paroles de
séparation et de retranchement; là, où il annonce qu'on n'a
pu conserver dans la maison tel enfant, qui a abusé de toutes
les grâces de Dieu, de tous les soins de ses maîtres : que la
patience a été longue, mais qu'enfin elle a eu un terme, et
que ce pauvre enfant a été ignominieusement renvoyé... ou
bien qu'on a cru devoir se séparer doucement et sans éclat
de quelques élèves dissipes, mous, légers, paresseux, qui




CH. III. — LA LECTURE SPIRITUELLE. 531


étaient toujours les derniers de leur classe, et ne compre-
naient pas la grande œuvre de leur Éducation, le bienfait
de leur séjour dans la maison, etc., etc.


Mais ces tristes discours sont rares à la lecture spirituelle ;
car c'est à peine s'ils s'y rencontrent deux ou trois fois
par an.


C'est là surtout, que le Supérieur raconte ses joies et ses
espérances : le progrès des uns, le retard de tels autres, le
changement heureux, l'amélioration sensible de tel enfant
dont on n'avait rien obtenu jusqu'alors, les succès inatten-
dus de telle division, le zèle, l'émulation de telle classe.


C'est là qu'il annonce solennellement, et avec tous les
détails les plus piquants, les plus curieux, cl longtemps à
l'avance, toutes les fêtes de la maison; les séances acadé-
miques, les visites honorables et agréables qu'on espère re-
cevoir, les grands personnages, évêques ou autres, qui se
proposent de venir juger par eux-mêmes du bien qu'on dit
de la maison '. les grandes promenades, les grandes récom-
penses, les parties de plaisir extraordinaires, les festins
même, et avec toutes les circonstances qui peuvent plaire
aux enfants : en un mot tout ce qui intéresse les études, la
discipline, la piété, les récréations, l'hygiène, l'esprit, le
cœur, la vie tout entière, voilà ce dont le Supérieur entre-
tient ses élèves, ou plutôt ses enfants, à la lecture spiri-
tuelle.


Dans mes souvenirs de Supérieur, c'est la lecture spiri-
tuelle qui occupe la plus haute place ; cette heure était mon
heure par excellence : c'est là que j'ai aimé, que j 'ai béni,
que j 'ai élevé, que j 'ai nourri tant d'enfants, dont les noms
me seront toujours chers.


Là, où je leur ai donné tant de témoignages d'un amour et
d'un dévoûment que nul dévoûmenl, nul amour dans ma vie
n'a égalé ; là où nous ne faisions sensiblement tous ensemble
qu'un cœur et qu'une âme ; où nous sentions avec douceur




S 3 2 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


que nous nous aimions les uns les autres ; où toutes les peines
s'effaçaient, tous les nuages se dissipaient ; là où la sérénité
revenait; là où mon âme leur a donné tant d'avis consolants,
et aussi tant d'avis terribles ; et pendant ce temps je voyais
ces deux cents jeunes regards fixés sur moi, tous ces jeunes
enfants suspendus à ma parole, et immobiles; tous les senti-
ments qui m'agitaient, paraissant tour à tour sur leur visage
naïf à mesure que je les exprimais, et pénétrant leur âme.


C'est là qu'une fois, pendant six semaines, je leur ai parlé
de la grandeur et de la beauté de leurs études, de leur haute
Education littéraire, et de cette grande chose qui se nomme
les HUMANITÉS ; et ils m'écoutaient avec une telle avidité, avec
une telle joie, une telle ardeur, que les rhétoriciens, les se-
condes, les troisièmes, prenant des notes pendant que je
parlais et à mon insu, toute la maison se disputait ces notes,
les plus jeunes enfants voulaient les avoir, le feu sacré était
partout: enfin, je les ai voulues moi-même, et elles sont de-
venues le premier volume de la haute Éducation intellec-
tuelle que j 'ai publié.


C'est là qu'une autre fois, pendant trois semaines, je leur
parlai sur la littérature et la poésie romantique, et les décidai
à faire en pleine cour un grand l'eu de joie de tous les livres
et cahiers qui ressentaient de près ou de loin le mauvais
romantisme, et à ne plus aimer et cultiver avec respect que
le vrai, le grand, le beau classique !


C'est encore à la lecture spirituelle que, pendant un mois,
chaque soir, je leur apprenais à étudier chrétiennement Vir-
gile, et leur faisais voir de près et admirer le christianisme
du Télémaque.]


C'est là enfin où je leur parlais, comme j'ai déjà eu occa-
sion de le dire, de leurs défauts, et où j'eus l'ineffable con-
solation de voir ces enfants s'intéresser à ce que je leur
disais de plus vif et de plus dur contre eux, et s'y intéresser
aux dépens de leur amour-propre, de leur vanité, de leur




CH. III. — LA LECTURE SPIRITUELLE. S 3 3


orgueil, de leur mollesse, et de toutes leurs passions atta-
quées, et m'écrire, à la suite de ces entretiens, des lettres
d'Une affection, d'une franchise, d'un courage contre eux-
mêmes que je ne pouvais m'empêcher d'admirer.


Je serais infini, si je me laissais aller ici à la douceur de
tous mes souvenirs.


Je me bornerai à dire en finissant que c'est encore à la
lecture spirituelle que je faisais la promulgation des lois, de
l'ordre du jour, et de toutes les ordonnances particulières
de la maison. C'est à la lecture spirituelle que la veille des
fêtes je leur racontais l'historique de la fête, la vie du saint,
au moins les traits les plus saillants. C'est là aussi que je
lirais solennellement et leur expliquais le règlement du len-
demain, et achevais ordinairement par une exhortation cor-
diale sur la joie de l'absolution reçue et le bonheur de la
communion prochaine.


Pour tout dire enfin, c'est à la lecture spirituelle que le Su-
périeur raconte aux enfants les histoires les plus récréatives
et les plus instructives; tous les événements religieux et cu-
rieux du dehors ; les grandes conversions ; les beaux pèleri-
nages; les récits des missions étrangères; tout ce qui frappe
et saisit les jeunes âmes, et les enflamme pour le bien.


II


Voilà donc ce que c'est que la lecture spirituelle ; et main-
tenant , qui n'a senti quel immense intérêt doit offrir un tel
exercice ; quel attrait peuvent avoir pour les enfants ces en-
tretiens du soir, après les travaux du jour terminés; ces
causeries qui touchent à tant de choses, tour à tour leçons
sérieuses, charmants récits, gronderies paternelles, louan-
ges, blâmes, avertissements, conseils; toujours effusions du
cœur et inspirations du dévoûment?


Qui ne sent toute la puissance d'une parole animée, quel




534 LIV IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


que peu éloquente qu'elle soit d'ailleurs, sur un auditoire
d'enfants et de jeunes gens, avides, curieux, inquiets, palpi-
tants, et toujours si faciles à émouvoir! quel inappréciable
avantage de les avoir là, tous, chaque ISoir, sous sa main,
sous sa parole, de pouvoir tout leur dire, de pouvoir tou-
cher successivement toutes les cordes de leur âme, et y sus-
citer tour à tour toutes les plus vives et meilleures émotions ?


Je n'hésite pas à affirmer qu'il n'y aura jamais nulle part
pour un orateur, vis-à-vis de son auditoire, une position
aussi favorable ! et, si la parole humaine a quelque puis-
sance, c'est là surtout qu'elle peut l'exercer !


Mais quel art, ou plutôt quel cœur (car ici tout l'art est
dans le cœur, toute la puissance est dans l'amour), quelle
inspiration du cœur et de la grâce de Dieu il faut, pour parler
à toute cette jeunesse, diverse d'âge et par conséquent d'in-
telligence , et cependant se faire comprendre à tous, les at-
teindre tous, n'en laisser aucun en dehors de ses enseigne-
ments , et tantôt les toucher jusqu'aux larmes, tantôt les
animer jusqu'à l'enthousiasme; souffler la flamme intellec-
tuelle dans les esprits et le feu sacré dans les cœurs ; le6
élever avec soi quelquefois jusqu'aux plus sublimes hau-
teurs morales ; les transporter d'ardeur pour le travail et la
vertu, pour itoutes les grandes et saintes choses; ou bien
renverser l'obstacle qui tout à coup a surgi, et entrave leur
Éducation; remédier à un désordre, à un souffle de mauvais
esprit, à une inconstance, à un mécontentement, à une er-
reur; calmer, maîtriser, relever, encourager, égayer, atten-
drir, enflammer ! Car la lecture spirituelle, je l'ai dit, doit
avoir tour à tour tous ces caractères : aujourd'hui, entretien
paternel du chef de la famille avec ses enfants; demain,
conseils graves, leçons austères, et quelquefois les plus éle-
vées de l'instituteur; puis, conversation vive et animée sur
les études, sur les lettres, sur les beaux génies de l'anti-
quité; puis, langage plus saint et plus pénétrant du prêtre




CH. III. - LA LECTURE STlRITUELLE. 535


et du pasteur; quelquefois, blâmes, réprimandes, sévérités
du chef de maison préoccupé d'un danger qui s'élève et
qu'il a aperçu, d'un germe de mal qu'il faut étouffer avant
qu'il naisse; plus souvent, encouragement, promesses, élo-
ges, ardeur répandue dans toutes les âmes, rayonnement de
bonnes inspirations.


Et c'est de cette sorte, on le conçoit, que tout concourt à
faire de cet exercice l'intérêt et le délassement de la journée.


Ainsi la lecture spirituelle, suivant la corde que le maître
veut faire vibrer dans" l'intelligence de ses élèves, le père
dans l'âme de ses enfants, aura tous les tons, tous les ac-
cents, ettoutes les utilités les plus vives et les plus présentes
pour cette chère et précieuse jeunesse.


111


Tout ce qui vient d'être dit de la lecture spirituelle suffit
à en faire comprendre la nécessité, l'intérêt, je dirai même
la solennité et la grandeur.
. Cela étant, à qui revient, dans une maison d'Éducation, le
devoir de faire la lecture spirituelle? Il est évident que c'est
au Supérieur; pourquoi? Par^e que la lecture spirituelle
est le centre essentiel de la maison, le grand mouvement, le
grand entrain de toutes choses; le foyer le plus actif et le
plus intime de l'Éducation: tellement que toute la haute
direction, toute l'unité, tout le charme et toute l'efficacité de
l'Education ont leur source là, dans cette heure féconde et
souveraine.


Voilà pourquoi le Supérieur, seul, préside convenablement
la lecture spirituelle, et seul la fait bien aux enfants.


Voilà pourquoi aussi tous les maîtres doivent y être pré-
sents. C'est le cœur, la tète, la lumière de leur œuvre ; il faut
que tous s'y réchauffent, s'y éclairent, et y prennent l'im-
pulsion.




336 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


C'est d'ailleurs avant la lecture spirituelle que tous les
maîtres, et surtout les Directeurs, doivent remettre au Su-
périeur les notes de la journée : voilà pourquoi elle se fait
nécessairement à la fin du jour. C'est d'ailleurs un moment
très-favorable : car, comme elle est ordinairement intéres-
sante, souvent très-curieuse, très-amusante, elle repose les
enfants, elle les délasse du travail, elle remet toutes choses
en place ; elle refait la paix des âmes. C'est le dernier en-
tretien, la douce conversation du foyer,,la dernière bénédic-
tion du soir.


Elle ne se fait pas à la chapelle : ce serait trop sérieux : la
familiarité, le délassement y manqueraient. Elle ne doit pas
se faire non plus à l'étude, mais à la salle des exercices.
C'est de l'étude que les enfants y doivent venir. Pour-
quoi cela? Le changement de lieu ajoute à l'intérêt et à
l'importance de l'exercice; et puis, il n'y aurait pas assez de
dignité à l'étude. A l'étude, en effet, les enfants sont chez
eux ; à la salle des exercices, ils viennent chez le Supérieur :
l'étude, c'est leur domicile ; le Supérieur aurait l'air de com-
paraître là, devant eux, tandis que ce sont eux qui compa-
raissent à la salle des exercices devant le Supérieur.


A l'étude, ils sont entouras de toutes les images du tra-
vail, de tous les souvenirs du labeur pénible, de la paresse,
de la tristesse ; quelquefois aussi il y a là une certaine mal-
propreté, je ne sais quel désordre inévitable. — A la salle des


exercices, les enfants n'ont devant les yeux que les images
de la vertu, de la religion, du respect, de tous les grand's
souvenirs de la famille, chrétienne ; car cette salle doit être
vaste, aérée, digne, élevée, ornée de tableaux religieux;
les enfants y sont parfaitement rangés et placés, et tous
leurs maîtres autour d'eux à des places marquées et distin-
guées.


Le Supérieur se tient sur une estrade plus haute ; les Direc-
teurs sont tous assis plus près de lui ; les autres maîtres à leurs




CH. I I I . — LA LECTURE SPIRITUELLE. 5 3 7


places, au milieu des enfants ; les enfants, les braâ croisés et
immobiles. La tenue, le recueillement, le silence sont d'au-
tant plus parfaits, que souvent le Supérieur les égayé, et que
la joie ne doit jamais devenir la dissipation à un degré quel-
conque.


En un mot, la lecture spirituelle doit avoir toujours la di-
gnité et l'amabilité d'un entretien paternel. Nulle part, l'au-
torité et le respect ne doivent revêtir des formes plus dignes,
plus fermes, et plus douces.


Du reste, comme à la chapelle, le placement des enfants
contribue beaucoup à l'inspiration du Supérieur ; il ne faut
pas, par exemple, que les petits enfants soient les premiers
sous ses yeux : cela diminuerait, rapetisserait nécessaire-
ment sa parole : cette parole doit être simple et familière sans
doute, mais il la faut vive, forte, élevée, pénétrante, et se dé-
ployant librement dans les sujets si variés et si importants
dont il est question dans ces entretiens.


IV


J'ai déjà indiqué toute la variété des sujets qui font la ma-
tière de ces lectures spirituelles, et comment la discipline,
la religion, la littérature, les études, les moyens d'émulation,
les concours, les séances académiques, les récompenses,
tous les incidents de la vie ècolière, tout ce qui arrive d'heu-
reux ou de malheureux dans la maison, à telle classe, tel
élève ; en un mot, tout ce qui peut paraître utile, agréable et
bon, à quelque point de vue que ce soit, devientl'objet de ces
entretiens. C'est au Supérieur, pour parlera propos, de s'ins-
pirer du moment et des circonstances.


Et d'abord, au commencement de l 'année, de quoi doit-il
être question? Évidemment, du règlement général de la mai-
son : on l'explique d'une manière très-détaillée, nous l'avons




5 3 8 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


dit ; cela dure un mois, six semaines à peu près : on y revient
d'une manière plus succincte au commencement du carême ;
cela dure huit à dix jours.


Rien n'est plus utile au Supérieur pour présenter chaque
chose sous son jour vrai, donner aux enfants sur tous les
points de la règle les idées qu'ils doivent avoir, prévenir de
leur part les interprétations erronées, les impressions fâ-
cheuses, inspirer la joie, la confiance, l'ardeur, le bon
esprit.


A la rentrée, on commence l'explication du règlement par
les articles d'étude et de discipline : la classe, la récréation,
les repas, les promenades, les sorties; et il est très à propos
de réserver pour plus tard, c'est-à-dire après les retraites,
ce qui concerne la piété, les congrégations, la confession, les
catéchismes.


Au commencement du carême, on relit tout le règlement,
mais on n'explique que les articles principaux et les plus
oubliés.


Je ne puis pas, on le sent, indiquer quelles doivent être
pendant toute l'année les sujets de ces lectures spirituelles ;
mais ce que je puis noter au moins d'une manière générale,
c'est combien il importe de savoir les adapter toujours aux
grandes époques de l'année scolaire , et de les mettre en
harmonie avec ces époques par la couleur et par le ton du
langage.


L'année scolaire se divise naturellement en trois époques,
qui sont à la vie de l'âme, chez les écoliers, ce que les saisons
sont à la vie de la nature. Ces harmonies entre les choses
morales et les choses naturelles ne sont point indifférentes,
et ne laissent pas que d'aider puissamment à l'action sur les
esprits.


Quant à moi, c'est de cette division de l'année scolaire
que je faisais procéder la variété d'aspect, d'enseignement,
de milieux, par lesquels ma parole, aux lectures spirituelles,




CH. III. — LA LECTURE SPIRITUELLE. 5 3 9


s'efforçait de faire passer tour à tour les intelligences et les
âmes, pour agir puissamment sur elles, et arriver à un ré-
sultat satisfaisant et complet.


J'ai déjà traité ce point de vue dans le I e r livre de mon se-
cond volume, chapitre ixe.


V


NECESSITE D I ! LA LECTURE SPIRITUELLE. — CE QU'EN PENSAIENT SAINT PAUL,
SAINT AUGUSTIN ET BOSSUET.


Est-il besoin, après tout ce que nous avons dit, d'insister
longtemps pour démontrer que la lecture spirituelle, cet
entretien du Supérieur avec les enfants, dans la simplicité
d'un familier et paternel abandon, sur tout ce qui intéresse
leur âme et leur vie, est indispensable, et qu'une Éducation
vraiment chrétienne ne peut s'en passer? n'est-il pas évident
qu'une simple et froide lecture, même commentée, ne rem-
placera jamais l'accent d'une parole vivante? la parole d'un
Supérieur, épanchant chaque jour son âme dans l'âme de ses
enfants, parole directe, précise, prenant les enfants sur le
fait, leur parlant d'eux-mêmes, entrant dans leur esprit, dans
leur cœur, dans le plus intime de leur vie, quelle parole,
quelle action pourrait valoir celle-là ! où sera-t-il donné à
un Supérieur de façonner plus à son gré, de mieux marquer
de son empreinte, d'élever plus véritablement ses enfants
où se montrera-t-il à eux plus éducateur, je ne dis pas assez,
plus père ? qu'est-ce qui donnera mieux à une maison d'Éduca-
tion l'image d'une famille? et ne doit-il pas en être ainsi? une
maison d'Éducation chrétienne ne doit-elle pas être une fa-
mille véritablement? Et y a-t-il une famille où ces entretiens
au foyer domestique n'aient pas lieu? où le père n'éprouve
pas le besoin, après les labeurs du jour, de retrouver ses
enfants, de causer avec eux familièrement, cœur à cœur,




">40 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


avec une condescendance où se montre l'amour, et qui en-
tretient l'amour ?


Je ne crains pas de le dire : un Supérieur, qui ne fait pas
lui-même la lecture spirituelle, se prive de la plus pré-
cieuse de ses ressources, de son plus puissant moyen d'ac-
tion, et il crée dans son ministère comme dans l'âme des
enfants une lacune que les efforts qu'il fera du reste ne
combleront pas.


Qu'y a-t-il, en effet, de plus en rapport avec la fonction
toute paternelle de l'instituteur, et j'ajouterai avec le minis-
tère pastoral, que ces entretiens familiers où le Supérieur
s'attempère avec une touchante condescendance à tous ses
enfants, descend avec affection jusqu'à eux, dans tous les
détails de leur vie quotidienne, pour les élever jusqu'à lui
Pour moi, je vois là une si manifeste et si palpable nécessité,
que je ne saurais comprendre, ni accepter le gouvernement
d'une maison d'Éducation, s'il ne m'était pas permis d'avoir
avec les enfants ces entretiens intimes de la lecture spiri-
tuelle. Quoi! vous avez là des enfants, vous êtes leur père,
et vous ne leur ouvririez jamais votre âme, et vous pourriez
vous résigner à n'avoir jamais, ou presque jamais, un en-
tretien cordial avec eux ! Mais ne serait-ce pas renoncer à
votre œuvre et à votre mission même, à l'apostolat de l'Édu-
cation?


Est-ce donc là d'ailleurs un ministère si difficile, et où l'on
puisse tant craindre d'échouer? Je ne demande qu'une chose
à un Supérieur pour faire de bonnes lectures spirituelles,
c'est qu'il aime vraiment ses enfants. Oui, qu'il les aime, et
tout ce qui les touche l'intéressera, le saisira, l'animera ;
qu'il les aime et qu'il laisse avec eux parler son cœur, il sera
sûr toujours de bien parler, de trouver tout ce qu'il faut dire,
de les intéresser et de faire du bien à leur âme. Eh mon
Dieu ! mais c'est là tout le secret de ceux qui parlent vrai-
ment aux âmes : entrer en rapport avec elles, s'identifier




CH. III. — LA LECTURE SPIRITUELLE. S U


avec leurs besoins, leurs désirs, se faire petit avec les petits,
faible avec les faibles, tout à tous! Voyez saint Paul avec
les premiers fidèles : c'est un père avec ses enfants ; ces
tempéraments, ces condescendances, ces sollicitudes, ces
effusions, ces communications quotidiennes, c'est tout le
ministère du grand Apôtre !


L'illustre et touchant exemple de saint Paul ne saurait
être trop médité, et mérite bien qu'on s'y arrête: saint Au-
gustin et Bossuet n'ont pu le considérer sans un profond
attendrissement, et on sait avec quelle éloquence ils l'ont
commenté. Oui, quand saint Paul représente ce qu'il était
avec les premiers fidèles, se faisant enfant avec ces enfants
dans la foi pour leur donner le lait de la doctrine comme à
des enfants; quand saint Augustin, avec l'éloquence de son
cœur, raconte ces abaissements de l'Apôtre des nations, c'est
le portrait même d'un bon Supérieur qu'ils nous montrent.
L'analogie est frappante ! Je veux citer tout entier ici ce beau
passage de saint Augustin, qui, tout en montrant comment le
plus grand zèle sait s'abaisser et condescendre aux âmes, re-
lèvera j usqu'aux hauteurs du plus sublime apostolat l'humble
ministère d'un Supérieur parlant chaque soir à ses enfants.


« Je sais un homme, dit saint Paul parlant de lui-même, qui,
il n'y a pas quatorze ans, a été ravi jusqu'au troisième ciel, et
y a entendu des paroles ineffables qu'il n'est pas possible à
une langue humaine de redire. lit cependant, continue l'Apô-
tre, je me suis fait petit au milieu de vous, comme une nour-
rice qui réchauffe et nourrit ses enfants. » — « C'est ce que
nous voyons en effet, dit saint Augustin ; les nourrices et les
mères descendent et s'abaissent jusqu'à leurs enfants. Quoi-
qu'elles sachent parfaitement parler, elles écourtent les pa-
roles, elles les brisent en quelque sorte, afin de réduire le
langage que tout le monde parle à des sons caressants et
enfantins. Un père fait de même, fût-il un orateur si éminent
que sa parole excitât l'admiration et provoquât des applau-




542 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


disscments universels, soit au forum, soit au barreau, s'il a
un enfant en bas âge, rentré chez lui, il oublie toute cette
haute éloquence à laquelle il s'était élevé, et il s'abaisse vers
son enfant pour bégayer avec lui l'accent d'un langage en-
fantin »


Mais laissons ici Bossuet traduire et commenter saint Au-
gustin :


« Voyez cette mère et cette nourrice, ou ce père même si
vous voulez, comme il se rapetisse avec cet enfant, si je puis
parler de la sorte. Il vient du palais, dit saint Augustin *,
où il a prononcé des arrêts, où il a tout fait retentir du bruit
de son éloquence : retourné dans son domestique, le soir,
parmi ses enfants, il vous paraît un autre homme : ce ton de
voix magnifique a dégénéré et s'est changé en un bégaye-
ment; ce visage, naguère si grave, a pris tout à coup un air
enfantin ; une troupe d'enfants l'environne, auxquels il est
ravi de parler; et ils ont tant de pouvoir sur ses volontés,
qu'il ne peut rien leur refuser que ce qui leur nuit. Puisque
l'amour des enfants produit ces effets, il faut bien que la
charité chrétienne, qui donne des sentiments maternels, par-
ticulièrement aux pasteurs des âmes, inspire en même temps
la condescendance : elle accorde tout, excepté ce qui est con-
traire au salut. Vous le savez, ô grand Paul, qui êtes des-
cendu tant de fois du troisième ciel pour bégayer avec les
enfants ; qui paraissiez vous-même, parmi les fidèles, ainsi
qu'un enfant : facti surnus parvuti in medio vestrum ' ; petit


' Factus sum parvulus, iilquit, in medio vestrum, tanquam si nutrix foveat
fltios stws. Videnius enim et nutrices et maires descendere ad parvulos : eisi r.o-
runl latitia \erba dicerc, decurtant illa, et quassant quodaimnodo Iinguain suam,
ut possint de lingua discria Qeri blandhncnta pucriliu : et disertus aliquis puter,
si sit lantus orator ut lirigtin illius fora concrepent, et tribunalia concutiannir;
tihabeat parvulum filiuin, cum ad domum redierit,scponit forenscin eloqucnthmi
quo;idsccii(ierat, et lingua pucrili di-scemlUail parvulum.


In Joan., Tract. VII, n. 22 , 1 1 1 , parti 11 , col. 352,
Thessi, u, 7.




CH. 111. — LA LECTURE SPIRITUELLE. 5 1 3


avec les petits, infirme avec les infirmes, tout à tous, afin de
les sauver tous !


« Que dirai-je de saint François de Sales? » c'est toujours
Bossuet qui parle ; « comment représenter au naturel les
saints artifices de sa charitable condescendance pour les
âmes ? Je le ferai en exposant ici les vrais caractères de la
charité pastorale, que saint Augustin nous a si tendrement
exprimés.


« La charité, nous dit-il, enfante les uns, s'affaiblit avec les
autres ; elle a soin d'édifier ceux-ci, elle craint de blesser
ceux-là, elle s'abaisse avec les uns , elle s'élève contre les
autres : douce pour certains, sévère à quelques-uns, enne-
mie de personne, elle se montre la mère de tous ; elle couvre
de ses plumes molles ses tendres poussins; elle appelle
d'une voix pressante ceux qui se plaignent ; et les superbes,
qui refusent de se rendre sous ses ailes caressantes, devien-
nent la proie des oiseaux voraces


« Elle s'élève contre les uns sans s'emporter, et s'abaisse
devant les autres sans se démettre : sévère à ceux-là sans
rigueur, et douce à ceux-ci sans flatterie ; elle se plaît avec
les forts, mais elles les quitte pour courir aux besoins des
faibles. »


Ainsi fait un bon Supérieur, ainsi doit-il faire surtout à la
lecture spirituelle, et c'est pourquoi la lecture spirituelle est
un des plus admirables et des plus puissants moyens d'Édu-
cation : c'est la charité, le zèle, l'amour même, agissant sur
les âmes dans tout l'attrait de leur douceur, dans tout le
charme de leur tendresse et dans toute la force d'un invin-
cible dévoûment.


1 tpsa cliaritas alios partnrit, cum aliis infirmatur : altos curât cedifleare,
alios contremiscit offenderc ; ad alios se inclinât, ad alios se crigit ; atiis blandct,
aliis severa : nulliinimica, omnibus mater; languidulis plmnis teneros fœlus
operit, cl susurrantes pullos contracta voce adeocal ; eu jus blandas atas re.fu-
(ticnles superbi, yrtzda fiunt alilibus.




5i i LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


CHAPITRE IV


La parole de Dieu.


1


Aux notes, à la lecture spirituelle, la parole a donc une
grande puissance ; mais puissance, qu'on le remarque bien,
qui tient a l'autorité du caractère paternel dont est revêtu,
dans une maison d'Éducation, tout Supérieur, qu'il soit
prêtre ou laïque 1 .


Mais il y a une autre parole, plus haute et plus sainte en-
core; supplément inappréciable et auxiliaire tout-puissant
de la première : il y a la parole du prêtre, la parole de Dieu.
Quand un caractère sacré s'ajoute dans un instituteur au
caractère paternel, et qu'il parle à ses enfants, dans le lieu
saint, au nom de Dieu même, avec tout l'ascendant d'un mi-
nistère auguste, quelle dignité, quelle majesté, quelle sain-
teté prend tout à coup sa parole, et quel merveilleux instru-
ment d'Éducation ne devient-elle pas ! C'est le Sermo Dei
vivus et efficax, penetrabilior omni gladio ancipiti, per-
tingens usque ad divisionem animœ2 : c'est toute l'influence
de la religion elle-même mise au service de l'Éducation.


' Un laïque, grand homme de bien, M. Uelariie, successivement principal des
collèges d'Êtampes et dePamicrs, faisait tous les jours a ses élèves de véritables lec-
tures spirituelles, telles que je les entends. —Peut-être me sera-t-il donné de les
publier bientôt, — Bel exemple d'un laïque, dont plus d'un instituteur religieux
p outrait profiter.


1 C'est la parole de Dieu vivante et efficace : plus pénétrante que le glaive à
deux tranchants, elle atteint jusqu'à la division de l'âme. (S, Paul.)




CU. IV. — LA PAROLE DE DIEU. i)43


3.')


Qui ne sont qu'il y a là un moyen d'action immense, et
que, pour exercer dans sa plénitude le gouvernement moral
de toute celte jeunesse, pour élever et fortifier les âmes,
pour souffler les nobles ardeurs, les résolutions coura-
geuses, pour animer à l'étude, à la discipline, à l'obéis-
sance, au travail, aux luttes de la vertu, rien n'est compa-
rable à l'autorité de la parole de Dieu, annoncée avec talent,
et surtout avec cœur, à des jeunes gens par des maîtres
aimés?


Quiconque croirait d'ailleurs que la vertu, que la solide
piété, peut subsister dans une maison, qu'on la défendra
efficacement contre le vice, la mollesse, et toutes les pas-
sions naissantes qui l'attaquent, sans ce puissant secours,
sans ce souffle vivifiant d'une parole inspirée d'en haut, qui-
conque voudrait croire cela, se ferait une grande illusion.


Non, il faut que dans une maison d'Éducation chrétienne
la prédication soit établie et bien organisée.


Il est absolument indispensable de faire entendre à des
enfants la parole de Dieu, de leur rompre fréquemment ce
pain de vie, de jeter cette semence divine dans la terre de
leurs âmes, terre légère sans doute, mais bonne terre, où
le germe béni fructifiera.


J'ai ouï dire qu'il y a des maisons d'Éducation, dirigées
môme par des prêtres, et où la parole de Dieu, la prédica-
tion proprement dite, ne se fait presque jamais entendre,
comme si les prescriptions du Concile de Trente, et du
droit d'ailleurs naturel et divin, touchant l'obligation de prê-
cher les fidèles, ne s'appliquaient pas aux enfants comme
aux adultes. Pour moi, je l'avoue, rien ne m'étonne, et s'il
faut tout dire, ne me scandalise davantage. — Si vous ne
voulez pas prêcher vos enfants, alors conduisez-les à la
paroisse! Quoi! vous les soustrayez à la parole de leurs
pasteurs, et vous ne vous croiriez pas obligés de suppléer
à cette parole!




546 L I V . I V . — D E Q U E L Q U E S G R A N D S M O Y E N S D ' a C T I O N .


Et quel prêtre d'ailleurs, pour peu qu'il soit animé de
l'amour de Dieu et de l'amour des âmes, ne sentirait pas
le besoin et ne s'estimerait pas heureux d'exercer un pa-
reil ministère? C'est à tous les prêtres employés dans
l'Éducation, et qui négligent l'apostolat, que je le dirai :
Mais chaque semaine, lorsque le jour du Seigneur revient,
mais aux jours des grandes fêtes chrétiennes, quand tous les
cœurs fidèles sont en haut, quand la paix et la joie sont
dans toutes les âmes, quand les grands mystères du chris-
tianisme, quand les grandes vertus chrétiennes, célébrés
par l'Église, vous sollicitent, est-ce que vous ne sentez pas
que vos enfants attendent de votre bouche et réclament de
votre cœur une parole qui les élèverait jusqu'à Dieu, et
qui pénétrerait peut-être leur âme à des profondeurs ad-
mirables? Eh quoi! faudrait-il donc appliquer à des prê-
tres, à qui Notre-Seigneur a confié l'Éducation de ses en-
fants les plus chers, ces tristes paroles : Parvuli petierunt
panem, et non erat qui frangeret eis ! Non, non, cela ne se
peut, quand on a seulement un peu de foi et un peu de
cœur.


II


Toutefois la prédication dans une maison d'Éducation —
et il est à peine besoin de le dire — ne ressemble pas, ne
doit pas ressembler à celle des paroisses.


On comprendra sans peine ce que la prédication, dans
les maisons d'Éducation, a de commun avec celle des pa-
roisses , et avec toute bonne prédication : je n'en traiterai
donc pas ici.


Mais, ce qu'on ne comprend peut-être pas aussi bien, c'est
ce que la prédication dont il est ici question a de spécial :
voilà pourquoi je crois utile d'en dire quelques mots.


Je parlerai d'abord des diverses formes de la parole de




CH. IV. — LA PAROLE DE DIEU. S 4 7


Dieu, des diverses sortes de prédication qui peuvent être
utilement en usage dans les collèges : je parlerai ensuite et
à part des catéchismes, à cause de leur spécialité et de leur
importance particulière.


Et d'abord, à qui s'adresse la parole de Dieu dans une
maison d'Éducation, et quel but veut-elle atteindre?


Elle s'adresse, il faut toujours se le rappeler, à des enfants,
à des jeunes gens, chez qui la raison est faible, l'imagination
forte, la sensibilité ardente, les passions vives.


Elle s'adresse à un âge où la conscience n'est guère for-
mée et où l'instruction est peu solide. La première commu-
nion , qui touche le cœur, ne communique pas toujours à
des natures mobiles, comme celles des enfants, des senti-
ments assez profonds de religion : enfin on peut, dans l'en-
fance surtout, avoir une piété sensible, sans grande crainte
de Dieu, ni vive horreur du mal.


Dans ces conditions, LE BUT PRINCIPAL DE LA PRÉDICATION,
quel doit-il être? — Inspirer, exciter LA CRAINTE DE DIEU
dans ces jeunes âmes, par une parole éclairée, solide, forte,
Vive, et FORMER LEUR CONSCIENCE.


J'ai toujours pensé, et avec tous les plus sages instituteurs
de la jeunesse, que ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était
cela sans contredit.


Sans doute c'est surtout au confesseur qu'il appartient
de former la conscience des enfants; mais on peut y
contribuer puissamment aussi par la prédication, en leur
déclarant, dans l'occasion et selon les sujets, d'après les
règles d'une saine théologie, que tel orgueil, telle paresse,
telle désobéissance, telle pensée, tel désir, telle parole, telle
lecture, tel regard, qu'ils se croient permis, est défendu
par la loi de Dieu ; qu'il n'en faut pas davantage pour les ex-
poser de près ou de loin à perdre la grâce, tomber dans le
péché, souiller leur âme et mériter la réprobation éternelle.




.'i i 8 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


Partout, toujours, et en toute forme d'instructions, le
point capital, auquel il faut s'attacher avant tout, c'est d'éta-
blir la piété des enfants sur la crainte de Dieu, leur déve-
loppant tout ce qui en est dit de plus fort dans les saintes
Écritures, et les graves motifs qui en sont donnés. Sans
cesse, il faut les exhorter à combattre leurs passions, ou à
les tourner au bien; leur apprendre à attaquer, à déraciner
leurs défauts : par là, on attaquera le mal dans sa racine,
et on retranchera la cause de tous les péchés.


Toute autre parole avec eux est vaine.
Avec un tel auditoire et pour un tel but, ce qu'il faut évi-


demment, c'est un ensemble bien organisé de prédications
courtes et fréquentes : très-solides au fond et très-pratiques,
mais vives, brillantes, animées. Tel est celui qu'on a conçu
pour les maisons chrétiennes d'Éducation, à savoir : des ca-
téchismes et des instructions doctrinales ; des homélies, des
sermons, des méditations, enfin des petits mots d'exhorta-
tion et de piété, à la fin des fêtes les plus solennelles, soit
à la grande chapelle, soit à celle de la sainte Vierge, ou
ailleurs.


La parole de Dieu est donc annoncée aux enfants dans les
bonnes maisons d'Éducation comme il suit :


•1° Par une homélie faite chaque dimanche et jours de fêle
à la messe de communauté, après l'Évangile, pendant huit
ou dix minutes ; et aussi, pendant le carême, tous les ven-
dredis, ou même, comme je l'ai vu et pratiqué moi-même,
tous les jours.


2° Par des sermons plus solennels aux retraites et aux
grandes fêtes, pendant vingt à vingt-cinq minutes.


3 ° Par la méditation lue ou paraphrasée, dans chaque di-
vision, tous les matins, et plus solennellement les dimanches
et les fêtes.


4° Par de petites exhortations.
o° Enfin par divers catéchismes, auxquels assistent sans




Cil. IV. — AA PAROLE DE DIEU. 3 4 9


exception tous les élèves de la maison, divisés suivant leur
âge et leur capacité; et où on leur fait en quatre ans, deux
ans, ou un an, un cours d'instructions.sur le Dogme, la Mo-
rale, les Sacrements, le Saint Sacrifice.


Telle doit être dans une maison chrétienne l'organisation
de la parole de Dieu.


Parcourons ces différents genres de prédication.


I I I


L'HOMÉLIE. Chaque dimanche, à la messe de communauté,
celui qui célèbre la sainte messe fait, après l'Évangile, une
homélie.


E'homélie est une prédication courte, mais intéressante,
et de nature à faire une vive impression sur les enfants.
C'est tout autre chose qu'une instruction de catéchisme.
On,y peut librement déployer son ârne et son cœur. Elle
comporte la chaleur, le mouvement, et même la plus vive
éloquence. C'est un petit discours, qui, bien fait, peut être
tour à tour, selon les sujets et les fêtes, gracieux et doux,
ou bien d'une gravité saisissante et pénétrante.


Cependant, de même que l'instruction de catéchisme doit
être souvent, comme nous le dirons, exhortative, l'homélie,
dont le but principal est d'exhorter, doit être cependant tou-
jours instructive, s'appuyer toujours sur un enseignement
de foi, sur un fond très-solide.


Elle roule ordinairement sur une seule vérité, qu'elle met
en saillie, et qu'elle jette pour ainsi dire toute lumineuse et
toute ardente, comme un trait, dans l'âme des enfants.


Le sujet de l'homélie peut être le mystère même du jour,
ou le fait divin raconté dans l'Évangile; mais alors il est es-
sentiel de toujours faire une application personnelle aux
enfants, soit du mystère, soit du fait évangôlique Car, il ne
s'agit pas là de donner carrière à son imagination, de mon-




550 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


trer son esprit et son style : avant tout, le but de l'homélie,
c'est d'améliorer, c'est de convertir les enfants.


Et voilà pourquoi les grandes vérités : les fins dernières,
le salut, la mort, le jugement; les grandes vertus : l'humilité,
la pénitence, la charité, la crainte de Dieu, les motifs qu'en
donne l'Écriture; les grands défauts : l'orgueil, la mollesse,
l'insubordination, l'esprit d'indépendance, etc., sont ici les
sujets les mieux choisis, et les plus véritablement utiles.


Mais si l'homélie doit avoir toujours un fond très-solide,
elle ne doit pas être une instruction proprement dite : ce
qu'il faut, c'est qu'elle soit surtout exhortative.


Parole toute pastorale, animée, chaleureuse, effective; il
n'y faut rien de purement spéculatif, rien en l'air, rien qui
ne s'adresse directement aux enfants, et ne les attaque par
quelque endroit.


Assaut des âmes, vive attaque des cœurs, l'homélie doit
toujours tendre à toucher, frapper, émouvoir les pécheurs,
les arracher au vice, les exciter au bien, et laisser tour à
tour dans leurs âmes des impressions douces ou fortes,
consolantes ou terribles.


J'ai dit qu'elle prenait texte ordinairement dans l'Évangile
du jour, soit en le paraphrasant, soit en lui empruntant pour
sujet un détail particulier : mais, dans l'un et l'autre cas, il
est de rigueur d'indiquer, au commencement et à la fin de
l'homélie, le but qu'on se propose et la pensée principale du
sujet : sinon, qu'arrive-t-il ? c'est que l'instruction nécessaire
et l'exhortation solide s'évanouissent dans l'esprit des en-
fants.


Quelquefois, au lieu de l'Évangile, en certains jours de
fête, l'homélie peut et doit traiter des sujets dogmatiques ;
mais elle doit alors toujours finir par une conclusion morale
bien amenée, et suffisamment développée, qui fasse descen-
dre les enfants dans leur conscience, et les oblige à réfléchir
sérieusement sur eux-mêmes.




CH. IV. — LA PAROLE DE DIEU. 551


Je dis, suffisamment développée. 11 y a, il doit y avoir dans
une homélie, comme dans tout discours, un point capital et
culminant, duquel dépend tout le fruit qu'on veut produire :
dans l'homélie, ce point capital, c'est la conclusion pra-
tique; pour arriver là, l'homélie doit se hâter, passant sur
les accessoires rapidement, et réservant pour le trait pra-
tique et décisif toutes ses forces. Trop souvent les jeunes
maîtres surtout font le contraire : c'est sur des accessoires,
brillants peut-être, mais d'une importance secondaire, qu'ils
épuisent leurs développements et leur temps ; puis le point
pratique et important du discours est à peine effleuré.


Inévitablement alors, tout le fruit de l'homélie est perdu.
Le mot de M. Tronson sur ces morales écourtées, est plein
de justesse. Un catéchiste lui ayant lu son homélie : « Votre
morale, lui dit-il, est trop courte pour pouvoir toucher et
enflammer les cœurs de vos auditeurs. Elle se dissipe trop
tôt, comme une fusée ou comme un feu de poudre. »


De même encore, avec les enfants, jamais de morale vague,
toujours celle qui leur convient, et qui va droit à leurs be-
soins actuels; pas de déclamations en l'air; pas de rhéto-
rique, pas de vaines phrases ou de froides banalités; tou-
jours leur parler directement, à eux et pour eux.


C'est ainsi et par là même que l'homélie peut arriver
quelquefois à la plus grande véhémence : mais ceci doit être
surtout réservé aux maîtres les plus anciens et les plus au-
torisés ; et toutefois, dans la bouche de personne, il ne faut
jamais d'invective trop amère, ou du moins pas d'accu-
sation persécutrice, et d'une personnalité excessive, qui
puisse gêner les enfants dans leurs rapports avec les maî-
tres, ou qui indique trop la science particulière du con-
fesseur.


C'est ici le cas de faire observer que, surtout lorsqu'on
parle aux enfants, soit en public, soit en particulier, du vice
impur, il faut le faire avec netteté et vigueur, mais grande




532 L1V. IV. — DE QUELQUES -GRANDS MOYENS D'ACTION.


dignité ; il faut élever, purifier les, âmes par le ton pénévré
la chaleur et la noblesse du discours.


Enfin, puisque les impressions, quoique vives, durent peu
chez les enfants, il est nécessaire de revenir souvent sur les
mêmes vérités, de les présenter sous diverses formes, dans
une même homélie ; et, quand elles sont plus importantes,
de les traiter de temps à autre régulièrement chaque année.


Et voilà pourquoi, comme pour les instructions, il est né-
cessaire d'avoir un plan d'homélies, dans lequel se trouvent
marqués tous les sujets que l'on traitera pendant le cours
de l'année : autrement on serait exposé à traiter plusieurs
fois le même sujet, et à négliger des sujets importants,
quelquefois même pendant plusieurs années de suite.


J'ajouterai enfin qu'il est tout à fait nécessaire, pour que
la parole ait de l'autorité et agisse sur les âmes des enfants,
que les prédicateurs DISERT BIEN. « Dire merveilles, mais ne
les dire pas bien, c'est ne rien dire, écrivait saint François
de Sales : dites peu et dites bien, c'est beaucoup. »


Bien, mais entendons-nous ; bien pour des enfants et des
jeunes gens, et comme il convient dans une maison d'Édu-
cation. Il n'est pas question ici de grands sermons, ni de
grandes formes oratoires. L'Homélie est quelque chose de
pastoral, de paternel : & Nos anciens pères et tous ceux qui
ont fait du fruit, dit saint François de Sales, parlent cœur ù
cœur, esprit à esprit, comme les bons pères aux enfants. »


-Il y a au contraire des jeunes maîtres qui, à cause de leur
âge et de la timidité naturelle de leur caractère, parlent pres-
que comme des enfants, et avec un embarras qui paraît sur
leur visage ; non, dit saint François de Sales : « L'action doit
être généreuse. Je dis cela, ajoutc-t-il, contre ceux qui ont une
action craintive, comme s'ils parlaient à leurs pères et non
pas à leurs disciples. »


« Il faut, dit-il encore, parler affectueusement et dévote-
« ment, simplement et candidement, et avec confiance; être




CH. IV. — LA PAROLE DE DIF.L'.


« bien rempli de la doctrine qu'on enseigne et de ce que
« l'on veut persuader. Le souverain artifice, est de n'avoir
« point d'artifice; il faut que nos paroles soient enflammées,
« non par des cris et des actions démesurées, mais par l'af-
« t'ection intérieure; il faut qu'elles sortent du cœur plus
« que de la bouche. On a beau dire, le cœur parle au cœur,
« et la langue ne parle qu'aux oreilles. »


Voilà tout le secret pour faire une bonne homélie. Il faut
que le cœur y parle : le cœur, c'est-à-dire, comme je l'ai
expliqué souvent, le zèle des âmes, l'amour, le dévoûment
au vrai bien des enfants. Que cette flamme de zèle soit au
cœur des maîtres quand ils parlent à leurs enfants, et leur
langage aura toujours l'éloquence qu'il doit avoir. C'est tou-
jours Y Amas me? Pasce agnosmeos.


IV


Mais le ministère de la parole monte plus haut encore, et,
h côté de l'homélie, il y a, en certains jours exceptionnels,
une prédication plus imposante ; il y a les PETITS SERMONS.


Les développements qui précèdent me permettent d'être
plus court ici et de me borner à de simples indications.


Ces petits sermons, quand se font-ils? Aux jours de grandes
fêtes, le soir, avant le salut. — C'est l'exercice le plus solen-
nel de la fête.


Par qui? Par des étrangers de distinction, ou par quel-
qu'un des messieurs de la maison : on choisit les plus an-
ciens, les plus capables, les plus autorisés.


Dans quelle forme? Le genre de cette prédication est
moins austère, moins sévère, plus brillant que les homélies
ordinaires.


On peut y parler ou des mystères du jour, ou d'une vertu,
d'une vérité en rapport avec la fête : toujours d'une manière
très-solide, et avec des applications personnelles; mais




554 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


agréables, encourageantes, consolantes. Il n'y a pas de
divisions trop didactiques, ni d'Ave Maria. Il y a un texte.


J'ai vu ces petits sermons, bien faits, s'élever à la plus
haute, à la plus vive éloquence, par la vérité des sentiments
et des pensées, et inspirer aux enfants un véritable enthou-
siasme. Pour de jeunes prêtres, c'est une admirable initia-
tion à la grande prédication.


Ces petits sermons se prêchent ordinairement les jours de
communion. Il y faut donc de la piété, piété tendre, mais
aussi piété solide, piété sincère. Dans l'enfance et la jeu-
nesse, la piété fervente a ses douceurs; mais ces douceurs
ne sont pas sans danger ni sans illusion possible. Il y faut
prendre garde.


Voici les remèdes : d'abord, la Foi. — L'instruction grave,
forte, lumineuse : il faut donner cette instruction ; trop sou-
vent on ne la donne pas. On ne prend pas les enfants où
ils en sont. On les suppose instruits : ils ne le sont pas. On
leur parle vainement, comme un rhéteur, sans aucun zèle
sacerdotal, ou platement, sans aucune préparation. — La
prédication, avec des enfants et des jeunes gens, doit être
agréable, mais très-substantielle. — Qu'elle ait beaucoup de
charme sans doute ; mais avant tout, le charme de la belle et
solide instruction.


Avec la foi, la vertu : C'est pourquoi l'exhortation qui ter-
mine ces petits sermons doit être le plus souvent très-forte,
et toujours viser à la conversion ou à l'amélioration sérieuse.
— On néglige trop cela : on fait des phrases ou l'on dit des
vulgarités : vous diriez que le prédicateur n'ambitionne
aucun résultat, n'a point de but, et ne se propose d'autre
dessein que de remplir tant bien que mal une fonction.


Il y a des chrétiens, des ecclésiastiques même, qui ont une
certaine piété, une certaine dévotion, à leur manière, et qui
sont sans foi profonde, sans solide vertu. — Rien n'est pire :
que vos enfants, que vos pénitents ne soient pas de cette




CH. IV. — LA PAROLE DE DIEU. 555


sorte. Ne leur permettez pas la sainte communion, unique-
ment pour qu'ils sentent le plaisir ou le bonheur de la faire.
Faites-leur faire toujours alors quelque sacrifice, quelque acte
de vertu. Il n'y a que cela qui les fortifie, et les soutienne.


L'expérience démontre, hélas ! trop souvent, que la piété
sensible n'est rien ou presque rien.


LA FOI ET LA VERTU, voilà ce qui compte, et ce qui dure.
Enfin, il faut parler souvent du monde aux enfants.
11 faut bien leur dire, mais sans déclamation, ce qu'il est.


Cela suffit pour les éclairer sur ses périls.
Il faut leur dire le danger de la vie et de l'air du monde. —


C'est l'air qu'on respire, c'est l'atmosphère dans laquelle on
.vit, qui fait vivre ou mourir. Il faut que l'air soit bon, ou on


- 'meurt . — Eh bien ! l'air du monde est mauvais, empoi-
sonne! dans les villes et même dans les campagnes.


LA MÉDITATION. — Celui qui la fait, doit parler en son
nom, se supposer un enfant, et s'appliquer à lui-même le
sujet qu'il traite. Les méditations doivent être à la fois ins-
tructives , onctueuses, pénétrantes. Ne pas y prendre la
façon solennelle d'un Grand Séminaire : c'est une parole
ou une lecture méditée, très-pratique, très-simple.


C'est dans cet exercice qu'il faut apprendre aux enfants à
rentrer en eux-mêmes, à examiner leur conscience, à s'accu-
ser devant Dieu, à s'entretenir avec lui, cordialement, comme
un fils avec son père, et aussi à l'adorer, à le remercier, à lui
demander ses grâces, à implorer sa miséricorde, etc.


J'ai vu ces méditations bien faites produire des fruits
extraordinaires/, mais W îaul en "men cYic-isiv les sujets, e t^
savoir mettre Faccent !


LES PETITES EXHORTATIONS.— Soit à la chapelle de la sainte
Vierge, — soit aux messes de communion, — soit dans les
congrégations.




5 3 0 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


CHAPITRE V


Encore de la parole de Dieu.


L E S C A T E C H I S M E S .


1


Quelque nombreuses et variées que soient dans une mai-
son d'Éducation les instructions religieuses, ni la médita-
tion du matin, ni la lecture spirituelle du soir, ni les notes


A la chapelle de la sainte Vierge, ce qu'on appelle ]epetit
mot doit être vif, et inattendu dans la forme, si ce n'est dans
le fond.


Il peut durer de cinq h six minutes, pas plus.
Gomme ce petit mot termine la journée, et a été précédé


de beaucoup d'exercices, il est très-difficile à bien faire : il
faut qu'il soit TRÈS-COURT ET E X Q U I S ; il n'y faut rien de vul-
gaire. Ce qui serait simple et bien ailleurs, là serait froid,
pâle, fatigant.


De même pour les petites exhortations du soir au mois de
Marie... On ne saurait trop les bien préparer.


De même encore, pour les petites exhortations qui peuvent
se faire chaque vendredi de carême, le soir, avant l'adoration
de la croix et le chant du Stabat. — Ce doit être parfait.


Les exhortations avant la communion demandent une
perfection plus grande encore.— Rien ne doit être plus court
et plus excellent. — C'est là surtout que Vonction doit ensei-
gner toutes choses, comme dit saint Jean l'Évangéliste.




C H . V . — L E S C A T É C H I S M E S . ->o7


de chaque samedi, ni les prédications de chaque dimanche,
ni les sermons des jours de fête, rien de tout cela ne peut
dispenser des catéchismes.


Qu'on me permette d'insister sur ce point capital.
11 y a des maisons chrétiennes, ecclésiastiques même, où


les catéchismes ne sont pas organisés comme il convient :
cette grande nécessité n'est point suffisamment comprise;
les catéchismes y sont mal faits et mal suivis.


C'est une lacune déplorable dans le système de ces niai-
sons.


Il faut dans une maison d'Éducation des catéchismes bien
organisés et bien faits, parce que l'instruction, une bonne
instruction religieuse, est pour les enfants la première des
nécessités, et qu'une telle instruction ne se donne nulle part
comme au catéchisme.


On l'a observé, et on l'a dit avec raison : en ce pays et en
ce siècle, c'est la foi solide, la foi forte et éclairée qui man-
que même dans les collèges chrétiens et dans les Petits Sé-
minaires, — et quelquefois même dans les grands — la foi
profonde, généreuse, élevée. Sans doute, tous les exercices
tendent à y inspirer la piété ; mais cette piété trop souvent
est sans fondement assuré : c'est une piété sans religion
réelle : c'est une piété et une foi de routine, d'habitude, de
sentiment; mais rien de grand, rien de ferme, rien de cou-
rageux, rien d'approfondi. Ce que le Concile de Trente ap-
pelle la racine et le fondement de la justification, y est fai-
ble. De là tant de jeunes gens qui perdent sitôt le fruit de
leur Éducation ; de là, dans les Petits Séminaires, tant de
vocations scandaleusement infidèles, et tous ces élèves qui,
rentrés dans le monde, y deviennent quelquefois, après
être sortis de nos maisons, comme naturellement et dès le
premier jour, indifférents, irréligieux et presque impies.


De là, tant de prêtres sans aucun zèle et sans vertu qui dure.
De là, tant de chutes à?la sortie même des Grands Sômi-




5 5 8 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


naires. Ainsi des jeunes gens auront vécu sis, sept, huit ans
même dans l'atmosphère d'une maison sainte pour aboutir là !


Quelle en est la grande cause ?
Leur première Éducation chrétienne dans les petits Sémi-


naires a été sans fondement assez ferme.
Ce qui explique et excuse un peu cette grande défaillance,


c'est qu'on s'imagine encore aujourd'hui, parce que des en-
fants ou des jeunes gens se présentent pour entrer dans un
Petit Séminaire, qu'ils connaissent leur religion et ont une
foi solide. C'était vrai il y a cent cinquante ans ; aujourd'hui
c'est une erreur. L'expérience démontre que sur cent il n'y
en a pas dix qui sachent réellement leur religion. Ils ont
respiré trop longtemps un air mondain, irréligieux, incré-
dule et quelquefois impie : cet air empesté les a pénétrés
malgré eux.


L'Éducation domestique, d'ailleurs, n'est plus assez soli-
dement chrétienne, on le sait : pour y suppléer, il n'y a que
les Catéchismes des paroisses, et, ces Catéchismes ne sont
pas toujours faits comme il faut : on y va d'ailleurs trop peu
de temps.


Si j'affirme tout cela, c'est non-seulement parce que j 'en
ai fait l'expérience, mais parce que j 'ai entendu un grand
nombre de Supérieurs de Petits Séminaires se plaindre que
les jeunes gens, même les meilleurs, y arrivaient sans ins-
truction , et que plusieurs, même avec une certaine piété,
avaient à peine la foi nécessaire et une très-médiocre crainte
de Dieu.


Des Catéchismes I N S T R U C T I F S , T R È S - I N S T R U C T I F S , peuvent
seuls suppléer à ces lacunes.


Enseigner, prêcher, exposer clairement, fortement, élo-
quemment même, les vérités de foi, morales et dogmatiques,
voilà le but essentiel des catéchismes dans un Petit Sémi-
naire, et ce but les Catéchismes l'atteignent mieux que tout
autre exercice.




CH. V. — L E S CATÉCHISMES.


Ainsi les Catéchismes d'un Petit Séminaire doivent, par-
dessus tout, être I N S T R U C T I F S . Dans une telle maison, la piété
proprement dite est suffisamment nourrie par les fréquents
exercices marqués au règlement. Au catéchisme, c'est l'ins-
truction qu'il faut.


Par là, je n'entends pas qu'on fasse aux enfants de la con-
troverse; ce serait une autre extrémité absurde, qui ruinerait
le peu de foi qu'ils ont : les jeunes maîtres sont quelquefois
exposés à tomber dans ce défaut ; il faut bien y prendre garde.
J'entends, quand je demande des Catéchismes instructifs,
qu'on traite les enfants des maisons d'Éducation chrétienne
comme des enfants baptisés, dont l'intelligence est dévelop-
pée, dont la bonne volonté est certaine, et qu'on les instruise
fortement, largement, magnifiquement même, des grandes,
fortes et magnifiques vérités de la religion, dogmatiques ou
morales; j 'entends qu'on les remplisse des lumières de la foi;
j'entends qu'on les pénètre, qu'on les saisisse, qu'on les ra-
visse même par la plénitude de la vérité, par la plénitude
de l'autorité, et cela sans aucune controverse.


Je souhaite enfin, comme je l'ai dit déjà, que, dans les
Petits Séminaires, on ne prêche jamais sans donner à la
parole quelque fondement solide dans une vérité, un principe,
une parole de foi.


Mais pour tout cela, il ne faut pas faire le Catéchisme
comme une classe et une leçon profane ; il faut le faire avec
suite, avec zèle et en même temps avec une certaine dignité.


Est-ce ainsi qu'on le fait partout? J'ai le regret de ne pou-
voir répondre affirmativement.


i l


D I G N I T É E X T E R I E U R E E S S E N T I E L L E A U X C A T É C H I S M E S .


Ici, que d'abus n'aurais-je pas à signaler ! que de tristes né-
gligences, soit : le croirait-on? sur l'exactitude à faire lesca-




3(50 ] ,1Y. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


téchismes; — je connais une maison où, pendant toute une
année, la classe de Catéchisme, comme on l'appelait, n'a pas
été faite plus de sept fois! — soit sur le lieu oh on le fait; soit
sur la manière de le faire !


Et par suite, en quel discrédit le Catéchisme est-il tombé
dans certaines maisons ? — On dit : ces Catéchismes sont inu-
tiles.—Inutiles, je le crois bien, faits comme vous les faites :
je dirai môme funestes, comme toute bonne chose mal faite,
comme toute profanation des choses saintes.


Comment donc faire le Catéchisme dans une maison d'Édu-
cation? Je répondrai : Pourquoi pas comme on le fait dans
les paroisses bien gouvernées? c'est-à-dire à la chapelle,
en habit de chœur, avec tout l'ensemble des cantiques, des
fêtes, des récompenses, qui en font, partout où le Catéchisme
est bien organisé, un exercice si agréable, un ministère si
doux et si consolant ?


Mais vous le faites dans une classe, et comme une classe ;
vous succédez au maître de piano ou d'anglais; vous arrivez
comme un professeur. Comment voulez-vous que les enfants
se croient à un Catéchisme ? C'est abaisser un ministère si
simple, mais si sublime, si aimable et si fructueux; c'est lui
enlever toute sa dignité, toute son efficacité et tout son
charme.


Pour donner au Catéchisme l'autorité et le respect qui lui
sont dus, il faudrait commencer par lui rendre sa dignité : il
faudrait que la sainteté du lieu, que l'appareil extérieur,
que le chant des louanges de Dieu, que l'autorité du lan-
gage, que tout fît sentir aux enfants l'enseignement de la
foi et la parole divine. Une salle commune et profane, une
familiarité humaine, une sécheresse d'enseignement vul-
gaire, sont ici une affreuse inconvenance, un vrai malheur.


Les Catéchismes se doivent toujours faire dans des cha-
pelles, ou du moins dans une salle religieuse, qui fasse
sentir aux enfants le respect qu'ils doivent avoir pour la




CH. V . — L E S CATÉCHISMES. 564


I I I


O I Î G A S U S A T I O N D E S C A T E C H I S M E S .


1° Il faut trois Catéchismes du dimanche, indépendam-
ment du Catéchisme de semaine préparatoire à la première
Communion.


Le premier, dit CATÉCHISME DE P E R S É V É R A N C E , est composé
des élèves des classes supérieures ayant fait leur première
Communion.


On sait que le but spécial de cet important Catéchisme est
d'établir fortement les jeunes gens dans la foi, et de les fixer
à jamais, avec une conviction éclairée, dans les habitudes
chrétiennes, dans la pratique sérieuse du devoir.


Le second, dit GRAND C A T É C H I S M E , se compose des élèves
des classes inférieures et de ceux même des classes supé-
rieures, qui n'auraient pas encore fait leur première Commu-
nion, ou dont la première instruction aurait été négligée.


Le but de ce Catéchisme, c'est de donner aux enfants qui
se préparent à faire dans l'année leur première Communion,
et même à ceux qui l'ont faite depuis peu, et ont été mal ins-
truits, une connaissance solide et complète, quoique élémen-
taire et abrégée, de la religion.


Le troisième, appelé P E T I T C A T É C H I S M E , est composé de-
tous les enfants au dessous de dix ans, et de ceux plus âgés


F . , i r r . 36


parole de Dieu, et pour le saint exercice auquel ils vont
prendre part.


Il faudrait, après cela, une autre condition, essentielle au
succès de l'enseignement religieux dans une maison, je veux
dire une bonne organisation des catéchismes.


Cette organisation, voici pour ma part comme je la com-
prends :




o62 U V . IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


qui ne seraient pas en état de suivre le grand Catéchisme.
Le but principal qu'on s'y propose, c'est de leur donner


une connaissance exacte et intéressante de la religion, et de
leur inspirer peu à peu le goût de la piété, en leur faisant
aimer les instructions qu'ils reçoivent et la chapelle où ils
se réunissent.


Cette division des Catéchismes est simple et suffit à tout.
Ajoutons qu'aucun de ces trois Catéchismes ne doit être


fait par un seul maître. Chaque Catéchisme est présidé par
un de MM. les Directeurs, qui a sous lui ordinairement
un, deux, ou trois catéchistes. Le Catéchisme DE P E R S É V É -
RANCE est dirigé par M. le Supérieur, ou par M. le Préfet de
religion.


Tous les catéchistes sont toujours revêtus de l'habit de
chœur. La dignité religieuse du Catéchisme l'exige.


Les Catéchismes bien organisés, il s'agit de les bien faire.
Je ne dirai qu'un mot de Yordre des exercices : en voici


le règlement :


1° Prière et cantique. — Après l'entrée, dès que les en-
fants sont recueillis, on donne le signal pour commencer la
prière. Tous se mettent à genoux, et suivent la prière dans
le Manuel.


On se tient pendant tout le temps du catéchisme avec mo-
destie et attention, ne parlant jamais, sous aucun prétexte,
ne tournant jamais la tête, et les bras croisés, à moins qu'on
ne lise.


Après la prière, on chante quelques couplets de cantique;
tous chantent de leur mieux, sans crier, mais aussi se fai-
sant entendre.


2° Puis vient Y interrogation sur le Catéchisme et la réci-
tation de VÊvangile.


Aussitôt qu'un enfant est appelé, il se lève, et répond, sans
se presser et très-distinctement, à la question qui lui a été
adressée. Cette interrogation est faite par un catéchiste en
chaire; il marque sur un registre et dit tout haut la note
méritée par chaque enfant.




CH. V. — LES CATÉCHISMES. 3 6 3


3 ° Puis vient le Compte rendu des analyses.— S'il y a lieu,
jeu de bons points, c'est-à-dire récapitulation vive et animée,
par demandes et par réponses, de l'instruction précédente.


4° On chante ensuite les petites Vêpres.
3 ° Aussitôt après Vêpres, VInstruction.
Avant l'instruction, les enfants ferment leurs livres, croi-


sent leurs bras et se recueillent, pour ne plus écouter, pour ne
plus regarder que celui qui leur doit annoncer la parole de
Dieu. — Les mêmes règles doivent être observées toutes les
fois qu'au catéchisme quelques avis de piété sont donnés
aux enfants.


Si les enfants ne prennent pas de notes, on leur dicte au
commencement de l'étude du soir le plan de l'instruction.


L'instruction ne doit jamais dépasser une demi-heure dans
le catéchisme de persévérance ; vingt-cinq minutes dans les
deux autres catéchismes.


C° Après l'instruction, Cantique, pendant lequel on dis-
tribue quelques récompenses à ceux qui en ont mérité
pour de très-bonnes réponses ou pour une analyse remar-
quable.


Le reste du temps est occupé par des avis de piété, ou par
quelques histoires pieuses et intéressantes.


7" Le Salut termine tout. — Le salut se compose : 1° d'une
antienne et oraison au Saint-Sacrement; 2 » d'une antienne
et oraison à la sainte Vierge ; 3° du psaume Laudate Domi-
num, omnes gentes, après la bénédiction.


s» Les moyens d'émulation ne doivent pas être négligés
dans les Catéchismes.


— Pour la récitation, il faut conserver exactement les
notes que mérite chaque enfant à chaque récitation, et s'en
servir afin de récompenser aux jours de fête ceux qui réci-
tent le mieux: on donne des bons points, des gravures, des
livres.


A la fin de chaque séance, on distribuera des bons points
et des images aux enfants les plus sages, ayant soin de ne
les pas donner toujours aux mêmes; mais de prendre en
considération les efforts de ceux à qui la sagesse est plus
difficile.


On a soin que les gravures soient bien faites et propres à
édifier. 11 vaut mieux en donner une moins grande quantité




S64 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


et les donner plus belles, et telles que les enfants puissent
les conserver avec plaisir et avec fruit dans un portefeuille
ad hoc, ou dans leurs livres de prières.


— Pour les instructions, le compte rendu des analyses se
fait chaque fois, avec éloge ou blâme, et avec le plus d'in-
térêt possible. Des cachets de diverses couleurs indiquent les
divers degrés de mérite.


— Il y a dans chaque division, à la fin de l'année, deux prix
de science pour la récitation et les réponses, et deux prix
d'analyse.


— Il y a des Dignités, dans chaque Catéchisme : la première
est celle d'intendant : r il prépare la chapelle avec le sacris-
tain ; 2° il veille avec les sous-intendants à ce que les en-
fants se rendent au Catéchisme dans le plus grand ordre et
en sortent de même ; 3" il reçoit des premiers de bancs les
analyses de la dernière instruction, et distribue, au com-
mencement de l'étude, les analyses dont on a rendu compte ;
4° si quelque enfant se trouvait indisposé, c'est l'intendant qui
le conduirait dehors; 8" il sera consulté quelquefois par les
catéchistes pour la préparation des fêtes, etc., etc.


La seconde, dignité est celle de sacristain : 1°U orne l'autel
avant le Catéchisme, et il le décore avec plus de soin les jours
de fêles; 2° il allume les cierges avant les Vêpres, et les
éteint après, etc., etc.


Les autres distinctions sont celles des premiers de bancs :
4 ° ils ramassent les analyses des enfants de leurs bancs;
2° c'est à eux qu'on s'adresse lorsqu'on a quelques difficultés
à résoudre; car ils doivent être les plus sages et les plus sa-
vants du catéchisme.


9 ° Pour donner plus d'intérêt et de vie aux catéchismes,
on a établi des fêtes.


Ces fêtes doivent être pieuses, et offrir aux enfants le plus
de charme possible. Les histoires, bien préparées, doivent
y jouer un grand rôle, dans le grand, comme dans le petit
catéchisme.


Dans le catéchisme de persévérance, les élèves de rhéto-
rique et de seconde pourraient présenter parfois quelques
jolies pièces littéraires et religieuses, sur les fêtes de l'année
que l'on célèbre.


Il y a toujours alors récitation et explication de billets.




CH. V. — LES CATÉCHISMES. 365


Les fêtes des catéchismes sont : 1° l'ouverture des caté-
chismes ; 2° la fête de saint Etienne, lendemain de Noël ;
3° le lundi de Pâques ; 4° La clôture des catéchismes, au
dernier dimanche libre de l'année.


A chacune de ces fêtes, excepté celle de l'ouverture, il y
a une distribution solennelle de prix et de gravures, faite
par quelqu'un de considérable invité à cet effet. Des vo-
lumes sont donnés dans chaque division pour la récitation
et les analyses.


A la fête de clôture, on ne donne que des gravures; les
livres sont donnés à la distribution générale des prix.


Faits comme ils doivent l'être, avec leurs fêtes, avec leurs
exercices variés, leurs moyens d'émulation, leur vraie phy-
sionomie et leur vrai caractère, qui ne sent quel doit être
le charme de ces Catéchismes et leur efficacité? Qui ne voit
qu'il y a là un ministère des plus intéressants, un réel apos-
tolat, ayant merveilleusement prise sur les âmes? Qui ne
comprend enfin tout l'attrait et toute la puissance de ces
pieuses réunions


IV


L'INSIBl'CTION AU CATECHISME.


Le but essentiel du Catéchisme étant d'instruire, nous de-
vons nous arrêter ici plus longtemps.


Il y a deux moyens d'instruction : la récitation du caté-
chisme et de l'Évangile, et l'instruction proprement dite.


1° Et d'abord la récitation littérale, du texte du caté-
chisme, de manière à le voir tout entier dans l'année : cha-
que élève l'aura donc appris au moins huit fois dans sa vie.
Quoique fort simple, cette science n'est pas commune, et
elle est très-positive.


Le catéchisme, e'est l'exposition abrégée, mais complète,
des vérités de la foi catholique : tous les mots en ont été pesés,




566 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


de manière que ce petit livre contient, si je puis m'exprimer
ainsi, la substance la plus pure des dogmes et de la morale
du christianisme : c'est toute une théologie élémentaire mais
profonde, et mise à la portée de toutes les intelligences. C'est
aussi un cours de haute philosophie, le plus savant et en
même temps le plus simple que puisse consulter la sagesse ;
car, comme l'avait si bien senti le célèbre et infortuné Jouf-
froy, « il ne laisse sans réponse aucune des grandes ques-
tions qui intéressent l'humanité. »


Il y a de plus la récitation de VÊvangUe. — Dans le caté-
chisme de persévérance, on choisit un Évangéliste, qu'on
apprend par cœur d'un bout à l'autre, allant toujours à la
suite; ou bien la Concorde des évangélistes, qu'on apprend
en tout ou en partie.


Au grand Catéchisme, on récite les Évangiles de la paroisse
de la Madeleine, et on interroge les enfants sur les notes.
De même au petit Catéchisme. — Cette récitation doit être
pleine de gravité, de respect, de religion, et imperturbable
de mémoire.


2° L'Instruction proprement dite.
Une instruction de Catéchisme : qui est-ce qui ne se croit


pas parfaitement capable de la faire ? qui doute de soi sous
ce rapport ? qui n'estime avoir beaucoup plus de littérature
et de théologie qu'il n'en faut pour cela?


Et cependant, de l'aveu des hommes les plus compétents,
ce n'est pas chose aisée, et qui demande peu de soin. On a
dit, et avec raison, qu'il était beaucoup plus facile de faire
un bon sermon.


Que faut-il donc pour faire une bonne instruction de Caté-
chisme?


Il faut d'abord et par-dessus tout, de la doctrine : ces
instructions doivent être, non pas sèches, sans doute, mais
très-solides, très-claires, très-didactiques. Et pourquoi?
Encore une fois, parce que ce qui manque le plus de nos




CH. V. — LES CATÉCHISMES. 567


jours, on ne saurait trop le répéter, c'est une sérieuse con-
naissance de la religion, et par conséquent une foi éclairée.
On est étonné de l'ignorance qu'on rencontre quelquefois,
même dans les jeunes gens des classes supérieures, sur les
choses les plus connues de la religion. De bons catéchismes,
voilà le seul moyen de les bien instruire.


Le grand avantage de ces instructions de catéchisme,
c'est qu'elles se lient et s'enchaînent, c'est qu'elles ont lieu
d'après un plan suivi, tracé d'avance, et dont on ne
s'écarte pas.


Ce plan est divisé en quatre années pour le catéchisme
de persévérance :


1 r e a n n é e — Dogme ;
2 e année. — Morale ;
3 e année. — Grâce, — Prière, — Sacrements ;
Ie année. — Le Sacrifice, — résumant tout.
Ce plan est de deux années pour le grand Catéchisme.
Dans le petit Catéchisme, le plan est d'une année seule-


ment.
On conçoit que pour le petit Catéchisme, l'instruction ait


une forme spéciale, plus élémentaire et plus simple. Cette
forme, la voici :


Un catéchiste développe, à chaque séance, une ou deux
leçons de Catéchisme, le plus souvent celle qui vient d'être
récitée. L'explication qu'il fait de cette leçon est simple, ani-
mée et rendue bien intelligible par des comparaisons très-
vives et très-familières ; il doit interroger beaucoup les en-
fants, et en appeler plusieurs à la fois, s'il le juge bon, pour
les faire concourir les uns avec les autres. Les petits mots
pour rire, les petites histoires, ainsi que les courtes ré-
flexions de piété, doivent trouver place dans cette explication.


Pour les deux autres Catéchismes, il faut des instructions
plus élevées, très-belles, très-bien dites, éloquentes même
au besoin.




508 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


A quelles conditions le seront-elles?
l° Il faut qu'elles soient TRÈS-BIEN PRÉPARÉES.
Il est impossible de faire une bonne instruction de Caté-


chisme sans l'avoir préparée avec le plus grand soin. Une
bonne instruction de Catéchisme exige des plus habiles
quatre, cinq, ou six heures de préparation. J'ai employé quel-
quefois deux ou trois jours d'un travail suivi, quelquefois
une semaine entière, pour préparer certaines instructions
plus difficiles ou plus délicates.


Un défaut presque inévitable et très-fâcheux du manque
de préparation, c'est la longueur, la redondance. On se perd
dans des détails superflus, on se répète, on revient inutile-
ment sur ce qu'on a dit, on ne proportionne pas les dévelop-
pements aux choses ni au temps, etc.


D'autre par t , la brièveté est surtout nécessaire avec les
enfants. « Il en est de leur esprit comme d'un vase dont l'ou-
verture est très-étroite, dit Fénelon, et que l'on ne peut rem-
plirque goutte à goutte. Si l'on veutrendrel'instruction utile,
il faut leur dire peu de choses à la fois » — « Croyez-moi,
disait saint François de Sales à l'évêque de Belley : A force de
charger la mémoire des enfants, on la démolit, comme on
éteint les lampes quand on y*met trop dliuile. C'est pour-
quoi le Concile de Trente, dans le décret qui oblige tous les
pasteurs à instruire leurs peuples, recommande la brièveté,
en même temps que la simplicité du langage : Cum brevitate
etfacilitate sermonis. »


2" Il faut que l'instruction soit BIEN DIVISÉE.
C'est le point capital, pour être court, pour être clair, pour


être intéressant, pour être solide, et pour que les enfants
suivent et retiennent.


Il faut commencer par rappeler clairement, brièvement,
le sujet et les divisions de l'instruction précédente. Puis,
énoncer très-clairement, très-lentement, le sujet de l'instruc-
tion nouvelle; puis, indiquer très-distinctement la division




C H . V . — L E S CATÉCHISMES. 569


en deux, trois ou quatre parties, par QUESTIONS le plus sou-
vent.


Les enfants saisissent beaucoup mieux les sujets traités par
questions,-vives, animées, directes, que si on leur parlait
d'une manière abstraite.


Quoi qu'il en soit, qu'on prenne une manière ou une autre,
il faut que la division soit simple, naturelle, et énoncée si
lentement, que les enfants puissent l'écrire textuellement,
comme à la dictée.


Autrement on met ces pauvres enfants au désespoir : bien-
tôt ils ne savent plus où ils en sont, et ne comprennent plus
rien à ce qui leur est dit. Je me souviens d'un jour où l'un de
mes collaborateurs avait oublié d'annoncer la division de
son instruction : le découragement s'empara tellement des
enfants occupés à prendre des notes, que l'un d'eux se mit
à fondre-en larmes. J'avertis le catéchiste, qui donna sa divi-
sion, et aussitôt la joie reparut sur tous les visages.


3° Il faut que l'instruction soit parfaitement CLAIRE pour le
fond et dans tous les détails.


C'est ici qu'il convient de rappeler le précepte de Quin-
tilien :


« Faites en sorte, non-seulement que l'enfant comprenne,
« mais qu'il ne puisse pas ne pas comprendre '. »


Non ut intelligerepossit, sedne omnino nonintelligere non
possit, curandum.


Pour cela, il y a trois moyens très-efficaces.
— Il faut dire les choses simplement ; comme elles sont,


sans recherche, sans exagération. On exagère quelquefois
avec les enfants et on a tort; on ne fait par là que les trou-
bler, leur fausser l'esprit. Les plus avancés s'aperçoivent de
l'exagération, et entrent en défiance : cela discrédite le caté-
chiste.


* Quintil., lib. m, c. 1 .




§70 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


— Il faut dire les choses dans l'ordre le plus naturel, le
plus convenable ; chacune à sa place; rien de brusque, rien
de forcé; rien à la traverse : il faut éviter l'embarras des
phrases incidentes et des parenthèses. Les jeunes caté-
chistes tombent souvent dans ce défaut.


La plupart ont aussi une malheureuse prodigalité de ter-
mes inutiles. Ils ne savent pas couper une phrase ou l'abré-
ger ; ce sont des longueurs, des redondances infinies, des
expressions embarrassées.


— Il faut encore éviter tous les mots qui n'apprennent
rien. Un catéchiste doit se mettre à la place de ses enfants,
composer ou préparer son instruction en leur présence, et
comme s'ils étaient là ; se dépouiller de ses propres idées ;
se bien représenter comment les enfants conçoivent les
choses ; examiner, de sang froid, s'il est vraisemblable que
les enfants saisiront ce qu'il a dessein de leur faire com-
prendre.


Si la manie de faire des phrases serait plus que partout
détestable au Catéchisme, celle de faire de grands raisonne-
ments, des syllogismes, de la science, ne le serait pas
moins. Bien entendu qu'il ne s'agit pas ici du fond, mais
de la forme : dans le fond, on n'est jamais dispensé, même
avec des enfants, de donner de bonnes raisons : c'est évi-
dent ; mais il ne faut pas embarrasser ces raisons sous une
forme lourde, ou dans des subtilités scholastiques : il faut
savoir les faire jaillir comme l'eau vive, ou briller comme la
lumière.


-4° Mais voici qui est capital pour l'intérêt de ces instruc-
tions. Voulez - vous faire arriver la vérité jusqu'aux enfants?
sachez la leur rendre sensible par des images et des compa-
raisons, tirées des choses qu'ils connaissent et qui les inté-
ressent.


« C'était un contentement non pareil, dit un historien de
saint François de Sales, d'ouïr combien familièrement il ex-




CH. V. — LES CATÉCHISMES. 571


posait aux enfants les rudiments de notre foi; à chaque pro-
pos les riches comparaisons lui naissaient en la bouche pour
s'exprimer. »


5° Enfin, pour que l'instruction soit intéressante et ani-
mée, le grand art est de se mettre à son aise, de prendre un
•visage ouvert et affable, un ton et un geste naturels ; en sorte
que les enfants soient eux-mêmes à leur aise, que leur atten-
tion soit éveillée et heureuse, et qu'ils ouvrent sans effort
leur esprit et leur cœur.


Il faut même piquer leur curiosité par certaines tournures
originales, vives, qui les tiennent en suspens; il faut même,
dit avec raison la méthode de Saint-Sulpice, les surprendre
et les récréer agréablement par des saillies inattendues, sans
craindre de dire quelquefois un mot pour rire, avec une
gaîté douce et décente.


6° Un des moyens les plus vifs pour intéresser les enfants,
pendant l'instruction, c'est de les interroger, de les faire
parler eux-mêmes, de leur faire dire le sujet, la division, les
principaux détails ; et cela est très-utile aussi pour voir s'ils
ont bien écouté et bien compris.


Non pas qu'il faille faire l'instruction tout entière par
demandes et par réponses : l'instruction qui est l'enseigne-
ment solennel de la religion, n'aurait plus assez d'autorité.
Non, il faut dire d'abord, et enseigner, tanquam potestatem
habens. Et puis ensuite interroger les enfants sur ce qui a
été dit.


Voilà donc, et nous avons tenu à le dire dans tout le détail,
à cause de l'importance de la chose, ce que doit être une
instruction de Catéchisme. Qui ne voit maintenant les avan-
tages d'une telle instruction, et combien il est nécessaire d'y
mettre toutl'intérêt.d'y apporter tout le soin désirable? Con-
venablement préparée, dite avec aisance, naturelle, claire,
solide, animée, intéressante, elle saisit les intelligences et
les nourrit de la vérité et de la lumière de Dieu. Ainsi la




3 7 2 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


V


flOÏENS DE NOURRIR LA PIÉTÉ AU CATÊCH1S1IF..


Outre le caractère exhortatif que prend quelquefois l'ins-
truction, le chef du Catéchisme donne des avis de piété,
quand il le juge à propos, et spécialement avant les Vêpres
ou le Salut. — II doit être très-attentif aux besoins du Caté-
chisme, et donner ces avis de manière à faire entrer les en-
fants dans l'esprit du temps où l'on se trouve, dans l'esprit
des solennités qui se rencontrent.


11 donne encore des avis lorsqu'il a remarqué quelque
chose de consolant, ou au contraire, de peu édifiant, et, en
général, quand il le croit utile et s'y sent porté : évitant tou-
tefois les redites et la prolixité.


De plus, pour accoutumer les enfants à nourrir leur piété
par des réflexions qui leur soient propres, on exige qu'à la
suite de leur analyse ils mettent une prière et une réso-
lution pratique : on lit quelquefois ces prières et ces réso-
lutions publiquement, à moins qu'il ne s'y trouvât quelque
chose de trop personnel et de trop intime., ;


Il y a encore trois grands moyens de donner de la piété
aux enfants :


4° Le chant des cantiques qui précède ou suit les exer-
cices principaux. On chantera de suite plusieurs couplets,
et, au besoin, on pourra les paraphraser et les faire chanter


religion est enseignée ; ainsi la foi s'établit, se fortifie dans
les jeunes cœurs; ainsi sont posés les solides fondements
d'une vie chrétienne. Achevons maintenant, avec toute la
brièveté possible, ce qui nous reste à dire sur cette impor-
tante matière.




CH. V. — LES CATÉCHISMES. 573


de nouveau après la paraphrase, avec plus d'attention, d'in-
telligence et de piété.


2" Les histoires pieuses. Elles seront la récompense du
zèle à bien apprendre l'Évangile et le Catéchisme, et repo-
seront de l'attention à bien écouter. Elles seront encore un
moyen de jeter de l'intérêt dans le Catéchisme, et d'y gagner
à la vertu le cœur des enfants.


3° Les fêtes du Catéchisme, auxquelles on donnera toute la
solennité possible. On y récitera des billets, des dialogues
pieux et aimables; on y fera des distributions de gravures ;
on y invitera M. le Supérieur, M. le curé et d'autres per-
sonnes du dedans et du dehors.


4° Enfin, on se proposera, à chaque réunion, de faire une
impression de piété sur les enfants ; et, pour cela, autant
que possible, on tournera vers le même but le chant des
cantiques, les avis, les histoires, l'homélie, l'instruction
tout, en un mot, de manière à mettre une harmonie secrète
et efficace dans cette variété d'exercices qui composent une
séance de catéchisme.


Mais, comme, en écrivant ceci, je sens à quel degré les Ca-
téchismes, et ce qu'on peut appeler la stratégie des Caté-
chismes, et de chaque séance de Catéchisme, ont besoin
d'être bien prévus et bien préparés ! C'est un vrai plan de
campagne à tracer et à suivre : autrement on va à l'aventure,
on parle, on frappe en l'air, et on ne fait rien.


5* Enfin, dans l'intérêt de la piété même, on s'efforcera de
donner au Catéchisme beaucoup d'intérêt cl d'éclat; mais il
faut bien comprendre que, dans un Petit Séminaire, et sur-
tout dans une grande division, cet intérêt, cet éclat doivent
venir surtout de la beauté, de la solidité, de la splendeur
des vérités de la foi et de la haute et religieuse éloquence
CYVAÏV te\ enseignement


Sans cela les autres moyens tombent à faux.




574 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


CHAPITRE VI
Des Retraites.


I


De tous les moyens dont l'Éducation chrétienne dispose
pour maintenir les enfants dans le bien, ou les arracher au
mal, les Retraites sont sans contredit l'un des plus néces-
saires et des plus puissants.


Je dis des plus nécessaires. Il ne faut pas s'imaginer en
effet que des enfants de douze à quinze ou vingt ans n'aient
pas leurs misères morales, n'aient pas à lutter, quelquefois
prodigieusement, pour se conserver bons et purs, et que
les secours ordinaires d'une bonne maison d'Éducation, si
nombreux qu'ils soient, suffisent pour les protéger tou-
jours, et dispensent de recourir à ce grand et exceptionnel
moyen de conversion et de sanctification, qui se nomme
une Retraite.


Non ; quand on connaît les enfants, leurs défauts, leurs
passions, leurs défaillances, les dangers qui les entourent,
la faiblesse et l'extrême légèreté de leur âge, l'empire sur
eux des mauvaises habitudes, leur répugnance naturelle
à l'effort, au travail, à l'obéissance, à la règle, on ne sau-
rait douter que, pour prévenir leur chute dans le péché,
ou les en relever, il faille quelque chose de plus que leurs
petits exercices de piété de chaque jour; quelque chose
qui vienne tout à coup les saisir fortement, secouer leur in-
différence, réveiller leur foi endormie, frapper un grand
coup sur leurs âmes, briser enfin leurs funestes habitudes,




CH. VI. — LES RETRAITES. 575


les arracher violemment au mal, et les remettre énergique-
ment dans le bien ; en un mot, il leur faut une Retraite : car
c'est là précisément le but et l'œuvre des Retraites.
- C'est à tous sans exception du reste qu'une Retraite est in-


finiment nécessaire et salutaire : à ceux qui sont dans l'état
du péché, dans le lien des habitudes mauvaises, pour les
en retirer et les convertir; ils y croupiraient sans la Re-
traite : à ceux qui se traînent, languissent, et vont tomber,
pour empêcher qu'ils ne tombent, et les ranimer dans la
vertu : à ceux enfin qui ont eu le bonheur de se conserver
dans la vie fervente, pour entretenir et raviver en eux la
flamme pure de l'amour de Dieu, et affermir définitivement
la vraie et solide piété dans leurs âmes.


En un mot, pour régénérer une maison d'Éducation tout
entière, remettre toutes choses dans la bonne voie, et don-
ner à tous une forte et féconde impulsion, la Retraite est le
grand, l'unique moyen.


Voilà pourquoi, dans toute maison d'Éducation oùl'on tient
aux bonnes mœurs, à la vertu, à la religion, il faut instituer,
chaque année, une Retraite ; et les vaines craintes de cer-
taines personnes, assurément peu compétentes en pareille
matière, qui se représentent une Retraite comme une suite
d'exercices fastidieux pour les enfants, ne méritent pas d'être
écoutées. L'expérience a surabondamment démontré, tout au
contraire, et pour mon compte ce n'est pas une, c'est cent
expériences personnelles qui in'ont fait voir de près com-
bien il est facile de faire suivre avec le plus grand profit
moral, et en même temps sans fatigue, et même avec charme,
les exercices d'une Retraite par des enfants.


II


A quelle époque précise de l'année doit être placée la
Retraite? — En supposant la rentrée au commencement




576 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


d'octobre, je réponds : à la Toussaint; ni plus tôt, ni plus
tard. Plus tôt, la rentrée peut n'être pas complète ; les esprits
sont encore préoccupés; l'agitation et les souvenirs des va-
cances ne sont pas encore calmés : plus tard, ce serait se
priver du plus précieux des secours pour bien commencer
l'année, chose si capitale ! et pour tout mettre en bon train.


Que sont la plupart des enfants, dans une maison d'Édu-
cation même chrétienne, au commencement d'une an-
née ? Il se trouve là un grand nombre de nouveaux sans
piété, sans instruction chrétienne, peut-être même sans reli-
gion solide : l'immense majorité du moins n'a aucun goût
pour le travail, l'obéissance, la règle. Faut-il les laisser plu-
sieurs mois dans cet état? ne faut-il pas plutôt les saisir
énergiquement, tout d'abord, par une Retraite ?


Que si, au contraire, ils ont été élevés dans l'innocence et
la piété, une Retraite produira chez eux des fruits admira-
bles, aura une influence décisive sur leur conduite dans la
maison, et les fixera peut-être à jamais dans le bien.


Quant aux anciens, plusieurs peut-être pendant les va-
cances ont laissé leur cœur se flétrir : il importe d'arra-
cher promptement ces pauvres enfants, par la forte action
d'une Retraite, à des misères qui pourraient s'invétérer.Ceux-
là même qui ne se sont point trop écartés de la vertu, se
sont au moins remplis d'un esprit de dissipation et de pa-
resse, qui réclame un remède énergique, une prise d'assaut
vigoureuse.


Notez de plus qu'à la Toussaint on évite le grand incon-
vénient du froid, qui apporte d'ordinaire une très-pénible
entrave aux Retraites placées vers Noël, ou dans le mois de
février.


J'ajoute qu'une seconde Retraite, d'ailleurs, a lieu tout na-
turellement et comme par la force des choses pendant la se-
maine sainte. Rien de plus facile en effet que de convertir les
offices et les exercices nécessaires de la semaine sainte en




CH. VI. — LES RETRAITES. 577


une petite et excellente Retraite. Le Mercredi saint, le Jeudi
saint, le Vendredi saint, sont les journées les plus saintes, les
plus solennelles, les plus saisissantes de toute l'année, de
toute la religion, de la vie entière : on les passe à la cha-
pelle en grande partie: on y entend les prédications les
plus touchantes; les classes, les études profanes sont suspen-
dues. Quoi de plus simple, je le répète, et de mieux indiqué,
que de profiter de tout cela pour préparer excellemment
les enfants à la grande fête de Pâques? Cette seconde retraite
a, du reste, un caractère tout différent de la première, et elle
se rencontre merveilleusement à propos, pour ranimer les
enfants chez qui l'impression de la première Retraite est sou-
vent bien affaiblie après six mois.


Mais que doit être précisément une Retraite? c'est à-dire
quel but doit-elle atteindre? comment doit-elle être con-
duite? par quels moyens peut-on en assurer le succès?


I I I


Je l'ai dit : une Retraite doit être une époque de parfait
renouvellement pour une maison, et la complète régénéra-
tion des âmes.


II faut, après une Retraite, que chacun soit en grâce avec
le bon Dieu, ait retrouvé la paix de sa conscience, l'énergie
de son courage pour k bien; et reprenne, avec toute l'ar-
deur de bonne volonté dont il est capable, tous ses devoirs.


11 suit de là qu'une Retraite ne peut pas réussir médiocre-
ment. On n'a rien fait, si les enfants ne sont pas saisis jus-
qu'au fond de l'âme, vaincus, subjugués par les grands
coups de la parole évangélique et par la grâce de Dieu; rien
fait, si toute la maison n'est pas profondément améliorée
et relevée. Quand la Retraite n'a produit que des impres-
sions superficielles et légères, les fruits sont nuls; rien ne
dure : et, il ne faudrait pas s'y tromper, un tel échec est tou-


Ï , m. 37




578 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


jours lamentable; car, uneltetraitebien ou mal faite, c'est une
bonne ou une mauvaise année. Telle Retraite, telle année :
les exceptions sont rares, et pour moi, je n'en connais point.


Mais, on le comprend, ce n'est que par degrés, et comme
d'effort en effort, que les enfants dans une Retraite peuvent
être amenés à ce grand et heureux changement, à cette
totale régénération.


Il faut d'abord bien voir où ils en sont, se rendre bien
compte de leurs dispositions à tous, de l'état vrai de leurs
âmes, les prendre là, et les conduire graduellement, par un
travail progressif et continu, jusqu'au point où on veut les
amener


Où en sont-ils, presque tous, au moment de commencer
la Retraite? Dans une très-grande appréhension de cette
Retraite. Quelques-uns la désirent, mais la craignent en
même temps : elle leur apparaît à tous sans doute comme la
délivrance du péché, mais aussi comme une grave époque,
où, pour se délivrer du péché, il faut rentrer en soi-même,
réfléchir, se convertir, rompre avec le mal, la tiédeur, la
paresse et toutes les mauvaises passions. Il y aura là bien
des exigences sévères, un labeur bien pénible, et peut-être
les plus rigoureux sacrifices. La nature s'effraye de cette
perspective, et y répugne fortement.


J'ai vu des enfants me dire : « Oh ! Monsieur, je sens que
« j 'ai bien besoin de la Retraite ; mais cela me fait bien
« peur d'y entrer. »


Il faut donc tout d'abord les saisir vivement et leur don-
ner du courage. On les saisira, dès la veille, par des avis
paternels; dès le discours d'ouverture et la première réunion,
par une parole imposante, par de beaux cantiques, par un
discours vif, pénétrant, éclatant, qui, bon gré, mal gré, leur
jette dans l'âme, et y enfonce en quelque sorte la grande idée
de la Retraite : « grâce incomparable, temps merveilleux,
« tempus acceptabile, où Dieu répand la pluie des grâces,




CH. VI. — LES RETRAITES. 579


« et visite les cœurs de ses enfants : Il faut répondre à
« l'appel de Dieu, craindre Jésus qui passe et ne revient
« plus '. » Cette ouverture de la Retraite a lieu vers le soir :
les enfants se retirent presque toujours très-émus : la nuit
qui succède avec son recueillement ajoute à l'impression
des paroles. Si le discours est bien fait, si les avis du Direc-
teur de la Retraite ont été bien donnés, vivement, affec-
tueusement, les enfants sont pris à peu près. Cette première
réunion, on le voit, est de la plus extrême importance.


Ce n'est pas toutefois dès le lendemain, dès le premier
jour, qu'il faut chercher à frapper les grands coups. Les
enfants n'y sont pas encore assez préparés. Le premier jour,
il faut poser les fondements; éclairer les âmes, parler à
l'esprit, avant d'attaquer le cœur. Ce ne sont pas encore
les grands motifs de contrition qu'il faut présenter, mais la
vive et haute lumière des vérités fondamentales : la fin
de l'homme, la dignité du chrétien, la nécessité du salut.


Ces vérités, à la fois si élevées et si simples, si intéres-
santes et si fortes, sont, grâce à Dieu, admirablement acces-
sibles aux enfants eux-mêmes; et dans la rectitude naturelle
de leur jeune raison et de leur jeune cœur, il est impossible
qu'ils les regardent en face et n'en soient pas tout pénétrés. Il
faut les leur montrer dans leur plus lumineux éclat : il faut
les subjuguer par cette lumière, il faut que leur esprit ne s'en
puisse défendre, et que la conviction soit entière et pro-
fonde dans leurs âmes : il faut, si je puis m'exprimer ainsi
avec les saints Livres, qu'ils tressaillent dans la lumière :
Exultent in luce; en sorte que cette conclusion : je dois à
tout prix sauver mon âme, se formule invinciblement dans
leur conscience, et amène dans leur cœur ce cri généreux :
Je veux me sauver ! — Voilà, le fruit du premier jour.


1 Célèbre parole de saint Augustin : Time Jcsam transewitem, née amplius
rcvcrlcnlem.




5 8 0 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


Alors, les enfants sont disposés à tout entendre : la lutte
avec leur conscience peut commencer, et la parole évangé-
lique peut tomber sur eux de toute sa force. 11 faut cependant
observer encore ici une gradation, afin que l'impression de
la Retraite, que l'émotion des âmes aille toujours crescendo.
Les grands principes de la fin de l'homme et de la nécessité
du salut, posés comme fondement au premier jour, ont com-
mencé à fixer, bon gré, mal gré, les esprits les plus légers
dans les réflexions sérieuses ; au second jour, c'est du péché
qu'il faut parler'et de la mort. Le péché, tel qu'il est, avec ses
tristes et odieux caractères de malice, d'ingratitude, de folie :
la mort, si certaine et si incertaine à la fois, si foudroyante
pour les vanités de la terre, si décisive pour l'éternité ! Il
faut atterrer les enfants sous ces vérités, et éveiller en eux le
remords avec la crainte de Dieu : sans exagération toutefois,
sans vaine fantasmagorie de paroles; en se tenant au cœur
même et dans la lumière de ces vérités solennelles.


Cette œuvre continue le troisième jour : sous la terreur
des jugements de Dieu, il faut ce jour-là que les enfants
soient écrasés, et que leur conversion se décide.


Tous les cantiques qui se chantent, tous les avis qui se
donnent, sont d'ailleurs en harmonie avec les discours qui se
prêchent, et aident admirablement au grand dessein qu'on
se propose.


Enfin, à ces émotions de remords et de terreur succèdent,
au quatrième et dernier jour, des impressions plus douces,
mais non moins pénétrantes, afin que les cœurs qui auraient
été bouleversés peut-être par la crainte, mais non pas en-
core définitivement changés, s'ouvrent à la douleur et au
repentir, à l'espérance du pardon et à l'amour de Dieu.


C'est la contrition directement que la parole ôvangôlique
cherche à faire jaillir du cœur, soit par le récit de l'incom-
parable parabole de l'enfant prodigue, soit par l'exposé
pathétique des motifs de contrition, soit par la touchante




CH. VI. — LES RETRAITES. 581


peinture de la miséricorde et des douleurs de Notre-Sei-
gneur. — Il faut du reste avoir bien fait comprendre aux en-
fants que ce jour est décisif, et que, selon qu'ils profiteront ou
abuseront des grâces que ce grand jour apporte, ils y trou-
veront la joie ou le remords, le salut ou la perte de leur âme,
les douceurs de la paix et de la réconciliation avec Dieu ou
les déchirements d'une conscience rebelle et obstinée : que
d'ailleurs ce seul jour bien rempli peut tout réparer : jus-
qu'au dernier moment, il faut fortifier les faibles, toucher les
endurcis, faire enfin un suprême appel à la bonne volonté


Telle est la marche d'une Retraite : la clôture, — qui se fait
le jour de la Toussaint ou le jour de Pâques, — c'est l'épa-
nouissement des visages et l'allégresse triomphante des
cœurs. En ce grand jour, la prédication doit enlever et
ravir les âmes dans les hauteurs sereines et lumineuses de
l'amour de Dieu, et mêler à toutes les exhortations sur la
persévérance les éclats de la joie et tous les encourage-
ments de la confiance chrétienne.


IV


Indépendamment des sermons, il y a dans une Retraite
deux autres genres d'instructions infiniment utiles aux en-
fants, les conférences et les avis.


Les conférences sont des entretiens familiers qui détendent
et soulagent les esprits, et les préparent d'autant mieux
aux fortes secousses de la grande prédication. Dans ces
entretiens, sous une forme doucement enjouée, on peut dire
aux enfants, sur les défauts de leur âge et les devoirs de leur
position, une foule de choses que les sermons ne disent pas,
et mêler utilement aux grandes vérités une quantité de dé-
tails pratiques auxquels la prédication plus solennelle se
prête moins.




582 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


Placées au milieu du jour, les conférences reposent des
sérieux, exercices du matin et disposent à ceux du soir.


Les avis sont encore plus directs, plus immédiatement
pratiques et plus nécessaires que les conférences : c'est une
sorte de direction paternelle donnée jour par jour, heure
par heure, aux enfants, pour les aider à bien faire leur Re-
traite. Pauvres enfants '. ils se débattent sous l'action de la
parole et de la grâce, et résistent plus ou moins : d'ailleurs,
tout ne va pas tout seul, même quand ils ont bonne volonté.


Il est donc important que des grandes vérités qu'on leur
prêche on descende jusqu'à l'obstacle actuel et à la résis-
tance du moment, qu'on y mette en quelque sorte la main
avec douceur et bienveillance ; qu'on leur indique, même
après les conseils précis de leur confesseur, de quelle ma-
nière ils doivent employer chaque jour, et faire l'œuvre
de leur Retraite; qu'on leur demande où ils en sont, en les
avertissant du temps qui passe ; qu'on leur suggère et qu'on
leur inspire les bons sentiments, la bonne volonté, la joie,
la reconnaissance, le courage qu'ils doivent avoir; qu'on
leur recommande tantôt le recueillement, tantôt quelque
pratique de mortification, qui, faite volontairement et sous
l'œil de Dieu, leur attirera des grâces précieuses, tantôt ces
prières qui, versées en secret aux pieds du Seigneur, sont
décisives.


En un mot, il faut qu'on les exhorte, qu'on les encou-
rage, qu'on les presse, qu'on les aide de toute manière. Ces
avis sont d'un secours extrême aux enfants, et il est éton-
nant à quel point ils peuvent contribuer au succès d'une
Retraite.


C'est au Supérieur lui-même, ou au Directeur de la Re-
traite à les donner.




CH. VI. — LES RETRAITES. 583


V


Je viens de décrire la première Retraite, celle du commen-
cement de l'année : la Retraite de la Semaine Sainte a dans
sa marche, et dans le caractère des prédications, quelque
chose de particulier, qu'elle emprunte à la grande époque
liturgique où on la donne. Je l'ai indiqué déjà : nul temps
n'est plus propre que le temps de la Passion, la Semaine
Sainte, et la fête de Pâques, pour réveiller la foi, la piété,
l'amour de Dieu, et faire rentrer les enfants, même les plus
dissipés, en eux-mêmes.


On n'y traite pas les mêmes sujets qu'à la première Re-
traite. Les vérités terribles ne sont pas aussi nécessaires
pour ceux qui vont bien, et seraient peut-être usées pour
ceux qui vont mal. En tout cas, le genre de cette seconde
Retraite doit être plus doux , quoiqu'elle puisse au fond
avoir quelque chose de plus vif même et de plus pénétrant
que la première. En effet, l'abus des grâces, la communion
sacrilège, la trahison de Judas, le renîmentde saint Pierre,
la Passion, sont des sujets admirables à traiter et qui Font
toujours grande impression.


Pour ceux des enfants qui ont conserve les fruits de la
première Retraite, et c'est le plus grand nombre, on peut
dire que cette seconde Retraite va toute seule; les vérités y


.entrent d'elles-mêmes dans les âmes.
Et quant aux autres, la Retraite faite à cette époque produit


toujours aussi des résultats extrêmement consolants, parce
qu'elle a été préparée par la première Retraite, et par tant de
soins donnés aux enfants depuis la rentrée, préparée sur-
tout par le carême, temps merveilleux pour la conversion
des âmes; parce qu'elle est faite enfin pendant la Semaine
Sainte, où tous les plus grands et plus saisissants mystères




584 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


du christianisme sont là sous les yeux des enfants, et où il
suffit d'avoir au cœur quelque étincelle de foi, pour se
sentir touché, et pressé de revenir à Dieu.


J'ai toujours vu, à dater de cette époque, l'année marcher
admirablement. Aussi, pour rien au monde, je n'aurais
voulu priver nos enfants du bienfait de cette Retraite, dont
la Semaine Sainte, il faut le bien remarquer du reste, fait
comme une nécessité.


VI


Mais, on le comprend, plus l'œuvre d'une Retraite est im-
portante, et plus il faut prendre de moyens pour en assurer
le succès. Et pour cela, pour que les enfants ne fassent pas
une Retraite telle quelle, mais une Retraite qui porte les
grands fruits dont nous avons parlé, je le dis hautement,
il faut se donner de la peine, beaucoup de peine. Tous les
soins les plus attentifs, les plus délicats, les plus minu-
tieux, doivent être pris par le Supérieur et par les Direc-
teurs.


Le premier de tous ces soins, évidemment, c'est le choix
d'un prédicateur. Un bon prédicateur, si ce n'est pas la seule
condition d'une bonne Retraite, c'est du moins, on peut le
dire, la condition sine qua non. Mais il n'est pas toujours
facile de trouver des hommes qui conviennent à ce minis-
tère. C'est un genre particulier que tous les prédicateurs,
môme de mérite, n'ont pas. Ce n'est pas assez, dans une
telle prédication, d'être instructif et solide, il faut surtout
savoir se mettre à la portée des enfants, afin d'en être bien
compris, et parler tout à la fois à leur imagination, à leur
intelligence et à leur cœur, pour leur plaire et les émou-
voir ; et cela, non par une sensibilité vaine ou des tonnerres
de voix, mais par une onction vraie et un pathétique tou-
chant, par une parole vive, imagée, brillante, par des com-




CH. VI. — LES RETRAITES. 585


paraisons frappantes, par des traits d'histoire surtout, bien
choisis, bien présentés.


Une telle prédication n'est pas facile, etsuppose, outre le
talent spécial, une piété véritable : un prôtre qui n'aurait
pas une grande piété, ne serait pas capable de prêcher utile-
ment à des enfants. J'ajouterai encore que ce ministère exige
une préparation très-sérieuse, et l'habitude de traiter son
auditoire avec grand respect. Il ne faut pas dire ici : « Ce
ne sont que des enfants ! quels si grands frais y a-t-il à faire
pour eux ? » J'ai vu des prédicateurs de très-grand renom,
comme le P. de Ravignan, Mgr de Janson, n'apporter pas
moins de soin à nos Retraites d'enfants, que s'il se fût agi
des plus brillants auditoires : et certes, ils avaient raison.


Mais quelque importante que soit la prédication dans une
Retraite, toute J'affaire ne se passe pas entre le prédicateur
et les enfants ; et, quel que soit le prédicateur, si l'on veut
courir à un échec presque certain, on n'a qu'à le laisser faire
seul. Non, il faut l'aider, le soutenir à tous les moments, et
de toutes les manières.


Tous les moyens, même matériels, pour que les enfants
fassent bien leur Retraite, doivent être mis en œuvre.


Et d'abord, les maîtres doivent tous y concourir, soit par
leur exemple, par leur gravité, leur recueillement, leur fidé-
lité aux exercices; soit par leur action sur les enfants eux-
mêmes, dans la mesure qui est possible à chacun ; soit enfin
par la ferveur de leurs prières.


Avant la Retraite, une chose qui me paraît tout à fait indis-
pensable, c'est que, dans un grand conseil, une étude sérieuse
des enfants ait été faite au point de vue de la Retraite, et que
chaque confesseur sache bien, parmi ses pénitents, quels sont
ceux qui ont besoin d'avis particuliers, et de quelle manière
il pourra donner à chacun sa direction dès le premier jour.


I! est bien clair que des enfants ne peuvent pas faire leur
rVelvaYle lowi seu\s •. V\s ont, oesoVû à"' èive gvMés -, que dAs-je 1




586 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


d'être portés en quelque sorte par un directeur charitable et
paternel, et cela dès le premier moment. Rien ne serait
plus compromettant pour leur Retraite qu'une incertitude
au commencement, et je ne sais quel tâtonnement qui leur
ferait perdre une partie plus ou moins considérable d'un
temps si précieux et si court. Il faut qu'ils puissent se mettre
à l'œuvre de suite et sérieusement : c'est pourquoi le Supé-
rieur d'une part, dans des lectures spirituelles préparatoires,
et les confesseurs de l'autre, dans des entrevues particu-
lières avec leurs pénitents, ne doivent rien oublier pour
donner à tous les enfants, en général, et à chaque enfant en
particulier, les conseils les plus précis, et les indications les
plus complètes.


Il est donc essentiel, au commencement de la Retraite et le
plus tôt possible, que chaque confesseur voie.chaque enfant,
et détermine avec lui d'une manière précise le but spécial
qu'il devra se proposer, et la marche qu'il devra suivre :
voilà les soins qui décident le succès profond d'une Re-
traite. Ce succès, dans un sens, dépend autant de la direc-
tion que de la prédication. Du moins, c'est par la direction
que l'enfant est mis à même de recueillir tous les fruits de
la parole qu'il entend, et du travail personnel qu'il y ajoute.
Ce serait vraiment trahir les âmes des enfants que de ne pas
leur donner ces indispensables secours.


VII


Il y a en effet trois lieux où se fait toute l'œuvre de la Re-
traite : la chapelle, la salle d'étude, le confessionnal.


C'est à la chapelle que le travail commence et s'accomplit
sous l'action immédiate de la parole de Dieu.


Là, tout dépend du prédicateur : mais encore est-il in-
dispensable que sa parole soit appuyée par un triple secours.
11 faut d'abord.les avis généraux du Supérieur sur la Retraite,




CH. VI. — LES RETRAITES. 587


et les avis particuliers du confesseur à chaque enfant ; nous
venons d'en parler. 11 faut de plus le recueillement exté-
rieur, la régularité de toute la maison : autrement, et si
vous ne livrez au prédicateur que des enfants dissipés, que
voulez-vous qu'il en fasse, et que deviendra au milieu d'eux
sa parole ? Il faut enfin le chant des cantiques. Les can-
tiques sont de la plus grande importance dans une Re-
traite, et, pour ma part, je ne comprendrais pas qu'on pût
s'en passer. Tous les hommes d'expérience réelle n'ont qu'une
voix à cet égard. Par leur mélodie, par les grandes véri-
tés et les grands sentiments qu'ils expriment, les cantiques
saisissent les âmes, et les préparent merveilleusement à la
parole. — Le Directeur de la Retraite doit donc s'entendre
avec le prédicateur afin de les bien choisir selon les divers
sujets des instructions, etpuisles faire exécuter avec toute
la perfection et la piété possibles.


C'est à la salle d'étude que l'oeuvre du prédicateur con-
tinue et se complète par le travail personnel et les médita-
tions de l'enfant là tout dépend beaucoup de la direction
donnée et reçue ; car que fera un enfant, à quoi emploiera-
t-il les temps libres, si son directeur ne le lui a pas indiqué
très-précisément? 11 faut tout dire à un enfant, je ne saurais
trop le rappeler : les choses à faire, et le temps, et la ma-
nière de les faire.


A l'étude, l'enfant doit s'occuper d'abord de la prépara-
tion de sa confession.—Le directeur jugera à dater de quelle
époque il faut la prendre, et il indiquera autant que possible
un temps et un mode précis pour l'examen de conscience.


Les études qui précèdent les instructions sont spécialement
employées à ce travail, et aux entrevues avec le Directeur.


On conseille aussi aux enfants de faire, dans leurs temps
libres, quelques lectures pieuses, pour se délasser en s'édi-
fiant. — Des livres bien choisis, l'admirable Pensez-y bien,
des Vies de saints ou d'enfants pieux, des ouvrages de




3 8 8 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


piété, tels que VAme élevée à Dieu, VAnie sur le calvaire,
VAnie pénitente; voilà ce qu'il faut leur faire lire. Il serait
bon que les directeurs eux-mêmes, après le grand conseil
dont j 'ai par lé , et d'après la liste bien étudiée de leurs
pénitents, leur choisissent ces livres dans la bibliothèque de
la maison ou dans la leur, et leur en fissent la distribution.


Ces lectures sont fort importantes, mais toutefois subsi-
diaires, il ne faut" pas l'oublier : une Retraite où un enfant
n'emploierait guère tout son temps libre qu'en lectures,
produirait des fruits très-médiocres : trop souvent, néan-
moins, il en est ainsi; et pourquoi? Il faut le dire, parce
que les directeurs ne prennent pas assez la peine de faire
faire autrement.


Le travail des Cahiers de Retraite passe bien avant les
meilleures lectures.


Il est évident que les enfants à l'étude doivent réfléchir
sur les instructions entendues à la chapelle : mais comment?
La plume à la main : c'est la meilleure manière. Autrement,
verba volant. Il faut exiger d'eux des Cahiers de Retraite, et
leur indiquer en public, à tous, et à chacun individuelle-
ment, la manière simple et facile de les rédiger et le temps
convenable pour cela, c'est-à-dire les études qui suivent les
instructions.— Il faut beaucoup tenir à la propreté et au soin
matériel, gage d'un autre soin plus important.—Il est facile
du reste de faire comprendre aux enfants que ces rédactions
seront pour eux comme un souvenir de leur Retraite, qu'il
leur sera doux et profitable de les retrouver un jour, et que
ce travail leur est d'ailleurs nécessaire pour fixer leur légè-
reté naturelle, et rendre profondes et durables les bonnes
impressions qu'ils reçoivent.


Mais ce n'est pas assez de donner tous ces avis, de prendre
tous ces moyens, il faut voir de près si les enfants en profi-
tent : il faut savoir pour chacun comment va sa Retraite :
c'est pourquoi, indépendamment de la première entrevue




CH. VI. — LES RETRAITES. 889


du directeur avec chacun de ses pénitents, il en faut une
seconde au milieu de la Retraite, pour tout constater, et re-
monter l'enfant au besoin, puis une troisième, à la fin, pour
l'achèvement de la confession, et l'absolution.


VIII


Qu'on ne s'y trompe pas : tout cela est nécessaire. Une Re-
traite sans préparation, sans direction suivie et continue des
enfants, sans entrevue immédiate et répétée avec eux, sans
cantiques bien choisis et bien chantés, sans lectures pieuses,
sagement appropriées aux besoins des âmes, sans cahiers de
Retraite et bonnes résolutions écrites, sans convenable dis-
tribution pour chacun des temps libres, en un mot, sans tout
ce qui exige dé la part des maîtres, comme de la part des
enfants, une application trôs-sérieusc et très-constante, est
une Retraite aventurée, qui échouera.


Mais il faut le dire aussi, combien des maîtres vérita-
blement zélés sont-ils largement payés de leurs peines
par les fruits de la Retraite ! Oui, une Retraite est pour
tous, maîtres et enfants, très-laborieuse, mais pour tous
aussi, combien les consolations et les joies surpassent-elles
le labeur !


Je le dis pour l'avoir éprouvé, rien n'est vraiment plus
abondant en bénédictions que ces Retraites, comme aussi
rien ne présente un spectacle plus touchant. Quand, par le
concours vigilant de tous les maîtres et la parole bénie
d'un apôtre, une Retraite se passe bien, dans le recueille-
ment, le silence, la prière ; quand tous ces enfants sont saisis,
pénétrés, appliqués généreusement au grand travail de la
vertu, c'est un des plus beaux spectacles que la terre puisse
présenter-au ciel, et pour moi, je n'en ai jamais joui sans
une tendre et respectueuse admiration pour ces jeunes âmes.


Ce recueillement profond, ce silence religieux, cette joie




3 9 0 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


CHAPITRE YII


Les avis.


Notes, lecture spirituelle, instructions de Catéchisme, ho-
mélies, petits sermons, courtes exhortations, méditations
pieuses, grande prédication de Retraites, voilà les formes
multiples et fécondes de la parole de Dieu dans une maison
d'Éducation : ces formes et cette fécondité toutefois ne sont
pas encore épuisées. À l'occasion de la lecture spirituelle,
des Catéchismes, des Retraites, j 'ai parlé des Avis qu'on a
souvent occasion d'y donner, et qu'on peut donner encore à
la chapelle avant un office ou une prédication. L'importance


paisible sur les visages, mélangée de cette sainte tristesse
qui annonce le labeur de la pénitence, ce bel ordre qui tient
toutes les volontés en suspens et ne fait qu'un seul mouve-
ment de tous les cœurs, comme s'il n'y avait là qu'un seul
cœur, une seule âme, une seule voix, tout cela me tou-
chait profondément. C'est bien là que l'air paraît plus pur,
les cœurs plus heureux, le ciel plus ouvert, Dieu lui-même
plus familier et plus paternel. Il me semblait que Dieu se
rendait alors-sensible en tous, par je ne sais quelle impres-
sion manifeste de l'Esprit sanctificateur planant sur toutes les
âmes : je sentais qu'un travail fécond, une grande œuvre se
faisait dans tous ces enfants ; et l'œuvre achevée, je n'ai ja-
mais rien connu de comparable au bonheur du dernier jour,
de l'absolution reçue, delà sainte communion bien faite, de
la grâce de Dieu reconquise, et de la vie tout entière pu-
rifiée et heureuse.




CH. VII. — LES AVIS. 591


spéciale de ces courtes et vives allocutions est telle, leur
usage si fréquent, qu'il est nécessaire d'en traiter à part
brièvement.


I


Je dirai d'abord que les Avis bien donnés, à propos, avec
le ton et l'accent convenables pour chaque chose, vont bien
plus loin et pénètrent plus profondément que toute autre
parole. C'est là proprement la direction de la famille, l'Édu-
cation des âmes : c'est la parole paternelle, pastorale, gou-
vernant, redressant, formant le cœur, l'esprit, les habi-
tudes : en deux mots que j'aime à répéter, c'est encore
ici l'âme et la vie d'une maison.


Fréquents et presque toujours inattendus, arrivant chaque
fois à l'instant opportun, tombant directement sur ceux qu'ils
regardent, les Avis ont une puissance de direction et de cor-
rection que rien n'égale : aussi, je n'hésite pas à le dire, sa-
voir donner des Avis est un des premiers et plus nécessaires
talents d'un Supérieur.


Si l'on demande : sur quoi roulent ces Avis ? Sur tout, ré-
pondrai-je : sur les défauts et les vices des enfants, ou sur
les vertus de leur âge ; sur les points du règlement qui ne
sont pas observés comme il faut; sur les pratiques les plus
essentielles de la vie chrétienne, auxquelles un bon maître
doit s'appliquer particulièrement à former les jeunes âmes
qui lui sont confiées, comme la prière du matin et du soir,
les soins qu'il faut prendre pour se bien confesser, la manière
d'assister à la sainte messe, etc. ; sur les devoirs des enfants
à l'égard de leurs parents, le respect, l'obéissance, l'affection
qu'ils leur doivent, ainsi qu'à leurs maîtres, etc., etc.


C'est encore dans ces Avis qu'on leur parle, qu'on les féli-
cite de leur sagesse, de la consolation qu'ils donnent à ceux
qui les élèvent, ou qu'on leur reproche leur négligence, leur




592 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


paresse ; c'est là encore qu'on recommande à leurs prières
les enfants malades, etc. Quelquefois ce sont des histoires,
quelquefois des paraboles qu'on leur raconte.


Mais quel ton prendre dans ces Avis? Il est difficile de le
dire : ce ton est aussi varié que les Avis eux-mêmes.


La parole du Supérieur, ou du Catéchiste, ou du Direc-
teur de la retraite, y est tour à tour simple, familière, ai-
mable ; puis elle devient tout à coup, quand il le faut, très-
pressante , très-animée , très-forte , afin de toucher, de
pénétrer, de convertir les enfants. C'est là surtout qu'il faut
éviter la phrase, et ce triste ton qu'on appelle à grand tort le
ton de la chaire, et qui n'est autre qu'un ton factice et de
convention, à l'usage de ceux qui ne savent pas trouver le
ton de la nature, de la vérité et du zèle.


La simplicité, la familiarité, l'aisance; le naturel, l'absence
de toute recherche, de toute prétention ; et cependant une
certaine tenue, une certaine force, une certaine dignité de
langage, mêlée au besoin de finesse, de saillies inattendues,
de gaîté, de grâce : tels doivent être le ton et le caractère des
Avis.


Cette partie si importante du ministère de la parole dans
une maison d'Éducation réclame évidemment une très-grande
attention. Il est capital de ne point donner les Avis au ha-
sard, sans suite, ni but. Pour cela, il faut les prévoir et les
préparer. Or, pour les bien prévoir, un plan d'Avis complet
et bien conçu est tout à fait indispensable ; une sérieuse pré-
paration ne l'est pas moins pour les bien donner, avec le
discernement et le tact convenable, d'une manière pratique,
tout à la fois utile et agréable.


Il faut les disposer de telle sorte qu'ils forment comme un
petit cours de morale, à l'usage spécial des jeunes gens, ce
qui n'empêche pas de donner, quand il y a lieu, les autres
Avis de circonstance qu'on juge nécessaires. — Il y a des
choses qu'il faut absolument qu'un enfant ait entendues, un




CH. VII. — LES AVIS. 593


jour ou l'autre, dans le cours de son Éducation, et que les
Avis lui disent à merveille, dans l'occasion, sur le moment :
soit aux lectures spirituelles, soit au catéchisme, soit dans
toute autre occurrence, avec un imprévu qui n'est autre
chose que l'à-propos.


Sans doute, les Avis ont plus ou moins d'importance et ne
demandent pas tous une égale préparation. Mais il y a des
Avis tellement graves, qu'ils ne peuvent manquer leur effet
sans les inconvénients les plus fâcheux : ceux-là sont extrê-
mement difficiles à bien donner, et demandent une perfec-
tion rare; car il s'agit là de frapper à coup sûr, d'atteindre
inévitablement ce qu'on veut atteindre, et de vaincre de vive
force telle ou telle difficulté, tel ou tel enfant. Je ne crains
pas de dire que c'est vraiment alors comme une lutte corps
à corps, comme un duel avec le mal, tant il arrive que de
tels Avis sont directs et personnels, tant il faut toucher juste
et pénétrer quelquefois jusqu'aux dernières profondeurs.


Pour moi, j'étonnerai peut-être en le disant, mais c'est
la simple vérité, rien ne me demandait plus de peine que
ces Avis : je ne préparais pas avec plus de soin les plus
grands discours pour les plus grandes chaires de Paris. Ah !
quand on ne l'a pas expérimenté, on ne sait pas combien il
est délicat d'attaquer le fond et les résistances d'une âme,
quelle qu'elle soit !


Ces Avis, que je trouvais si difficiles et si importants, je les
adressais, selon le besoin, tantôt aux enfants ennuyés, dégoû-
tés de la maison ; tantôt à l'occasion d'un renvoi, pour en as-
surer l'effet, l'impression salutaire sur tout le monde; tantôt
pendant les Retraites, le premier, le second, le troisième jour,
pour décider les enfants à de généreux efforts; tantôt aux en-
fants rebelles, endurcis, auprès desquels nous ne gagnions
rien. J'ai plusieurs de ces Avis sous les yeux, dir souvent je
les écrivais sommairement : peut-être les hommes du métier
ne les liront-ils pas sans quelque intérêt et quel que profit.


i . , m. 38




394 1.1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


J'en donnerai ici quelques-uns par manière de spécimen,
et pour achever de faire bien entendre ma théorie et ma
pratique sur ce point.


AVIS DONNÉ I E SECOND JOUR D'UNE RETRAITE.


Mes chers enfants, nous voici en retraite ; j 'en bénis Dieu :
cela va bien : cette retraite commençje sous de favorables
auspices... Dieu nous aidera à la bien faire.


Vous vous y êtes mis de tout votre cœur, du moins la plu-
part, et je vous trouve tous recueillis comme il convient,
sauf peut-être quelques jeunes enfants, qui n'y sont pas en-
core, et s'y mettront demain...


Que vous dirai-je au commencement de cette retraite?
Mon Dieu, je vous ouvrirai simplement mon cœur... Je


vous dirai avec sincérité ce que je pense de vous... où j'en
suis avec vous... où vous en êtes avec moi... et où vous en
êtes aussi probablement avec Dieu.


Je vous dirai mes peines, mes craintes, mes espérances...
L'année dernière, nous avons eu de véritables peines...


quelques-uns d'entre vous ont vivement affligé leurs maîtres.
Je ne le comprends pas, car vous avez de si bons maîtres !..


et ce qui ajoute à mon étonnement, c'est que ceux dont je
parle n'étaient pas de méchants enfants ; mais c'étaient des
enfants légers, dissipés, qui ne réfléchissent pas, et qui s'ex-
posent à se faire bien du mal par là...


Mais, laissons le passé : vous voilà revenus dans de bonnes
dispositions.... Il faut que nous ayons cette année une année
excellente, et ce n'est pas difficile, la retraite nous y aidera
tous.


Qu'est-ce qu'on vous demande pour cela? C'est très-
simple.


D'abord, travailler de tout votre cœur, pour accomplir un
de vos principaux devoirs, honorer vos familles, devenir des
hommes distingués, capables de répondre aux desseins que
Dieu peut avoir sur vous, un jour, selon la diversité de vos
vocations... Pour cela, vous appliquer à des études, qui,
après tout, sont agréables, qui sont les plus belles études du
monde... travailler, afin d'être la gloire et la consolation de




CH. VII. — LES AVIS. 395


vos parents, et de vous ménager à vous-mêmes dans l'avenir
une existence honorable, heureuse et utile...


Voilà ce qu'on vous demande, et en vous le demandant,
on vous y aide; et il y a vingt-cinq prêtres ici uniquement
occupés à cela, uniquement dévoués à l'œuvre de votre Édu-
cation...


Ah ! mes chers enfants, que je suis frappé de cette pensée !
que vous seriez coupables, si vous ne profitiez pas de ce
que Dieu fait pour vous !.. Ainsi, voilà vingt-cinq prêtres...
tous plus dévoués les uns que les autres ; et si le respect ne
me défendait pas de le dire en leur présence, tous plus ca-
pables, tous plus distingués les uns que les autres, que
Dieu vous donne, à vous... pour vous... à une poignée d'en-
fants... tandis que dans les royaumes infidèles, des peuples
entiers périssent... et seraient sauvés, s'ils avaient un tel se-
cours...


Eh bien! en second lieu, ce qu'on vous demande,— c'est de
profiter de leur dévoûment, c'est de respecter ceux qui se dé_
vouent, ceux qui se consacrent ainsi à vous et à l'œuvre de
votre Éducation... c'est de leur obéir ; car sans votre respect et
sans votre obéissance, l'œuvre de votre Education est impos-
sible. 11 faut aussi votre affection. Oui, il faut non-seulement
que vous respectiez, mais que vous aimiez vos maîtres. Et
qui aimeriez-vous, à moins d'avoir le cœur mal fait, si vous
n'aimiez pas ceux qui ont pour vous des soins et une affec-
tion si dévouée ?


Mais tout cela ne serait rien, tout cela serait inutile, si
vous n'aimiez pas Dieu, si vous étiez des enfants sans piété,
sans religion... si vous étiez des impies, dans une mesure que
Dieu sait; cela arrive quelquefois ; — si vous n'aviez pas au
moins la bonne volonté pour profiter de cette retraite... oh !
alors il n'y aurait plus de bonheur ici, ni pour vous, ni pour
nous!...


Mais non... tout ira bien... cette retraite sera excellente...
Ceux qui ne sont pas encore décidés vont prendre une bonne
résolution... Dieu vous bénira... et nous aurons tous ici, j 'en
ai la douce confiance, une année pleine de consolation.




596 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


AUTRE AVIS DANS LES RETRAITES, OU AUX APPROCHES DE QUELQUE
GRANDE FÊTE.


Il faut que je vous le dise, il y en a parmi vous, mes en-
fants, qui m'attristent... Je les plains; ils me font compas-
sion ; je les vois chaque jour, je les juge... je les connais si
bien! Ce sont des enfants qui travaillent, qui observent assez
bien le règlement, qui sont raisonnables, qui ne voudraient
pas commettre de fautes graves, de péchés mortels... qui
nous aiment, parce qu'ils voient que nous les aimons... et
cependant, ils ne sont pas heureux ici, ou du moins, ils ne
le sont pas assez : pas assez pour que leur cœur soit heu-
reux, pleinement heureux, satisfait...


Savez-vous pourquoi ?
C'est qu'ils n'aiment pas le bon Dieu, ou du moins, ils ne


l'aiment pas assez : — Us ne peuvent pas se décider à l'ai-
mer, à le servir généreusement; ils sont partagés entre Dieu
et le monde ; ils savent où est la source du vrai bonheur, et
ils n'ont pas le courage de s'y plonger ; i ls sont tièdes, lan-
guissants, incertains, et par là malheureux...


Ce sont des natures vives, ardentes, généreuses...mais il y a
entre leur nature et leur vie habituelle un désaccord qui les
remplit d'une tristesse involontaire... Ils s'attristent de tout...


Ah ! que je les connais bien !... qu'ils me disent si ce n'est
pas vrai, et si je ne les connais pas ! Quand le soir arrive,
ils sont tristes de voir la nuit venir. — Le matin... tout le
monde éprouve la joie de voir le jour... pour eux, leur ré-
veil est poignant... — Quand le temps est sombre, pluvieux,
leur tristesse devient quelquefois extrême... Quand le ciel
est pur... est-il possible, disent-ils quelquefois au fond de
leur cœur... est-il possible que je sois si malheureux avec
un si beau soleil !...


Leurs meilleures amitiés même ne les rendent pas heu-
reux ; je dis leurs meilleures, car ils n'en ont que de bonnes :
ce n'est pas comme dans de mauvais collèges, où il y a des
amitiés particulières, qui sont des amitiés détestables !


Savez-vous pourquoi, pauvres enfants, vos amitiés, même
bonnes, ne vous rendent pas heureux? Parce que Dieu n'y est




CH. VII. — LES AVIS. 897


pas assez... Dieu n'est pas absent de votre cœur, mais il est
absent de votre amitié; voilà pourquoi votre amitié vous
trouble, ou du moins ne vous satisfait pas.


Il y a en vous, je le répète, des facultés vives et ardentes;
elles veulent la plénitude du bonheur... C'est Dieu seul qui
fait cette plénitude... Vous refusez Dieu à votre âme : Elle se
plaint et vous souffrez.


Et vous êtes condamnés à dire comme saint Augustin : Fe-
cisti nos ad te, Deus, et irrequietum est cor nostrum, donec
requiescat in te.


11 faut conclure :
Les amitiés ne rendent pas heureux, le travail ne rend pas


heureux... les succès ne rendent pas heureux... quand Dieu
n'y est pas, quand Dieu est absent.


Mais surtout la dissipation ne rend pas heureux... l'or-
gueil, la vanité, ne rendent pas heureux... le péché ne rend
pas heureux... parce que Dieu n'y est jamais...


En un mot, tant que Dieu ne sera pas votre première pen-
sée, votre première affection, impossible que vous soyez
heureux.


AUTRE AVIS DE RETRAITE:


Savez-votis pourquoi il y en a parmi vous dont le cœur est
sans flamme, comme un foyer éteint, où la cendre ne jette
plus une étincelle... dont les yeux sont sans lumière, et n'ont
plus qu'un regard flétri... qui ne voient plus Dieu, ne savent
plus où il est, n'ont plus d'âme pour chanter ses louanges?...


•*b'est qu'ils n'ont pas un cœur pur !
Vous le comprenez : ce que je vous dis là est dans la na-


ture : le feu ne prend pas dans la boue... le bois mouillé es-
saye de prendre quelquefois, mais il fume; il y a là un élé-
ment étranger et funeste, une eau corrompue qui ne permet
pas à la flamme de prendre... 11 faut que la fumée se change
en flamme; pour cela, il faut qu'une religion sincère, une
foi vive et éclairée vienne purifier, concentrer, enflammer le
feu dans vos cœurs.


Eh bien, c'est l'œuvre de la retraite.
Tout se purifie et s'enflamme alors.
Aussi, remarquez comme presque tous, sauf les excep-


tions dont je parle, vous chantez bien les cantiques ces




598 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


Voulez-vous savoir quand vous serez convertis?... C'est
le jour... c'est l'heure où, — sans que personne le sache au
monde, — retirés et comme cachés dans un coin de la cha-
pelle, vous vous mettrez à deux genoux, et prierez Dieu...
lui demanderez le pardon de vos péchés... le supplierez de
vous faire miséricorde !..


C'est quand vous sentirez descendre dans votre cœur
l'esprit de prière... entendez bien cela : jusque-là vous n'au-
rez rien gagné...


Voulez-vous que je vous apprenne encore un autre se-
cret... le moyen de vous donner à vous-mêmes, une des joies
les plus grandes et les plus vives possibles?... C'est le jour


jours-ci... le chant, c'est le cri, c'est la flamme de l'amour...
Mais, ce n'est pas seulement un cœur pur qu'il faut, il faut


un cœur humble...
C'est encore ici un secret de la nature et une de ses lois...


L'orgueil durcit le cœur et en fait un cœur de pierre, dit
l'Écriture, cor lapideum.


Mettez le feu à une pierre, elle ne prend pas flamme ; on
la noircit, on la calcine. Si le feu est ardent, on la réduit en
poudre ; mais elle ne s'enflamme pas : même quand la
foudre la frappe et la pénètre, elle demeure toujours sans feu
et sans flamme, c'est une pierre.


11 en est ainsi de ce cœur endurci par l'orgueil, dont
parle l'Écriture, cor lapideum... Il faut que l'humilité adou-
cisse , transforme ce cœur : autrement, la flamme de l'amour
divin n'y prendra jamais...


La foudre du ciel vînt-elle à le frapper, ce malheureux
cœur pourra être écrasé et réduit en poudre, il ne sera ni
vivifié, ni enflammé, ou du moins, il ne le sera pas pour la
vie éternelle...


Et cette triste cendre ne sera bonne qu'à être jetée dans
l'étang de soufre et de feu, que l'Écriture nous montre au
fond des enfers, pour les siècles des siècles...


Mes chers enfants, il y en a parmi vous que je pleins bien...
Enfin, j 'y fais ce que je peux...




CH. VII. — LES AVIS. 599


Non, il ne me convient pas de dévouer ma vie et d'é-
puiser mes forces comme je le fais, pour aboutir au misé-
rable avenir que vous me laissez craindre pour vous.


Pour faire de vous :
Soit des prêtres inutiles, lâches, intéressés, merce-


naires; soit de mauvais prêtres, des prêtres orgueilleux,
ambitieux, scandaleux au monde et à l'Église... destinés
par la sublimité de leur vocation à être le sel de la terre et la
lumière du monde... et qui ne seront qu'un sel affadi, cor-
rompu, foulé aux pieds des passants dans les rues et les
places publiques; des lumières obscurcies ou éteintes, dont
la fumée noircira la maison de Dieu, et déshonorera son
sanctuaire...


Ou bien, si vous n'entrez pas dans le sanctuaire, que
serez-vous?... Des hommes du monde sans caractère, sans
principes, sans foi solide, bientôt sans mœurs... sans res-
pect pour eux-mêmes, sans intelligence, ni du passé, ni du
présent, ni de l'avenir de votre pays!...


Pour flétrir par avance votre vie, je n'ai pas besoin d'em-
prunter à l'Évangile ses anathèmes : la morale païenne suffit
pour flétrir cette vie misérable, d'un seul trait :


... Tandem custode remoto


Gaudet equis c a n t l n i s q u e . . .


où, — sans que personne s'en aperçoive,— vous aurez fait un
acte de mortification... soit au réfectoire, soit ailleurs.


Tenez, quand vous êtes tout seul à la chapelle, dans un
coin... baisez la terre... voilà qui est très-bon. Dites à Dieu
comme saint Augustin : Quoi ! je ne suis encore qu'un petit
enfant, et je suis déjà un si grand pécheur !.. Tantillus puer
et tanins peccator!


Le bon Dieu vous demande si peu de chose!.. On peut
même dire qu'il ne vous demande rien, que votre bonne vo-
lonté... et il vous offre la paix... Pax hominibus boncevolun-
tatis... 11 ne vous demande pas d'être héroïques, mais d'avoir
bonne volonté... Vous obstinerez-vous à lui refuser votre
bonne volonté?..


AVIS DE REPROCHE.




600 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


AVIS A L'OCCASION D'UN RENVOI.


Mes chers enfants, j 'ai ce soir quelque chose à vous dire
au sujet d'une des plus grandes, des plus vives peines que
j'aie éprouvées, depuis que la Providence m'a mis ici... de-
puis que je suis chargé de vous... depuis que je réponds de
vous devant Dieu et devant les hommes.


J'ai été condamné à prononcer contre l'un d'entre vous
une dé*ces terribles paroles de retranchement et de sépara-
tion... qui sont toujours si douloureuses... quelquefois si
cruelles pour une maison... pour une famille... pour un
malheureux jeune homme...


Oui malheureux!...
Car si vous êtes quelquefois bien coupables, vous êtes


presque toujours plus malheureux que coupables... mais on
n'y peut rien...


Vous êtes si faciles à entraîner... si faciles à tromper... si
aveugles... si aveugles sur vos intérêts les plus évidents...
sur les intérêts de vos parents... sur tout ce qu'il y a de plus
cher et de plus sacré pour vous sur la terre...


Je ne dis pas seulement sur votre salut éternel et votre
conscience... mais sur votre honneur et votre bonheur en ce
monde.


l ime suffit de vous dire, avec Horace, que quand on ne
fait plus rien, on fait bientôt le mal, et que la compagnie des
chevaux et des chiens n'a jamais ennobli personne.


A de telles vies, des morts prématurées et déplorables
n'ont jamais fait défaut ; ou bien d'éclatantes bassesses, dont
un nom illustre ne fait que relever l'éclat et la honte.


Avec des goûts et une vie tels que les vôtres, croyez-moi,
et sachez-le bien : infailliblement on se déshonore, et le plus
souvent de bonne heure. u


La forte Education que vous recevez ici, si vous n'en pro-
fitez pas mieux, vous donnera peut-être assez de provision
pour vivre tant bien que mal, et mourir sans vous être per-
dus...si vous devez mourir à vingt ans... mais pas assez pour
vivre chrétiens et hommes d'honneur jusqu'à cinquante :
la traversée est trop longue et trop périlleuse...




CH. VII. — LES AVIS. 601


Vous êtes quelquefois si aveugles... et si ingrats envers
ceux qui vous aiment et qui font tout pour vous !


Oui, quelquefois, vous abusez de tout...
Et nous ne devons pas trop nous en plaindre... car vous


traitez Dieu souvent plus mal encore que vous ne nous
traitez nous-mêmes...


Eh bien donc! il faut vous le dire... il y en a un parmi vous...
ou plutôt il y en avait un... — car, il n'y est plus... hier soir
même, il a quitté la maison, — qui a abusé de la plus
grande bonté qu'on pût avoir pour lui... Eloigné déjà l'an-
née dernière de la maison, au milieu de l'année, sur ses
supplications réitérées, sur les prières les plus pressantes de
sa famille et de ses parents les plus respectables, sur l'inter-
cession même de Monseigneur, je l'avais reçu de nouveau...


Je m'étais fié à lui, j 'avais eu foi en sa parole. Eh bien ! il
me trompait! il nous trompait tous!.. . Il a, il est vrai, hier,
reconnu ses fautes, et leur énormitè... mais il n'était plus
temps ; les preuves étaient accablantes, irrécusables... j ' au-
rais voulu lui faire grâce une seconde fois, que je ne l'au-
rais pu, ma conscience me le défendait impérieusement...
Entre ltSiIst moi la confiance n'était plus" possible...


Mes chers enfants, entendez-le bien, il faut que vous
ayiez confiance en moi, ou que vous me quittiez ; mais il faut
que moi aussi je puisse avoir confiance en vous, ou bien que
nous nous séparions.


Je ne pourrais pas transiger à cet égard sans manquer à
tous mes devoirs, et compromettre l'esprit, le cœur même
de l'éducation paternelle que vous recevez ici...


C'est une éducation de confiance et d'honneur... Que ceux
à qui cette éducation ne convient pas, s'en aillent. Pour nous,
nous ne voulons que des enfants que nous puissions con-
duire ainsi.


Oui, notre discipline est ferme et elle le sera encore; mais
jamais je ne consentirai à en faire une discipline tracas-
sière... jamais je ne consentirai à être obligé de vous épier,
et à substituer à notre loyale vigilance une police de bas
étage. Voilà ma profession de foi.


Mais mon cœur en a saigné... C'est la première expulsion
que je prononce et que j'exécute cette année... rien n'est
plus douloureux...




602 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


On sent si bien quel malheur c'est pour vous ! vous le sen-
tez vous-mêmes si vivement à ce moment suprême !...


J'ai connu un jeune homme qui me disait à cette heure
terrible, qu'elle l'avait aidé à comprendre ce qu'avait dû être
le désespoir de nos premiers parents, lorsqu'ils furent chas-
sés du paradis terrestre...


Mais encore un coup, il n'est plus temps !
Lumière tardive !.. regrets inutiles !.. l'heure de la justice


a sonné... il faut que le salut d'une maison et de tant d'au-
tres enfants l'emporte !..


Mais encore une fois, cela est bien douloureux !.. et puis...
de pauvres parents qui vont être désolés ... toute une famille
quelquefois dans la honte... dans le désespoir... Laissons
tout cela... et profitez au moins de ces terribles leçons !..


EXTRAIT D'UN AUTRE AVIS DE RENVOI.


Ce qui m'étonne dans ces renvois, c'est ceci :
On rencontre des enfants qui perdent la tête, abusent de


tout dans une maison, trahissent tous leurs devons, com-
mettent quelquefois des lâchetés, des indignités...


On les éloigne de cette maison où ils ne voulaient plus
rester, où ils n'ont d'ailleurs aucun droit de rester, car ils n'y
sont pas chez eux... Et alors, dès qu'ils sont renvoyés, ce sont
des désespoirs, des larmes, même chez ceux qui ont dix-huit
et vingt ans : ils remuent le ciel et la terre pour rentrer ; ils
écrivent et font écrire des lettres par leurs parents, leurs
protecteurs, par tout le monde.


Mais quoi ! quand vous vous conduisiez de cette façon,
vous prétendiez rester ici malgré vous, malgré nous... vous
ne vouliez pas quitter la maison !


Mais qu'est-ce que vous vouliez donc? Vraiment, ici la
folie de la conduite en égale l'indignité !


Sans doute, je comprends et vous comprenez aujourd'hui
quelle flétrissure c'est d'être renvoyé d'ici, et quand c'est à
dix-sept, dix-huit, vingt ans, c'est une flétrissure quelquefois
pour la vie entière. — Je ne me le dissimule pas... et c'est là
ce qui m'inspire une longanimité, une patience avec certains
enfants, que je devrais me reprocher peut-être., je comprends
la désolation de vos familles, la vôtre; mais je me demande




CH. VII. — LES AVIS.


toujours : Qu'est-ce qu'ils veulent donc ? est-ce qu'ils préten-
dent faire l'honneur de leurs familles en se déshonorant eux-
mêmes ? Parce qu'ils ont des maîtres pleins de dévoùment
pour leurs études et pour toute leur éducation, est-ce qu'ils
pousseront l'indignité jusqu'à abuser de notre bonté contre
nous-mêmes?...


Hélas ! mes enfants, parmi ceux que j 'ai dû renvoyer,
depuis que la Providence m'a chargé du gouvernement de
cette maison, il s'en est trouvé dont l'âme était si méchante,
et où se cachaient de telles noirceurs, que je suis très-résolu
de les suivre de l'œil toute leur vie, pour voir ce qu'ils de-
viennent et comment ils finiront....


Je l'ai fait pour deux au moins, dont l'un n'est plus, et
l'autre vit encore...Mes tristes prévisions ne m'avaient, hélas !
point trompé.


AVIS AUX ENFANTS QUI PARAISSAIENT S'ENNUÏER ET SE DÉPLAIRE
DANS LA MAISON.


Avant de mettre sous les yeux de ceux qui veulent bien
me lire l'Avis suivant, je dois dire ici que dans une maison
d'Éducation chrétienne, se rencontre quelquefois une chose
véritablement insupportable : ce sont des enfants qui sem-
blent être là malgré eux, uniquement parce que leurs pa-
rents les y contraignent ! Us ne font pas de grandes fautes,
ils ne se conduisent pas assez mal pour qu'on les renvoie;
mais ils font sentir, et disent tout haut qu'ils s'ennuient, que
la maison leur déplaît. C'est ce que, pour ma part, je n'ai
jamais pu supporter, et peu de jours avant la nouvelle année,
l'avant-veille de Noël, j'avais coutume de leur adresser à
peu près les paroles suivantes :


Mes chers enfants, vous allez passer quelques jours dans
vos familles, etj'en suis heureux pour vous... peut-être aussi
un peu pour moi et pour ces Messieurs, sur qui pèse la grave
et laborieuse charge de votre éducation, et qui pendant ces
deux ou trois jours se trouveront un peu plus libres.




004 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


notre peine et à en tenir compte... C'est donc pour vous sur-
tout que je suis heureux, à cause de la joie que vous allez
éprouver, et du bonheur que votre présence, je l'espère, don-
nera à vos parents.


Cette joie, ce bonheur, ces petites vacances, sont d'ailleurs
toutà fait dans l'ordre... Oui, tout ce qui entretient dans vos
cœurs l'esprit de famille est dans l'ordre, et j ' y applaudirai
toujours de toute mon âme. . Il est dans l'ordre que chaque
semaine vous voyiez vos parents ou leur écriviez; et dans
l'ordre, que chaque mois vous passiez une journée à peu
près entière avec eux... et qu'enfin, au jour de l'an, vous
ayez deux ou trois jours pour vous retremper tout à fait au
foyer paternel et sur le cœur de votre mère.


Cette année, d'ailleurs, vous le méritez peut-être plus
encore, car, pendant ce premier trimestre, vous avez presque
tous parfaitement travaillé:


Allez donc, et soyez heureux 1 Vivite felices...
Mais, à la veille de votre, départ, j 'ai coutume de donner


chaque année, à .pareil jour, un avis qui importe à ma di-
gnité et à mon cœur... Ne vous en offensez pas : je n'ai pas
l'intention de vous faire de la peine : d'ailleurs, cela ne
regarde que quelques-uns d'entre vous... et encore, je ne
leur enfais pas de reproches.


Je n'ai jamais beaucoup compté sur la reconnaissance des
enfants... Cela vous étonne peut-être : cela est vrai cependant.


Que les enfants qui ont tant d'aimables qualités soient
souvent sans reconnaissance, cela est certain.


Pour moi, je ne m'en plains point, et je ne les en accuse
pas... cela est simple... — Oui, que les enfants, jusqu'à un
certain âge, soient ingrats... cela est assez simple; et, d'ail-
leurs, il est inutile que je cherche à l'expliquer, cela est un
fait, facile à comprendre du reste.


En voici la raison, si vous voulez la savoir :
Les enfants en général n'aiment que ceux qui leur font plai-


sir. Or, je ne suis pas ici pour vous faire toujours plaisir... je
suis ici pour vous faire du bien, et quelquefois un bien qui
vous fait de la peine ; de là votre ingratitude naturelle, irré-
fléchie, innocente peut-être, jusqu'à un certain point.


Quoi qu'il en soit, je n'ai jamais guère trouvé de recon-
naissance dans les enfants que j'élevais ; du moins dans le




CH. VII. — LES AVIS. 605


cours de leur Education ; et je ne m'en suis jamais offensé...
Ce n'est que vers dix-sept, dix-huit, dix-neuf ans, en rhé-
torique et en philosophie, que j 'ai trouvé de la reconnais-
sance dans les jeunes gens que j'avais élevés...


C'est alors seulement, pour la plupart, que vous com-
mencerez à sentir tout ce qu'on fait, tout ce qu'on a fait pour
vous, et à le reconnaître... Jusque-là, vous ne le sentez
guère, vous ne le comprenez pas, vous ne le reconnaissez
point... Et en attendant la fin de votre éducation, il faut se
résigner à souffrir quelquefois de votre part les plus étran-
ges ingratitudes...


Mais il y a une chose qui n'est pas dans l'ordre, et à
laquelle je ne me suis jamais résigné... il y a une chose que
je ne puis souffrir et que je ne souffrirai jamais ici... ce sont
les enfants qui ont la prétention de s'ennuyer dans la mai-
son, de s'y déplaire... et d'y rester.


Je dis la prétention... et qui l'affichent...
Vous comprenez qu'en vous parlant avec cette sévérité


des enfants qui s'ennuient ici, et qui prétendent s'y déplaire
et y demeurer, je n'entends point parler de certains enfants,
dignes de toute notre affection et de toute notre tendresse...
qui éprouvent quelquefois une profonde tristesse, parce
qu'ils se sentent éloignés de leur pays, séparés de leur fa-
mille... parce qu'ils ont quelques chagrins particuliers, qui
quelquefois les minent... les dévorent en secret...


Ah! pour ces chers enfants, qu'ils m'ouvrent leur cœur,
qu'ils me disent leurs peines !... je serai le premier a i e s
consoler, à les encourager... nous ferons tout ce que nous
pourrons pour adoucir leurs chagrins...


Non, ce n'est pas de ces enfants que je veux parler... je
veux parler de ceux qui ont la prétention de faire les en-
nuyés, et qui l'affichent avec impertinence... je veux parler
de ceux qui ont ici une mauvaise tristesse, un mauvais en-
nui... une tristesse qui vient d'un mauvais esprit et d'un
mauvais cœur... une tristesse et un ennui qui viennent de
ce qu'ils sont sans émulation, sans travail, sans piété, et
peut-être sans mœurs...


Ou bien ce sont des enfants qui ne songent qu'au
monde... au p\a\sir, à la vanité, a toutes les sottises delà
vie mondaine... pour qui de nobles études, les douceurs




006 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


de la piété... les soins les plus dévoués et les plus tendres,
les charmes de l'amitié chrétienne ne sont rien...


En un mot, des enfants qui ont l'air d'être ici malgré eux...
Eh bien ! c'est à ceux-là que je m'adresse, et à la veille du
jour où ils vont retrouver leurs parents et leur famille, je leur
dis sans hésiter :


Que les enfants qui s'ennuient ici partent, et ne revien-
nent pas... J'ai assez de raison pour ne pas compter sur la
reconnaissance des enfants; mais je n'ai pas assez de vertu
pour prendre mon parti de leurs impertinences.


Et de bonne foi, qu'avons-nous fait pour qu'en retour de
notre dévoûment et de tous nos soins, nous ne trouvions chez
quelques-uns qu'une odieuse grossièreté?


Et ce sont précisément ceux pour lesquels nous avons fait
le plus !... ceux que je n'ai reçus que par dévoûment pour
leurs parents, qui m'en conjuraient!...


Mais mon dévoûment ne peut aller jusqu'à manquer au
respect que je me dois à moi-même et qui est dû à ces Mes-
sieurs !


Est-ce que vous vous imagineriez par hasard que les 6 ou
700 francs de pension qu'on paye ici pour vous, vous donnent
un tel droit? ou bien que je doive souffrir tout cela, et le faire
souffrir à ces Messieurs et à vos condisciples eux-mêmes?...


Vos parents ne peuvent venir à bout de vous élever et de
faire de vous quelque chose, et ils nous ont conjuré de l'es-
sayer... et vous, vous vous refusez à tout.


Je demande depuis longtemps avec instance à vos pa-
rents de vous retirer ; vos parents chrétiens, raisonnables,
qui veulent pour vous une bonne et forte éducation, ne peu-
vent s'y résoudre...


Je me trouve alors placé dans une situation vraiment très-
pénible... entre des parents que je ne veux pas offenser, et
des enfants qui m'offensent... des enfants qui sont ici malgré
eux et malgré moi... des enfants qui ne reconnaissent aucun
des soins qui leur sont prodigués...


C'est donc bien entendu : si vous ne vous plaisez pas ici,
n'y revenez point... nul ici n'a besoin de vous.
. Et je vous le déclare à l'avance : je ne vous y recevrai
point, ou je ne vous y garderai pas.


Vous allez retrouver vos parents... arrangez-vous avec




CH. VII. — LES AVIS. 607


eux... et ne venez plus nous accabler du poids insupportable
de votre présence ici...


Cela vous étonne peut-être, mes enfants, mais cela est
ainsi, cela est très-sérieux... et pour dire tout ce que je
pense, cela est véritablement odieux. Du reste, cela ne re-
garde que quelques-uns, dont les prétentions et les façons
sont vraiment trop extraordinaires...


AUTRE AVIS SUR UN RESYOI.


J'avais cru un jour, avec terreur, surprendre dans un
élève des instincts de mal effrayants: je l'avais renvoyé;
mais il restait encore dans la maison des enfants qui, sans
que j'eusse contre eux rien de positif pour motiver un ren-
voi, me laissaient de cruelles inquiétudes. Je voulais profiter
de l'expulsion de la veille pour dire, en termes vagues, mais
suffisamment compris, ma pensée secrète, avertir solennel-
lement les coupables et les terrifier tous. Je donnai un Avis
qu'un professeur recueillit, et dont voici quelques paroles :


J'ai prononcé hier un mot, mes enfants, qui a un sens
profond, j 'ai parlé du mélange des méchants et des bons...
Des méchants... il y en a donc partout; il y en a donc ici!
Oui, et il faut que vous le sachiez, il y en a ici, au milieu de
tant de bons et pieux enfants... II y a longtemps du reste
que ce mélange a commencé... et sans établir ici des com-
paraisons qui ne sont pas dans ma pensée, dès l'origine du
monde, Abel et Gain... les enfants de Dieu et les enfants du
démon sont célèbres... Les maisons les plus saintes ne peu-
vent, et peut-être ne doivent pas en être exemptes... Noire-
Seigneur lui-même n'en défendit pas le collège apostolique...


Avec Notre-Seigneur, avec les apôtres, il y avait un Judas;
un Judas voleur, un Judas murmurateur, un Judas frondeur
et moqueur, un Judas sacrilège, un Judas qui trahit et ven-
dit son maître... oui, et Notre-Seigneur qui lisait ces ou-
trages, ces injures hypocrites et cette trahison cachées dans
le cœur de Judas, ne perdit rien de sa tranquillité divine, et
jusqu'au dernier moment lui donna le nom d'ami...




608 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


Et lui cependant, quoique la compagnie de Jésus-Christ
et de ses disciples lui déplût, et blessât profondément son
mauvais esprit et son méchant cœur, Judas s'obstinait à. y
demeurer, par un mauvais instinct... peut-être par le goût
d'un profit sordide... décidé à n'être, au milieu des douze,
qu'un disciple parasite, étranger de cœur à tout ce qui se
faisait là, se donnant pour rôle secret de railler tout, sans
s'associer à rien du fond de son âme, trouvant bien de
n'être là qu'un ingrat et un impie, dont les murmures et
l'ingratitude devaient aboutir enfin au baiser infâme... mais
en revanche le nom de Judas demeure à jamais pour flétrir
les traîtres de tous les siècles et de tous les âges...


Je ne veux point certes appliquer une telle comparaison
à ceux dont je parle... non, je serais injuste... Judas était un
homme fait... ceux dont je parle ne sont que des enfants...
mais dans le fond, ce sont les mêmes principes... les mêmes
germes mauvais, les mêmes instincts... Souvenez-vous bien,
mes enfants, que les grands scélérats n'ont jamais commencé
par les grands crimes. Mais les instincts qui les y ont poussés
étaient en germe, dans leur cœur, dès leur enfance... de
même que la racine des vertus est la même dans un enfant
pieux et dans un saint vieillard : seulement dans l'enfant, c'est
la première fleur, et chez le vieillard, elles donnent des fruits
en abondance; de même les mauvais principes chez les
uns ne sont encore que dans leur germe, et ils sont dans
leur maturité chez les autres...


Et ce que je vous dis là... je le leur ai dit à eux-mêmes
en les renvoyant : et je le dis à ceux qui restent.


A15 ans, on est un orgueilleux, un murmurateur; à30ans,
on est un impie : à 15 ans, on est déjà très-coupable ; à 30 ans,
on sera peut-être un monstre— Qu'on suive de l'œil, dans le
cours de leur vie, ceux dont je parle, on les verra!...


Un de ceux que je venais de chasser du Petit Séminaire,
et au sujet de qui je disais ces paroles, était le malheureux
Louis Verger, lui, chassé pour vol secret, et pour des appa-
rences d'hypocrisie sur lesquelles tous mes collaborateurs
avaient été trompés; moi pas. Ne pouvant point le définir
dans une conduite au dehors constamment bonne, mais ne




CH. VIII. — LES JEUX. 609


pouvant m'y fier, je n'attendais qu'une occasion pour en
débarrasser la maison. — En disant ces choses, je pensais à
d'autres encore, dont l'orgueil précoce, les sourires sardó-
niques, avec une feinte douceur, et les révoltes mal compri-
mées contre toute autorité, me faisaient tout craindre pour
l'avenir. Hélas ! je ne me suis pas trompé sur tous.


CHAPITRE VIII


Les jeux.


1


Qu'on ne s'étonne pas du titre de ce dernier chapitre, et de
me voir mettre les jeux au nombre des grands moyens d'É-
ducation.


Dans tout système d'Éducation, et surtout dans le système
des maisons chrétiennes, les jeux tiennent nécessairement
une grande place, et ont sur tout le reste une influence con-
sidérable, dont il faut se rendre compte et savoir user.


Sous ce nom de jeux j'entends d'ailleurs ici non-seulement
les jeux proprement dits, mais encore toute récréation, tout
relâche, tout divertissement; j 'entends le plaisir procuré
aux enfants ; la dilatation du cœur, la joie des âmes, la vie
rendue heureuse dans une maison par tous les moyens pos-
sibles.


Les enfants ont besoin de tout cela : c'est de leur âge, c'est
dans leurs goûts; c'est le vœu de leur nature; leur santé du
reste le réclame impérieusement. Il faut que des enfants
jouent, s'amusent, se délassent, dépensent en plaisirs inno-
cents l'exubérance de leur sève, la vivacité de leur humeur,


F . , ut. 39




610 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


l'ardeur de leur sang. Il leur faut la libre expansion, l'épa-
nouissement de leur être, le déploiement de leurs organes,
le développement de leurs forces, l'air, l'espace, le soleil,
le mouvement, le bruit, la vie.


Or, la première loi de l'Éducation est de se conformer à
la nature et de donner satisfaction à ses besoins vrais.


Tout cela n'est pas moins nécessaire à la vigueur de leur '
esprit qu'à leur santé. On l'a dit, et il est wai , un arc ne peut
pas rester toujours tendu. Le travail fatigue et épuise, et si
le repos ne succédait au travail, bientôt le travail lui-même
serait impossible. On exige beaucoup des enfants; onze,
douze heures d'étude par jour : il est nécessaire en retour de
leur accorder beaucoup. Il ne faut pas surmener l'enfance;
ce serait injustice et grande déraison : on perdrait tout dans
cet excès. Donnons-lui en délassement ce que nous voulons
qu'elle nous rendc^en travail. Fénelon a dit le vrai mot : « II
faut préparer le plaisir par le travail, et délasser du travail
par le plaisir. »


C'est nécessaire aussi pour leur caractère, pour leur âme.
Il n'y a guère de milieu pour des enfants : ou ils s'amusent,
ou ils s'ennuient : or, l'ennui engendre la tristesse ; mais la
tristesse, qui resserre l'âme et aigrit le caractère, est très-
mauvaise conseillère. L'enfant triste, ennuyé, mécontent,
est accessible aux fâcheuses impressions, aux inspirations
funestes : ses facultés aimables, ses bons instincts sont re-
foulés ; et les tendances mauvaises se trouvent provoquées à
un éclat inévitable. Au contraire, que la joie dilate l'âme d'un
enfant, qu'il soit gai, content, heureux, ce sont les mauvaises
tendances qui cèdent la place aux bonnes. 11 s'ouvre, il s'é-
panouit, il se confie avec candeur, il écoute avec docilité, il
est prêt à faire généreusement tout ce qu'on demande de lui.


Cette heureuse disposition est un secours immense pour
l'Éducation de l'âme et du caractère; la disposition con-
traire y apporterait le plus redoutable obstacle.




CU. V i l i . — LES JEUX. 611


Ajoutons que dans l'ardeur, dans la libre expansion* du
jeu, l'enfant déploie toute sa, nature et se fait connaître tout
entier tel qu'il est. Le caractère le plus timide ou le plus dis-
simulé oublie là de s'observer, et se trahit lui-même de
mille façons. Vous connaîtrez, en voyant jouer un enfant,
telle qualité ou tel défaut, que vous n'auriez jamais soup-
çonne en lui, mais qui sera'pour vous, pour votre manière
de prendre cet enfant, une précieuse lumière.


A un autre point de vue encore,, je le dirai : Je jeu, l'amuse-
ment, le plaisir, la joie de l'âme, la dilatation des cœurs,
sont absolument nécessaires pour l'Éducation, telle que nous
la pratiquons. Cette Éducation, ja suis le premier à le recon-
naître, est profondément sérieuse, austère même. Il n'y a pas
une seule des facultés de l'enfant qu'elle ne saisisse, et n'ap.
plique à un très-rude labeur. Quand toutes les facultés des
jeunes gens sont ainsi tendues, il leur faut du relâche ; et c'est
pourquoi, comme le dit encore avec tant de sagesse et de
grâce Fénelon, il faut savoir mêler les ris et les jeux avec
les occupations sérieuses. C'est par là que l'harmonie est
maintenue entre l'âge tendre des enfants et la forte Éduca-
tion qu'on leur donne : autrement ces jeunes natures n'y tien-
draient pas, et cette Éducation trop forte finirait par les
briser. 11 y aurait danger aussi que, trop tenus et trop con-
traints, les enfants n'allassent chercher ailleurs dans d'au-
tres plaisirs moins purs des compensations funestes, et dans
une indépendance secrète la délivrance d'un joug trop pe-
sant. C'est à l'Éducation elle-même à tempérer ses exigences
et ses contraintes par de sages et paternelles concessions.


Et qu'on veuille bien encore le remarquer, cette Éducation
n'est pas seulement sérieuse et austère, elle est encore élevée
et généreuse : elle compte beaucoup sur la spontanéité des
enfants ; elle s'appuie sur les plus nobles mobiles, la raison,
la foi, l'honneur, bien plus encore que sur les rigueurs d'une
dure et inflexible discipline. Mais commentées nobles senti-




612 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


ments pourraient-ils librement se déployer dans l'âme des
enfants, sous un régime de contrainte, qui les comprinierait
toujours et ne les dilaterait jamais ? Pour être capables d'une
Éducation libérale, ne faut-il pas qu'ils se sentent libérale-
ment traités, qu'ils soient à l'aise, qu'ils soient joyeux, qu'ils
soient heureux près de leurs maîtres, dans l'asile de leur
jeunesse ?


Enfin, n'est-ce pas sur l'amour des jeunes gens pour leurs
maîtres, pour la maison qui les élève, que compte surtout
notre Éducation ? ne veut-elle pas être, avant tout, une Édu-
cation par l'amour ? Qu'elle soit donc aussi, s'il m'est permis
de le dire, une Éducation par le bonheur ! qu'elle s'applique
à faire plaisir aux enfants, à les récompenser du travail et
des courageux efforts par le plaisir ; qu'elle leur ménage
une vie à la fois sérieuse et douce, laborieuse et joyeuse ;
qu'elle s'applique à les récréer innocemment, à les char-
mer, à les enchanter ; qu'elle leur laisse de ses récréa-
tions, de ses promenades, de ses fêtes de famille, pour
leur vie tout entière, de doux et ineffaçables souvenirs;
qu'elle crée ainsi et à jamais des liens de cœur entre les
élèves et leurs maîtres, entre les enfants et la maison qui
aura été pour eux une famille, et à laquelle ils auront dû le
bonheur de si vives et si pures joies dans les plus riantes
années de leur vie !


Voilà sous quels points de vue j 'ai toujours attaché aux
jeux une si grande importance, et pourquoi je dis qu'ils ré-
clament toute la sollicitude d'un Supérieur.


I I


Il y a un art, une science, de pourvoir aux plaisirs et à
l'amusement des jeunes gens dans une maison d'Éducation ;
il y a un art de mettre en honneur les jeux, d'accorder à
propos certaines faveurs, de combiner les récréations avec le




CH. VIII. — LES JEUX. 613


travail ou la piété, de manière à rendre la piété et le travail
agréables ; un art de profiter des occasions pour faire un
plaisir sensible par des grâces inattendues, et surtout un
art de faire valoir ce qu'on accorde, sans que jamais les
concessions aillent trop loin et nuisent au bon ordre ou à la
règle. Car, lorsque je pose en principe qu'il faut chercher, au-
tant qu'on le peut, 'à faire plaisir aux enfants, il va sans
dire que cela doit toujours être sans préjudice du bon or-
dre, et dans les limites permises par le règlement.


La première chose à obtenir, c'est qu'on joue pendant les
récréations. Il faut de toute nécessité, en récréation, faire
jouer : c'est là et ce doit être un point de la règle. Il faut que
les enfants sachent qu'ils sont positivement en faute, quand
ils ne jouent pas. Qu'est-ce que c'est que ces groupes d'ado-
lescents réunis dans quelque coin d'une cour, et où péro-
rent un ou deux parleurs ? qu'est-ce encore que ces prome-
nades philosophiques d'enfants qui conversent au lieu de
jouer, et ces causeries à deux le long des murailles ? Il faut
faire la guerre à tout cela. Point de ces philosophes péri-
patéticiens, point de ces colloques suspects, point de ces
groupes plus ou moins inertes ou séditieux. La paresse
trouve là, comme partout, son compte; le mauvais esprit
ne demande pas mieux que de s'y glisser ; les mœurs s'y per-
d i t souvent. Qu'on joue, qu'on coure, qu'on s'amuse, que
le sang circule, que l'esprit se détende, que le mouvement
et la vie soient partout. Une maison va bien quand les ré-
créations sont animées. « Mes enfants, » disait un grand ins-
tituteur de la jeunesse, M. l'abbé Allemand, « quand vous
* jouex Vien., ^ua\\4 vous cQvweilrÀeu, les anges, du haut, du
« ciel, sont contents de vous, et moi aussi. » On peut juger
a \ e t e^atWVùàe Au bon ou du mandais esvwvt, d'vme maison
par le plus ou moins d'activité des jeux en récréation.


11 faut donc exciter aux jeux, favoriser les jeux de toutes
manières, particulièrement les jeux actifs qui développent la




614 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


force ou l'adresse; car les récréations ont pour but d'assou-
plir, de fortifier le corps et de favoriser la croissance, aussi
bien que de distraire et de reposer l'esprit. Je me borne ici
à des indications générales, plus que je n'entre dans les dé-
tails 1 ; mais je veux rappeler du moins l'estime que faisaient
les anciens des exercices du corps. Il faut, dans toute maison
d'Éducation, un gymnase, comme il faut des jeux de balle,
de barres, de cerceaux, etc. Les jeux d'esprit, quoique moins
avantageux que les autres, peuvent être quelquefois une
grande ressource : il ne faut proscrire que les jeux dange-
reux ou inconvenants, qui pourraient éveiller dans les en-
fants l'idée d'un gain sordide ou d'un grossier plaisir. Donc,
faire jouer, donner des jeux, exciter aux jeux, c'est chose
capitale. Que sans cesse le Supérieur revienne là-dessus,
qu'il aiguillonne sans cesse les élèves; mais un moyen plus
infaillible encore que toutes les exhortations pour faire
jouer les enfants', c'est que les maîtres jouent eux-mêmes
avec eux, et regardent comme une affaire capitale de mettre
en train les jeux.


Toutefois, en ordonnant le jeu, en mettanj les jeux en
train, il ne faut pas chercher à les imposer, à y dominer : le
jeu doit être à la fois commandé et libre. C'est aux enfants à
choisir selon leur goût ou même leurs caprices, selon la fan-
taisie du moment. Ce qui devrait leur agréer le mieux n '^t
pas toujours ce qui leur plaît le plus, et rien ne doit être
spontané comme le plaisir. Toute apparence de contrainte
dans leurs jeux est odieuse aux enfants. Ils aiment à s'a-
muser comme ils l'entendent : il leur semble que leurs amu-
sements du moins sont l'asile de leur liberté : qu'on leur
laisse cet asile.


Un autre problème délicat à résoudre est celui-ci : sans gê-


' On trouvera les détails les plus précieux et les plus pratiques sur les jeux dans
un récent ouvrage que j'ai déjà cité plusieurs fois, la Méthode de direction des
Œuvres de ia jeunesse, par M. l'abbé Timon-David.




CH. Vi l i . — LES JEUX.


ner les enfants, sans les dominer, comment surveiller, diriger
les jeux? Car tout libres que doivent rester les jeux, l'action
du maître doit s'y faire sentir, comme partout ailleurs. « Il faut,
dit un maître-expérimenté, qu'on reconnaisse à l'ardeur qui
les anime, à la concorde qui règne entre eux, qu'un regard
ami et paternel les encourage et les surveille. Même quand le
maître ne prend à aucun jeu une part active, il est nécessaire
qu'il se mêle à tous les jeux, ici félicitant les joueurs de leur
habileté, les raillant ailleurs de leur maladresse, les encou-
rageant partout ; qu'il observe les manières et les gestes de
tous ; qu'il écoute leurs mutuels reproches ; qu'il retire
quelquefois de sa partie, mais doucement et sans bruit, pour
le faire entrer dans une autre, un joueur de mauvais carac-
tère ou dangereux pour ses camarades. Tout cela demande
de la part du maître une grande expérience de ses élèves,
un tact excellent, une mesure parfaite. C'est certainement
un art difficile de savoir, quand on joue, quand on rit avec
les enfants, ménager sa dignité et sauvegarder son in-
fluence, être à la fois ferme et souriant, caresser d'un regard
et réprimander de l'autre. »


Nous n'en dirons pas davantage sur les jeux en récréation :
Passons aux promenades.


I I I


Les récréations de chaque jour ne suffisent pas pour délas-
ser suffisamment de l'étude : partout on a pensé qu'il était
nécessaire d'y joindre des promenades au moins une fois
chaque semaine.


Les promenades sont de deux sortes : il -y a les promeaades
ordinaires, et les promenades extraordinaires.


Je ne parlerai pas ici des promenades ordinaires : ce qui a
été dit a ce sujet dans les règlements suffit. Je rappellerai
seulement qu'en principe la présidence et la surveillance




616 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


de ces promenades réclament des maîtres une constante sol-
licitude : toute négligence aurait là les plus funestes consé-
quences : j'ajouterai que plus ces promenades auront d'in-
térêt et de charme pour les enfants, et plus le travail de la
semaine y gagnera.


C'est des promenades extraordinaires que je voudrais dire
ici quelques mots.


Et d'abord, faut-il de ces promenades? Je réponds sans
hésiter : Oui, il én faut ; et si l'on objectait l'inflexibilité de
la règle, je dirais que, prévues par la règle elle-même et ac-
cordées pour des causes légitimes, elles rentrent dans la
règle sous ce rapport. Elles rentrent surtout dans l'esprit de
la règle par leurs incontestables avantages.


Pour rompre l'uniformité habituelle d'une vie de commu-
nauté, pour récompenser un travail exceptionnel, pour pro-
voquer d'inaccoutumés efforts, en un mot, comme stimulant
ou comme récompense, comme moyen d'agir sur les enfants
et de les exciter par le sentiment de la reconnaissance ou
par la vivacité du désir, les promenades extraordinaires,
sont une ressource immense. Vous n'êtes pas fait pour élever
les enfants, si vous ne sentez pas tout ce que vous donne
d'empire^ sur eux ce plaisir inattendu que vous leur causez.


Quant à moi, j'avoue ma faiblesse, rien que pour me pro-
curer la joie d'avoir au moins quelquefois sur la terre rendu
des âmes vivement heureuses, j 'ai donné des promenades
extraordinaires. Ceux qui ne l'ont jamais fait, ne peuvent
savoir ce que c'est que cette allégresse des enfants lorsque,
par un beau soleil, cette faveur inespérée leur est annoncée
tout à coup. Et du reste, qu'on n'accuse pas ma faiblesse ; je
savais parfaitement ce queje faisais. Cette promenade inat-
tendue, toute gratuite, qui leur arrivait avec une belle ma-
tinée de printemps, me donnait sur eux toute puissance
pour en obtenir les plus grandes choses. Si c'était simple-
ment une prolongation de promenade que je leur accordais,




CH. VIH. — LES JEUX. 617


souvent, une si petite faveur, faite à propos, suffisait pour
dissiper un commencement de mécontentement, de mauvais
esprit, et ramener dans le calme et la raison les pensées
émues. Mais si c'était une de ces promenades exceptionnelles,
grande faveur après quelque grand travail, où l'on part,
musique en tête, dès le point du jour, où l'on va visiter au
loin quelque site célèbre, quelque vieux monument, quelque
forêt, quelque pèlerinage renommé, où l'on dîne sur l'herbe
en pleine campagne, etc., etc., oh ! alors, ce n'était plus seule-
ment du plaisir, c'était de l'ivresse, c'était de l'enthousiasme.


Mais je laisse là mes souvenirs, et je le demande tran-
quillement : Est-ce qu'il n'est pas bon, à tous les points de
vue, d'exciter de tels sentiments dansles jeunes gens,etd'éle-
ver leur âme jusqu'à ces émotions? cela ne les prédispose-t-il
pas à l'affection, à la reconnaissance, à la docilité, au coura-
geux travail, aux impressions vives, aux grandes persuasions
de votre parole, à tous les meilleurs effets que vous voulez
produire en eux, enfin à tout ce que vous pouvez demander à
leur bonne volonté de plus excellent? le calme plat de la vie
habituelle est-il plus favorable au profond travail de l'Édu-
cation sur leurs âmes? Non, non, ne craignez pas de donner
aux jeunes gens ces ivresses innocentes, ces enthousiasmes
sans danger: faites palpiter leur cœur sous le tressaille-
ment d'un plaisir pur, dilatez largement leurs âmes dans les
joies de leur âge : vous ne faites par là que nourrir en eux
le bon esprit, et préparer, pour une occasion donnée, pour
un grand examen, pour une séance académique, pour une
grande fête religieuse, des prodiges de travail et quelquefois
de vertu.


Mais plusieurs conditions sont nécessaires pour que ces
faveurs produisent tout l'effet qu'on peut en attendre. Et
d'abord, je l'ai dit, et cela s'applique aussi aux récréations
exceptionnelles ou même aux simples prolongations de ré-
création, il y a un art de les accorder qui en rehausse le




6 1 8 L1V. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


prix : il faut qu'elles soient données avec grâce, comme une
surprise aimable ; et à propos, quand les enfants le méritent,
ou qu'on a une raison spéciale de les encourager : de telle
sorte qu'ils voient bien qu'on tient à leur faire plaisir et à les
récompenser. Par exemple, le temps est beau, on est content
des enfants : une simple demi-heure de plus de récréation,
annoncée au moment même où ils mettent le pied sur le
seuil de la salle d'étude, leur fera jeter des cris de joie.


Ceci vient très-bien après des journées pluvieuses, où les
enfants n'ont eu que des récréations tristes ; ou après des
examens laborieux et satisfaisants, ou un jour de fête reli-
gieuse : ces jours- là , rien n'est meilleur : cette simple gra-
cieuseté gagne tous les cœurs.


Mais encore un coup, il faut que le Supérieur ne manque
pas de s'en donner le mérite, en l'annonçant lui-même aux
élèves, à haute et joyeuse voix, soit après les grâces, au ré-
fectoire, soit à la fin même de la récréation.


De même pour les promenades. La surprise'Ssif doit être
toujours vive. L'étude, la classe peuvent être brusquement
interrompues par un coup de cloche inattendu, que les en-
fants comprennent vite et qui les transporte.


En tout ceci, je le répète, c'est toujours la bonne grâce qui
est le grand charme, et l'à-propos qui empêche l'abus.


Il importe aussi que ces promenades ne manquent pas
leur but, soit par le mauvais choix du jour, soit par le défaut
d'organisation ou de surveillance.


Autant que possible, de telles promenades ne doivent pas
avoir lieu par la pluie. En général, soit aux grands, soit aux
petits congés pendant l'hiver, il ne faut sortir qu'à coup sûr,
c'est-à-dire avec un temps qui n'expose pas les enfants à
revenir crottés, mouillés, trempés. Leur santé en souffrirait,
leur âme aussi, la maison de même. En général, il ne faut
sortir que quand on est certain du beau temps.


Mais si on ne sort pas, soit à cause de l'incertitude du




CH. VIII. — L E S JEUX. 619


temps, soit à cause de la grande chaleur, il faudrait inventer
une manière de récréation, qui, par la variété des jeux ou
autrement, ne ressemblât pas aux récréations ordinaires.


Ce qui n'importe pas moins qu'un beau temps, c'est une
bonne organisation de la promenade, et une bonne surveil-
lance.


Toutes les précautions doivent être prises minutieusement
pour les moyens de transport, soit des élèves, soit du dîner.
Il ne faut souvent qu'une organisation mal entendue, et sur-
tout qu'un repas mal servi, pour enlever le charme d'une
promenade extraordinaire, exciter des murmures, et donner
lieu au mauvais esprit. L'administration des vivres est un
point capital ici, comme à la guerre.


Tous les maîtres, M. le Supérieur et MM. les Directeurs
eux-mêmes, sont tenus d'assister à ces grandes promenades.
La difficulté et le devoir impérieux de la surveillance, en-
core plus que l'esprit de famille et la convenance, l'exigent.


Chacun doit y apporter sa part active de vigilance et de
dévoûment, et prêter son concours pour l'organisation des
jeux, des repas, des visites dans les environs, s'il y a lieu,
et enfin pour la bonne tenue générale des enfants, soit dans
une propriété qu'un ami de la maison aurait bien voulu met-
tre à leur disposition, soit en pleine campagne, pendant
une longue journée, où ils ont plus de liberté.


11 faut que ces promenades aient toujours le caractère des
fêtes de famille : que la surveillance préventive soit telle,
s'il se peut, qu'il n'y ait pas une faute dont le châtiment
vienne troubler la joie et la sérénité du jour. Ce n'est jamais
par le laisser-aller ni le désordre qu'on îail plaisir aux en-
fants.


Ce n'est pas non plus par la prodigalité, la faiblesse ou le
caprice. On ruine la discipline, et on avilit les faveurs en les
çîûf\\%\v«ft.\,, ou au tédaat sans motif réel à des instances in-
discrètes. 1 1 faut savoir faire les choses gracieusement, et par




620 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


affection, jamais par faiblesse, cabale ou fantaisie; et tou-
jours avec ordre, raison, poids et mesure.


Les cas où une promenade extraordinaire générale peut
être accordée sont les suivants : à tous, pour la fête de M. le
Supérieur, et dans le courant du mois de Marie ;


A l'Académie, deux fois chaque année, à l'occasion de la
fête de son patron, ou d'une séance très-remarquable ;


Aux enfants de la première communion, le lendemain de
ce grand jour ;


A chacune des congrégations, un jour de congé ordinaire
et pendant la promenade de la communauté ;


A toute une classe, qui, dans un concours avec une classe
rivale, a remporté la victoire trois fois de suite.


On peut accorder aussi quelquefois une promenade ex-
traordinaire à la communauté entière, après de brillants
examens ou une très-belle séance académique, à laquelle
toutes les classes de la maison auraient pris part; et spé-
cialement à une classe, soit après une séance particulière
vraiment remarquable, soit pour des notes parfaites méri-
tées plusieurs semaines de suite par tous et pour tout.


Quelquefois aussi, quand la communauté a reçu la visite
de quelque grand personnage.


En tout cela, je le répète, ce qu'il faut surtout, c'est du
tact, de la mesure, de l'à-propos : l'art enfin de faire valoir
aux yeux des enfants ce qu'on fait pour eux.


IV


Je ne puis oublier ici, en parlant de la nécessité de faire
plaisir aux enfants, certains jours particuliers, tels que le
jour de l'an et les jours gras, où des raisons spéciales com-
mandent de chercher a leur être agréable.


Il serait vraiment trop dur pour les enfants qui sont obli-
gés de rester à la maison le jour de l'an, à cause de l'éloi-




CH. VIII. — LES JEUX. 621


gnement de leurs familles, de n'avoir pas, dans quelque di-
vertissement inaccoutumé, quelque compensation.


Que le temps soit donc réglé pour ceux qui restent d'une
manière agréable, mais sûre.


Les études : il en faut peu. La discipline: elle doit être très-
exacte, mais très-douce.


La nourriture : il faut un petit festin de famille.
Les amusements : comme pour les jours gras.
Comme on garde les enfants les jours gras, et que cela peut


leur sembler pénible, il faut les amuser beaucoup, plus même
qu'ils ne s'amuseraient chez eux, mais très-innocemment.


Il faudrait quelque soirée divertissante : un faiseur de.
tours, des charades, etc.; mais ceci est très-délicat, et de-
mande a être très-bien fait, et toujours avec une décence
parfaite.


Une loterie encore est très-bien : j 'ai vu quelquefois des
loteries pour les pauvres; c'était charmant. — Il y faut un
petit discours d'entrée ; trois ou quatre morceaux de mu-
sique instrumentale et vocale entremêlés.— On peut y join-
dre un joli dialogue sur un sujet comique.—II y faut encore
le récit d'une visite de pauvres, ou un rapport gracieux sur
l'état de la conférence de Saint-Vincent de Paul.


11 faut d'ailleurs proclamer en même temps les deux noms
du gagnant et de la chose gagnée : l'amusement naît du con-
traste. Ainsi par exemple, il va sans dire que je prenais tou-
jours un grand nombre de billets, et quand je gagnais un
mirliton ou une collerette, c'étaient des rires et des éclats
de joie qui passaient tout.


Les noms d'ailleurs doivent être lus très-haut et très-solen-
nellement : le nom de chaque chose, de chaque lot doit être
le plus amusant possible.


En un mot, il faut ces jours-là que l'esprit de la maison
apparaisse tout particulièrement ce qu'il est : un véritable
esprit de famille.




622 LIV. IV. — DE QUELQUES GRANDS MOYENS D'ACTION.


La piété du reste peut avoir sa part au milieu de ces amu-
sements : il faut le matin la messe avec de pieux et agréa-
bles cantiques, et le soir un très-beau salut.


V


DIMANCHES ET JOURS DE FETES.


Pour des raisons plus hautes encore, il faut que les diman-
ches et les jours de fêtes religieuses soient des jours agréa-
bles entre tous aux enfants : il faut tout faire pour leur éviter
ces jours-là l'ennui, et les dilater dans une aimable et pure
joie.


L'art est de combiner habilement les études, les récréations
et les offices, de façon que ces jours ne soient pas perdus
pour le travail, que le travail cependant n'empêche pas le
plaisir, et que le plaisir même prépare aux exercices de
piété \


' Ainsi, au lieu de l'élude, qui pourrait suivre les vêpres aux jours de fêtes, il
est très-bien de placer une récréation : cet arrangement pif»ît aux enfants, pour les
raisons que voici :


1° L'attente de la récréation qui leur sera donnée après les vêpres, leur est fort
agréable, et leur fait quitter, sans aucun regret, la récréation du dîner pour aller
à vêpres ;


2° Quand ils vont à l'étude, ensuite, ils ont eu de si belles et de si longues ré-
créaiions, que l'élude ne leur est pas pénible ;


3" En hiver, les enfants voient clair pour prendre leur récréation ; et dès lors,
elle leur est plus agréable : le froid y fait peu de chose.


La perspective, d'ailleurs, de sortir de l'étude pour la brillante fête du soir,
à la chapelle, adoucit l'étude, et leur fait attendre avec plaisir et désirer le salut,
la procession, et l'heure (le la fête ;


5° L'étude qui suit la récréation les prépare bien au sermon et au salut ; elle
les recueille, leur fait envisager les exercices qui suivent avec bonheur , comme
un délassement du travail ; la chapelle est brillante, illuminée ; il y a de beaux
cantiques, un beau sermon.


Quiconque n'entre pas dans ces délicatesses avec les enfants ne les connaît pas,
et ne les aime guère.


Le règlement des jours de fêtes est donc établi ainsi qu'il suit : •— De 12 heures à
2 heures, dîner et récréation ; — 2 " De 2 à 3 heures, vêpres ; — 3° De 3 à 4 ou 5
heures, récréation, goûter; — De k heures ou 5 à 6 heures et demie, selon qu'il y
a procession ou non, élude.


Ainsi, depuis 11 heures du matin jusqu'à 5 heures de l'après-midi, les enfants




CH. VIII. — LES JEUX. 623


VI


Je termine tout ceci par un seul mot sur les vacances.
Car l'Éducation ne finit pas pour chaque enfant avec


l'année classique; et les vacances ne doivent pas rompre
tous les rapports entre eux et leurs maîtres.


Certes, il entendait bien mal sa mission et sa dignité, le
maître qui, a la fin d'une année, disait à une mère : « Emme-
« nez vite votre enfant, Madame. Nous en avons assez de
« nos gamins, et ils en ont assez de nous : nous nous pas-
« serons volontiers les uns des autres. »


Non, ce n'est pas ainsi qu'un instituteur digne de ce nom
entend l'Éducation. Sa sollicitude accompagne l'enfant qui
s'éloigne, et pendant cette absence momentanée des va-
cances, il sait veiller encore sur Tui.


sont en fêle pieuse ou en récréation : ce mélange leur fait trouver la grand'messc
et. les vêpres agréables, ainsi que leurs études du matin et du soir.


Ils ont d'ailleurs toutes leurs récréations en plein jour, ce qui est un plus grand
plaisir, et d'une bonne discipline^


On pourrait avoir l'idée de mettre les vêpres le soir, immédiatement avant le
salut, mais ce serait d'une longueur démesurée ; il y aurait toul à la fois vêpres,
chant de cantiques, sermon, salut, procession, petite exhortation.


J'ajouterai encore une observation : Il faut prendre garde de ne pas placer trop
souvent des fêtes dans le cours de la semaine. — Les inconvénients sont visibles
pour 1rs études : cela fait deux classes de moins; et, soit à cause du congé, soit à
cause du dimanche, interrompt la suite des classes et .des études d'une manière
très-facheuse : or, pour les enfants, la suite est un point capital.


C'est de plus un inconvénient à un autre point de vue : les noies du samedi ne
sont plus suivies de la longue élude des confessions.


La veille de ces fêtes en semaine, cette étude est trop courte.
Ce qu'il y a donc de mieux, c'est, autant que les règles le peuvent permettre, —


et en demandant au besoin les permissions nécessaires, — de remettre la solen-
nité de ces îètes au dimanche, comme le fait VÉglise pour des têtes très-impor-
tames : l'Epiphanie, par exemple, etc., etc.


Ainsi, on pourrait remettre au dimanche qui précède ou qui suit, la fête de ia
VvfcsevriavÂon, de rimmacidée-Gonception, rte Sa'mt-¥rançovs de Satcs.


Il restera en semaine l'Ascension, Noël, la Toussaint, le Sacré-Cœur.
En tout cas, ce qui est nécessaire à prévoir, c'est : 1° ce que cela laisse de di-


manches libres pour le catéchisme et la suite des instructions; 2° c'est aussi
que les cours supplémentaires et le Conseil ne soient jamais manques.